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Du XVIe au XVIIIe siècle inclus.

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La période qui vient de s’écouler est assez pauvre en documents sur le cheval. Au seuil de la Renaissance littéraire les études vont se multiplier et s’étendre jusqu’aux animaux; le cheval viendra tenir une place honorable, les premiers ouvrages sur l’équitation vont apparaître en Europe.

Montaigne et Gassendi.

Déjà Montaigne (1533-1592) accorde une intelligence aux animaux et les appelle «nos frères inférieurs». Gassendi (1592-1655) pense à peu près de même.

Descartes.

Avec Descartes (1596-1650), renversement complet; le mathématicien philosophe invente la doctrine de l’automatisme des bêtes; il ne voit en elles que de simples machines. Cela devait arriver: «Toute erreur se fonde sur une vérité dont on a abusé », dit Bossuet. Le Moyen-Age avait trop abusé.

Le temps a fait justice des doctrines cartésiennes que d’ailleurs ne partagèrent pas plusieurs grands esprits qui vinrent ensuite, La Fontaine, Leibnitz, Bayle, Réaumur, Voltaire, etc., etc.

Examinons maintenant les appréciations des hippologues et des écuyers; n’est-il pas intéressant de savoir quels sentiments ces éducateurs prêtent à leur noble élève?

Il est assez difficile de trouver leur opinion; plusieurs sont muets; les autres sont peu prolixes et, pour ce qu’ils en disent, ne risquent pas le bûcher.

Laurent Ruse.

Le premier ouvrage de l’ère chrétienne sur l’équitation est La Mareschalerie, de Laurent Ruse, qui parut à Venise vers 1500. La première traduction française est de 1533.

C’est en vain que j’ai parcouru l’édition de 1583, par Guillaume Auvray, je n’ai rien trouvé concernant les facultés intellectuelles du cheval.

Claudio Corte.

Par contre Il cavallarizzo, de Claudio Corte di Pavio (Venise 1562), m’a plongé dans la joie. «Combien de talent et de connaissance a le cheval, écrit cet auteur, et combien sont dans l’erreur ceux qui pensent qu’il en a peu ou pas du tout! Bien peu l’apprécient,» dit-il.

Et il nous rappelle les Sybarites et les Cardians, «deux peuples qui dressaient leurs chevaux à danser au son du chalumeau avec un ordre, cadence et un certain nombre de sauts. Ils les présentaient ensuite dans des réunions où, avec une certaine façon de danser sur leurs pieds de derrière, de battre l’air avec ceux de devant (comme si c’étaient des mains), ils faisaient la joie des invités, ainsi que le disent deux auteurs très sérieux, Célio et Athénio.

«Nous avons vu, à Rome, les Allemands dresser deux bidets qui faisaient tout cela. Ils étaient guidés par un singe et faisaient tant de choses que c’était merveilleux et sujet d’étonnement.

«En particulier, ils savaient discerner dans la foule un gentilhomme d’un manant, le maître du serviteur, un jeune homme d’un vieillard, un beau d’un laid, un homme vertueux d’un vicieux. Ils connaissaient les couleurs. Envoyés par leurs maîtres à la recherche de ceux qui avaient des chaussettes blanches ou d’une autre couleur, ils savaient les désigner. Ils se couchaient à terre comme s’ils dormaient ou simulant la mort, puis se redressaient et sautaient de ci de là avec une grande dextérité et faisaient en somme des choses presque impossibles et incroyables.

«Quel meilleur argument de leur docilité peut-on trouver que la foule des exercices de manège qu’ils apprennent?

«Ces exercices si merveilleux et agréables que je ne puis penser qu’il soit homme si sévère et si savant, si brute et si sauvage qui ne s’enthousiasme et ne se réjouisse de voir des chevaux ainsi manégés! On éprouve un grand plaisir à constater leur intelligence.»

