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HISTOIRE DE LA PORCELAINE.
SON NOM, SON INTRODUCTION EN EUROPE, FABLES QU’ELLE A FAIT NAITRE.
ОглавлениеLa nature de la porcelaine bien établie par ses caractères apparents&sa composition intime, il reste à examiner quelle est la valeur&l’étymologie de son nom.
Et d’abord, ce nom a-t-il été exclusivement consacré aux produits céramiques qui le portent aujourd’hui?
Evidemment non. Au XIVe siècle on le trouve appliqué à une foule d’objets renfermés précieusement dans les trésors des rois &des princes. En voici quelques exemples: «Une escuelle d’une «pierre appelée pourcelaine,&c. «(Inventaire du duc d’Anjou, de1360, fo149). «Ung tableau de pourcelaine carré de plusieurs «pièces&au milieu l’ymage de Notre-Dame garnye d’argent.»
Inventaire de Charles V, fo184.) «Ung tableau carré de pourcelaine ou, d’un costé est l’ymage de Notre-Dame en ung esmail d’azur. «(Même inventaire, fo220.) «Une petite pierre de pourcelaine entaillée à six petiz ymages garnye d’or. «(Même inventaire, fo258.) «Item, ung tableau de pourcelaine carré où d’un costé est l’ymage de Notre-Dame&les douze apôtres entour,& l’autre costé a plusieurs ymages&à l’environ treize grosses perles, six émeraudes&rubis d’alixandre, pesant quatre onces cinq estellins. (Même inventaire.) «Ung petit tableau de pourcelaine où est intaillé un crucifiement sans garnyson.»(Inventaire de Charles VI, de1399). Dans le compte des exécuteurs testamentaires de Jeanne d’Evreux, femme de Charles-le-Bel, daté de 1371, il est aussi fait mention «d’un pot à eauë de pierre de pourcelaine à un couvercle d’argent&bordé d’argent doré, pesant un marc quatre onces dix-sept estellins; prisié quatre francs d’or. Item, d’un autre pot à vin de pierre de pourcelaine plus blanche que l’autre, garny d’argent doré bien ouvré; prisié huit francs d’or.» Un inventaire plus récent, puisqu’il est de1555, relate encore «un camahieu de pourchelaine.»
La qualification de pierre souvent accolée, dans ces citations, au mot porcelaine, fait penser à MM. Labarte&Pottier qu’il s’agit d’une gemme précieuse, demi-transparente, comme une calcédoine, une alabastrite ou un jade,&non d’une matière céramique. Quant au camahieu, ce ne pouvait être qu’un camée ciselé sur coquille, si l’on en croit le passage du Trésor de Nicot, où il est dit:
Un grand os de poisson de mer dont font les graveurs des images «communément dit Porcelaine.» Pour M. le comte de Laborde ces divers objets sont en nacre de perle.
Vers le milieu du XVIe siècle, lorsque la poterie orientale commençait à se répandre, un brillant artifice de langage vient troubler la nomenclature céramique en appliquant le mot porcelaine à des produits indignes de le porter. Laissons Passeri constater le fait dans son histoire spéciale:
Guidobaldo II délia Rovere, qui arriva à la principauté en 1538, fut vraiment notre Auguste; ayant établi sa résidence habituelle à Pesaro, il prit tellement à cœur de perfectionner les peintures en majolique, soit ici, soit dans les autres endroits de son obéissance, que dès ce moment elles perdirent leur premier nom pour prendre celui de porcelaine, nom par lequel on entendait une vaisselle de choix qui, bien que faite avec les anciens matériaux, était plus fine, plus étudiée&plus élégante que l’autre.»
C’est à ce regrettable mensonge, accepté sans examen, qu’on doit attribuer les continuelles erreurs, les contradictions étranges des voyageurs&des écrivains dont les ouvrages forment en grande partie les archives de l’art oriental.
Voyons maintenant les étymologies diverses attribuées au mot Porcelaine&cherchons s’il en est une qu’on puisse adopter définitivement.
Haudiquer de Blacourt, ambitieux de lui trouver une origine antique, y voit la corruption du nom de Porsenna, «la porcelaine «pouvant bien, dit-il, être une invention des Etrusques.»
Witaker le fait venir du mot allemand pur stain ou pur slain, fleur du pourpier; le rouge pourpre de cette fleur lui paraît rappeler certaines teintes des vases de la Chine&du Japon&justifier l’étymologie.
Pierre Belon n’avait pas cherché si loin; frappé d’une simple consonnance il écrivit naïvement:
«Il y a grande quantité de vaisseaux de porcelaine que les marchands vendent en public au Caire. En les voyans nommez d’une appellation moderne&cherchans leur étymologie françoise, avons trouvé qu’ils sont nommez du nom que tient une espèce de coquille nommée murex: car les François dient coquille de porcelaine. Mais l’affinité de la diction murex correspond à murrhina. Toutesfois ne cherchons l’étymologie que du nom françois, en ce que nous disons vaisseaux de porcelaine, sachans que les Grecs ont nommé la Mirrhe de Smirna. Les vaisseaux qu’on vend pour le jourd’hui en noz pays nommés de porcelaine ne tiennent tache de la nature des anciens: Et combien que les meilleurs ouvriers d’Italie n’en font point de telz: toutesfois ils vendent leurs ouvrages pour vaisseaux de porcelaine, combien qu’ils n’ont pas la matière de mesme. Ce nom porcelaine est donné à plusieurs coquilles de mer. Et pource qu’un beau vaisseau d’une coquille de mer ne se pourroit rendre mieux à propos suyvant le nom antique que de l’appeler de porcelaine, avons pensé que les coquilles polies&luysantes ressemblans à nacre de perles ont quelque affinité avec la matière des vases de porcelaines antiques: joinct aussi que le peuple françois nomme les patenostres faites de gros vignols, patenodres de porcelaine, Les susdits vases de porcelaine sont transparans,&coustent bien cher au Caire,&disent mesmement qu’ils les apportent des Indes. Mais cela ne nous semble vraysemblable: car on n’en voirroit pas si grande quantité ne de si grandes pièces, s’il les falloit apporter de si loing. Une esguière, un pot ou un autre vaisseau pour petite qu’elle soit, couste un ducat: si c’est quelque grand vase, il coudera davantage.
Dans son enthousiasme de naturaliste, Belon aurait peut-être eu raison de comparer les vases orientaux à certaines espèces du genre porcelaine (Cyprœa de Linné); leurs coquilles harmonieusement colorées, d’un poli doux comme celui d’une intaille grecque, n’ont d’égales dans les œuvres humaines que les porcelaines les plus parfaites. Mais nous verrons plus tard qu’il n’a pas même entrevu cette ressemblance.
Quant à la signification du nom vulgaire attaché au genre Cyprœa, il faudrait, pour l’expliquer, la langue dans laquelle Pancirol écrivait son chapitre De Torcellanis. Le même caprice qui a fait donner à une autre coquille le nom de Coucha Veneris, a fait découvrir dans la porcelaine une lointaine analogie que nous n’oserions constater ni décrire en français.
Laissons parler Varron:
Nam&nostræ mulieres, maxime nutrices naturam quà fœ«mina? sunt in virginibus appellant porcum, græce XoTpov, signifi«cantes esse dignum insigni nuptiarum.»
De porcus à porcellana la distance n’est pas grande,&le nom de la coquille admis comme procédant d’une analogie, on arrive facilement à concéder cet autre rapprochement de deux produits également vitreux, éclatants, vernissés. Aussi, dans les commentaires si justement estimés de son édition du Voyage de Marco Polo, Marsden écrit: «Dans la note833je me suis efforcé d’établir que le mot porcelaine ou porcellana avait été appliqué à la vaisselle de Chine à cause de la ressemblance de son vernis&de sa glaçure&peut-être aussi de ses couleurs avec la belle coquille de «ce nom,&que la coquille elle-même tire son nom de la forme «arrondie&recourbée de sa surface supérieure, laquelle a paru «ressembler au dos d’une petite truie porcella).»
