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PRÉAMBULE

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Table des matières

Des bévues et non-sens littéraires, leurs causes les plus fréquentes. — Emploi irréfléchi de locutions courantes et de lieux communs. — Pléonasmes. — Inadvertances et ignorances. — Locutions vicieuses. Littré, son dictionnaire, sa compétence «universellement reconnue» (F. Sarcey). — Manques de goût et de sens critique. — Alliance de pensées disparates. — Style figuré. — Réminiscences mythologiques. — Marinisme, gongorisme, euphuïsme. — Un vœu de P.-L. Courier.

Les bévues et non-sens échappés à la plume des écrivains ont pour origine l’ignorance, l’inattention ou le manque de goût, le manque de jugement et de sens critique.

L’emploi irréfléchi de certaines locutions courantes, lieux communs et métaphores usuelles, engendre facilement de disparates associations de pensées ou de mots, et donne ainsi lieu à des bizarreries de style.

Prenons, par exemple, les locutions: le char de l’État, sur un volcan, en herbe, de main de maître, mettre le pied, de pied ferme, fouler aux pieds, couper ou fendre un cheveu en quatre, figure humaine, pierre de touche, poule aux œufs d’or, — nous obtiendrons des phrases de ce genre:

«Le char de l’État navigue sur un volcan.» (Style de Joseph Prudhomme, dit la Revue bleue, 7 avril 1900, p. 429.)

«Cette débutante est véritablement une étoile en herbe qui chante de main de maître.» (Cité par Armand Silvestre, Les Farces de mon ami Jacques, p. 289.[1])

«Nous pénétrâmes dans une de ces forêts vierges où la main de l’homme n’a jamais mis le pied

«Ce cœur... attend de pied ferme toutes les rigueurs de son infortune.» (La France galante, dans Bussy-Rabutin, Histoire amoureuse des Gaules, t. II, p. 106; Delahays, 1858.)

«Les droits des Canadiens-Français ont été foulés aux pieds par des mains sacrilèges.» (Extrait d’un journal anglais, dans La Presse de Montréal, 16 janvier 1913.)

Et cette attestation d’une autre feuille canadienne, L’Avenir du Nord, de Terrebonne, 24 janvier 1913:

«L’Action Sociale a d’abord écrit qu’elle détestait le libéralisme, mais non les libéraux; aujourd’hui, elle se défend d’aimer les libéraux. Ces subtils castors fendent les cheveux en quatre pour échapper à la logique des faits et cacher leur couleur politique.»

«Son chapeau bosselé, déchiré, n’avait plus figure humaine

«La sauce blanche est la pierre de touche des cordons bleus.» (L’Opinion, 25 juillet 1885.)

«L’étalon brabançon sera la poule aux œufs d’or de la Belgique.» (M. Bruyn, ministre de l’Agriculture en Belgique, dans L’Indépendance de l’Est, 21 février 1900.)

* * *

Les pléonasmes, suites d’inadvertances, ne sont pas rares non plus:

«Le vieux médecin exultait d’allégresse». (Claude Tillier, L’Oncle Benjamin, chap. 10, p. 133; Bertout, 1906.)

«Les souvenirs du passé se réveillant...» (Octave Feuillet, M. de Camors, p. 293; C. Lévy, 1888.)

Ou encore: «Les souvenirs rétrospectifs...», qui vont de pair avec «Les prévoyants de l’avenir».

«Chacun, surpris à l’improviste...» (Émile Souvestre, Un Philosophe sous les toits, p. 49; M. Lévy, 1857.)

Panacée universelle est un des pléonasmes les plus communs, panacée, à lui seul, signifiant remède universel, qui guérit tout (du grec, πᾶν, tout; ἄκος, remède).

«Ceux qui donnent la réalisation de leurs idées comme une panacée universelle...» (Louis Blanc, Organisation du travail, p. 264.)

«Il avait trouvé la panacée universelle...» (H. de Balzac, Maître Cornelius, dans le volume intitulé Les Marana, p. 289; Librairie nouvelle, 1858.)

«C’était sa panacée universelle.» (George Sand, Histoire de ma vie, t. IV, p. 220; M. Lévy, 1856.)

«Il croyait avoir découvert la panacée universelle.» (Émile Zola, Le Docteur Pascal, p. 42.)

