Читать книгу La Porcelaine - Histoire artistique, industrielle et commerciale - Albert Jacquemart - Страница 3
CHAPITRE I.
INTRODUCTION
A L’HISTOIRE DE LA PORCELAINE
ОглавлениеL se produit, pour toutes les choies d’art &de curiosité, un fait remarquable dont il est plus facile de signaler l’existence que d’expliquer la cause.
Le goût, le désir de la possession, précèdent la notion scientifique; on aime avant d’apprécier complètement,&cet amour se manifeste assez souvent par des actes qui sentent quelque peu la barbarie.
Les planches gravées par les imagiers, incisées par l’habile burin des peintres graveurs italiens&allemands, allaient se perdre& tomber dans l’oubli, quand l’abbé de Marolles leur offrit un asile dans son cabinet&inaugura les collections chalcographiques. Il est vrai que, pour enfermer les plus grandes estampes dans son recueil au format invariable, il les rognait ou les coupait en morceaux La chalcographie n’en fut pas moins fondée.
Vers le même temps, un autre amateur recueillait des médailles antiques&les classait avec ordre. Lui aussi mutilait ses pièces pour les forcer à entrer dans les cases uniformes de son médaillier; mais les monuments étaient conservés, montrés, le goût de la numismatique grandissait&promettait un brillant avenir.
Depuis, bien des volumes ont été écrits sur la chalcographie& la numismatique; la science s’est répandue, universalisée; non-seulement on n’a plus à redouter la disparition de gravures ou de médailles précieuses pour l’histoire de l’art, mais on est assuré de ne voir déformais soumettre au caprice d’une reliure ou d’un emporte-pièce, ni la marge d’une estampe, ni les bords d’une monnaie.
Ces destinées si diverses, la poterie translucide les a subies ou va les accomplir. Les porcelaines orientales, acclamées d’abord, dédaignées bientôt pour celles de Saint-Cloud, de Saxe&de Vincennes, ont retrouvé depuis, dans le foyer de tous, un culte plus ou moins éclairé, mais incontestable; on les fait scier, on les charge de bronze pour orner nos intérieurs, on les mutile, mais on les aime.
Si le peintre Giov. Ghirardini, appelé à Canton, en1688, pour y décorer la coupole d’une église, écrit, au retour de son voyage: «Le Chinois n’a pas la moindre idée des beaux-arts; il ne fait que «peser l’argent&manger du riz;» si, un siècle plus tard, M. de Paw cite la phrase&renchérit sur l’anathème lancé contre la Chine (; si un ingénieux avocat au Parlement proscrit impitoyablement de toute collection sérieuse «les porcelaines les ouvrages de la Chine...&tout ce que nous appelons colifichets, le public ne sanctionna pas plus qu’il ne le fait aujourd’hui, ces jugements trop peu réfléchis&le plus souvent dictés par la légèreté ou l’ignorance.
Sur la foi du Père d’Entrecolles, l’Encyclopédie nous disait, &les catalogues répétaient après elle: «La vieille porcelaine «peut être ornée de quelques caractères chinois, mais qui ne mar
quent aucun point d’histoire.» Or, si les encyclopédistes&ceux qui les ont si naïvement copiés eussent pris la peine de retourner quelques-uns des vases que le commerce de la Hollande avait apportés en grande quantité dès le XVIIe siècle, ils y eussent lu de curieuses inscriptions relatant d’une manière précise les dynasties &les périodes Chinoises ou Japonaises sous lesquelles ces pièces avaient été fabriquées; ils y eussent encore retrouvé des formules d’acclamation comme en gravaient, en d’autres temps&sur d’autres matières, les artistes grecs, romains, arabes,&quelquefois des indications de l’emploi d’argiles précieuses ou de métaux pour ainsi dire historiques.
