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II

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Table des matières

Ronsard. — Desmarets de Saint-Sorlin. — Du Bartas. Sa gloire «sans rivale». — Malherbe. Une ode qui arrive trop tard. — Scudéry.

La Fontaine. Ses inadvertances. Emploi du mot femme. Dédicaces hyperboliques. Libertés scéniques. Irrégularités de prosodie. Cacophonies. Fréquence de la rime hommes et nous sommes. Orthographe de La Fontaine.

Boileau. — Regnard. Ses emprunts à Molière. — Crébillon le Tragique. La cheville «en ces lieux». — L’abbé Desfontaines. — Piron. Un acteur qui se poignarde d’un coup de poing. — La Chaussée.

Afin de procéder autant que possible, mais cela ne se pourra pas toujours, par ordre chronologique, nous allons rétrograder quelque peu et remonter à Ronsard (1524-1585), qui, comme on sait, se plaisait aux accouplements de mots, qualifiait la toux de ronge-poumon, Apollon de porte-perruque, Bacchus de nourri-vigne et aime-pampre, etc.

Ces juxtapositions ont d’ailleurs été fréquentes au seizième siècle et même plus tard. «Votre esprit aime-vers... Cyprine dompte-cœur...», écrit, dans sa comédie Le Visionnaire (II, 4), Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676), qui, en plus d’un endroit, a imité Ronsard.

Dans la préface de son poème La Franciade, Ronsard (Œuvres complètes, t. III, p. 31, édit. Blanchemain) recommande d’employer de préférence certaines lettres: «Je veux t’avertir, lecteur, de prendre garde aux lettres; et feras jugement de celles qui ont le plus de son, et de celles qui en ont le moins. Car A, O, U et les consonnes M, B, et les SS finissant les mots, et sur toutes les RR, qui sont les vraies lettres héroïques, sont une grande sonnerie et batterie aux vers.»

Le poète du Bartas (1544-1590), qui, de son vivant, a joui de la plus grande réputation, d’«une gloire sans rivale», dont les œuvres ont été traduites dans presque toutes les langues de l’Europe (Cf. La Grande Encyclopédie, art. Du Bartas), est peut-être celui qui, après nos décadents, symbolistes et naturistes, nous fournirait le plus de vers bizarres et drolatiques. On sait que, pour exprimer le galop du cheval, il commençait par galoper lui-même dans sa chambre[20]:

Le champ plat bat, abat, destrape, grape, attrape

Le vent qui va devant...

Il recherche, avant tout, l’harmonie imitative; redouble, au besoin, certaines syllabes, écrit pé-pétiller, ba-battre, flo-flottant, au lieu de pétiller, battre, flottant. Le soleil est pour lui le duc des chandelles; les vents sont les postillons d’Éole. Sa muse, comme celle de Ronsard et encore plus, «en français parle grec et latin»:

Apollon porte-jour; Herme guide-navire;

Mercure échelle-ciel, invente-art, aime-lyre...

La guerre vient après, casse-lois, casse-mœurs,

Rase-forts, verse-sang, brûle-autels, aime-pleurs.

Etc., etc.

On connaît sa curieuse description de l’alouette et de son gazouillement:

La gentille alouette, avec son tire-lire,

Tire l’ire à l’iré, et tire-lirant tire

Vers la voûte du ciel, etc.

(Cf. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au seizième siècle, p. 99 et passim; et Philomneste [Gabriel Peignot], Le Livre des singularités, p. 344).

Dans Malherbe (1555-1628), pourtant si minutieux et si difficile, nous relevons ces métaphores disparates (Ode au roi Louis XIII, 1627):

Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion

Donner le dernier coup à la dernière tête

De la rébellion.

Malherbe écrit à Racan (Œuvres de Malherbe, p. 180; Didot, 1858, in-18): «... Je ne trouvais que deux belles choses au monde, les femmes et les roses, et deux bons morceaux, les femmes et les melons. C’est un sentiment que j’ai eu dès ma naissance...»