«Cette panacée universelle...» (Alphonse Daudet, Port-Tarascon, p. 187; Marpon et Flammarion, s. d.)

«Voilà la panacée universelle.» (J. Barbey d’Aurevilly, Polémiques d’hier, p. 245; Savine, 1889.)

Voici quelques autres exemples d’inadvertances:

«Il portait un veston et un gilet à carreaux avec un pantalon de même couleur.» (Léopold Stapleaux, dans L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 20 décembre 1897, col. 772.)

«Il avait soixante-dix ans et paraissait le double de son âge.» (Id., ibid.)

«Les deux adversaires furent placés à égale distance l’un de l’autre

«D’une main elle lui caressa les cheveux, et, de l’autre, elle lui dit...»

«Je t’embrasse, en attendant que je puisse le faire de vive voix

«Nous espérions vous serrer la main de vive voix», s’amuse à écrire Jules de Goncourt à son ami Philippe Burty. (Lettres, p. 149, novembre 1859.)

Un pompier, de service à l’Opéra, s’aperçoit que son casque, qu’il avait posé dans un coin, a été rempli d’ordures: «Si je connaissais celui qui a fait cela, s’écrie-t-il furieusement et à bout d’expressions, je lui prouverais le contraire!» (Cité par H. de Villemessant, Mémoires, t. V, p. 163.)

Un brave cocher, rentrant le soir chez lui, fatigué et harassé, s’exclame avec conviction: «Je voudrais être sûr d’avoir autant de pièces de quarante sous que je vais dormir dans une heure!» (Id., ibid.)

«Ce village est situé au centre du triangle obtus que forment les trois villes de Dijon, Châtillon-sur-Seine et Langres», écrit le romancier Émile Richebourg (La Petite Mionne, t. I, p. 3), oubliant que, s’il y a des angles obtus, il n’existe pas de triangles ainsi qualifiés.

* * *

Fautes commises par ignorance:

«Ce vieillard impotent et ingambe ne quittait plus son fauteuil.» Comme si ingambe signifiait sans jambes (in privatif).

«... La guérison merveilleuse d’un officier de marine, ingambe depuis neuf mois, guéri après quatorze jours de traitement.» (Le Journal, 21 septembre 1910.)

Compendieusement (compendium, abrégé) «exprime si bien le contraire de ce qu’il signifie, que bien des gens y sont pris et lui donnent le sens de longuement», a remarqué Géruzez (dans Littré, art. Compendieusement).

Un exemple entre mille: «... Il se livre longuement et compendieusement à la composition des...» (Goncourt, Journal, année 1862, t. II, p. 58.)

L’adjectif valétudinaire (qui est souvent malade, de valetudo, santé, mauvaise santé) a été, nous conte Tallemant des Réaux, rattaché au mot valet et pris dans une singulière acception: «Mme de Rohan estoit fort jolie... née à l’amour plus que personne du monde... Pour des valets, elle a toujours dit en riant qu’elle n’estoit point valétudinaire (on appelle valétudinaires celles qui se donnent à des valets)...» (Tallemant des Réaux, Les Historiettes, Mmes de Rohan, t. III, p. 77-78; Techener, 1862.)

Vêtissait pour vêtait, imparfait de l’indicatif de vêtir, est une faute qu’on rencontre fréquemment, même chez des écrivains de premier ordre et connaissant admirablement leur langue, comme Paul-Louis Courier: «Elle prenait sa robe et se la vêtissait.» (Pastorales de Longus, ou Daphnis et Chloé, livre I, p. 361; Œuvres; Didot, 1865; in-18.)

Jean-Jacques Rousseau, qui écrit inventaire pour éventaire: «Une petite qui avait sur son inventaire une douzaine de pommes» (Cf. Littré, art. Éventaire), emploie un même mot dans une même phrase à la fois comme adjectif et comme substantif: «Je suis toujours malade et chagrin; on dit que la philosophie guérit ce dernier.» (Lettre à Mme d’Épinay, août 1757; Œuvres complètes, t. VII, p. 75; Hachette, 1864.) A la maréchale de Luxembourg, il écrit: «Je vois avec peine, madame la maréchale, combien vous vous en donnez pour réparer mes fautes.» (Lettre du lundi 10 août 1761, p. 175.) Ce qui rappelle le jeu de mot de Lope de Vega, à propos d’un aveugle ivrogne: «Il n’y voit goutte, quoiqu’il la prenne à chaque instant.» (Dans Émile Deschanel, Le Romantisme des Classiques, t. V, Boileau, p. 145, note 1.)

