Читать книгу Récréations littéraires, curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc - Albert Cim - Страница 7
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Les bizarreries de style et les vers négligés ou étranges et aussi les cacophonies abondent chez Molière (1622-1673), à tel point que Théophile Gautier s’amusait à dire que «comme tapissier, le Poquelin avait peut-être quelque mérite, mais, comme poète, c’est un pleutre que nous aurions sifflé s’il eût apparu en 1830». (Cf. Le National, 9 janvier 1887.)
Et Flaubert de lui riposter sur le même ton:
«Je te trouve sévère. Je conviens que Molière a des torts, mais il y a, dans Le Malade imaginaire (acte II, 2e intermède), une phrase de génie, qui fait de lui un écrivain de vaste envergure: Plusieurs Égyptiens et Égyptiennes, vêtus en Mores, font des danses mêlées de chansons. Ça, c’est un diamant!» (Ibid.)
Théophile Gautier a d’ailleurs manifesté plusieurs fois, et en termes véhéments ou très crus, sa profonde antipathie pour Molière: «Mon opinion sur Molière et Le Misanthrope? Eh bien, ça me semble infect. Je vous parle très franchement: c’est écrit comme un c...!» Etc. (Goncourt, Journal, année 1857, t. I, p. 170.)
Fénelon, La Bruyère, Vauvenargues se sont également montrés peu tendres pour Molière:
«En pensant bien, il parle souvent mal; il se sert des phrases les plus forcées et les moins naturelles. Térence dit en quatre mots, avec la plus élégante simplicité, ce que celui-ci ne dit qu’avec une multitude de métaphores qui approchent du galimatias», etc. (Fénelon, Lettre sur les occupations de l’Académie, VII, p. 70-71; édit. Despois.)
«Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et le barbarisme et d’écrire purement.» (La Bruyère, Caractères, Des ouvrages de l’esprit, p. 22; édit. Hémardinquer.)
«On trouve dans Molière tant de négligences et d’expressions bizarres et impropres, qu’il y a peu de poètes, si j’ose le dire, moins corrects et moins purs que lui.» (Vauvenargues, Œuvres choisies, p. 312; Didot, 1858, in-18.)
Le critique Edmond Scherer a publié, dans le journal Le Temps du 19 mars 1882 (Cf. Georges Lafenestre, Molière, p. 173; — Robert de Bonnières, Mémoires d’aujourd’hui, 2e série, p. 67 et suiv.; — La Gazette anecdotique du 31 mars 1882; — etc.), un article demeuré célèbre, portant pour titre Une Hérésie littéraire, et des plus durs pour Molière. Ce qu’il y a de plus curieux peut-être, c’est qu’en reprochant à Molière de mal écrire, Scherer tombe dans le même défaut. Voici la conclusion de son article, qui a été souvent citée comme exemple de mauvais style et de drôlerie: «Il n’y a pas moyen de se dérober à la conviction que notre grand comique est aussi mauvais écrivain qu’on peut l’être, lorsqu’on a, du reste, les qualités de fond qui dominent tout.» Un fond qui domine tout? Scherer cite nombre de passages obscurs de Molière, ces phrases de Célimène, entre autres (Le Misanthrope, IV, 3):
Et, puisque notre cœur fait un effort extrême
Lorsqu’il peut se résoudre à confesser qu’il aime,
Puisque l’honneur du sexe, ennemi de nos feux,
S’oppose fortement à de pareils aveux,
L’amant qui voit pour lui franchir un tel obstacle,
Doit-il impunément douter de cet oracle?
Mais ne peut-on admettre que l’obscurité de ces vers (qui, antérieurement au Misanthrope, se trouvent dans Garcie de Navarre, III, 1) est voulue, et que c’est ainsi que la coquette Célimène doit et entend exprimer sa pensée?
Il ne faut pas oublier non plus que Molière n’est pas un auteur de cabinet, travaillant tranquillement, à son aise et à ses heures; il improvisait souvent, allait plus vite qu’il ne l’aurait voulu, et sa prose comme ses vers sont faits pour être débités sur la scène, plutôt que lus et savourés à loisir.