L’auteur parle également de la mémoire du cheval et il cite le trait suivant: «Il y avait un gentilhomme qui se délectait beaucoup de la chasse et des chiens et qui possédait un cheval bon et agréable. A la chasse, il l’avait plusieurs fois maltraité avec l’éperon ou autrement pour le faire courir plus vite que ses moyens ne lui permettaient.

«Un jour il fut désarçonné en courrant un lièvre dans la campagne. Le cheval se précipita sur lui avec une telle rapidité et et une telle rage qu’il le roula sous lui et l’aurait tué à coups de dents et à coups de pieds, si des prompts secours n’étaient arrivés.

«La même chose arriva à un gentilhomme de mes amis.

«De ce que nous avons dit, on peut conclure que les chevaux ont de la connaissance, sont soumis, aiment leurs maîtres, ont de l’idée, de l’intelligence, de la mémoire et de la religion (et religione).»

Fiaschi.

César Fiaschi, dans son ouvrage paru à la même époque est beaucoup moins précis. «Traicté de la Manière de bien emboucher, manier et ferrer les chevaux.» .

On y lit ce qui suit, (édition de 1759): «Le cheval sentant qu’on luy veult forcer son naturel, se met comme en un désespoir, et ce despitant contre son maistre, s’obstine et fait tout le contraire de ce qu’on veult qu’il face.»

Plus loin l’auteur recommande «d’endoctriner tellement le cheval, qu’il entende (je souligne) la volonté de son chevaucheur au moindre signe qu’on luy face.» — Livre second. Chap III.

Cet écuyer accorde donc au cheval l’entendement.

Grison.

Grison, gentilhomme napolitain, s’exprime en ces termes : «Qui pourroit jamais dire à plein les louages et la grande vertu du cheval (Livre I).» Puis il parle de Bucéphale, du cheval de César, de Pégase, etc., etc...., aventures merveilleuses que le lecteur connaît et dont je lui ferai grâce. Cet auteur renonce à peindre le cheval «des vertus et louanges duquel quand je voudrois, dit-il, je ne pourrois assez suffisamment parler: car la langue ne pourrait suffire à en parler selon la valeur, par quoy contraint de m’en taire je laisserai présentement à en faire plus long discours.»

En théorie le seigneur écuyer couvrait le cheval de fleurs, mais dans la pratique il traitait en animal féroce tout sujet récalcitrant, conseillant de le frapper «d’un bâton entre les oreilles et de tous les côtés de la tète, ou encore de lier au bout d’une perche un chat très méchant et de le mettre soit entre les jambes, soit aux jarrets, soit entre les cuisses ou sur la croupe pour contraindre le cheval à se rendre et à aller en avant.»

Que lui avait donc fait notre félin domestique que «Dieu a donné à l’homme pour lui laisser l’illusion de caresser le tigre?»

Le terrible gentilhomme définit ainsi la nature du cheval:

«Je diray donc premièrement que la qualité du cheval dépend des quatre elemens, et se conforme plus avec celuy duquel plus elle participe. S’il tient de la terre plus que les autres, il sera melancolie, terrein, pesant, et de peu de cœur: et est coutumierement de poil moreau, ou de couleur de cerf, ou pômelé, ou de poil de souris, ou de telles autres couleurs meslées. Si plus de l’eau, il sera phlegmatiq, tardif, et mol: et le plus souvent est blanc. Si plus de l’air, il sera sanguin, gaillard, prompt et tempéré en ses mouvements: et a coutume d’estre Bay. S’il tient plus du feu: il sera colère, léger, ardant et faulteur, et n’avient guère qu’il soit fort nerveux: et est communément roux alezan, ressemblant à la flâme, ou plus tost à charbon ardent: mais quand la deuë proportion il sera participant de tous les elemens ensemble, alors il sera parfait.»

Cet écuyer s’inspirait, dans sa description, des doctrines physiques en cours; on considérait encore la terre, l’eau, l’air et le feu comme constituant l’univers ; néanmoins on peut dire que la lueur des bûchers n’a guère éclairé le gentilhomme napolitain sur l’Ame du Cheval: il juge les gens (les chevaux, veux-je dire) un peu trop sur l’habit.