Les pronoms, comme le prouvent ces derniers exemples, sont souvent cause de bizarreries de langage. Régulièrement, «un pronom ne peut tenir la place que d’un nom déterminé, c’est-à-dire précédé de l’article ou d’un adjectif déterminatif». On ne dira donc pas: Le condamné a demandé grâce et l’a obtenue; mais: Le condamné a demandé sa grâce et l’a obtenue. Dans sa Recherche de l’Absolu (p. 199; Librairie nouvelle, 1858), Balzac cite cette phrase grotesque: «Monsieur Pierquin-Claës..., chevalier de la Légion d’honneur, aura celui de se rendre...» Et Henri Rochefort a dit plaisamment, dans un numéro de sa Lanterne (nº 1, 23 mai 1868, p. 4; réimpression de Victor-Havard, 1886): «J’envoyai chercher une feuille de papier ministre et j’écrivis à celui de l’Intérieur pour lui demander...»

Et bi-hebdomadaire, bi-mensuel, dans le sens de deux fois par semaine, deux fois par mois[2];

Dans le but de, pour dans le dessein de, dans l’intention de[3];

Remplir un but[4];

Ces chapeaux ont coûté vingt francs chaque, — pour chacun[5];

Être à court d’argent, pour être court d’argent[6];

Éviter quelque chose à quelqu’un, au lieu de le lui épargner;

Fortuné, dans le sens de riche, qui possède de la fortune[7];

Fixer quelqu’un, pour regarder quelqu’un, fixer les yeux sur lui[8];

Le plus infime[9];

Invectiver quelqu’un, au lieu de contre quelqu’un;

Vendre la mèche, au lieu de l’éventer;

Naguère, pour il y a longtemps;

Partir à la campagne, au lieu de pour la campagne;

Une rue passagère, au lieu de passante;

Il n’y a pas que lui qui... au lieu de: il n’est pas le seul qui...[10];

Soi-disant, locution adverbiale invariable, qui ne doit jamais s’appliquer aux êtres inanimés[11];

Sous le rapport de...[12].

Et tant d’autres locutions illogiques et incorrectes.

Mais, d’une façon à peu près absolue, nous laisserons ici de côté les hérésies grammaticales, barbarismes et solécismes, pour ne considérer que le sens de la phrase ou les erreurs de faits.

* * *

Voici d’autres exemples de singularités de style, dues à l’alliance de pensées absolument différentes ou disparates:

«Il avait reçu deux graves blessures, l’une à la jambe, et l’autre à Waterloo

«Cette fête tombe au printemps et en désuétude

«Le lapin est un animal timide et nourrissant

«Nous sommes trop heureuses de n’avoir plus qu’à prendre patience et de la rhubarbe...» (Mme de Sévigné, lettre au Président de Moulceau, 4 février 1696; Lettres, t. X, p. 357; édit. des Grands Écrivains.)

«Force jeunes gens de robe et de Paris étaient allés à la suite...» (Saint-Simon, Mémoires, t. I, p. 277; Hachette, 1871.)

«Une multitude de gens à pied suivaient en cheveux gras et en silence.» (Voltaire, La Princesse de Babylone, chap. II.)

«La truite aime à être mangée vive; le brochet préfère attendre,» proclame Le Cuisinier français (dans Toussenel, L’Esprit des bêtes, p. 279; Hetzel, s. d.)

* * *

Dans son article «Figure, Style figuré[13]» du Dictionnaire philosophique, Voltaire mentionne plusieurs exemples d’incohérences de style empruntés principalement aux poètes de son époque. «C’est le goût, remarque-t-il très justement, qui fixe les bornes qu’on doit donner au style figuré dans chaque genre. Balthazar Gratian[14] dit que «les pensées partent des vastes côtes de la mémoire, s’embarquent sur la mer de l’imagination, arrivent au port de l’esprit, pour être enregistrées à la douane de l’entendement». C’est précisément le style d’Arlequin. Il dit à son maître: «La balle de vos commandements a rebondi sur la raquette de mon obéissance». Avouons que c’est là souvent le style oriental qu’on tâche d’admirer.»

