Читать книгу L'âme du cheval - Adolphe Guenon - Страница 5
INTRODUCTION
Оглавление«Il y a des gens qui voudraient qu’un auteur
ne parlàt jamais des choses dont les autres
ont parlé ; autrement on les accuse de ne
rien dire de nouveau. Mais si les matières
qu’il traite ne sont pas nouvelles, la disposition en est nouvelle. Quand on joue à la
paume, c’est une même balle dont on joue
l’un et l’autre; mais l’un la place mieux.»
Pascal. (Pensées).
Un homme bien connu dans la science, Agassiz, écrit quelque part:
«Toute vérité scientifique, pour avoir dans le monde ses grandes lettres de naturalisation, passe par trois phases nécessaires et successives.
«1° Cela n’est pas vrai.
«2° Mais vous battez en brèche la religion.
«3° Il y a longtemps que tout le monde le savait.»
Je répondrai d’abord et en bloc aux deux premières objections.
On dit l’âme d’un canon, l’âme d’un violon, l’âme d’un fagot, pourquoi ne dirait-on pas l’âme du cheval? L’important est de bien s’entendre sur le sens du mot.
Par âme des animaux je veux exprimer, avec Milne Edwards, l’ensemble de leurs qualités intellectuelles et morales, mais non désigner le principe immatériel et immortel que presque tous les hommes croient instinctivement exister en eux.
«Jamais les Conciles ni les Pères de l’Église n’ont songé à discuter l’âme des bêtes, nous dit M. F. de Courmelles . L’existence de celle-ci était admise.»
Saint Thomas d’Aquin la reconnaît également, mais ne la croit pas immortelle de sa nature .
Quant à la troisième objection, je n’ai qu’un seul mot à dire: Oui! car Xénophon le savait déjà ; nais depuis Descartes on l’avait légèrement oublié.
La psychologie du cheval n’a jamais été faite . On ne m’accusera donc pas d’arriver trop tard; de porter l’eau à la rivière; mon étude aura, je l’espère, quelque mérite de nouveauté. Ou, pour parler comme Pascal, «si les matières que je traite ne sont pas nouvelles, la disposition en est nouvelle.»
En composant l’Ame du cheval, je n’ai point cherché — et pour cause — à faire un travail savant: puissè-je seulement avoir fait œuvre de bon sens, cavalièrement pensée, écrite à la française.
Je me suis efforcé d’éviter les nébulosités de la métaphysique et, dans mes incursions, j’ai toujours tâché de conserver mon guide préféré : la clarté.
Je n’ai pu exécuter qu’une ébauche, car, comme l’a dit un savant psychologue doublé d’un savant homme de cheval, M. G. Le Bon: «Il s’en faut de beaucoup que, dans l’état actuel de nos connaissances, il soit possible d’écrire un travail complet sur la psychologie du cheval ou d’un animal quelconque.»
«Le jour où cette tâche serait accomplie pour le plus modeste des animaux de la création, la psychologie de l’homme serait beaucoup plus avancée qu’elle ne l’est aujourd’hui.»
Qu’on n’aille pas croire que je vienne célébrer la haute intelligence du cheval, son vif amour, son dévouement pour l’homme. Non! Je m’efforcerai de n’être pas victime de mon imagination. Je dirai seulement: le cheval est intelligent; il l’est plus qu’on ne le croit ordinairement, et, dans nos relations quotidiennes avec lui, nous ne tenons pas assez compte de ses facultés intellectuelles; d’ailleurs elles manquent de pondération, ce qui est pour lui et pour nous la source de bien des maux.
En passant au prisme de la psychologie la constitution mentale du cheval, j’espère démontrer pourquoi cet animal, cependant intelligent, se conduit si bêtement; comment chez cet être nerveux, mais timide, l’impressionnabilité annihile souvent la bonne volonté et les qualités de l’esprit.
De prime abord il semble étrange qu’une pareille œuvre n’émane pas d’un écuyer; plusieurs s’y sont essayés, ainsi qu’on le verra dans la suite. Mais comme il ne s’agit pas ici d’équitation, on me permettra de faire remarquer que, pour traiter le sujet, personne n’est peut-être mieux qualifié qu’un vétérinaire militaire. N’a-t-il pas étudié la physiologie comparée, science indispensable pour interpréter les émotions des bêtes, c’est-à-dire leurs pensées? En soignant ses malades, ce médecin surprend bien des secrets. Vivant au milieu des chevaux et des cavaliers, ne partage-t-il pas avec eux les fatigues de la guerre, sinon la gloire des combats?
En garnison comme en manœuvres, chaque fois que le régiment marche en colonne, l’hippiatre, en docte compagnie, chevauche philosophiquement à l’arrière: poste de choix pour tout voir; l’esprit libre, ne soupçonnant même pas les soucis du commandement, ce cavalier amateur observe, enregistre, échange ses impressions. S’il possède des données de psychologie humaine, il peut se divertir en les adaptant au cheval.
Affectionnant le dressage, j’ai «ramené à la raison» bien des chevaux et des mulets difficiles ou méchants au ferrage. Force m’a donc été d’étudier la mentalité de mes élèves. Instinctivement curieux, mon premier soin est de chercher le pourquoi des résistances.
L’Ame du cheval fait suite à la psychologie du mulet ; elle en est le complément naturel.
Le présent ouvrage est le fruit de longues méditations et de patientes recherches, la résultante du choc de nombreuses idées: je l’ai discuté souvent avec des collègues, commenté maintes fois en détail avec les officiers de cavalerie, au milieu desquels j’ai eu le plaisir de passer dix-sept belles années de ma carrière, et avec plusieurs officiers d’artillerie de ma connaissance, esprits fins et froids raisonneurs.
Le fruit a donc mûri lentement au soleil de la critique.