Cependant, nous devons le dire, cette étymologie, à laquelle Alexandre Brongniart a cru devoir s’arrêter, ne nous satisfait nullement. En esset, il a échappé à Marsden&à M. Brongniart lui-même que Marco Polo n’a pu connaître sous leur nom vulgaire, en1295, les grosses espèces, aujourd’hui si communes, du genre Cyprœa; 250ans plus tard, Pierre Belon entend par porcelaine le nautile flambé, dont il donne même une figure assez exacte,&il indique, sous la dénomination scientifique de murex, quelques petites espèces du genre Cyprœa, telles que la monnaie de Guinée& autres non moins éloignées de toute comparaison avec les vases de Chine. Voici ses curieuses explications:
«... Mais depuis aiant trouvé le nautilus, ie me suys mis en effort de trouver un nom ancien à la susdite coquille de porcelaine, qui ne m’a esté chose moult difficile; veu mesmement que le commun peuple la nomme vulgairement grosse porcelaine, à la différence des petites. Desquelles l’appellation n’est pas moderne. Car ie trouve des autheurs qui en ont faict mention expresse, les nommants en Latin Porcelliones: desquelles les médecins ont quelque usage, comme on peult veoir en l’autheur des Pandectes&un Nicolas. Cela m’a faict autresfois penser que les ouvriers eussent l’industrie de les scavoir accoustrer pour en faire ces beaus vases que nous nommons porcelaine. Or ces coquilles que i’ay dit estre nommées porcelaines sont moult petites, aiants quelque affinité avec celles qui ont nom murices &murex, est à dire purpura qui se resent de murrha. Parquoy sachant que les vaisseaulx qui anciennement s’appeloient murrhina surpassoient touts autres en excellence de beauté&en pris, lesquels toutessois estoient naturels: sachant aussi que ceulx que nous nommons de porcelaine sont artificiels, i’ay bien osé penser que les vases vulgairement nommés porcelaine ne soient pas vraiment murrhins. Car murrhina me semble retenir quelque affinité avec murex,&aussi la diction de murex se resent de ne scay quoy de la porcelaine. Parquoy ie ne pourroie concéder que les vaisseaulx de porcelaine artificiels faicts de terre puissent obtenir ce nom antique tant insigne&excellent de murrhina vasa: mais trop bien que les vases faicts de la grosse porcelaine en coquille de nacre de perle se pourroient obtenir: car c’estoient d’elles que tels vases estoient faicts Mais ie veoy maintenant une manière de vaisseaulx qui ie croy estre de l’invention moderne quasi correspondants aux antiques nommés en vulgaire vaisseaulx de porcelaine,&croy bien que leur nom moderne se resente quelque chose de l’antique appellation de murrhina. Ces vases de porcelaine sont les plus célèbres qu’on veoit pour le iourd’huy. Lesquels sont en ce différents aux anciens que ceulx ci sont artificiels,&les autres non. le trouve que les vaisseaulx de porcelaine sont faicts la plupart de la pierre nommée marochihus ou leucographis: de laquelle les Egyptiens se servoient anciennement à blanchir leurs linges: mais ils en ont trouvé l’usage à donner les couvertures&enduicts ou revestements aux subsdicts vaisseaulx. Et combien qu’il y ait de telle pierre au païs vicentin auprès de la tour Rousse, qu’on porte à Sallo&de là par le lac de Guarde pour distribuer es villes d’Italie, dont ils font les couvertures desdits vases de porcelaine, toutesfois il n’y ha nulle comparaison d’excellence d’ouvrage aux vaisseaulx de porcelaine faicts en Italie avec ceux qu’on faict en Azamie&Egypte, lesquels sont transparents en beaulté &dont nous scavons que la pièce pour petite qu’elle soit est vendue au Caire deux ducats comme est une escuelle ou un plat, Il y en ha au Caire qui y ont esté apportés de Azamie, c’est-à-dire Assirie&disent qu’on en faict aussi en Inde dont une grande aiguière ou coquemart est vendue cinq ducats la pièce.
Il est une dernière étymologie plus séduisante à tous égards; elle est simple, naturelle,&elle a été admise par des écrivains d’une grande érudition. Les Portugais sont les premiers navigateurs qui aient introduit commercialement en Europe les produits des Indes orientales; or, dans leur langage, le mot porcellana ou plutôt porçolana désigne la vaisselle; on peut donc supposer que l’appellation sous laquelle ils ont présenté les vases de la Chine a été accueillie partout,&qu’à partir de cette époque, les porcelaines orientales ou leurs imitations diverses ont gardé la dénomination portugaise. Cette étymologie est admise par le père d’Entrecolles; il se borne à faire observer que le mot porcellana signifie proprement une tasse ou une écuelle, tandis que l’expression loça embrassait mieux la généralité des ouvrages en poterie translucide. Cambers, Passeri adoptent purement&simplement cette étymologie basée sur un fait commercial dont la répétition a lieu chaque jour sous nos yeux.
Pourquoi donc n’y adhérerions-nous pas, puisque celle de M. Brongniart ne nous paraît pas acceptable. Voici sur quoi se fondent nos scrupules. A une époque bien antérieure aux premiers voyages des Portugais dans les Indes orientales, Marco Polo décrit les vases de Chine sous leur dénomination actuelle de porcelaines, &certes, si le mot n’eût eu cours avant lui, il expliquerait les raisons qui le lui font choisir. Du Cange, h. v. Porcellana, cite comme exemples de l’application de ce nom aux poteries chinoises, une lettre de Ciaconius datée de1570,&le Journal de Trévoux (janvier1717). D’un autre côté, les passages de Belon rapportés plus haut soulèvent bien d’autres doutes; en voyant, dit-il, ces vases (vendus au Caire) nommés d’une appellation moderne,&c. En France le mot porcelaine appliqué à la poterie aussi bien qu’à des coquilles nacrées d’une certaine dimension, était donc de date récente vers1550, tandis que, dès1295, Marco Polo l’employait pour désigner les vases orientaux&la monnaie de Guinée (Cyprœa moneta) justifiant ce que dit le naturaliste Manssois de la grosse porcelaine (Nautilus), nommée ainsi à la différence des petites, dont l’appellation n’était pas moderne.
Au XIVe siècle comme au XVe, le mot porcelaine semble abandonner le glossaire céramique&passer dans celui des gemmes, pour ne revenir à sa véritable signification qu’au milieu du XVIe siècle.
Ajoutons cette remarque facile à confirmer par un simple coup d’œil sur les collections d’histoire naturelle: les coquilles dont le vernis&les couleurs brillent d’un éclat rival de l’émail&des vitrifications, n’appartiennent pas spécialement au genre Cyprœa; toutes les enroulées participent de cet aspect; il y a plus, la feule coquille à surface blanche&polie comparable aux plus belles poteries orientales, n’est point une porcelaine, mais une ovule (ovula oviformis). Les porcelaines de grande taille (Cyprœa tigris, mauritiana, geographica,&c.) ont des teintes foncées, maculées de fauve ou de bleuâtre qui leur donnent quelque ressemblance avec les pierres siliceuses. Faudrait-il en induire, à l’inverse de Marsden& d’Alexandre Brongniart, que ces coquilles ont emprunté leur nom vulgaire aux pourcelaines mentionnées dans les inventaires? Non certes,&sans chercher à augmenter le nombre des opinions hasardées, nous conclurons ainsi:
Le mot porcelaine semble devoir être considéré comme de souche française&d’une date antérieure à la désignation sous ce nom des coquilles nacrées&vitreuses,&à l’importation des vases orientaux par les Portugais.
Aux yeux de Belon, imbu des idées de son siècle à l’égard des vases murrhins, ce qui constitue la qualité précieuse de certains tests calcaires, ce n’est pas leur couleur, leur vernis, mais le chatoyant nacré; or, en faisant dériver le mot porcelaine de l’expression antique porcum, on arrive invariablement à la petite porcelaine, monnaie de Guinée, qui ne se pouvait certes accoustrer pour en faire les murrhina vasa,&dont la teinte jaune&impure n’a rien qu’on puisse comparer à la poterie translucide, ni à la nacre de perle.
Comme pour tant d’autres, l’histoire du mot porcelaine reste à faire; son origine&ses déviations ne sont encore constatées par aucune preuve certaine.