«Dès ma naissance» est sans doute exagéré.

Malherbe avait le travail très difficile; il disait que quand on avait écrit cent vers ou deux feuilles de prose, il fallait se reposer dix ans. Il «barbouilla» une fois une demi-rame de papier pour corriger une seule stance (une des stances de l’ode à M. le duc de Bellegarde, celle qui commence par ce vers: Comme en cueillant une guirlande). Il consacra trois ans à l’ode destinée à consoler le premier président de Verdun de la mort de sa femme, et, quand il eut terminé et lui apporta ce bijou, le président était remarié. (Cf. Tallemant des Réaux, Les Historiettes, t. I, p. 183; Techener, 1862.)

Entre autres rodomontades et drôleries du poète tragi-comique Scudéry (1601-1667), on cite ces phrases de sa première comédie Lygdamon, où, pour s’excuser des fautes de style qu’il a pu commettre, il écrit: «J’ai compté plus d’années parmi les armes que d’heures dans mon cabinet; j’ai usé plus de mèches en arquebuses qu’en chandelles, et sais mieux ranger les soldats que les paroles... Je suis sorti d’une maison où l’on n’avait jamais eu de plume qu’au chapeau... Je veux apprendre à écrire de la main gauche, afin d’employer la droite plus noblement.» Dans cette pièce de Lygdamon, un amoureux dit tendrement à sa belle:

Pouvez-vous voir de l’eau sans penser à mes larmes?

et affirme que le vent de ses soupirs courbe les arbres de la contrée. (Cf. Émile Deschanel, Le Romantisme des classiques, t. I, p. 144; — et Larousse, art. Scudéry.)

* * *

La Fontaine (1621-1695), parlant, dans la Vie d’Ésope le Phrygien qu’il a placée en tête de ses fables, de la Vie d’Ésope écrite par le moine Planude, dit que cette biographie doit être crue, parce que Planude était à peu près contemporain d’Ésope: «Planude vivait dans un siècle où la mémoire des choses arrivées à Ésope ne devait pas être encore éteinte». Or, entre Ésope, mort 500 ans avant J.-C., et le moine Planude, qui vivait au quatorzième siècle, on voit qu’il y a un intervalle de plus de dix-huit siècles. (Cf. La Fontaine, édit. des Grands Écrivains, t. I, p. 29.)

Plusieurs fables de La Fontaine renferment des inadvertances et sont entachées d’erreurs.

Dans la première de ces fables, La Cigale et la Fourmi (imitée d’Ésope), il y a, pour ainsi dire, autant de lapsus ou de bévues que de mots. «La fourmi n’amasse aucune provision pour l’hiver, ni mil, ni vermisseau, attendu qu’elle n’en a pas besoin, et qu’elle passe sagement cette saison à dormir, comme l’ours et la marmotte; partant, elle n’a jamais rien eu à refuser à la cigale, qui d’ailleurs ne lui a jamais rien demandé, attendu qu’il n’y a pas de cigales en hiver, et que la cigale n’attend pas pour disparaître que la bise soit venue.» (Toussenel, Le Monde des oiseaux, chap. 2, t. I, p. 62; édit. de 1853.)

A deux reprises (Le Chat et le Rat, VIII, 22; et Les Souris et le Chat-Huant, XI, 9), La Fontaine a fait du hibou «l’époux de la chouette», lorsque, selon les zoologistes, le hibou désigne un oiseau d’une espèce tout autre que la chouette (Cf. La Fontaine, édit. des Grands Écrivains, t. II, p. 326, note 13; et t. III, p. 162, note 5.)

Ailleurs (La Souris métamorphosée en Fille, IX, 7), le rat devient le mari, le mâle, de la souris.