De Menou.

L’opinion de Menou est assez curieuse. Dans la première édition de son ouvrage (1612) il parle de la noblesse du cheval, de ses vertus, de ses vices, de sa gentillesse, de son bon naturel ou de sa colère; mais il reste dans ces généralités et manque de précision.

Dans l’édition de 1651, revue et augmentée, cet écuyer est intarissable dans les éloges qu’il décerne au cheval: «le plus noble et le plus utile de tous les animaux (Préface), il n’y en a point qui approche si fort du naturel de l’Hôme, qui ait plus de force et de courage, et avec cela soit si doux, si docile et si reconnoissant envers celuy qui le nourrit, ny qui le serve plus fidèlement et à plus d’usages. On n’en voit point qui soit capable d’apprendre de plus belles choses; on ne sçaurait trouver de serviteur qui ayme mieux son maistre, qui le soulage plus dans ses affaires et dans ses voyages, qui le défende de meilleur cœur, qui le seconde mieux dans les hazards de la guerre et qui soit plus agréable dans les plaisirs de la paix.» etc., etc.

Une perfection quoi!.... Il ne manque au cheval que la parole. Et l’écuyer chante les exploits de Bucéphale et consorts.....

Jean Tacquet.

Maintenant, lecteur, je vous présente Jean Tacquet, écuyer, seigneur de Lechène, de Helft, etc.

Son ouvrage Philippica, ou Haras de chevaux, publié à Anvers en 1614, contient des aperçus très hardis pour cette époque, sur les facultés intellectuelles du cheval.

Comme tous ceux de son temps, il exécute sa petite promenade parmi les quatre éléments qui entrent dans la constitution des «hôme et des animaux», (selon le dire des naturalistes), ajoute-t-il finement.

Dans son chapitre IV (De l’intelligence et jugement des chevaux), il écrit que Dieu a créé l’homme à son image «le douant d’un jugement et intelligence divine, et puis de l’àme immortelle. De là ne suit point, ajoute-t-il, que tous les animaux soyent entièrement et du tout sans jugement; car nous voyons qu’ils n’ont pas seulement un jugement commun, se sçachant garder de ce qui leur nuict, mais aussi ils aiment et suivent ce qui leur est bon, et à chacun d’eux selon son espèce est donné un jugement ou intellect particulier, à l’un plus, à l’autre moins .»

Puis, parlant de la mémoire des chevaux (chap. V), il la considère comme une partie de l’intellect: «Si les chevaux n’avoient mémoire, ils ne seroyent propres au service de l’hôme, qui serait tenu de dresser chaque fois le cheval à ce dont il s’en voudroit servir.»

Pierre de la Nouë.

Pierre de La Nouë 1620, nous renseigne de la manière suivante: «Chacun sait, dit-il (titre 1), que le cheval est composé des quatre Elemens, sous la prédominance desquels il est naturellement ou colère, ou sanguin, ou flegmatique.»

Et, imitant Grison, il énumère les caractères des chevaux selon leur robe; nous voyons, par exemple, que «le Noir, domicile de la melancholie, est ordinairement malicieux, vindicatif et d’autant plus vil qu’il est noir.»

Beaugrand.

Dans l’ouvrage de N. Beaugrand (1629), rien à retenir.

Pluvinel.

Arrivons maintenant à Pluvinel (1627) . Dans la 1re partie de son ouvrage, l’écuyer, s’adressant au Roy, le prévient que, pour monter à cheval, il doit se résoudre «à souffrir toutes sortes d’extravagances qui se peuvent attendre d’un animal aussi irraisonnable et les périls qui se rencontrent parmi la cholere, le désespoir, et la lascheté de tels animaux (p. 3).»

A la page suivante, l’écuyer parle encore de l’animal sans raison; cependant, il ajoute: «je n’ay pour réduire mes chevaux à la raison que ces deux choses, (la main et les deux talons).»

Plus loin, il accorde au cheval la connaissance, car il écrit p. (31): «Puis incontinent luy donnera à cognoistre que son obeyssance produit les caresses et le cheval s’apercevra et exécutera bien tost ce qu’on désire de luy.»