Et puisque nous avons parlé de la faveur attachée à la céramique orientale, qu’il nous soit permis de rappeler, en passant, que, sans recourir à de Paw, qui compare les Chinois aux Egyptiens; à Hager, qui les pose en parallèle avec les Grecs, Voltaire ne craint pas de constater l’une des préoccupations de son époque, en consacrant plus d’une mention dans ses ouvrages à la belle poterie du Céleste-Empire.
Un vers de Properce disait de ces inestimables vases murrhins, dont un seul, d’après Pline l’ancien fut acquis par Néron au prix de300talents:
Murrheaque in Parthis pocula cocta focis.»
Saumaise, Cardan, Scaliger, Ernesti, Oudendorp, Kœmpfer, Mariette&d’autres savants ont avancé, sur la foi de ce texte, que les murrhins étaient de porcelaine de Chine. Quel hommage plus complet eussent-ils pu rendre à l’admirable matière employée par les céramistes orientaux!
L’Encyclopédie, dont nous citions tout à l’heure quelques paroles dédaigneuses, ne peut elle-même se défendre de dire: «La «porcelaine était anciennement d’un blanc exquis&n’avait nul «défaut. Les ouvrages que l’on en faisait ne s’appelaient pas au
trement que les bijoux de Jao-Tcheou.» Puis elle constate plus loin que des vases se retrouvent parfois dans des puits où on les cachait comme des trésors, en temps de révolution.
Pendant tout le XVIIe siècle, le luxe&la mode élevèrent la porcelaine à un prix infini; les grands ne donnaient ni un festin, ni une collation recherchés, sans en étaler une certaine quantité de pièces choisies. A la cour, on l’admettait concurremment avec la vaisselle d’or&d’argent. Loret (Muse historique) décrit un festin vraiment royal que donna en1653le cardinal Mazarin&dans lequel ce ministre
Traita deux rois, traita deux reines
En plats d’argent, en porcelaines.
En France, en Italie, en Allemagne&surtout en Hollande, jusqu’à la fin du siècle dernier, plus d’une famille puissante envoyait en Chine les armoiries,&faisait exécuter des services sur lesquels les patients hoa-pei ( retraçaient avec une fidélité naïve les blasons énigmatiques, les fières devises latines&les chiffres curieusement entrelacés.
Pour le riche bourgeois qui n’avait que son goût à satisfaire, la spéculation avait prévu ses besoins; alors que l’Europe n’avait pas encore imité les produits orientaux, les sieurs Trincard, rue de la Verrerie; Lhoste, porte Saint-Germain; Aubry, près de la Comédie-Française,&Legrand, rue Saint-Denis, tenant magasin de porcelaines, lui vendaient les garnitures complètes aux brillantes couleurs ou les pièces montées de bronze, d’argent&même de vermeil.
Voilà pour les porcelaines courantes.
Quant aux vases de collection, si estimés des Chinois eux-mêmes, il serait trop long d’énumérer ici les personnages illustres qui leur avaient, dès l’abord, donné place dans leurs cabinets, au grand déplaisir de Baudelot de Dairval.
Le catalogue de la vente du duc d’Aumont, faite en1782, portait la mention suivante, à l’article Porcelaines, ancien bleu&blanc de la Chine: «Elles ont appartenu à M. le Dauphin, fils de Louis XIV, «qui aimait ce beau genre&s’en était fait une collection recommandable. Cet ensemble, qui est peut-être le dernier&le «seul existant d’élite, fournit une occasion aux connaisseurs.»
Il ne serait pas sans intérêt de rappeler quel prix les porcelaines de Chine atteignaient, au dernier siècle, dans les ventes publiques. Quelques-uns de ces prix incroyables, qui rendaient, selon Gersaint, la collection difficile, nous ont été conservés par d’anciens catalogues; mais, en les énumérant ici nous dépasserions les bornes d’une introduction. Nous traiterons ce sujet en parlant des vicissitudes commerciales qu’ont subies, selon le caprice de la mode, les poteries translucides de l’Orient&de l’Occident.
