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CHAPITRE I.

Table des matières

Depuis l’antiquité jusqu’au XVe siècle inclus.

Toute erreur se fonde sur une vérité

dont un a abusé.

(Bossuet).

Pendant la longue préparation de cet ouvrage, j’aspirais ardemment à connaître les opinions émises dans la suite des siècles par les principaux auteurs qui se sont occupés des facultés mentales du cheval. Les années s’écoulaient et je ne trouvais rien: Tout vient à point à qui peut attendre.

Le hasard, providence des gens dans l’embarras, m’a servi à souhait.

Si dans cet Aperçu un peu long, mais qui m’a paru indispensable, je puis offrir au lecteur des documents aussi nombreux et d’une authenticité aussi indiscutable, je le dois surtout à la bienveillance de M. le général Mennessier de la Lance, alors commandant la 3e division de cavalerie , qui m’a autorisé à puiser sans réserve dans sa bibliothèque remarquable. Sa compétence et sa persévérance de bibliophile éclairé lui ont permis de rassembler les ouvrages les plus intéressants parus sur la matière équestre.

Je lui exprime ma très respectueuse reconnaissance.

La croyance à une âme chez nos «frères inférieurs» est à peu près aussi vieille que le monde; les sauvages et les peuples plus ou moins civilisés qui, de temps immémorial, ont fait de certains animaux leurs divinités, n’en donnent-ils pas la preuve? La métempsycose ne vient-elle pas la confirmer?

Je m’occuperai uniquement de l’Ame du Cheval; je ne reprendrai donc point à l’origine la question de l’Ame des Bêtes: que le lecteur me permette de le renvoyer aux nombreux volumes écrits sur ce sujet; s’il a des loisirs, il pourra les utiliser largement.

Je passerai sous silence ces chevaux célèbres dont l’antiquité nous vante les exploits, le fabuleux n’a rien à voir ici: mais je rappellerai que la Bible assimile souvent l’animal à l’homme . Jonas, prêchant à Ninive, imposa le jeûne aux hommes et aux animaux. Dans ses derniers temps la philosophie juive adopta la transmigration. Jéhovah était «le Seigneur des esprits de tout ce qui a un corps. » Il faut signaler aussi les hauts sentiments professés par quelques peuplades guerrières pour leurs destriers.

«Pour certains Indiens de l’Amérique du Nord , écrit M. Joly, l’Ame du Cheval est semblable à celle de l’homme; aussi les cavaliers discutent-ils avec leurs chevaux comme si ces derniers étaient des êtres raisonnables.

«Ils croient leur monture immortelle; on immole sur la tombe du guerrier pawnie son cheval favori pour qu’il puisse le retrouver dans l’autre monde.

«Chez les Commanches, on enterre avec le mort ses meilleurs chevaux, ainsi que ses armes et sa pipe, pour qu’il s’en serve dans les lointaines et heureuses terres de chasse (Schovlcrafte-Indian Tribes).

«A la mort d’un chef tartare son cheval préféré est conduit tout sellé sur sa tombe pour y être tué et enterré avec lui, afin qu’il aide le défunt à traverser les eaux profondes d’un fleuve qui se trouve sur la route de la terre des morts. (Georgi Reise im Russ.)»

Chez les Gaulois, où l’éducation du glorieux solipède était très en honneur, les chevaliers faisaient souvent sépulture commune avec leur monture.

Les Francs s’occupaient moins de leurs chevaux; néanmoins leurs poëtes chantent les coursiers aux crins mouvants.

Et maintenant consultons en détail les auteurs qui ont parlé spécialement du cheval.

Xénophon.

Xénophon a écrit le premier traité sur l’équitation. Il nous dit bien (chap. 1) qu’avant lui Simon a traité la même question; mais les écrits de ce dernier ne sont guère connus. Ce Simon, paraît-il, était fort ignorant et s’exprimait assez mal .

Pour avoir un cheval de parade qui s’enlève de lui-même et qui soit brillant, déclare le célèbre écrivain et général grec (De l’équitation, chap. XI) , il faut choisir parmi ceux qui ont une âme noble et un corps robuste.