Il ne paraît pas se préoccuper des répétitions de mots. Ainsi, dans Le Misanthrope, la préposition pour se trouve à certain endroit (III, 5 ou 7), répétée cinq fois en cinq vers:
Pour moi, je voudrais bien que, pour vous montrer mieux,
Une charge à la cour vous pût frapper les yeux.
Pour peu que d’y songer vous nous fassiez les mines,
On peut, pour vous servir, etc...
D’autres vers de Molière nous arrêtent encore, voire nous déconcertent; ceux-ci de Tartuffe (V, 3), par exemple:
Je voudrais, de bon cœur, qu’on pût entre vous deux
De quelque ombre de paix raccommoder les nœuds.
Et ceux-ci, encore de Tartuffe (V, scène dernière):
Et par un doux hymen couronner en Valère
La flamme d’un amant généreux et sincère.
Couronner une flamme est certainement pour nous une singulière locution; mais nous trouvons, au dix-septième siècle, et même plus tard, le mot flamme accouplé à bien des verbes qui ne lui conviendraient plus aujourd’hui:
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
Ou de vivre en infâme.
(Corneille, Le Cid, I, 7.)
Vous savez pour la paix quels vœux a faits ma flamme.
(Id., Horace, I, 2.)
Qu’est-ce-ci, mes enfants? écoutez-vous vos flammes?
Et perdez-vous encor le temps avec des femmes?
(Id., ibid., II. 7.)
Mais ces chaînes du ciel qui tombent sur nos âmes
Décidèrent en moi le destin de leurs flammes.
(Molière, Don Garcie de Navarre, I, 1.)
Des chaînes qui décident un destin?
Seigneur, il est trop vrai qu’une flamme funeste
A fait parler ici des feux que je déteste.
(Crébillon, Rhadamiste et Zénobie, I, 2.)
Une flamme qui fait parler des feux?
On lit dans Le Misanthrope (V, 7):
Pourvu que votre cœur veuille donner les mains
Au dessein que j’ai fait de fuir tous les humains.
Un cœur qui donne les mains: voilà encore un étrange style, mais dont nous trouvons plus d’un exemple antérieur au dix-neuvième siècle:
«La gloire n’est due qu’à un cœur qui sait... fouler aux pieds les plaisirs.» (Fénelon, Télémaque, I, p. 6; édit. Colincamp.)
«Tel est l’homme, ô mon Dieu, entre les mains de ses seules lumières.» (Massillon, Sermon pour le 4e dimanche de l’Avent; dans Molière, édit des Grands Écrivains, t. V, p. 549, note 2.)
Ne lit-on pas d’ailleurs dans la Bible (Proverbes, XVIII, 21): «La mort et la vie sont aux mains de la langue»?
Du temps de Molière aussi bien que de Massillon, les acceptions du mot main étaient bien plus étendues qu’aujourd’hui (Cf. Littré). Gaston Boissier, si imbu de l’antiquité et qui connaissait si bien nos classiques, a écrit (Dans Le XIXe Siècle, 28 janvier 1894): «Un grand écrivain laisse après lui quelque chose de plus durable que ses écrits mêmes, c’est la langue dont il s’est servi, qu’il a assouplie et façonnée à son usage, et qui, même maniée par d’autres mains, garde toujours quelque trace du pli qu’il lui a donné».
De Molière encore (Les Précieuses ridicules, sc. 9):
«Cathos. — Votre cœur crie avant qu’on l’écorche.
Mascarille. — Il est écorché depuis la tête jusqu’aux pieds.»
Métaphore ou catachrèse qu’on peut rapprocher de celle de Marivaux: «Frappez fort, mon cœur a bon dos.» (Cf. Molière, édit. des Grands Écrivains, t. II, p. 98, note 1)[19].