En Chine, selon Alex. Brongniart, la poterie kaolinique le nomme tse ou tse-ki; cette dernière expression semble devoir s’appliquer à une espèce particulière; yao est, au contraire, un nom générique qui désigne en même temps l’objet fabriqué&le four à cuire. Le nom mantchou est yehere&celui adopté au Japon yaki.
Il serait fort difficile de fixer avec certitude le moment où les premières porcelaines orientales apparurent sur le sol européen. En s’aidant des rares documents épars dans l’histoire, l’induction peut à peine conduire à reconnaître comment&à quelle époque elles arrivèrent, sur le marché, comme objet de transaction, pour n’en plus disparaître.
Nous admettrons volontiers, avec un savant académicien, que les Romains, vêtus des riches étoffes de la Sérique, ont pu connaître les vases de ce pays. C’est là, cependant, une supposition non justifiée par des textes,&il faut recourir aux écrits des Arabes pour trouver des preuves positives de l’introduction des porcelaines dans le bassin de la Méditerranée. Avant l’an800de notre ère, ces hardis voyageurs avaient formé jusqu’en Chine des établissements commerciaux dont l’extension fut si rapide, qu’il fallut, dans le courant du IXe siècle, instituer à Canton un cadi arabe pour rendre la justice à ses nationaux&régler leurs transactions.
Le géographe Abou-Abd-Allah Mohammed-Ben-Mohammed-el-Edrisi, qui vivait en Sicile, à la cour de Roger Il, publia, en1154, par l’ordre de ce prince, un grand ouvrage sur la géographie, où il est parlé de Djankou, ville célèbre, dans laquelle on travaille le verre chinois. Or, M.J. Labarte voit dans cette désignation la porcelaine qui, à raison de sa translucidité, pouvait être assimilée aux vitrifications. Mendoza&Salmuth n’hésiteront pas, en effet, a comparer la poterie chinoise au très-fin crisal.
Ce même Edrisi décrivant la partie orientale de la Chine, dit, en parlant de la ville de Souza: «On y fabrique le ghazar chinois, «sorte de porcelaine dont rien n’égale la bonté; «&il ajoute:
Dans les pays que nous mentionnons, il n’y a pas de métiers plus «estimés que ceux de potier d’argile&de dessinateur.»
Lorsqu’en l’année de l’hégire567(1171), Saladin devint maître de l’Egypte, il envoya de splendides présents à Nour-Eddin; un manuscrit arabe fait connaître qu’entre autres choses rares, il s’y trouvait quarante pièces de porcelaine de Chine de différentes sortes.
Si nous interrogeons des livres moins didactiques, mais dans lesquels se reflètent avec une incontestable exactitude les mœurs de l’époque, nous y trouverons encore de précieux renseignements. Vers1175, l’illustre poète Sadi écrit dans une de ses pièces: «J’ai le projet d’un autre voyage. Si celui-là s’accomplit, je m’asseoirai dans un coin pour le reste de ma vie&j’abandonnerai le commerce. Je lui dis: Quel est ce voyage? Il répondit: Je veux porter du soufre persan à la Chine, où j’ai entendu dire qu’il a un grand prix,&ensuite de la vaisselle de Chine dans la Grèce.»
Vers le milieu du XIVe siècle, le voyageur arabe Ibn-Bathoutha décrit la poterie chinoise comme la plus belle du monde,&il annonce qu’elle est importée jusque dans les contrées du Magreb (les Etats Barbaresques). Or, si du XIIe au XVe siècle, la porcelaine était vendue habituellement sur les côtes de la Méditerranée, on doit croire qu’elle a pénétré en Sicile, en Italie, en Espagne,&de là en France, au moins à titre de haute curiosité.
Les esprits se trouvaient préparés d’ailleurs à la recevoir ainsi. En1295, Marco Polo était revenu à Venise après vingt-six ans de séjour en Chine; malgré l’or&les pierreries dont il était chargé, ses récits suscitèrent l’incrédulité, tant ils semblaient exagérer les merveilles&les richesses du Céleste Empire; on en rit d’abord,& l’on surnomma le voyageur Marco milione. Mais lorsque sa narration, mise au jour&traduite en plusieurs langues, se répandit en Europe, on lut avec avidité ces relations singulières de mœurs inconnues, ces descriptions naïvement pittoresques des palais&de la somptueuse cour du grand Kubilaï-Kan. Si les plus prudents crurent devoir faire des réserves touchant les chiffres fabuleux accumulés par l’auteur dans l’énumération des trésors impériaux, chacun tourna curieusement les regards vers ces régions où se révélaient tout à coup, à la vaniteuse envie des nations septentrionales, un art, des industries&une civilisation aussi avancés.
Un témoignage plus respectable aux yeux des populations chrétiennes, vint s’ajouter bientôt à l’opuscule de Marco Polo. Dans ses Mirabilia descripta, le Père Jordanus, qu’une bulle du pape Jean XII, datée de1330, avait nommé à l’un des évêchés de l’Inde, rapporta ce qu’il avait appris de la Chine pendant un long séjour en Orient&il dit: «Alia non sunt quœ ego sciam in «isto imperio digna relatione, nisi vasa pulcherrima&nobilissima
atque virtuosa&porseleta. «C’était là plus qu’il n’en fallait pour exciter les grands à rechercher les vases du Cathay. Plus tard, un intérêt réel&puissant, celui de l’extension du commerce extérieur, dut engager les souverains de l’Europe à protéger les excursions de leurs sujets vers ces régions inexplorées.
Parmi les princes dont le goût éclairé entrevit d’abord l’avenir des produits orientaux, on peut citer Laurent de Médicis; ses encouragements resserrèrent les relations de Florence avec l’Egypte. Aussi, fut-il tenu en telle estime par Saladin, qu’il reçut de ce prince, en1487, un riche présent dans lequel figuraient de grands vases de porcelaine comme «on n’en a jamais vu de semblables «ni de mieux travaillés.»
Grâce aux recherches de M. Vallet de Viriville, nous savons qu’en France la porcelaine était connue bien avant le XVe siècle, &que le roi Charles VII posséda plusieurs pièces d un service de table en porcelaine chinoise. «Sous la date de1447, Mathieu de
Coussy, l’un des historiens de ce prince, rapporte le texte d’une «lettre adressée au roi par le soudan d’Egypte ou de Babyloine. C’était la réponse aux ouvertures diplomatiques qui avaient été «négociées auprès de ce potentat par J. de Village, l’un des facteurs du fameux Jacques Cœur, pour favoriser le commerce «français aux Echelles du Levant. Elle se termine en ces termes: Si, te mande par ledit ambassadeur un présent; c’est à sçavoir du baume fin de nostre saincte vigne, un bel liépart, trois escuelles de pourcelaine de Sinant, deux grands platz ouvertz de pourcelaine, deux touques verdes de pourcelaine, deux bouquets de pourcelaine, ung lavoir ès mains&un garde-manger de pourcelaine ouvré, une jatte de fin gingembre vert,&c..&c..»
Au XVIe siècle, les inventaires des trésors princiers mentionnent de nombreuses pièces de porcelaine,&, cette fois, le doute n’est plus permis; les gemmes sont décrites avec foin fous leurs appellations diverses d’agate, d’onice, de sardoine, de calcidoine; le mot porcelaine désigne donc uniquement la poterie de ce nom.
Pour ne citer qu’un exemple emprunté aux archives de la France, voici ce que nous trouvons parmi les curiosités réunies au palais de Fontainebleau par les foins de François Ier:
Ung petit vase de pourcelène avec son couvercle, avec le pied «&le biberon d’argent doré.
Une fallière de pourcelène couverte garnie d’or.»
L’interprétation que nous donnons ici à l’inventaire de1560est confirmée par le Père Dan. Il dit, en effet:
François Ier est celuy qui a dressé&commencé ce cabinet; y «ayant ramassé tout ce qu’il auoit pû trouver de petites pièces «curieuses, comme médailles antiques, argenterie, vases, figures, «animaux, vestements&ouurages des Indes&pays estrangers, «&une infinité de petites gentillesses…..