Et il ajoute que la meilleure conduite à tenir pour arriver à l’instruire «est qu’il s’attende à obtenir du repos de la part de son cavalier toutes les fois qu’il se montre obéissant. En effet, comme le dit Simon, dans ce qu’il fait malgré lui, il ne met pas plus d’intelligence et de grâce qu’un danseur qu’on flagellerait ou que l’on piquerait d’un aiguillon. C’est par le moyen des avertissements et des signes qu’un cheval doit être amené à exécuter comme de lui-même les mouvements les plus brillants.»

Platon.

Dans son Paradis, Platon «reconnaît, au cheval une âme douée de sensibilité et de raison.» .

Aristote.

Je regrette de ne pouvoir donner ici l’opinion précise d’Aristote, pour le Stagyriste l’âme est le principe des êtres vivants. Il accorde aux végétaux une âme nutritive, aux animaux une âme sensitive et à l’homme une âme raisonnable.

Je retiendrai seulement que, dans son Histoire des animaux , le prince des philosophes trouve chez les bêtes «quelque chose qui ressemble à la prudence réfléchie de l’homme et une faculté analogue à La raison qui les dirige dans leurs actions.»

Virgile.

Dans les Géorgiques, LIVRE III, Virgile, parlant de l’étalon chargé de multiplier l’espèce, recommande d’examiner «son origine, son âge, sa vigueur et toutes ses qualités: surtout s’il est sensible à la gloire de vaincre et à la honte d’être vaincu.»

Ainsi qu’on en peut juger, le plus grand des poëtes latins se faisait une haute idée des facultés intellectuelles du cheval.

Pline.

A son tour Pline vante l’intelligence du fier solipède; elle est, dit-il, au-dessus des éloges. Et il raconte sur cet animal des aventures merveilleuses. Il rapporte, par exemple, que le roi Nicomède ayant été tué, son cheval se laissa mourir de faim. Ceux qui lancent le javelot, ajoute-t-il, savent avec quelle docile souplesse les chevaux les secondent dans les coups difficiles. Il en est qui pousseraient la délicatesse jusqu’à ramasser les javelots à terre pour les présenter à leur cavalier . Enfin il prétend que «les chevaux pressentent le combat et s’affligent de la mort de leurs maîtres, exprimant quelquefois leurs regrets par des larmes.»

Chevalerie.

«Suivons la fortune du cheval dans ses diverses phases, écrit Toussenel, et le tableau successif des diverses époques de l’humanité se déroulera sous nos yeux.

«Le cheval est la première conquête du chien, c’est un des pivots de la tribu patriarcale. Etc., etc.»

«L’apogée de la splendeur du cheval dit les beaux jours de la féodalité nobiliaire et de la chevalerie. Le cheval a son nom, dans les chants des poëtes, à côté de celui des plus nobles héros.»

On voyait à l’Exposition universelle de Paris (1900), pavillon de la Hongrie, le tombeau d’un cavalier païen hongrois du neuvième siècle. Près du corps, avec des pièces de monnaie, se trouvait une mâchoire de cheval dont la tête tranchée avait été mise, selon la coutume, dans le cercueil du maître.

Les romans de chevalerie célèbrent les exploits de nombreux coursiers parmi lesquels Veillantif, le cheval de Roland, Marchegai, remarquable par sa vitesse et pour qui l’art de la boxe et du «chausson» n’avait pas de secrets; c’est grâce à ces talents qu’à Poitiers il protège Aïol, beau-frère de Louis le Débonnaire, contre ses ennemis; par ses ruades il les tient à une distance respectueuse. (Chanson d’Aïol. XIIe siècle).

L’Arioste. — Le Tasse.

Dans leurs poëmes héroïques, Arioste et le Tasse continuent la tradition; l’Hippogriffe, de l’Arioste arrive jusqu’à la lune.

Mais revenons à la réalité.

Pendant le Moyen-Age et même après, les animaux étaient considérés comme responsables, ainsi qu’en témoignent de nombreux jugements rendus par les tribunaux.