«On ne peut néanmoins douter, dit très justement une note de l’édition de Molière des Grands Écrivains (t. VIII, p. 284, note 2, a), que parfois, dans l’emploi de ces locutions mêmes, l’incohérence des termes rapprochés était cherchée et rendue fort sensible pour produire un effet plaisant, témoin cette phrase de Sganarelle: «Un cordonnier, en faisant des souliers, ne saurait gâter un morceau de cuir qu’il n’en paye les pots cassés» (Le Médecin malgré lui, III, 1), et ces vers de Benserade, adressés, dans le Ballet des Muses, à Mlle de la Vallière:
Je baise ici les mains à vos beaux yeux
Et ne veux point d’un joug comme le vôtre.»
Dans Psyché (I, 1):
Un souris (sourire) chargé de douceurs
Qui tend les bras à tout le monde,
Et ne vous promet que faveurs.
Dans Le Dépit amoureux (I, 4):
... Ma langue, en cet endroit,
A fait un pas de clerc dont elle s’aperçoit.
Dans Le Sicilien (sc. 2): «Il fait noir comme dans un four. Le ciel s’est habillé ce soir en Scaramouche, et je ne vois pas une étoile qui montre le bout de son nez».
Dans le prologue du Malade imaginaire: «Le théâtre représente un lieu champêtre, et néanmoins fort agréable». Ce néanmoins nous prouve combien la campagne et les beautés de la nature étaient alors peu appréciées.
Voici encore quelques bizarres tournures de phrases de Molière:
Le poids de sa grimace, où brille l’artifice,
Renverse le bon droit, et tourne la justice.
(Le Misanthrope, V, 1.)
Qu’un cœur de son penchant donne assez de lumière,
Sans qu’on nous fasse aller jusqu’à rompre en visière.
(Ibid., V. 2.)
Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie,
Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie.
(Le Tartuffe, III, 4.)
Etc., etc.
Les fautes ou singularités de prosodie sont fréquentes aussi chez Molière. Il ne se fait aucun scrupule, par exemple, de ne pas élider les e muets et de les compter pour une syllabe: sans doute on n’était pas, de son temps, aussi strict sur ce point qu’on l’est devenu depuis:
Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure.
(L’Étourdi, I, 5.)
La partie brutale alors veut prendre empire.
(Le Dépit amoureux, IV, 2.)
Et tout le changement que je trouve à la chose,
C’est d’être Sosie battu.
(Amphitryon, I, 2.)
Ici, au contraire, l’e muet n’est pas compté:
A la queue de nos chiens, moi seul avec Drécar.
(Les Fâcheux, II, 6 ou 7.)
Dans Sganarelle (sc. 21), le mot honneur rime avec lui-même:
Guerre, guerre mortelle à ce larron d’honneur
Qui sans miséricorde a souillé notre honneur.
Dans la même pièce (sc. 23), trois rimes féminines se suivent:
... La promesse accomplie
Qui vous donna l’espoir de l’hymen de Clélie,
Très humble serviteur à Votre Seigneurie.
Il est vrai que ces trois rimes sont ici «très expressives» et font fort bon effet à la scène. (Cf. Molière, édit. des Grands Écrivains, t. II, p. 214, note 4.)
Dans le prologue d’Amphitryon, presque au début, nous rencontrons deux rimes masculines de suite: venir et pas, las.
Notons ce curieux anachronisme dans Amphitryon (II, 5): Sosie et son épouse Cléanthis, bien que en contact avec Jupiter et Mercure, nous parlent «du diable» à plusieurs reprises:
Nous donnerions tous les hommes au diable.
Et (III, 10):
Et je ne vis de ma vie
Un dieu plus diable que toi.
Etc., etc.
Comme exemples de cacophonie chez Molière, nous citerons:
Ce sont soins superflus.
(L’Étourdi, IV, 3.)
... Une affaire aussi qui m’embarrasse assez.
(Le Dépit amoureux, II, 1.)
Et plusieurs qui tantôt ont appris...
(Sganarelle, sc. 16.)
Tout ce que son cœur sent, sa main a su l’y mettre.
(L’École des Femmes, III, 4.)