Il s’y void encore quelques vases&vaisselle de porcelaine& «de cristal fort curieusement trauaillées, avec une infinité de petites gentillesses, dont on auoit fait présent à ce roy&à Henry II, auec quelques ouvrages des Indes, de la Chine&de Turquie.» On l’a vu plus haut, la poterie translucide était si abondante sur les marchés du Caire, en1553, qu’il semblait difficile à Belon d’en admettre la provenance chinoise. Elle se répandit bientôt de toutes parts.
Au premier jour des années1587&1588, le lord trésorier Burghley&. lord Cecill offrirent en étrennes à la reine Elisabeth, l’un, une écuelle en porcelaine blanche garnie en or, l’autre, une coupe précieuse de même matière.
M. Douce rapporte, dans ses Illustrations de Shakspeare, que, fous le règne de la même reine, on prit plusieurs caraques espagnoles principalement chargées de porcelaine de Chine. Ceci ne doit pas surprendre. Vers la moitié du XVIe siècle, les Portugais avaient établi au Japon&en Chine des comptoirs commerciaux si importants, qu’à aucune autre époque les transactions avec l’Orient ne furent plus actives. Les splendides cargaisons expédiées en Europe stimulaient, en le satisfaisant, le goût des amateurs: les vases de forme ou de dimension exceptionnelle, d’espèce rare, de fabrication ancienne, étaient disputés à prix d’or,&l’on vit ainsi s’établir les collections précieuses dans lesquelles l’industrie&l’art allèrent puiser leurs inspirations nouvelles&cette fantaisie qui jette un reflet si brillant sur toutes les productions du XVIIIe siècle.
L’une de ces collections, réunie au palais royal d’Alcantara, forma de ses débris les remarquables fuites privées encore existantes en Espagne. En France, le dauphin, fils de Louis XIV, composa d’objets de choix le curieux cabinet qui, plus tard, devint la propriété de M. le duc d’Aumont,&fut vendu quelque temps après aux enchères publiques.
Nous essaierons peut-être ailleurs de reconstituer la liste des amateurs illustres, des hommes de goût, dont les formidables enchères attiraient sur le marché français les pièces exceptionnelles&rares. Il ne faut pas oublier, en esset, que ces sacrifices privés aboutirent chez nous à la création d’une industrie qui occupe un grand nombre de bras,&donne lieu à un mouvement commercial considérable.
Quelques chiffres pris au hasard dans les documents historiques feront comprendre, d’ailleurs, l’importance numérique des arrivages de porcelaines de Chine&du Japon dans la première moitié du XVIIe siècle. En1630, lorsque le sieur Wagenaar, ambassadeur des Provinces-Unies vers les empereurs du Japon, se disposait à retourner à Batavia, il reçut21,567pièces de porcelaine blanche: «&un mois auparavant, il en était venu à Disma (Désima), très-«grande quantité, mais dont le débit ne fut pas grand, n’ayant «pas assez de fleurs.» Onze bâtiments arrivés des Indes orientales en Hollande, en1664, apportaient44,943pièces de porcelaine du Japon fort rares,&onze autres navires, partis de Batavia en décembre de la même année, transportaient encore 16,580pièces de porcelaines de diverses sortes.
Le mouvement ne se ralentit pas, car le4octobre1700, la Compagnie des Indes françaises faisait vendre à Nantes le chargement de l’Amphytrite,&indépendamment des laques, il s’y trouvait 167barses ou caisses de pourcelaine contenant urnes, jattes, bassins, aiguières, soucoupes, bassins à barbe, grands&petits plats, assiettes, pots à l’eau&à thé, bouteilles, gobelets, tasses, verres, sucriers, salières, garnitures de cheminées, modes&modèles,&autres ouvrages de porcelaines très-fines.»
Le Père de Fontenay, jésuite, revenu après seize ans de séjour au Céleste Empire, sur le navire porteur de ces marchandises, apportait lui-même au roi, de la part de l’empereur de la Chine, de riches étoffes, de très-belles porcelaines&plusieurs pains de thé en masse.
Sans parler de la Hollande, la plus active des nations dans ce mouvement commercial, les autres contrées de l’Europe ne restaient pas étrangères à l’importation des porcelaines. Dans une note du Journal de commerce (décembre1779) intitulée «Liste des marchandises des retours des Indes pendant1759pour compte de la compagnie asiatique octroyée par Sa Majesté danoise,» nous trouvons ce curieux détail:
PORCELAINES.
Bleus & blancs & avec de l’or | 210 services |
Terrines avec des couvercles & des soucoupes | 225 pièces. |
Services à thé, bleu & blanc | 36 services. |
Dito, outre-mer | 36 » |
Dito, blancs émaillés | 59 » |
Dito, émaillés avec de l’or | 18 » |
Dito, blancs encre de Chine & or | 92 » |
Cassetières avec soucoupes faites&dessinées à la façon de Saxe.
Blanches émaillées | 47 pièces. |
Bleues & blanches | 51 » |
Théières avec soucoupes.
Blanches émaillées & dessinées avec de l’or façon de Saxe | 184 » |
Dito, plus petites | 204 » |
Bleues & blanches, même façon | 209 » |
Plus petites, même dessin | 187 » |
Théières sans soucoupes.
Blanches émaillées 669 » Bleues & blanches 185 » |
Pots à lait avec soucoupes, façon de Saxe.
Blancs émaillés avec de l’or | 120 » |
Bleus & blancs | 134 » |
Tasses à chocolat avec anses.
Blanches émaillées | 960 » |
Dito, émaillées avec de l’or | 240 » |
Bleues & blanches émaillées avec de l’or | 960 |
Dessinées encre de Chine & or | 236 » |
Tasses à caffé.
Blanches émaillées avec de l’or | 2,700 paires. |
Dito dito avec anses | 1,088 |
Dito, avec anses émaillées | 9,507 |
Brunes émaillées | 8,689 paires. |
Bleues & blanches | 175 |
Dito dito façon saxonne | 900 |
Brunes & bleues | 22,067 |
Tasses à thé.
Blanches émaillées avec de l’or | 3,380 » |
Dito dito avec anses, façon saxonne | 2,146 » |
Blanches émaillées | 15,997 » |
Bleues & blanches émaillées avec de l’or | 7,470 » |
Brunes dessinées avec de l’or | 3,322 » |
Brunes émaillées | 15,030 » |
Bleues & blanches | 32,890 » |
Brunes & bleues 53,7 | 53,740 » |
Bleues & blanches de Turquie | 3,144 |
De Turquie, émaillées avec de l’or, sans soucoupes | 7,620 pièces. |
De Turquie, bleues & blanches, sans soucoupes | 6,905 » |
Jattes avec soucoupes | 1,486 » |
Dito, sans soucoupes | 17,090 » |
Dito, petites | 2,560 » |
Dito, à punch (5 & 3 pièces par service) | 325 services. |
Dito dito sans soucoupes | 1,062 pièces. |
Assiettes à soupe.
Blanches émaillées | 990 |
Bleues & blanches | 1,840 |
Assiettes plates.
Blanches émaillées | 3,720 » |
Bleues & blanches | 6,912 » |
Pots à beurre | 616 » |
Salières plates | 5,200 » |
Services à huile & vinaigre | 62 services. |
Saucières | 216 pièces. |
Salières. | 140 » |
Boîtes à sucre | 144 » |
Cette nomenclature, dont nous passons quelques articles insignifiants, montre non seulement quelle était l’importance numérique des envois de la poterie orientale en Europe au XVIIIe siècle, mais encore, dans quelle proportion se répartissaient les différentes natures de décors. On pourra le remarquer, malgré les tendances
de la mode&les progrès du luxe, les bleus&blancs sont en ma
jorité dans cette liste.
En voici une autre plus intéressante encore, car, en nous
donnant le chiffre des porcelaines chargées sur trois vaisseaux de
la compagnie asiatique danoise, arrivés en1760, elle y ajoute une
évaluation des prix en rixdales&fols lubs (2).
On rabat4p.0/0au comptant.
On ajoute61/4p.0/0agio&I pour mille pour les pauvres.
On paye I1/5p.0/0pour la sortie.