Comment le noble quadrupède connaîtrait-il s’il n’avait pas de raison?

D’ailleurs Pluvinel recommande à certain endroit de commencer son éducation «en recherchant la manière de lui travailler la cervelle plus que les reins et les jambes, en prenant garde de l’ennuyer si faire se peut et d’étouffer sa gentillesse car elle est aux chevaux ce que la fleur est sur le fruit.»

De la Broue.

De la Broue (1646) qualifie aussi le cheval d’animal irraisonnable (page 48).

Cependant on lit (p. 62, chap. XXIV): «Il y a des chevaux mélancholiques, qui sont vrayment rétifs par pure malice.»

Duc de Newcastle.

Le duc de Newcastle (1657) s’est affranchi des opinions ténébreuses émises par presque tous les écuyers qui l’ont précédé, il est encore plus affirmatif que Jean Tacquet; ses conceptions sont d’une netteté, d’une précision remarquables; d’ailleurs de la Guérinière le dit le plus savant homme de cheval de son temps: «Nous n’avons que deux choses pour dresser parfaitement, un cheval, écrit-il (page 8), l’espérance de la récompense et la crainte du châtiment, lequelles gouvernent tout le monde.»

Il proclame ainsi la responsabilité du cheval.

Le duc anglais raille les gens de lettres qui donnent seulement à cet animal un certain instinct que personne n’entend; d’après lui le cheval pense: «S’il ne pense point, comme dit de toutes ses bestes le fameux philosophe Monsieur Descartes, on ne sçaurait lui enseigner ce qu’il doit faire par l’espérance de la récompense et la crainte du châtiment.»

Voilà, ce me semble, de la bonne logique.

A ceux qui ne parlent que de l’instinct et de la mémoire, Newcastle répond: «Mémoire est pensement.»

Solleysel.

Le grand Mareschal français (1665) et le Parfait Mareschal de Solleysel (6e édition) (1685) ne nous apprennent rien sur la question.

Buffon.

Buffon (1707-1788) embouche la trompette de René de Menou, il en joue en virtuose et nous fait entendre l’air connu qui a charmé nos esprits d’adolescents.

«La plus noble conquête que l’homme ait jamais faite, est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats. Aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l’affronte: il se fait au bruit des armes; il l’aime, il le cherche et s’anime de la même ardeur; il partage aussi ses plaisirs à la chasse, aux tournois et à la course. Il brille, il étincelle; mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu; il sait réprimer ses mouvements; non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses desseins, et obéissant toujours aux impressions qu’il en reçoit, il se précipite, se modère ou s’arrête, et n’agit que pour y satisfaire.

«C’est une créature qui renonce à son être pour n’exister que par la volonté d’un autre, qui sait même la prévenir, qui, par la promptitude et la précision de ses mouvements, l’exprime et l’exécute, qui veut autant qu’on le désire et ne rend qu’autant qu’on veut; qui, se livrant sans réserve ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s’excède, et même meurt pour mieux obéir.»

C’est là, incontestablement, de la belle littérature; le portrait est fidèle sauf en ce qui concerne le courage. Plus loin je l’expliquerai longuement.

Malheureusement Buffon se contredit d’une façon bien singulière dans son Discours sur la nature des animaux; là il attribue toutes les déterminations des bêtes à des opérations purement sensitives. Comprenne qui pourra!

De la Guérinière.

Pour la Guérinière le cheval, comme la plupart des animaux, n’obéit que par la crainte du châtiment.

C’est en vain que j’ai cherché une description des facultés du gracieux solipède, l’auteur ne nous parle que de ses vices «qui sont la timidité, la lâcheté, la paresse, l’impatience, la colère et (je souligne) la malice. La plupart de ces défauts rendent les chevaux ou ombrageux, ou vicieux, ou rétifs, ou ramingues, ou entiers.» .

Le Père Bougeant.