Cyrano de Bergerac (1620-1655) se plaît fréquemment à écrire dans ce style «figuré» et singulier: «... Je prévois que, de votre courtoisie (ma belle maîtresse), je suis prédestiné à mourir aveugle. Oui, aveugle, car votre ambition ne se contenterait pas que je fusse simplement borgne. N’avez-vous pas fait deux alambics de mes deux yeux, par où vous avez trouvé l’invention de distiller ma vie, et de la convertir en eau toute claire? En vérité, je soupçonnerais... que vous n’épuisez ces sources d’eau, qui sont chez moi, que pour me brûler plus facilement», etc. (Œuvres comiques, Lettres satiriques, V, p. 181; Delahays, 1858.)

Cyrano avait pu emprunter ses alambics et ses distillations au poète Philippe Desportes (1545-1606), qui célèbre ainsi son amour:

Mon amour sert de feu, mon cœur sert de fourneau,

Le vent de mes soupirs nourrit sa véhémence,

Mon œil sert d’alambic par où distille l’eau.

Et d’autant que mon feu est violent et chaud,

Il fait ainsi monter tant de vapeurs en haut,

Qui coulent par mes yeux en si grande abondance.

(Philippe Desportes, Poésies, Diane, I, 49, p. 33; Delahays, 1858.)

Et Desportes était si satisfait de ces brûlantes comparaisons qu’il a récidivé (p. 54):

Il fit...

De mon cœur son fourneau, ses charbons de mes veines,

Mes poumons ses soufflets, de mes yeux ses fontaines.

Qui, sans jamais tarir, coulent incessamment.

L’Arétin (1492-1557) aussi et surtout est célèbre par son style «figuré» et ampoulé: «Aiguiser l’imagination par la lime de la parole... Pêcher, avec la ligne de la réflexion, dans le lac de la mémoire... Mettre le pied de la maturité dans le chemin de la jeunesse... Réfréner la bouche des passions avec le mors de la réflexion... Joindre le bois de la courtoisie au feu de la politesse... Planter le coin de l’affection au nom de l’amitié... Ensevelir l’espérance dans l’urne des promesses menteuses...» Etc. (Arétin, Œuvres choisies, traduction P.-L. Jacob, p. XLIII; Gosselin, 1845.)

Et le Maître Jacques de L’Avare de Molière (V, 2): «Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c’est la faute de monsieur votre intendant, qui m’a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie.»

«Ne cessez de frapper avec le marteau de la réflexion sur l’enclume de la méditation!» s’écriait un jour un de nos députés, pour recommander à ses électeurs de ne jamais manquer de réfléchir avant d’agir.» (L’Écho de l’Est, 23 novembre 1913.)

Les réminiscences mythologiques ont engendré parfois d’étranges phrases, celle-ci, par exemple: «Les femmes ne haïssent pas les mortels qui s’appuient sur le bâton de Plutus pour entrer dans les bocages d’Amathonte». (Mme Giroust de Morency [XVIIIe siècle], dans Mary Summer, Aventures d’une femme galante au XVIIIe siècle, p. 234.)

Ce qui veut tout simplement dire que les femmes ne haïssent pas les hommes qui ont recours à l’argent (dont Plutus est le dieu) pour obtenir leurs bonnes grâces (Vénus avait à Amathonte, ville de Chypre, un temple célèbre, entouré de bosquets de myrtes).

C’est ce style maniéré, tortillé et alambiqué, toujours fécond en pointes ou concetti, ce style faux, si apprécié et renommé au seizième siècle, qui a été connu en Italie sous le nom de marinisme (du poète italien Marini ou cavalier Marin), de gongorisme ou cultisme en Espagne (du poète Gongora), d’euphuïsme en Angleterre, et de style ou esprit précieux en France. (Cf. Émile Deschanel, Le Romantisme des classiques, t. V, Boileau, p. 140; C. Lévy, 1888.)

Pour conclure, n’oublions pas le sage avertissement et le vœu suprême de Paul-Louis: «Dieu, délivre-nous du malin et du langage figuré!» (P.-L. Courier, Pamphlet des pamphlets, Œuvres, p. 240; Didot, 1865; in-18.)

Récréations littéraires, curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc

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