Classés ainsi forcément parmi les curiosités, les produits du Céleste-Empire devinrent un objet d’émulation pour l’industrie,& l’Europe tout entière tendit avec ardeur à se créer une fabrication semblable.
Au temps de Louis XIV, la porcelaine ordinaire de Chine ne pouvait être de la vaisselle d’usage, même dans un repas d’étiquette. L’assiette dont parle Boileau&qui, lancée à la face d’un convié, revient en roulant après avoir frappé le mur, ne peut laisser supposer une matière autre que le métal. Quatre-vingts ans plus tard, Voltaire se plaint de l’élévation du prix des porcelaines de Chine ou de leurs imitations. «Le grand secret des arts, dit-il, est que toutes les conditions puissent en jouir également. «
Les encouragements les moins équivoques, les plus illustres patronages, n’avaient pas manqué, cependant, à qui tentait d’imiter la porcelaine de Chine. Pour ne parler que de la France, Saint-Cloud, la première fabrique commercialement établie, put marquer d’abord au soleil de Louis XIV. Vincennes, transporté plus tard à Sèvres, était un établissement royal&signait ses produits du chiffre des souverains. Chantilly prospérait sous la protection du prince de Condé; Mennecy, sous celle du duc de Villeroy. Les ducs d’Orléans, Monsieur, comte de Provence, le comte d’Artois, le duc d’Angoulême, la reine Marie-Antoinette elle-même, ne dédaignaient pas de se faire les protecteurs d’usines établies à Clignancourt&à Paris. Ainsi, pendant près de cent ans, de1699à1793, des mains royales ou princières viennent en aide à la gracieuse industrie importée de l’Orient.
Le Parlement devait confirmer, après un sévère contrôle, les arrêts constitutifs des nombreuses fabriques, privilégiées ou non privilégiées, qui vécurent&s’éteignirent dans le cours du XVIIIe siècle. Leurs dessins, leurs décorations étaient réglementés de façon à ce qu’aucune d’elles ne put porter préjudice à l’industrie de ses rivales&surtout aux droits exclusifs accordés à la manufacture royale.
Chacune avait sa marque déposée à la lieutenance de police.
Puis, autour de nous, à Meissen, à Berlin, à Vienne, à Louisbourg, à Franckenthal, à Tournay, à Chelsea, à La Haye, à Saint-Pétersbourg, à Buen-Retiro près Madrid, s’établissaient mille élégantes fabriques, soutenues aussi par les souverains,&portant chacune l’empreinte d’un goût particulier, à moins qu’elles ne cessassent d’être elles-mêmes pour copier leurs émules ou la porcelaine orientale, leur éternel modèle.
Les produits de ces fabriques, toutes mortes ou transformées aujourd’hui, sont dans nos mains, sous nos yeux, matériaux épars &méconnus d’un des plus beaux monuments de l’histoire industrielle du siècle dernier. A peine quelques érudits savent interpréter leurs chiffres, reconnaître leurs types.–Les curieux hésitent. Des marchands, abusés ou servis par la ressemblance des marques, ne craignent pas de vendre la vulgaire porcelaine de la Courtille au prix&sous le nom des chefs-d’œuvre de Meissen. Pour le commerce, toute porcelaine allemande est de Saxe; toute pièce française inconnue, de la porcelaine à la Reine; toute pâte tendre, de Sèvres ou de Chantilly; les plus beaux produits font déclassés, les plus célèbres fabriques oubliées ou méconnues,&, pour substituer une valeur courante à celle qu’on n’a pu reconnaître, on déguise, en les déshonorant, les plus précieux échantillons.
Remettre à leur place ces objets que le goût public adopte de nouveau, en écrire l’histoire, en classer les types, en dire les marques, en fixer la date, en établir la valeur: voilà ce que personne n’avait tenté jusqu’à présent, voilà ce que nous espérons faire en publiant ce livre.