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CHAPITRE V. INVASION DU TERRITOIRE FRANÇAIS.

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(Janvier 1814.)

L'année 1814 commence au milieu de ces graves dissensions.

Les nouvelles les plus alarmantes arrivent des divers points de notre frontière: le prince Schwartzenberg, maître des passages de la Suisse, a d'abord jeté le gros de son armée sur Huningue et Béfort. Sa droite, qui a voulu s'étendre trop vite dans la vallée d'Alsace, a éprouvé, le 24 décembre, un échec à Colmar; il a dirigé son aile gauche, à travers la Suisse, jusque sur Genève. Cette place était une des portes de l'empire, et de puissants renforts lui arrivaient de Grenoble; mais au premier moment du danger le général Jordy, commandant la garnison, frappé d'un coup de sang, tombe mort subitement sur la place d'armes: le préfet Capelle prend la fuite; et les Genevois, devenus maîtres de leur conduite, abaissent aussitôt leurs ponts-levis devant l'avant-garde autrichienne. Le général Bubna a pris possession de Genève le 28 décembre. Les dernières dépêches annoncent que le prince Schwartzenberg, après avoir laissé en arrière quelques détachements pour masquer Huningue et Béfort, pousse ses colonnes du centre sur Épinal, Vesoul et Besançon.

Le duc de Bellune est accouru de Strasbourg avec une armée qui n'est pas de dix mille hommes! Il désespère d'arrêter les Autrichiens dans les défilés des Vosges. Le 4 janvier, l'ennemi entre à Vesoul; le 9 janvier, Besançon est investi.

De son côté, le maréchal Blücher a effectué le passage du Rhin dans la nuit du 1er janvier, et sur trois points différents. Au centre, les corps de Langeron et d'York ont passé le Rhin à Caub; arrivé sur la rive française, le corps de Langeron s'est détaché pour aller bloquer Mayence, et le corps d'York a pris la direction de Creutznach. Le corps de Saint-Priest, formant la droite de l'armée de Silésie, a passé le Rhin à Neuwied et vient d'occuper Coblentz. Enfin à l'aile gauche, les corps de Sacken et de Kleist, qui ont passé le Rhin devant Manheim, s'avancent sur le duc de Raguse. Celui-ci, qui n'a que les cadres d'une armée, recule sur les places de la Sarre et de la Moselle.

Nos troupes sont en pleine retraite. Napoléon ne s'était pas flatté de l'espoir d'arrêter long-temps les alliés sur la frontière: forcé de les laisser s'avancer dans l'intérieur, il ne pense plus qu'à mettre de l'ensemble dans nos mouvements rétrogrades, qu'il veut concentrer de manière à couvrir Paris.

Il ordonne au duc de Bellune de disputer pied à pied les passages des Vosges. Il lui envoie le duc de Trévise avec une division de la garde, pour le soutenir sur la route de Langres. Il recommande au duc de Raguse de s'appuyer le plus long-temps qu'il pourra sur les glacis des nombreuses forteresses de la Lorraine. Enfin, le duc de Tarente, qui est du côté de Liège, occupé à pourvoir à la sûreté des places du Bas-Rhin et de la Meuse, a ordre de rentrer dans la vieille France par la porte des Ardennes. Une instruction commune à tous les maréchaux leur prescrit, à mesure qu'ils se retirent, de jeter dans les places les soldats fatigués et ceux de nouvelles levées qui ne sont pas encore habillés. On laisse donc partout de nombreuses garnisons que Napoléon se réserve de réunir en corps d'armée, sur les derrières de l'ennemi.

Toutes les troupes ont ordre d'acculer leurs retraites sur la Champagne. C'est aussi sur la Champagne qu'on va diriger les renforts qui arrivent du fond de la France, et dont les maréchaux Kellermann et Oudinot sont chargés de former de nouveaux bataillons.

Des commissaires extraordinaires sont envoyés dans les départements pour présider aux levées d'hommes et aux mesures de défense. On distingue parmi ces commissaires les sénateurs de Semonville, de Beurnonville, Boissy-d'Anglas, etc. «Français,» dit Napoléon dans la proclamation dont ces commissaires étaient porteurs, «Français, un dernier effort! J'appelle ceux de Paris, de la Bretagne et de la Normandie, de la Champagne, de la Bourgogne et des autres départements, au secours de leurs frères de la Lorraine et de l'Alsace! A l'aspect de tous ces peuples en armes, l'étranger fuira ou signera la paix.»

L'empereur ne veut négliger aucun moyen pour intimider l'ennemi dans sa marche. Il connaît de longue main l'extrême circonspection des généraux qui lui sont opposés, et il a deviné leurs irrésolutions. Il multiplie les revues militaires dans la cour des Tuileries; et le lendemain les journaux doublent ou triplent le nombre des troupes qui ont été passées en revue. En moins d'un mois, plus de deux cent mille hommes sont comptés comme ayant traversé Paris pour se rendre à l'armée.

Négligeons ces ruses de gazettes, et revenons à la vérité8.

Note 8: (retour) Quelques écrivains qui trouvent commode pour leur métier de n'avoir à puiser les matériaux de l'histoire que dans les journaux, ne peuvent pardonner à Napoléon de s'être servi des gazettes pour tromper l'ennemi. Ils crieraient volontiers au sacrilège! Cependant les mêmes écrivains conviennent que les alliés, étonnés de la jactance de nos journalistes, redoutaient une guerre nationale et même une bataille.

Manuscrit de mil huit cent quatorze

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