La rixdaler vaut48sols lubs courants.
Jusqu’à l’avénement des sciences physiques, c’est-à-dire en remontant à moins d’un siècle, nulle œuvre d’art n’a pu captiver l’attention publique sans invoquer une origine surnaturelle. L’ignorance&la routine aimaient mieux accepter des sables que de chercher la vérité dans le progrès. La porcelaine devait donc avoir ses légendes. Mince, translucide, résistante au feu, elle venait éclipser tout à coup les vases grossiers, fragiles, perméables, encore usités en Europe; elle ne pouvait être accueillie comme un produit industriel créé dans des conditions normales&dénué de vertus singulières.
Et d’abord, les Romains ayant eu des vases précieux, follement recherchés, ces murrhins, objets d’une incessante controverse, il fut généralement admis, au XVIe siècle, nonobstant les contradictions de la minutieuse description de Pline, que les murrhins étaient en porcelaine de Chine. Le naïf Belon toutefois, sans réfuter les croyances de son temps, laissait déjà poindre des scrupules touchant la distinction des poteries orientales quasi correspondantes aux antiques, sinon que les premières sont artificielles&les autres point. Nous n’aborderons pas la discussion de ce point difficile que le savant&spirituel auteur du Catalogue des émaux du Louvre, tranche en faveur de l’opinion ancienne.
Quant à la matière de ces poteries, plus pure qu’aucune des argiles connues, plus résistante que la base quartzeuse des vitrifications, il fallait la supposer produite au moyen d’arcanes; or, ces arcanes nous seront révélés par l’un des écrivains les plus éclairés du XVIe siècle.
Ouvrons le livre de Pancirol, ou plutôt la curieuse traduction qu’en a donnée en1617Pierre de la Noue, sous ce titre: Livre des antiquités perdues&au vif représentées par la plume de l’illustre jurisconsulte G. Pancirol, qu’on en peut tirer grand profit de la perte; nous lisons, livre II, chap. II, Des Porcelanes:
Les siècles passez n’ont point veu de porcelanes qui ne sont qu’une certaine malle composée de plastre, d’œufs, d’escailles de locustes marines,&autres semblables espèces, laquelle estant bien unie&liée ensemble est cachée sous terre secrètement par le père de famille qui l’enseigne seulement à ses enfants,&y demeure octante ans sans voir le jour, après lesquels ses héritiers l’en tirant&la trouvant proprement disposée à quelque ouurage, ils en font ces précieux vases transparents&si beaux à la veue en forme&en couleur que les architectes n’y trouuent que redire; la vertu desquels est admirable d’autant que si on y met du venin dedans ils se rompent tout aussitost.
Celuy qui une fois enterre cette matière ne la relèue jamais, ains la laisse à ses enfants, nepueux ou héritiers, comme un riche thrésor pour le profit qu’ils en tirent;&c’est bien de plus haut prix que l’or, combien que rarement il s’en trouue de vraye,& qu’il s’en vend assez de fausse.
Les Empereurs des Turcs, les Bachas&autres satrapes mangent dans des vaisselles qui ont le cul d’or&le dessus de porcelanes fausses.»
Certes, l’éditeur de la Notice de l’Empire ne se serait pas fait l écho de pareilles fables, si elles n’eussent été généralement admises de son temps. Mais, a quelle époque faire remonter ces croyances? Quels voyageurs, quels écrivains furent les premiers à leur prêter l appui d une publication sérieuse? Cela serait difficile à établir. Nous trouvons bien au livre II, chap. LXXVII de l’édition du Voyage de Marco Polo publiée par William Marsden:
«Il ne nous reste plus rien à dire de Tin-gui, si ce n’est que c’est le lieu ou se font les coupes, bols&plats de porcelaine.–Voici quel est le procédé de fabrication: on tire de la mine une certaine sorte de terre dont on forme un grand monceau qu’ on laisse exposé au vent, à la pluie&au soleil pendant trente ou quarante années sans jamais y toucher. Cette terre s’épure ainsi&devient propre à la fabrication des vaisseaux dont nous avons parlé. On applique sur les pièces les couleurs que l’on juge convenables, &on les place ensuite dans des fours ou fournaises; les personnages qui font l’extradition de cette terre la recueillent donc «pour leurs enfants ou petits-enfants.–Ces produits se vendent «en grande quantité dans la ville,&pour un gros de Venise, on peut acheter huit coupes de porcelaine.»
Comme on le voit, il ne s’agit déjà plus ici que d’une terre naturelle&simple; d’ailleurs, toute la partie du texte comprise entre des tirets n’existe pas dans l’édition revue&annotée par la Société de géographie; le passage est ainsi rétabli:
Ch. CL VII Ci devise de la cité de Zantan….. «Et encore voz «di qe en ceste provence, en une cité qe est apelé Tinugui, se font escuelle de porcellaine grant&pitet les plus belles que l’on peust «deviser. Et en une autre part n’en s’en font se ne en ceste cité, &d’iluec se portent por mi le monde,&hi ni a asez&grant marchiés si grant qe bien en aurest por un venesian gros trois escuelles si belles qe miaux ne le seusent nul deviser.»
William Marsden paraît donc avoir introduit dans la narration des gloses postérieures à la première publication du Voyage,&ne remontant guère au delà du XVIe siècle, car c est vers cette époque qu’on rechercha sérieusement la véritable composition de la porcelaine. Voici, entre autres, ce que dit Juan Gonçalès de Mendoza dans son Histoire du grand royaume de la Chine, ouvrage mis en français par Luc de la Porte, en1588:
«Il y a d’autres boutiques de pourcelaines de diverses sortes, sçauoir est de rouges, de verdes, de dorées&de pasles, lesquelles font à si bon marché, qu’on en a cinquante pièces pour quatre réales. Elles se font d’une terre forte qu’ils dessont&destrampent,&versent dans des estangs qu’ils ont en ce pays là fort bien faits de pierre de taille. Et après l’auoir bien maniée en l’eau, du plus gras qui nage par dessus, ils en font les plus fines, &le reste plus il va au fond, plus il est grossier&espais. Ils leur donnent la mesme forme qu’on fait par deçà, puis les dorent, &leur posent la couleur qu’ils leur veulent donner, laquelle ne se perd jamais;&en après les cuisent dedans un four. Voilà ce qui s’est veu&pratiqué touchant ces pourcelaines qui est plus vraysemblable que ce qu’escrit un certain Edouard Barbose en son livre en italien, quand il dit qu’elles se font d’escargots de mer, qu’ils destrampent&mettent soubz terre pour s’affiner cent ans durant,&telles autres choses à ce propos, lesquelles estant vrayes il n’y auroit pas si grande quantité desdites pourcelaines, comme il y en a audit royaume&comme il s’en porte en Portugal&au Péru&à la Nouvelle-Espaigne,&à d’autres parties du monde, qui est une preuue suffisante pour vérifier ce que jedy, outre ce qu’en tesmoignent les Chinois conformément à cette vérité. La plus fine se fait en la province de Saxij&ne fort jamais du royaume, à cause qu’elle est toute employée au service du Roy&des gouverneurs,&est si belle qu’il semble à veoir du trèsfin crystal.»
Le voyageur arabe Ibn-Bathoutha, qui pénétra en Chine vers l’an1345de notre ère, avait réfuté d’avance les assertions erronées mises plus tard en circulation touchant la fabrication des poteries orientales; seulement, par une erreur excusable chez un homme étranger à la technique, il considère comme un des éléments de la pâte le charbon fossile destiné à la cuire. Nous empruntons son récit à l’excellente traduction de M. Reinaud:
«La poterie chinoise ne se fabrique que dans la ville de Zeytoun «&à Sinkilau; on emploie pour cela une pierre provenant de «certaines montagnes du pays; cette terre brûle comme du char«bon&on y ajoute des pierres particulières à la contrée; on fait «brûler ces pierres pendant trois jours, ensuite on y verse de l’eau «&le tout redevient terre. La meilleure poterie est celle qui est «restée couverte pendant un mois complet; on ne dépasse pas ce «terme. La moins bonne est celle qui n’est restée couverte que «pendant dix jours; celle-ci se vend dans le pays à un aussi bas «prix que la poterie chez nous,&même à un prix plus bas. La «poterie chinoise est exportée dans l’Inde&dans tous les pays,& «jusque dans nos contrées du Magreb. C’est la plus belle espèce «de poterie.»