Ce qui n’a pas empêché Chateaubriand de déclarer que La Fontaine était «notre plus grand naturaliste». (Cf. Eugène Noël, La Vie des fleurs, p. 71; Hetzel, s. d.)

Dans la fable La Chatte métamorphosée en Femme (II, 18), l’auteur nous dit que la chatte «ayant changé de figure», étant devenue femme,

Les souris ne la craignaient point,

les souris ne se sauvaient pas en l’apercevant. Ce qui est manifestement faux, les souris s’enfuyant à l’approche de qui que ce soit, au moindre bruit.

Dans Le Meunier, son Fils et l’Ane (III, 1), au lieu d’avoir la peine de marcher, et

Afin qu’il fût plus frais et de meilleur débit,

l’âne est d’abord suspendu par les pieds, à un bâton sans doute, et, la tête en bas, porté «comme un lustre», ce qui devait être passablement mais très sûrement incommode pour lui, et ne devrait pas lui permettre de dire «qu’il goûtait fort cette façon d’aller».

Le Lièvre et la Perdrix (V, 17):

Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.

Pourquoi mourir? Ce lièvre, poursuivi par les chiens, est fatigué, essoufflé, recru: ce n’est pas une raison pour mourir.

La femme du lion mourut,

écrit La Fontaine, dans Les Obsèques de la Lionne (VIII, 14), pour désigner la femelle du lion, et cette locution apparaît ailleurs encore sous la plume du grand fabuliste (même fable, plus bas; et II, 2). Et

Deux coqs vivaient en paix...

Il (ce coq) eut des femmes en foule.

(Les Deux Coqs, VII, 13.)

La même métaphore se retrouve dans Chateaubriand (Voyage en Amérique, volume intitulé Atala, p. 346; Didot, 1871): «Le castor est jaloux, et tue quelquefois sa femme pour cause ou soupçon d’infidélité».

Et Mérimée, dans une de ses Lettres à Panizzi (t. II, p. 225): «Mme de Montebello se promenait un jour au bois de Boulogne avec une chienne de chasse non muselée. Un des gardes veut confisquer sa bête, qui était en contravention. Mme de Montebello lui dit, avec les yeux tendres que vous lui connaissez: «Ah! monsieur, mais c’est la femme du chien de l’empereur!»

De même La Fontaine nous parle des doigts du chat, pour ses griffes (IX, 17); un rossignol tombe dans les mains d’un milan (IX, 18); le rat prend l’œuf entre ses bras (X, 1); etc. «Le bonhomme» humanise ainsi tout ce dont il nous entretient, finit par confondre tout à fait la nature animale avec la nature humaine.

Les Deux Pigeons (IX, 2): On peut se demander pourquoi le pigeon, qui aime tant son camarade et se désole si fort de le voir partir, ne s’en va pas avec lui, puisque

L’absence est le plus grand des maux,

et que rien ne le retient au logis.

Voltaire (Dictionnaire philosophique, art. Calebasse; Œuvres complètes, t. I, p. 208, édit. du journal Le Siècle) et Diderot (Jacques le Fataliste, p. 281; édit. Jannet-Picard) ont montré tout ce qu’il y avait de faux dans la fable Le Gland et la Citrouille (IX, 4; imitée de Tabarin). Garo, qui, chez nous, semble avoir tort de trouver que la citrouille serait mieux pendue

A l’un des chênes que voilà,

aurait eu raison dans les contrées tropicales où d’énormes noix de coco poussent sur de très grands arbres.

Il ne faut jamais dire aux gens:

«Écoutez un bon mot, oyez une merveille.»

Savez-vous si les écoutants

En feront une estime à la vôtre pareille?

(Les Souris et le Chat-huant, XI, 9.)

Très sage précepte, mais que notre fabuliste n’a pas toujours observé, et auquel du reste il n’est pas toujours facile de s’astreindre. Voici...

Une histoire des plus gentilles...

(Testament expliqué par Ésope, II, 20.)