A cette époque paraissait l’Amusement philosophique sur le langage des Bestes , que je ne saurais passer sous silence.

Dans ce chef-d’œuvre d’esprit et d’observation, l’auteur fait preuve d’une belle indépendance pour un homme «de son état» : il ne s’est pas occupé spécialement du cheval, mais cet animal s’y trouve compris car le P. Bougeant accorde de la «connoissance» à toutes les Bêtes. Il dit d’ailleurs (p. 95): «Nous parlons aux chevaux, aux chiens, aux oiseaux, et ils nous entendent.»

On ne saurait trop recommander la lecture de ce charmant et si instructif badinage à tous ceux qui veulent se faire une opinion sur la question en évitant les dissertations savantes et ennuyeuses. La devise du P. Bougeant pourrait être: Instruire en amusant.

Auteur inconnu.

Dans la connoissance parfaite des chevaux, 1741 , il n’est question que de l’instinct; le mot intelligence manque.

Bourgelat.

«Enfin Bourgelat vint et le premier au monde»

fonda la médecine des bêtes. Il fit d’abord paraître, en 1747, sans nom d’auteur, le Nouveau Newcastle, petit ouvrage remarquable de précision et de clarté. «En travaillant un cheval, y disait-il, on doit s’attacher principalement à exercer l’esprit et la mémoire de l’animal.» (Préface, p. XV).

Un vétérinaire militaire ne saurait, sans ingratitude, se dispenser de consacrer quelques lignes de biographie à cet homme éminent.

Bourgelat naquit à Lyon en 1712. D’abord avocat à Grenoble, il se fil remarquer par ses talents oratoires. Un jour il gagna une cause injuste: édifié sur la justice des hommes, il brûla la robe et la toge témoins d’un triomphe dont il rougissait et se fit mousquetaire. L’équitation le passionnait: il s’y livra avec autant d’ardeur que de succès, ce qui lui valut l’honneur d’être nommé chef de l’Académie du roy à Lyon. Ecuyer de mérite, il n’était pas encore satisfait: «Savoir gouverner le cheval est bien; le parfaitement connaître serait mieux», dut-il penser.

Et il créa l’hippiatrique.

D’abord il étudia la médecine humaine avec deux de ses amis, savants chirurgiens de Lyon; ils firent ensemble des dissections sur le cheval et autres animaux domestiques. Bourgelat chercha ensuite à approfondir la maréchalerie. En 1761, il jeta les bases de l’Ecole vétérinaire de Lyon qui s’ouvrit le 1er janvier 1762; quatre ans plus tard celle d’Alfort suivit.

Ecrivain distingué, Bourgelat publia de nombreux ouvrages dans la science qu’il avait créée. «Peu sensible à la gloire d’auteur, nous dit Grognier, il le fut beaucoup à celle d’avoir fondé les écoles vétérinaires.»

Ce fut un savant et une âme d’élite.

Bourgelat se lia d’amitié avec l’homme sur lequel «la nature s’était plu à rassembler, nous dit Goëthe, toutes les variétés du talent, toutes les gloires du génie, toutes les puissances de la pensée.» J’ai nommé Voltaire.

«J’étais étonné, écrivait ce dernier, en 1775, au créateur de l’Art vétérinaire, qu’avant vous les bêtes à cornes ne fussent que du ressort du boucher et que les chevaux n’eussent pour leurs hippocrates que des maréchaux-ferrants. Les vrais secours manquaient dans tous les pays civilisés.

«Vous seul avez mis fin à cet opprobre si pernicieux.»

Bourgelat ne voulut point avouer le Nouveau Newcastle: il regardait ce livre comme au-dessous du but qu’il se proposait .

«Les défenses des chevaux, dit-il, (p. 37) naissent souvent plutôt de l’impéritie du cavalier, que des défauts naturels du cheval même; en effet, trois choses peuvent les occasionner, l’ignorance de l’animal, sa mauvaise volonté et son impuissance.»