Henri Salmuth, dans ses notes sur le livre de Pancirol, a donc pu facilement démontrer l’origine fossile, la composition simple des pâtes à porcelaine; il lui a suffi d’analyser l’ouvrage de Mendoza ou celui de Hugo de Linschoten, qui reproduit le récit de l’ambassadeur espagnol.
Toutefois, si le grave commentateur a douté de la possibilité de faire de beaux vases avec du plâtre&des coquillages pourris en terre, il s’est montré crédule à l’égal de Pancirol touchant les qualités anti¬ toxiques de la porcelaine. Il dit à ce sujet, IIe partie, P. 75:
Pancirol n’est pas le seul qui ait annoncé avec raison que les vases de porcelaine ne pouvaient contenir de substances vénéneuses. Ce fait est également constaté dans une lettre de Simon Simonius, médecin du sérénissine Maximilien, archiduc d’Autriche, &premier médecin du royaume de Bohême. Cette lettre accompagnait une pièce de porcelaine envoyée de Prague à Leipzick par Simonius à son gendre Frédéric Meyer, mon parent bienaimé. Je reproduis ici ses propres paroles:–Je vous envoie une écuelle de porcelaine précieuse. On l’a trouvée avec d’autres objets dans les effets du bassa de Bude, aujourd’hui prisonnier à Vienne. C’est dans cette forte de vases que les Turcs boivent l’eau, le sorbet&le bouillon, parce que l’on croit qu’un changement subit dans leur transparence indiquerait la présence du poison,&que l’on y voit une puissante garantie. Cette pièce a été donnée au grand héros, mon ami, qui m’en a fait présent, A poids égal, je ne l’échangerais pas contre un vase d’argent, car je crois fa matière pure& sans mélange. J’en ai pour garant l’usage qu’en faisait un chef aussi puissant que le bassa. Prague, le12février1600.–J’ai d’autant moins hésité à reproduire ici les mots que l’on vient de lire que, reçu à Leipzick par mon parent, j’ai tenu dans mes mains cette porcelaine,&que je l’ai deux fois vidée remplie d’un vin délicieux. Ce n’est pas sans plaisir que je me fuis assuré alors de l’exactitude de ces lignes de Mendoza, Histoire de la Chine, livre Ier, chapitre dernier, que ces porcelaines ne cèdent en rien en beauté&en transparence au cristal le plus limpide. «
Nous ne voudrions pas, par nos citations, faire peser sur les seuls savants, aux XVIe&XVIIe siècles, la responsabilité de ces naïves croyances; les idées dont Pancirol&Salmuth se faisaient les interprètes étaient celles de leurs contemporains; elles avaient pénétré profondément dans les masses,&nous en trouvons la trace jusque dans cette littérature de bas aloi qui, chez nous, a toujours eu le privilége de peindre le sentiment public. Voici des vers écrits en 1716, c’est-à-dire un demi-siècle après la publication de Salmulth; on y verra l’expression persistante de la foi populaire en ces fables ridicules, répudiées alors par tous les esprits éclairés:
Allons à cette porcelaine,
Sa beauté m’invite&m’entraîne,
Elle vient du monde nouveau,
L’on ne peut rien voir de plus beau.
Qu’elle a d’attrait&qu’elle est fine!
Elle est native de la Chine.
La terre avait au moins cent ans
Qui fit des vases si galans.
Pourquoi faut-il qu’ils soient fragiles
Comme les pucelles des villes?
De tels bijoux en vérité
S’ils avaient la solidité
De l’or, de l’argent&du cuivre,
Jusques chez eux se feraient suivre;
Car, outre leur attrait divin
Ils ne souffrent point le venin,
Ils sont connaître le mistère
Des bouillons de la Brinvillière,
Et semblent s’ouvrir de douleur
Du crime de l’empoisonneur.
Dans l’origine, la vertu révélatrice du poison avait été attribuée à des vases susceptibles de s’altérer au contact de certains acides, les vases d’écaille, par exemple. Supposer cette même vertu à la porcelaine de Chine, c’était faire remonter une légende orientale vers son berceau. Nous allons en fournir la preuve. Le San-koué-tchy, roman historique composé au XVIe siècle, nous montre un médecin, gagné par des conspirateurs, essayant de faire accepter à l’un des petits souverains de l’empire chinois un breuvage mortel; mais le prince soupçonne le crime&repousse la coupe avec horreur.–Le médecin voyant son dessein découvert, se lève, fait un pas en avant, saisit l’oreille de Tsao pour le forcer d’ouvrir la bouche&d’avaler la liqueur; alors Tsao renverse le vase,& le poison, répandu sur les carreaux de porcelaine qui pavent la salle, les fait fendre à l’instant.
Il ne fallait rien moins que les progrès de la chimie moderne pour réduire ces fables à néant&démontrer la résistance des poteries kaoliniques aux acides concentrés; leur émail conserve son lustre&sa blancheur en dépit des substances corrosives; aussi la plupart des récipients employés dans les laboratoires sont-ils aujourd’hui en porcelaine.
Nous n’ajouterons pas aux singularités écrites à propos des vases orientaux, ce que rapporte Furetière au mot pourcelaine de son glossaire: «François Cauche, en son voyage de Madagascar, fait mention d’un service de porcelaine&d’un bocal de terre, qui avaient été pris proche le tombeau de Mahomet, qui a cette propriété que lorsqu’on jette de l’eau dedans ou qu’on l’expose au soleil, elle la rafraîchit, au lieu de l’eschauffer.» Le nom de la porcelaine a été introduit ici par erreur ou par ignorance; st s’agit évidemment de la poterie en terre grise&poreuse dont on se sert dans toutes les contrées méridionales pour confectionner les vases réfrigérants dits alcarazas.
CLASSIFICATION DES PORCELAINES.
Dans un travail purement technique, le classement des porcelaines n’offrirait aucune difficulté. Celle qui présenterait le plus d’homogénéité, de résistance au feu, de blancheur&de lustre, occuperait la première place; il suffirait d’un essai pour déterminer le rang de chaque poterie translucide orientale ou européenne, ancienne ou moderne.
Au point de vue de l’histoire, les bases du jugement se multiplient; il faut, tout en tenant compte de la nature particulière de ces œuvres à étudier, suivre leur filiation chronologique&géographique; apprécier leur décoration, sous le double rapport de l’exécution&du symbolisme; en un mot, montrer à l’explorateur une route certaine dans ce dédale où semblerait devoir s’égarer la science commune appuyée sur la contemplation habituelle de ce qui est curieux&beau.
Par une coïncidence heureuse, la technique se prête ici aux exigences de l’histoire. Les plus anciennes porcelaines, celles d’Orient, sont kaoliniques ou réelles, résistantes au grand feu ou dures. La première imitation qui s’en soit faite en Europe est une poterie artificielle, tendre, créée de toutes pièces; chef-d’œuvre d’invention rehaussé par la perfection artistique, ce produit, nonobstant les découvertes ultérieures de la science, ne devait rien perdre de sa réputation&de sa gloire.
Voilà donc les prototypes des deux classes qui diviseront ce livre: la porcelaine dure&la porcelaine tendre.