Dans ses dédicaces aux puissants de la terre, ou quand il s’adresse à eux, La Fontaine, à l’exemple d’ailleurs de la plupart des écrivains de son temps, use et abuse des plus hyperboliques adulations:

«Nous n’avons plus besoin de consulter ni Apollon ni les Muses, ni aucune des divinités du Parnasse, écrit-il au duc de Bourgogne, alors âgé de douze ans: elles se rencontrent toutes dans les présents que vous a faits la nature, et dans cette science de bien juger les ouvrages de l’esprit, à quoi vous joignez déjà celle de connaître toutes les règles qui y conviennent.» (Fables, livre XII, Dédicace à Mgr le duc de Bourgogne.)

Je voudrais pouvoir dire en un style assez haut

Qu’ayant mille vertus vous n’avez nul défaut.

(Philémon et Baucis, in fine),

déclare-t-il au duc de Vendôme, un cynique débauché.

Et cet «encens» néanmoins, si grossier qu’il fût, notre poète estimait «qu’il avait le secret de le rendre exquis». (Fables, Daphnis et Alcimadure, XII, 26.)

Nous avons vu, dans Rotrou, un acteur baiser le sein de sa maîtresse sur la scène; les mêmes libertés de gestes se retrouvent dans le théâtre de La Fontaine, où, à plus d’une reprise (L’Eunuque, IV, 1, 8, etc.), nous lisons des jeux de scène comme ceci:

«Chrémès, lui voulant mettre la main au sein...

«Pythie, se retirant, et repoussant sa main...»

Et je vous fais grâce du texte.

Voyez aussi, de La Fontaine, Clymène, comédie en un acte (vers la fin), et Ragotin ou le Roman comique, comédie en cinq actes, où des scènes des plus grossières, des plus ordurières (II, 11; III, 7; etc.) rappellent absolument Tabarin et les anciennes farces de la foire. Rien ne démontre mieux que ces hardiesses, ces «inconvenances», combien nos mœurs diffèrent de celles du grand siècle.

Lorsque La Fontaine fit représenter sa comédie Le Florentin, que Voltaire place cependant «au-dessus de la plupart des petites pièces de Molière», il ne laissait pas, raconte-t-on, de demander, dans la salle même du théâtre, — mais était-ce sérieusement ou en plaisantant? «Quel est donc le malotru qui a fait cette rapsodie?» (Cf. La Fontaine, édit. des Grands Écrivains, t. VII, p. 400; — et Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, livre I, chap. 3; t. I, p. 40; Hachette, 1858.)

Nous retrouvons, chez La Fontaine, des incorrections de prosodie analogues à celles que nous avons signalées chez Molière. Dans la fable Le Vieillard et ses enfants (IV, 18), on rencontre, presque au début, trois rimes masculines qui se suivent (enfants, appelait, parlait). Dans la fable Les Lapins (X, 14 ou 15), guides (au pluriel: certaines éditions mettent le singulier, quoique le sens de la phrase exige le pluriel, employé par La Fontaine) rime avec solide (au singulier). Dans la fable Le Corbeau, la Gazelle, etc. (XII, 15), quatre rimes masculines se suivent: imparfaitement, infiniment, autrement, firmament; et un peu plus loin, dans la même fable, nous rencontrons encore trois rimes du même genre: tourmentant, instant et comment.

Les cacophonies sont assez fréquentes chez La Fontaine comme chez Molière:

«... Je suis sourd, les ans en sont la cause.» (Fables, VII, 16.)

«... Tous sont de son domaine.» (VIII, 1.)

«... Parcourant sans cesser ce long cercle de peines.» (X, 2.).

«... Ayant au haut cet écriteau.» (X, 14.)

«Ces soins sont superflus.» (XII, 8.)

«Quand il en aurait eu, ç’aurait été tout un.» (XII, 12.)

«Là, tout l’Olympe en pompe eût été vu.» (XII, 15.)