Le premier de nos quadrupèdes domestiques ne pouvait faire exception.

Selon Brehm, plusieurs auteurs anglais de la fin du XIIe siècle mentionnent les exploits d’un cheval savant du nom de Marocco, appartenant à un individu appelé Banck.

Delker nous dit que cet animal montait au sommet de Saint-Paul, suivant Peele il jouait même du luth; Raleigh prétend qu’il tirait des armes et jouait aux dés.

Au milieu de ces exagérations un fait reste certain, c’est que Marocco et son maître furent brûlés vifs comme sorciers sur un bûcher du Portugal. (Cité par M. Joly. De l’intelligence du cheval).

En 1389 les échevins de Dijon «condamnèrent à mort un cheval pour avoir méchamment occis un homme .»

Une sentence curieuse est celle prononcée dans l’Eschevinage tenu à Amiens le 3e jour d’août, l’an 1470. Elle est rapportée par un de mes collègues dans le Recueil de Médecine Vétérinaire (15 novembre 1893) sous la rubrique: «Une jument condamnée à être brûlée pour s’être trop humainement laissée séduire .»

L’exécution eut lieu en présence «de cinq ou six mille personnes del dite ville, et si fut sonné l’grand cloque du beffroy tant que la dite exécution fut faite.»

J’oubliais de dire que son séducteur, le dénommé Simon Briois, paveur, subit le même sort, «afin que jamais du dit Simon ni del dite jument, ne soit mémoire .»

Je me plais à espérer que le lecteur a une assez bonne opinion de l’espèce chevaline pour croire pleinement à l’innocence de la jument. Briois seul était coupable; pour charmer les loisirs du pavage il avait abusé de la candeur d’une pauvre créature.

En 1527 la peine de mort fut aussi prononcée, à Brionne, contre un cheval rétif, coupable d’avoir cassé la jambe à un simple manant.

Voici un autre exploit de la claudicante Thémis; il a encore trait à un cheval sorcier.

Albert Cler, qui le relate , l’a trouvé dans un vieux recueil équestre de 1664.

Un Napolitain, appelé Piétro, cultivant les dispositions naturelles d’un petit cheval qu’il possédait, en avait fait un animal savant.

Mauracco, c’était le nom du prodige, se couchait, se mettait à genoux, faisait autant de courbettes que son maître lui disait, portait un objet quelconque où on voulait, désignait la plus jolie personne de l’honorable société, etc.

Le maître et l’élève avaient fait l’admiration de l’Europe. Ils eurent la fâcheuse idée de passer par Arles et de s’y arrêter. Ces merveilles frappèrent le peuple et mirent toutes les imaginations dans un si vif émoi que Piétro et Mauracco, pris pour des sorciers, furent brûlés comme tels sur la place publique .

En ces temps lointains, il était dangereux d’être trop savant.

Les hommes connurent les motifs de leur condamnation; quant aux chevaux ils n’y virent que du feu.

La morale de tout ceci est qu’on avait alors une haute conception — beaucoup trop haute d’ailleurs — des facultés intellectuelles de l’espèce chevaline puisque ses représentants se partageaient avec l’espèce humaine les honneurs de l’auto-da-fé.

Pauvres chevaux! ils n’en demandaient pas tant et n’étaient que médiocrement flattés de se voir traités par nous sur le pied d’égalité ; ils avaient fait le sacrifice de leur liberté, mais ils auraient désiré une fraternité mieux comprise.

Et certainement tous auraient accepté d’enthousiasme la juridiction nouvelle appliquée en Bourgogne et rapportée par Guy-Pape. Dans cette province, nous dit-il, «les seigneurs avaient trouvé moyen d’augmenter leurs petits bénéfices en modifiant la loi habituelle dont le texte était — condamnation à mort pour homicide; — ils confisquaient la bête, (cheval ou bœuf), si elle avait quelque valeur.»

Voilà de la protection bien entendue..... et de la charité bien ordonnée.

L'âme du cheval

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