Mais, si la première appelle d’abord nos investigations, elle soulève sans contredit les questions les plus délicates. A quelle époque, par quel peuple a-t-elle été inventée? Au siècle dernier, de Paw, qui a tant écrit sur la Chine sans la connaître, comprenait déjà combien ces questions offraient d’intérêt,&il avait tenté de les aborder: «Les Persans, dit-il, revendiquent plusieurs découvertes relatives à différents genres de peinture,&comme ils disputent aux Chinois l’invention de la pâte de la porcelaine, ils leur disputent aussi l’invention des couleurs propres à la diaprer... Je n’ai jamais pu savoir ce que pensent à cet égard les Indiens; mais je fais qu’ils font de la porcelaine assez bonne,&probablement ils la font sans disputer, en se reposant sur cette impénétrable obscurité qui règne dans l’histoire des arts de l’Asie, où chacun peut hardiment s’arroger quelque découverte que ce soit, parce qu’on y manque de monuments pour constater les faits&les dates. «
Ces monuments dont l’auteur des Recherches philosophiques regrettait l’absence, nos savants orientalistes nous les ont fait connaître en partie. On fait aujourd’hui que la poterie, ou l’art de confectionner des vases en argile existait chez les Hindous neuf siècles avant notre ère. Les lois de Manou, codifiées à cette époque, indiquent le mode de purification des vases de métal ou de terre souillés par un contact impur; on y trouve même le nom de l’aiguière consacrée aux ablutions des dévots ts ascétiques, c’est le kamandalou. Mais la poterie chinoise est bien plus ancienne encore. D’après le Tsien-kio-loui-chou, c’est Kouen-ou qui, sous le règne de Hoang-ti (de2698à2599av. J.-C.), découvrit les premiers secrets de la céramique; l’empereur, appréciant la portée d’une telle invention, créa un intendant pour en surveiller le développement. En1712, le Père d’Entrecolles écrivait au Père Orry: Les Chinois paient encore aujourd’hui des sommes très-considérables pour des ustensiles de poterie qui ont appartenu à Yao &à Chun, deux de leurs plus anciens empereurs, qui ont régné plusieurs siècles avant la dynastie des Thang, époque a laquelle la porcelaine commence à être à l’usage des empereurs.» Les recherches de M. Stanislas Julien fixent entre les années185 avant&87après J.-C. l’invention de la poterie kaolinique: le savant sinologue cite même un décret rendu sous les Tch’in, en 583, pour ordonner aux fabricants de confectionner des vases pour l’empereur&de les transporter directement au palais.
On le voit, ces dates positives, empruntées aux livres sacrés du Céleste Empire, renversent les allégations vagues de M. de Paw sur l’antériorité des arts hindous. De laborieuses lectures n’ont pu nous procurer un texte certain sur l’origine des porcelaines observées dans l’Inde. Les documents écrits touchant la porcelaine de Perse sont rares; mais, rapprochés des monuments, ils permettent de reconnaître l’imitation technique de ceux-ci& leur inspiration étrangère. Quant aux Japonais, satisfaits de leur supériorité artistique, ils s’avouent les élèves de l ancienne école chinoise.
Toutefois, dans les diverses contrées de L’extrême Orient, l’usage des poteries kaoliniques remonte à une époque antique; par ion âge positif, le choix judicieux des matières qui la composent&la décorent, la perfection&la variété de son travail, la porcelaine de Chine réclame le premier rang&forme la souche mère d’où sortent les divers rameaux asiatiques. Nous aurons, dès lors, un ordre des porcelaines dures antiques, comprenant la souche chinoise&les rameaux japonais, hindou, persan.
Dès leur apparition en Europe, les porcelaines suscitèrent une incroyable émulation parmi les industriels&les savants: faïenciers, verriers, alchimistes, géologues, hommes de pratique ou de théorie, tous se mirent à l’œuvre,&, en aspirant à l’imitation, trouvèrent parfois des matières nouvelles. Parmi ces travailleurs ardents& audacieux, l’Allemand Böttger devait se distinguer. Placé dans un pays de constitution primitive où les roches granitiques abondent, il avait à sa disposition les éléments de la poterie translucide. En cherchant la matière d’un creuset propre à faire de l’or, il obtint d’abord un grès rouge, extrêmement réfractaire, dont on fit grand bruit; mais, peu après, le kaolin en poudre parvint accidentellement dans ses mains; il l’essaya&fit, en1709, de la porcelaine réelle semblable à celle de la Chine.
Parfaite à son début, décorée avec la consciencieuse recherche de l’artiste ambitieux de la postérité, la porcelaine de Böttger deviendra pour nous le type des porcelaines dures anciennes; nous grouperons autour d’elle, comme tributaires, les œuvres obtenues par les indiscrétions ou la trahison des premiers ouvriers de Meissen, c’est-à-dire les porcelaines de l’Allemagne proprement dite, de la Hollande, de la Suisse,&c.
Quant à la Thuringe, elle peut prétendre à former un rameau particulier, puis que c’est avec les matériaux du sol, essayés par ses chimistes, qu’elle a créé la poterie nouvelle.
Il en est de même de la France. Si deux céramistes, Pierre Hannong&Limprun, ont offert de vendre à Sèvres le secret du procédé saxon, c’est sans leur concours,&grâce à la découverte du kaolin de Limoges, que Macquer a pu produire une porcelaine dure véritablement nationale.
Toutefois, pour notre usine privilégiée, déjà célèbre par toute l’Europe, ce n’était là qu’un progrès industriel. Nous ne scinderons pas son histoire en traitant à part de sa porcelaine réelle,&nous nous bornerons à comprendre dans l’ensemble chronologique des établissements français les fabriques secondaires qui ont fait de la poterie kaolinique de1752à1800.
Vers la seconde moitié du XVIe siècle, l’Italie, arrivée à l’apogée de sa gloire industrielle, sans rivale pour l’art céramique&la décoration des poteries émaillées, rêva pourtant la découverte du secret des Chinois. Depuis longtemps, la porcelaine orientale, la faïence de Perse étaient entre les mains des princes&servaient de type aux inspirations des artistes; il était assez naturel qu’on songeât à pousser l’imitation plus loin&à reproduire, non-seulement un décor intéressant, mais une matière distinguée&charmante. Les Médicis s’attachèrent particulièrement à cette recherche,&, grâce à de nombreux sacrifices, François Ier, grand-duc de Toscane, fit exécuter une porcelaine artificielle italienne presque parfaite.
Restée dans les limites d’un travail de laboratoire, cette invention demeura sans résultat industriel&fut même oubliée ou méconnue dès sa naissance. Nous parlerons dès lors des essais des Médicis en traitant de la porcelaine mixte.
A la fin du XVIIe siècle, avant que rien fît pressentir les succès de Böttger, nos potiers&verriers poursuivaient aussi le même secret. Trompés par les notes ambiguës des missionnaires, par la translucidité opaline de certains vases chinois, ils dévitrifiaient le verre, polissaient les émaux, achevant à la meule ce que le tour& le feu laissaient imparfait, couvrant au vernis de plomb les surfaces restées mates à la cuisson. De ces efforts, il sortit enfin un produit original, porcelaine par l’aspect, verre par la texture, faïence fine par la couverte. Nous conserverons à cette poterie curieuse le nom de porcelaine tendre française, ou porcelaine tendre artificielle, qui lui a été assigné par Alexandre Brongniart,&nous en ferons le type du premier genre de notre deuxième ordre.
Le deuxième genre comprend la porcelaine tendre naturelle, création ingénieuse de nos voisins d’outre Manche; c’est une porcelaine réelle, c’est-à-dire kaolinique; mais sa pâte est rendue tendre par l’adjonction d’une fritte vitreuse,&sa couverte est très-fusible; elle participe, fous ce rapport, des qualités artistiques de la porcelaine française.
A l’exemple d’Alex. Brongniart, nous rejetterons dans un appendice, fous la dénomination de porcelaines hybrides ou mixtes, certains produits d’un caractère assez singulier. Les uns, d’origine italienne, ont l’aspect dur, bien que le kaolin dont leur pâte est composée diffère complètement de ceux d’Allemagne, de France &de Chine. Les autres, faits en Espagne&dans le Piémont, se spécialisent par un élément magnésien. A ces différences techniques s’ajoute un goût artistique particulier très-saisissable.
Cette classification est-elle irréprochable? Certains faits ne pourraient-ils en détruire l’harmonie? Des travaux de plus d’un siècle, vivifiés par le génie de Linné, de Jussieu, de Cuvier, n’ont pu doter les sciences naturelles d’une méthode parfaite. Comment, dans l’étude nouvelle de monuments variables, rebelles, en apparence, à tout groupement rationnel, espérerions-nous trouver un cadre assez vaste, assez bien divisé, pour que les découvertes de l’avenir vinssent s’y ranger avec docilité?