Etc., etc.

Pour les nécessités de la mesure ou de la rime, La Fontaine écrit tartufs (tartuffes), respec (respect), circonspec (circonspect) (IX, 14; — X, 8 et 12); etc.

Dans L’Abbesse malade (Contes, IV, 2) se trouve un e muet non élidé, qui ne compte pas pour une syllabe:

A moins enfin qu’elle n’ait à souhait

Compagnie d’homme. Hippocrate ne fait

Choix de ses mots...

«C’est prendre avec la prosodie une liberté bien grande», remarque ici l’édition des Grands Écrivains (t. V, p. 309, note 1).

Notons enfin que La Fontaine, comme nombre de poètes d’ailleurs, Victor Hugo, par exemple, se plaît à faire rimer hommes avec sommes (nous sommes, dans le siècle où nous sommes): quand l’un de ces mots apparaît à la fin d’un vers, on est à peu près certain que l’autre ne va pas tarder à se montrer:

Mais ne bougeons d’où nous sommes:

Plutôt souffrir que mourir,

C’est la devise des hommes.

(Fables, I, 16.)

...............

Peut servir de leçon à la plupart des hommes.

Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes.

(II, 13.)

De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes,

Et l’on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,

...................

(IV, 13.)

.................

Souvent pour des sujets même indignes des hommes:

Il semble que le ciel sur tous tant que nous sommes

.................

(VIII, 5.)

... et, tous tant que nous sommes,

..............

Et l’on ne peut l’apprendre aux hommes.

(VIII, 7.)

Souffrir ce défaut aux hommes!

Mais que tous, tant que nous sommes,

.............

(IX, 1.)

Et X, 1, 2, et 10; — XII, 13,15; — Etc.

«C’est un malheur de notre poésie, a dit Chamfort (dans La Fontaine, édit. des Grands Écrivains, t. III, p. 249, note 7), que, dès qu’on voit le mot hommes à la fin d’un vers, on puisse être sûr de voir arriver à la fin de l’autre vers, où nous sommes ou bien tous tant que nous sommes. L’habileté de l’écrivain consiste à sauver cette misère de la langue par le naturel et l’exactitude de la phrase où ces mots sont employés.»

On trouvera dans l’édition des Grands Écrivains (t. VII, p. 596 et suiv.), dans la tragédie d’Achille, où l’orthographe de La Fontaine a été respectée, un spécimen de cette orthographe, qui diffère très fréquemment de la nôtre: vanger (venger), quiter (quitter), soufrir (souffrir), rampart (rempart), flater (flatter), fidelle (fidèle), guarent (garant), etc.

* * *

Boileau (1636-1711), si rigoureux et sévère, nous parle de reculer en arrière, comme si l’on pouvait reculer en avant:

Pégase s’effarouche et recule en arrière.

(Épître IV, Le Passage du Rhin.)

Son île escarpée et sans bords:

L’honneur est comme une île escarpée et sans bords

(Satire X, Les Femmes.)

lui a été maintes fois reprochée: qu’est-ce qu’une île qui n’aurait pas de bords?

Le Français, né malin, forma le vaudeville;

Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,

Passe de bouche en bouche et s’accroît en marchant.

(L’Art poétique, chant II.)

Un indiscret qui passe de bouche en bouche et s’accroît en marchant?

Et son feu, dépourvu de sens et de lecture,

S’éteint à chaque pas faute de nourriture.

(Ibid., chant III.)

Un feu, dépourvu de sens et de lecture, qui s’éteint à chaque pas?

Images bien incohérentes, surtout pour un législateur du Parnasse.

Et cet anachronisme commis par Boileau dans sa satire IX (A son esprit), où il fait de Juvénal le contemporain de l’abbé Cotin:

Avant lui Juvénal avait dit en latin

Qu’on est assis à l’aise aux sermons de Cotin.