Et à propos, des châtiments Bourgelat écrit encore (p. 130): «L’homme de cheval cherche à travailler plutôt sur son entendement que sur les parties de son corps; l’animal a de l’imagination, de la mémoire, du jugement; opérer sur ces trois facultés, c’est toujours le moyen le plus sûr de réussir.»

Garsault.

Garsault, dans le Nouveau Parfait mareschal , vante l’utilité, les agréments et la noblesse du cheval «qui sert à la pompe et la magnificence des Rois» (Préface).

Il s’en tient à ces vagues déclarations; toutefois, à un certain endroit, il assimile le cheval à un enfant, et il répète à son tour: «Il faut instruire un Cheval comme un Ecolier, et le châtier quand il le mérite, mais il faut proportionner le châtiment à la désobéissance, etc.»

Gaspard de Saunier.

Les Vrais principes de la Cavalerie (1749) par Gaspard de Saunier enseignent que «le Cheval n’a ni entendement ni mémoire» (p. 27).

Pourtant on lit (p. 55): «En général les chevaux d’Espagne sont plus propres au Manège que tous les autres, tant pour la mémoire (si l’on peut hasarder ce terme sans offenser les Philosophes) que pour la souplesse dans les hanches et dans les jarrets, etc.»

Mais l’auteur ne pouvait se passer de la mémoire pour expliquer la conduite du cheval; aussi écrit-il (p. 61): «Puisque les chevaux sont de différente nature, tempérament, force, légèreté, mémoire, etc.»

Les yeux de l’écuyer devaient enfin s’ouvrir à la lumière; il devait être touché par la grâce; dans L’Art de la. Cavalerie (1756), on peut lire (p. 23) : «Les chevaux ont beaucoup de mémoire, et se souviennent de l’endroit où ils ont été maltraités.»

Tout à fait converti, de Saunier dit encore, dans son ardeur de néophyte (p. 25):

«Plusieurs personnes qui n’entendent rien à la Cavalerie, se mettent quelquefois à rire lorsqu’ils entendent dire que les chevaux ont de la conception. Il en est presque de même d’un cheval comme d’un Chien; et pour prouver que les chevaux ont de l’entendement et du sentiment, je dirai: combien a-t-on vu de chevaux faire les mêmes tours que des Chiens, et qui surpassoient l’entendement même des personnes qui les voyaient travailler? On en a mené de Ville en Ville aux Foires, que l’on faisoit voir pour de l’argent, et tous les tours se faisoient à la parole et au signal du Maître. On les a vus rapporter comme un Chien, contrefaire les Boiteux, du pied même que le Maître leur disoit. et contrefaire le Mort. Tout cela ne se fait point sans entendement.»

Dupaty de Clam.

Dupaty de Clam, dans sa Pratique de l’Equitation (1769), ne s’occupe guère du moral du cheval; il cite son bon ou son mauvais naturel; et dit qu’il prête attention à celui qui le monte, qu’il a de la mémoire.

Deux ans plus tard l’auteur publiait son Essai sur la théorie de l’équitation (1771) qui, je l’avoue en toute humilité, contient des dissertations trop savantes pour moi. Que le lecteur me permette de lui faire déguster le début du Chap. I: «Le cheval considéré comme mobile ou comme un corps inanimé susceptible de recevoir des impressions réglées par la Méchanique.»

«Je considère le cheval dans l’Equitation comme une masse inanimée à laquelle l’Art donne un certain mouvement, une direction, une vitesse, en employant sur lui les règles que la Méchanique nous prescrit. Je fais abstraction des facultés que l’animal a en lui, facultés attachées à sa vie et communes à tous les êtres vivants dans lesquels elles sont une progression qui leur est propre selon leur espèce. Le cheval a cet avantage, mais je l’écarte ici pour n’envisager en lui que la disposition qui appartient à toutes les masses les plus lourdes et les plus volumineuses. Je cherche à démontrer par les lois de la Physique que cet animal, dans l’Equitation, est subordonné aux mêmes lois, ou si l’on aime mieux, qu’il existe dans l’Equitation des règles de mouvements, qui sont les mêmes que celles qu’on emploie sur les corps inanimés, quoique le cheval soit doué d’une certaine âme ou instinct qui le porte à agir par lui-même.