Je suis assez adroit...
(Le Misanthrope, III, 1.)
Et suis huissier à verge...
(Le Tartuffe, V, 4.)
Qui le rend en tout temps si content...
(Les Femmes savantes, I, 3.)
D’être baissé sans cesse aux soins matériels.
(Ibid., II, 7.)
Parmi les locutions favorites de Molière, nous signalerons:
Plaisant: «Je vous trouve plaisant de...». (Le Misanthrope, IV, 3; — Les Femmes savantes, I, 2; V, 2; — Le Malade imaginaire, III, 3 et 4; — Etc.)
Impertinent, e: «C’est un impertinent, une impertinente... Voilà une coutume bien impertinente;» — Etc. (La Critique de l’École des Femmes, sc. 5 et 7; — Le Médecin malgré lui, I, 2; II, 9; — Le Malade imaginaire, I, 9; II, 6 et 7; III, 3; — Etc.)
Pendard, pendarde: «Ces pendardes-là.» (Les Précieuses ridicules, sc. 4.) «Comment, pendard, vaurien...» (Les Fourberies de Scapin, I, 4 et 6; II, 5, 7, 11; III, 3, 6, 7; — Le Malade imaginaire, II, 2; — Etc.)
Le plus... du monde: «La plus belle personne du monde... La plus amoureuse du monde...» Etc. (La Critique de l’École des Femmes, sc. 1, 2 et 3; — Le Médecin malgré lui, I, 5; III, 1 et 11: «La plus grande joie du monde»; — Le Bourgeois gentilhomme, III, 7, 9, 19; IV, 5; — Le Malade imaginaire, II, 6; — Etc.)
Etc., etc.
Ce vers de L’École des Femmes (II, 6):
Je suis maître, je parle; allez, obéissez,
se trouve textuellement dans Corneille (Sertorius, V, 6), et cet autre de Tartuffe (III, 3):
Ah! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme,
se retrouve encore, sauf un seul mot, dans la même pièce de Corneille (IV, 1):
Ah! pour être Romain, je n’en suis pas moins homme.
Cet autre vers de Tartuffe (V, 3):
Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,
ressemble beaucoup à celui-ci de La Fontaine (Fables, IX, 1):
Mais enfin je l’ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je.
Le sonnet de l’abbé Cotin, que Molière a introduit dans Les Femmes savantes (III, 2), débute par un vers:
Votre prudence est endormie,
qui se rapproche de près de ce vers de Corneille (Nicomède, III, 2):
Ma prudence n’est pas tout à fait endormie.
Les personnes qui estiment que le théâtre peut corriger les mœurs: castigat ridendo... auraient été bien déçues si elles avaient entendu ce grippe-sou dont nous parle Laharpe (Ouvrage cité, t. II, p. 300), qui, au sortir d’une représentation de L’Avare, déclarait, et en toute bonne foi, «qu’il y avait beaucoup à profiter dans cet ouvrage, et qu’on en pouvait tirer d’excellents principes d’économie».
Sainte-Beuve, dans ses Nouveaux Lundis (t. V, p. 275-276), fait une curieuse remarque, à propos d’une pièce de Molière. «Sait-on, demande-t-il, quelle est la pièce en cinq actes, avec cinq personnages principaux, trois surtout qui reviennent perpétuellement, dans laquelle deux d’entre eux, les deux amoureux, qui s’aiment, qui se cherchent, qui finiront par s’épouser, n’échangent pas, durant la pièce, une parole devant le spectateur, et n’ont pas un seul bout de scène ensemble, excepté à la fin pour le dénouement? Si l’on proposait la gageure à l’avance, elle semblerait presque impossible à tenir. Cette gageure, Molière l’a remplie et gagnée dans L’École des Femmes, et probablement sans s’en douter. Horace et Agnès ne se rencontrent en scène qu’au cinquième acte.»
«Il y a, ajoute Sainte-Beuve en note, une autre pièce très connue, où les amoureux ne se rencontrent aussi qu’à la fin: c’est Le Méchant de Gresset.»