Je ne sais plus où j’ai lu que le Traité du Sublime de Longin, traduit par Boileau, fut un jour mis en vente sous le titre — dû à l’imprimeur ou au relieur, les livres autrefois se vendant presque toujours reliés — de Traité du Sublimé, c’est-à-dire du calomel, sel de mercure, et classé dans les ouvrages de chimie.

* * *

Ce qui frappe le plus, et en quelque sorte à première vue, dans les comédies de Regnard (1656-1710), c’est la quantité de vers qu’il emprunte, plus ou moins textuellement, à Molière. «Tu prenais ton bien où bon te semblait, eh bien, je fais comme toi, et c’est toi que je pille,» paraît-il dire à son maître.

Dans vos brusques humeurs je ne puis vous comprendre.

(Regnard, Le Distrait, I, 1.)

Dans vos brusques chagrins je ne puis vous comprendre.

(Molière, Le Misanthrope, I, 1.)

J’étais fort serviteur de monsieur votre père.

(Regnard, Le Distrait, II, 7.)

Et j’étais serviteur de monsieur votre père.

(Molière, Le Tartuffe, V, 4.)

A peine pouvons-nous dire comme il se nomme.

(Regnard, Les Ménechmes, IV, 2.)

A peine pouvez-vous dire comme il se nomme.

(Molière, Le Misanthrope, I, 1.)

Et ne me rompez pas la tête plus longtemps.

(Regnard, Les Ménechmes, IV, 3.)

Et ne me rompez pas davantage la tête.

(Molière, Le Misanthrope, IV, 3.)

Voilà, je le confesse, un homme abominable.

(Regnard, Les Ménechmes, V, 5.)

Voilà, je vous l’avoue, un abominable homme.

(Molière, Le Tartuffe, IV, 6.)

Est-ce à moi, s’il vous plaît, que ce discours s’adresse?

(Regnard, Le Légataire universel, III, 8.)

C’est à vous, s’il vous plaît, que ce discours s’adresse.

(Molière, Le Misanthrope, I, 2.)

C’est à vous de sortir et de passer la porte.

La maison m’appartient...

(Regnard, Le Légataire universel, III, 2.)

C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître.

La maison m’appartient...

(Molière, Le Tartuffe, IV, 7.)

Etc., etc.

Une des locutions les plus habituelles à Molière: «Je vous trouve plaisant», n’est pas rare non plus chez Regnard:

Je vous trouve plaisant! Au gré de mes souhaits...

(Le Distrait, V, 9.)

Je vous trouve plaisant de disposer de moi.

(Les Ménechmes, V, 6.)

Je vous trouve plaisant et vous avez raison...

(Le Légataire universel, II, 11.)

Je vous trouve plaisant de parler de la sorte.

(Ibid., III, 2.)

Etc., etc.

* * *

Crébillon le Tragique (1674-1762), dont nous avons cité le mot (p. 29): «Corneille avait pris le ciel; Racine, la terre; il ne me restait plus que l’enfer», «a fondé presque toutes ses pièces, selon la remarque de Laharpe (Lycée ou Cours de littérature, t. III, 1re partie, p. 563-564; Verdière, 1817), sur le déguisement des principaux personnages. A commencer par Rhadamiste, Zénobie y paraît sous le nom d’Isménie; dans Électre, Oreste est caché sous celui de Tydée; Pyrrhus, dans la pièce de ce nom, l’est sous celui d’Hélénus; Ninias, dans Sémiramis, sous celui d’Agénor; le fils de Thyeste, sous celui du fils d’Atrée; Sextus, dans Le Triumvirat, sous celui de Clodomir»; etc.

Sémiramis ayant découvert que celui qu’elle aime, Agénor, n’est autre que son fils Ninias, continue à l’aimer, comme si de rien n’était:

Ingrat, je t’aime encore avec trop de fureur...

Et Ninias de s’écrier, non sans raison:

O ciel! vit-on jamais dans le cœur d’une mère

D’aussi coupables feux éclater sans mystère?

