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CHAPITRE IV. UN PARTI D'OPPOSITION ÉCLATE A PARIS.--NAPOLÉON
RENVOIE LE CORPS LÉGISLATIF.--- CONSPIRATION
INTÉRIEURE.

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(Fin de décembre 1815.)

La nouvelle de l'entrée du prince Schwartzenberg en Suisse arrive à Paris peu de jours après l'ouverture du corps législatif. Dès ce moment, tout espoir de paix est perdu. Devant le développement de tant de forces, le prestige des nôtres tombe; et désormais ce n'est plus qu'à force de soumissions... ou d'énergie qu'on pourra sauver la France. Se soumettre à tout, ou tout risquer! dans cette rigoureuse alternative, le choix de Napoléon ne pouvait être douteux. Bien des gens ont regretté qu'on n'eût pas cédé: bien des gens auraient regretté qu'on ne se fût pas défendu. Ne vaut-il pas mieux périr que de se soumettre au joug de l'étranger?4 Est-ce d'ailleurs un moyen d'arrêter l'ennemi que de montrer à quel point de faiblesse on est tombé? Enfin les souverains resteront-ils sur nos frontières pour nous écouter, s'ils apprennent de notre bouche même qu'ils sont les maîtres de venir dicter la loi dans Paris?

Note 4: (retour) Le sénateur Lambrechts, Principes politiques, 1815.

Un beau désespoir peut encore nous secourir. Tout est donc mis en oeuvre par le gouvernement pour porter les esprits à de grandes résolutions. «Entourée de débris, la France lève une tête encore menaçante: elle était moins puissante, moins forte, moins riche, moins féconde en ressources en 1792, quand ses levées en masse délivrèrent la Champagne!... en l'an VII, quand la bataille de Zurich arrêta une nouvelle invasion de toute l'Europe!... en l'an VIII, quand la bataille de Marengo acheva de sauver la patrie5!» Napoléon tient dans ses mains les mêmes ressorts; mais, il faut en convenir, ils ont perdu leur trempe républicaine. La plupart de nos chefs sont fatigués; cependant le feu sacré anime toujours la jeunesse française et brille encore sur quelques fronts chauves consacrés à la gloire: c'est le dernier espoir de la patrie!

Note 5: (retour) 5: Discours du comte Regnault de Saint-Jean-d'Angely au corps législatif.

Napoléon veut, avant tout, se concilier la confiance des députés des départements. Il n'a pu leur annoncer la paix, il veut du moins les convaincre qu'il a fait ce qui dépendait de lui pour la négocier: mais sa parole ne suffit plus; il se croit obligé de communiquer les pièces à une commission tirée du sénat et de la chambre des députés. MM. de Lacépède, Talleyrand, Fontanes, Saint-Marsan, Barbé-Marbois et Beurnonville, sont les commissaires du sénat; MM. le duc de Massa, Raynouard, Lainé, Gallois, Flaugergues et Maine de Biran, sont les commissaires du corps législatif. Ils se réunissent, le 4 décembre, chez l'archichancelier; les conseillers d'état Regnault de Saint-Jean-d'Angely et d'Hauterive leur communiquent les pièces.

En prouvant que le gouvernement avait fait tout ce qu'il pouvait faire pour négocier, Napoléon avait espéré qu'un cri d'honneur en appellerait aux armes: mais le sénat, sur le rapport de ses commissaires, le prie de faire un dernier effort pour obtenir la paix. «C'est le voeu de la France et le besoin de l'humanité. Si l'ennemi persiste dans ses refus, ajoute le sénat, eh bien! nous combattrons pour la patrie, entre les tombeaux de nos pères et les berceaux de nos enfants!»

Dans sa réponse au sénat, Napoléon cherche à expliquer de nouveau ses véritables dispositions: «Il n'est plus question, dit-il, de recouvrer les conquêtes que nous avons perdues. Je ferai sans regret les sacrifices qu'exigent les bases préliminaires proposées par l'ennemi, et que j'ai acceptées; mais si l'ennemi ne signe pas la paix sur les bases qu'il a lui-même offertes, il faut le combattre!»

Le corps législatif se prête encore moins que le sénat à donner son assentiment au parti extrême vers lequel Napoléon semble pencher. Sur la proposition du député Lainé, qui est rapporteur des commissaires, l'assemblée exige que le gouvernement se lie pour l'avenir par des engagements qui sont la censure du passé. On ne peut refuser ouvertement de combattre pour l'intégrité du territoire; mais on profite de l'urgence des besoins pour demander des garanties de liberté et de sûreté individuelle, demande qui n'était autre chose qu'une accusation indirecte de tyrannie.