«La première propriété d’un corps, c’est la mobilité, c’est-à-dire une disposition naturelle au mouvement, etc.» Et voilà pourquoi votre fille.... pardon, votre serviteur, ne se sentant pas de taille à résumer ce passage des savantes théories de l’écuyer-académicien s’est vu dans la nécessité de le citer en entier.

Pourtant le livre est précédé d’une traduction de l’Equitation du limpide Xénophon qui ne semble guère avoir inspiré l’auteur. Il termine son «Essai» par un Discours où il annonce que l’équitation va marcher «à la lueur des sciences.» .

Dans un autre ouvrage il déclare que pour choisir une monture on doit consulter «ses mouvements et son âme: La douceur et la sagesse sont les plus belles qualités d’un bon cheval.»

Et on lit, chapitre IV (Des sens du Cheval):

«Il a l’instinct (sic) de considérer avec attention et inquiétude l’objet qui lui est désagréable.»

Le Baron de Sind.

Le Baron de Sind s’exprime dans un style plus compréhensible. Sa préface de L’Art du Manège (Vienne 1772) porte:

«Le cheval a reçu de la nature l’intelligence, mais cette intelligence est bornée. Il convient de lui éviter l’embarras des avertissements incertains et des signes équivoques. Le cheval a de la docilité, mais il est sensible, les caresses le flattent, les châtiments l’irritent. Il faut un juste mélange de douceur et de sévérité pour le réduire à l’obéissance ponctuelle.»

«Le cheval est un élève qu’il faut dresser avec patience, et un serviteur qu’il faut soigner avec amour.»

Voilà tout ce qu’en dit le Baron de Sind, c’est court, mais bon.

Malgré moi ce vers de Boileau me revient à l’esprit:

«Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.»

Mottin de la Balme.

Mottin de la Balme , Essais sur l’Equitation, 1773, ne nous instruit guère sur les facultés du cheval. Il mentionne simplement ses dispositions, sa docilité ou sa colère, sa bonne ou mauvaise volonté, ses habitudes, son adresse, sa mémoire (voir Introduction, p. XXV).

Lafosse.

Le Dictionnaire d’hippiatrique de Lafosse ne parle pas de l’intelligence, mais seulement de l’instinct: «Manière de penser et d’agir qu’ont les brutes, par lequel elles se meuvent et font usage de leurs cinq sens.»

Deux ans plus tard, (Guide du Maréchal, 1778), Lafosse renonce «à faire l’éloge du cheval qui a été fait par tant d’habiles gens que ce qu’il pourroit dire serait fort au-dessous de ce qu’on a dit avant lui.» Préface — p. VII.

De Bohan.

De Bohan s’en tient à cette simple déclaration: «Pour instruire un cheval, travailler avec fruit son instinct et sa mémoire, il faut discerner son caractère.»

C’est tout ce que j’ai pu trouver, avec quelques épigrammes à l’adresse de Monsieur Bourgelat.

Thiroux.

En parcourant les ouvrages de Ch. Thiroux il m’a semblé que cet auteur restait muet sur les facultés du cheval.

De Lafont-Poulotti.

De Lafont-Poulotti s’en rapporte à Baffon qui «a exposé la structure, le caractère et le méchanisme des fonctions du cheval avec autant de vérité que de précision,» (P. 263).

La moisson de renseignements que j’ai récoltée au cours de ces trois siècles nous montre que les écuyers ne comprenaient guère la mentalité du cheval; la majeure partie ne la soupçonnant même pas. Seuls Claudio Corte, Jean Tacquet, Newcastle, Bourgelat et quelques autres en ont eu une vision plus juste. - Ils ont ainsi préparé la voie aux écrivains du XIXe siècle; la science officielle va enfin proclamer l’identité des facultés intellectuelles de l’homme et de l’animal ; celles-ci ne différant que du plus au moins.

L'âme du cheval

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