(Cf. Laharpe, ibid., p. 553-554.)

Laharpe remarque encore combien Crébillon abuse de cette cheville «en ces lieux»: on la voit «à tout moment» au bout de ses vers, dit-il; «et ce qu’il y a de pis, ajoute-t-il (Ibid., p. 528), c’est que ce mot est presque partout inutile, et quelquefois employé à contre-sens»:

Oui, je veux que ce fruit d’un amour odieux

Signale quelque jour ma fureur en ces lieux...

Je ne suis en effet descendu dans ces lieux...

Et nous n’avons d’appui que de vous en ces lieux...

Quel déplaisir secret vous chasse de ces lieux...

Cachez-nous au tyran qui règne dans ces lieux...

Je tremble à chaque pas que je fais en ces lieux...

Sans appui, sans secours, sans suite dans ces lieux...

J’en crains plus du tyran qui règne dans ces lieux...

Il doit être déjà de retour en ces lieux...

M’accorder un vaisseau pour sortir de ces lieux...

Gardes, faites venir l’étranger en ces lieux...

Et votre voix, Seigneur, a rempli tous ces lieux...

Etc., etc.

Voltaire abuse aussi de cette locution «en ces lieux», «dans ces lieux», si commode d’ailleurs pour la versification. Dans sa tragédie d’Oreste notamment, elle apparaît très fréquemment (I, 2, 3, 4, 5; II, 1, 2, 5; etc.):

«... Oreste est en ces lieux.» (II, 7.)

«... Qu’osiez-vous faire en ces lieux écartés?» (III, 6.)

Etc., etc.

A la première représentation de cette pièce, à certain endroit, sans doute modifié depuis par l’auteur, Oreste s’écriait:

«Suivez-moi!

— Où? demandait Clytemnestre.

Aux lieux...», commençait à répondre Oreste.

Mais on ne le laissa pas achever, et toute la salle se mit à rire. (Cf. Lorédan Larchey, L’Esprit de tout le monde, 1re série, p. 269.)

Nous reparlerons de Voltaire tout à l’heure et plus amplement.

* * *

L’abbé Desfontaines (1685-1745), fameux par ses disputes avec Voltaire, commet la balourdise, au début de son Ode à la reine, de prendre, non le Pirée pour un homme, mais le Permesse, rivière de Béotie, où les Muses aimaient à se baigner, pour une montagne, de confondre, en d’autres termes, Permesse avec Parnasse. Piron ne manqua pas de relever la bévue:

Il croyait le Permesse un mont,

Or c’est un fleuve très profond;

Etc., etc.

Mais ce qu’il y a de plus drôle ici, c’est que Piron (1689-1773), à son tour, commet ou semble commettre la même erreur dans L’Amitié médecin, où il demande aux Muses de faire retentir les «échos du Permesse». (Cf. Paul Chaponnière, Piron, p. 304-305.)

A propos de Piron, n’oublions pas le très malencontreux et risible incident qui fut cause en grande partie de la chute de sa tragédie de Callisthène (1730). Le poignard avec lequel le héros de la pièce, le philosophe Callisthène, se donne la mort au dernier acte était en si mauvais état qu’il se désarticula entre ses mains: lame, poignée, garde, manche, tout était disjoint et comme en paquet, si bien que l’acteur, l’infortuné Callisthène, dut se poignarder non avec un poignard, mais «d’un héroïque coup de poing», et après avoir envoyé au diable, au milieu d’une folle hilarité, les quatre tronçons de son glaive. (Id., ibid., p. 61.)

Ce vers de La Chaussée (1692-1754), qui se trouve dans sa comédie Le Préjugé à la mode (II, 3):

Devine, si tu peux, et choisis, si tu l’oses,

figure textuellement dans la tragédie d’Héraclius de Corneille (IV, 4).

Récréations littéraires, curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc

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