Ainsi donc, au lieu d'un concert de zèle et de dévouement contre l'ennemi commun, Napoléon n'entend que des murmures et des reproches!... On savait que l'Angleterre pratiquait des intelligences dans nos provinces, notamment à Bordeaux, et qu'elle s'efforçait de réveiller partout les espérances des vieux partisans de la maison de Bourbon. Ces renseignements rendaient l'opposition inopinée du corps législatif plus grave et plus embarrassante. Le temps, qui éclaircit tout, et l'ivresse du succès, qui est toujours indiscrète, nous révèleront un jour cette conjuration6; alors la police ne la connaissait qu'imparfaitement. Néanmoins Napoléon ne peut s'empêcher de reconnaître dans ce qui se passe autour de lui une intrigue liée par des factieux. Cédant à ses soupçons, il prend le parti de dissoudre le corps législatif; et, dans l'audience de congé qu'il donne aux députés, il laisse échapper l'expression de son vif mécontentement: «Je vous avais appelés pour m'aider, leur dit-il, et vous êtes venus dire et faire ce qu'il fallait pour seconder l'étranger: au lieu de nous réunir, vous nous divisez. Ignorez-vous que, dans une monarchie, le trône et la personne du monarque ne se séparent point? Qu'est-ce que le trône? Un morceau de bois couvert d'un morceau de velours; mais, dans la langue monarchique, le trône, c'est moi! Vous parlez du peuple; ignorez-vous que c'est moi qui le représente par-dessus tout? On ne peut m'attaquer sans attaquer la nation elle-même. S'il y a quelques abus, est-ce le moment de me venir faire des remontrances, quand deux cent mille Cosaques franchissent nos frontières? Est-ce le moment de venir disputer sur les libertés et les sûretés individuelles, quand il s'agit de sauver la liberté politique et l'indépendance nationale? Vos idéologues demandent des garanties contre le pouvoir: dans ce moment, toute la France ne m'en demande que contre l'ennemi... Vous avez été entraînés par des gens dévoués à l'Angleterre; et M. Lainé, votre rapporteur, est un méchant homme7

Note 6: (retour) Voici les détails qui ont été publiés à cet égard:

Depuis le mois de mars 1813, une confédération royaliste s'était organisée au centre de la France. Les ducs de Duras, de La Trémouille et de Fitz-James, MM. de Polignac, Ferrand, Adrien de Montmorency, Sosthène de La Rochefoucauld, de Sesmaisons, et Laroche-Jaquelain, en étaient l'âme. On se réunissait au château d'Ussé, en Touraine, chez M. de Duras. Le préfet de Nantes lui-même était de ces conciliabules (Histoire de 1814, par M. Beauchamp, tom. II, pag. 45). La perte de la bataille de Leipsick et l'évacuation de l'Allemagne avaient donné un nouvel essor aux projets des royalistes de l'ouest et du midi. Le comte Suzannet avait pris secrètement le commandement du Bas-Poitou, Charles d'Autichamp s'était chargé du commandement d'Angers, le duc de Duras de celui d'Orléans et de Tours, le marquis de Rivière de celui du Berry (Voyez même histoire, tom. II, pag. 50). Sur ces entrefaites, le duc d'Angoulême débarquait à Saint-Jean-de-Luz, et se rendait au quartier général de Wellington. Toute la confédération de l'ouest devait se déclarer au premier signal du duc de Berry, qu'on attendait impatiemment à Jersey. M. Tassard de Saint-Germain était à Bordeaux à la tête d'une association composée d'un grand nombre de personnes de toutes les classes... M. le chevalier de Gombaut était aussi à la tête d'une association pieuse qui avait le même but politique. Le marquis de Laroche-Jaquelain était plus particulièrement attaché à l'association du chevalier de Gombaut. L'ordre fut donné de l'arrêter: averti par le comte de Lynck, maire de Bordeaux, il échappa aux recherches en se réfugiant dans sa famille... Le comte de Lynck avait fait en 1813 (novembre) un voyage à Paris. Après s'être concerté avec M. Labarthe, autrefois à la tête d'une association royaliste, et avec MM. de Polignac, il était reparti pour Bordeaux, plein de la ferme volonté d'y servir puissamment le roi... Depuis long-temps cette secrète intention germait dans le coeur du comte de Lynck. (Voyez le même ouvrage, pag. 50.) Le député Lainé, lié avec le comte de Lynck, avait reçu ses confidences et partageait ses projets (Ibid., tom. II, pag. 86 et 87).

Note 7: (retour) Tandis que Napoléon se livrait à cette conversation animée, un auditeur était là, qui avait la prétention de la dérober pour l'histoire. Ainsi des phrases échappées d'abondance, des expressions hasardées dans la vivacité du dialogue, sont devenues des documents authentiques, au gré de la mémoire d'un individu anonyme, ou plutôt au gré de la partialité des écrivains. Quoi qu'il en soit, les pensées grandes et fortes qui rendent cette conversation si remarquable n'ont pu être entièrement dénaturées: elles percent dans le libelle à travers les expressions triviales sous lesquelles l'affectation du mot à mot les a travesties.

Quelque vif que soit cet éclat, le député Lainé retourne dans ses foyers, aussi libre que ses collègues.

Manuscrit de mil huit cent quatorze

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