Mais l’ordre seul jette la lumière sur les travaux de l’esprit; le lecteur s’arrête au seuil d’un livre s’il ne voit par quelle route& vers quel but l’auteur veut le conduire; s’il ne peut, sans suivre les déductions d’une théorie complète, arriver au point qui l’intéresse, au fait qu’il désire éclairer.
Il nous fallait donc une classication,&celle qui vient d’être esquissée paraît satisfaire aux exigences du moment; ses grandes coupes suffiront aux esprits généralisateurs; ses divisions aideront à déterminer les espèces&à saisir leurs caractères. Pour plus de clarté, nous résumons ici les dates principales de l’histoire des porcelaines &celles de l’établissement des usines européennes.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
DE L’HISTOIRE DE LA PORCELAINE.
185av. J.-C. Dynastie des Han. Porcelaine inventée dans le pays de Sin-p’ing. 27ap. J.-C. Fondation des fabriques de porcelaine au Japon par les Coréens.
618–Chine. Dynastie des Thang. Porcelaine blanche trouvée dans les ruines.
960––Dynastie des Song. Porcelaine fine.
1000––Grands progrès de la fabrication.
1171–Porcelaine offerte par Saladin à Nour-Eddin.
1211–Le Japonais Katosiro-Ouye-Mon va étudier la fabrication en Chine.
1277–Tour de porcelaine de Nankin.
1307–Marco Polo décrit la porcelaine de Chine fous son nom actuel.
1508–Introduction de la porcelaine en Europe par les Portugais.
1575–Imitation de la porcelaine à Florence par François de Médicis.
1650–Chardin décrit la porcelaine réelle des Persans.
1664–Imitation de porcelaine en France par Revérend.
1673–Imitation de porcelaine à Rouen par Louis Poterat.
1689–Belles collections de vases chinois à Paris.
1690–Imitation de porcelaine par Perrot, verrier d’Orléans.
1695–Saint-Cloud. Porcelaine tendre.
1700–Moscow. Porcelaine tendre? (Brongniart).
1708–Lille. Porcelaine tendre; fondation des Hollandais.
1708ap. J.-C. Découverte de la porcelaine dure en Saxe, par Böttger.
1718–Autriche. Stofzel, chef d’atelier à Meissen, apporte le secret de la porcelaine à Vienne.
1720–Fondation générale des manufactures allemandes par Gelz, Bengraf &Ringler.
1735–Chantilly, Mennecy. Porcelaine tendre fous la protection du prince de Condé&du duc de Villeroy.
Doccia près Florence. Manufacture de porcelaine mixte des marquis de Ginori.
1740–Essais des frères Dubois à Vincennes.
1745–Chelsea. Porcelaine tendre naturelle.
1747–Bavière. Essais de Niedermayer; fondation de Nymphenburg avec Ringler.
1750–Tournay. Porcelaine tendre commune.
1751–Sceaux. Porcelaine tendre.
–Worcester. Porcelaine tendre naturelle.
1751–Berlin. Wegely fabrique de la porcelaine dure avec les notes de Ringler.
1753–Paul Hannong propose à Vincennes le secret de la porcelaine dure.
1754–Arrêt qui interdit à Hannong la fabrication de la porcelaine dure en France.
1755–Hannong porte fa manufacture à Franckenthal, dans le Palatinat,& s’associe à Ringler.
1756–établissement royal des porcelaines de France est transporté à Sèvres.
1756–Louisbourg. Porcelaine dure par Ringler.
1756–Saint-Pétersbourg&Moscow. Porcelaine dure.
1758–Découverte de la porcelaine en Thuringe par Henri Macheleid.
1761–Traité entre la manufacture de Sèvres&Pierre Hannong, fils de Paul.
1762–Usines des Greiner à Seltzerode, Wolkstadt, Limbach, Ilmenau,&c., en Thuringe.
1762–Hildburghausen&Gotha. Emploi du kaolin de Passau par Weber.
1763–Buen-Retiro près Madrid. Porcelaine mixte.
1765–Guettard. Découverte du kaolin d’Alençon.
1767–Vincennes. Porcelaine dure par P. Hannong.
1767–Limprun offre à Sèvres le secret de la porcelaine dure.
1767–Découverte du kaolin de Saint-Yrieix par Darnet.
1768–Niederwiller. Porcelaine dure.
1768–Porcelaine dure anglaise découverte par Cookworthey.
1769–Porcelaine dure française obtenue par Macquer.
1770–Sèvres. Porcelaine dure en activité.
1771–Clignancourt près Paris. Porcelaine dure, établissement général des fabriques françaises.
1780–Copenhague. Porcelaine dure.
1781–Paris. Dihl, manufacture du duc d’Angoulême.
1782–Arras. Dernier établissement de porcelaine tendre.
1783–Cuisson de la porcelaine à la houille, dans la fabrique du comte d’Artois,
1800–Introduction des os calcinés dans la pâte des porcelaines tendres anglaises .
TABLEAU CHRONOLOGIQUE
DE L’ETABLISSEMENT EN EUROPE DES MANUFACTURES DE PORCELAINE.
1575à1580. Italie, Florence. Essais du grand-duc François Ier. Porcelaine artificielle.
1664France, Paris. Claude Revérend. Porcelaine artificielle.
1673–Rouen. Louis Poterat. Porcelaine artificielle.
1695–Saint-Cloud. Chicaneau père&fils. Porcelaine artificielle, fabrication réelle.
1700Russie, Moscow. Porcelaine artificielle? (Alex. Brongniart).
1702France, Saint-Cloud. Héritiers Chicaneau. Porcelaine artificielle.
1706Saxe, Meissen. Découverte de Böttger. Porcelaine réelle ou dure.
1708France, Lille. Fondation des Hollandais. Porcelaine artificielle.
1713Prusse, Brandebourg. Porcelaine dure.
1713France, Lille. Manufacture des Hollandais reprise par les frères Doré. Porcelaine artificielle.
1716Autriche, Vienne. Stöbel, transfuge de Meissen. Porcelaine dure.
1718Bavière, Anspach. Porcelaine dure.
1720Nassau. Hôchst. Gelz&Ringler, transfuges de Vienne. Porcelaine dure.
1722France, Saint-Cloud. Henri Trou. Porcelaine artificielle.
1722–Paris, faubourg Saint-Honoré. Marie Moreau. Porcelaine artificielle.
1735–Chantilly. Ciroux. Porcelaine tendre.
1735–Mennecy. Barbin. Porcelaine tendre.
1736Naples, Capo di Monte. Porcelaine mixte.
1736Italie. Doccia, Ginori. Porcelaine mixte.
1740France, Vincennes. Les frères Dubois. Porcelaine tendre.
1744Russie, Saint-Pétersbourg. Porcelaine dure.
1745Angleterre, Chelsea. Bow. Porcelaine tendre.
1747Bavière, Neudeck, Nymphenburg. Porcelaine dure.
1750Belgique, Tournay. Porcelaine tendre.
1750Brunswich, Furstenberg. Par Bengraf, transfuge de Hôchst. Porcelaine dure.
1750–Neuhaus. Von Metul. Porcelaine dure.
1750–Hoxter, Ziezeler, Becker. Porcelaine dure.
1750Prusse, Berlin. Par Ringler, transfuge de Vienne. Porcelaine dure.
1750Angleterre, Derby, Dewsbury. Porcelaine tendre naturelle.
1751–Worcester. Porcelaine tendre naturelle.
1751France, Sceaux. Jacques Chapelle. Porcelaine tendre.
1752–Strasbourg. Paul Hannong. Porcelaine dure.
1753–Orléans. Gerreault. Porcelaine tendre.
1753Bade-Bade. Veuve Sperl, avec des ouvriers de Hôchst. Porcelaine dure
1755Bavière, Franckenthal. Hannong père. Porcelaine dure.
1756Russie, Moscow. Garnier. Porcelaine dure.
1756–Twer. Porcelaine dure
1756France, Sèvres. L’établissement de Vincennes y est transféré. Porcelaine tendre.
1758–Le comte de Lauraguais. Porcelaine dure.
1758Wurtemberg, Louisbourg. Ringler. Porcelaine dure.
1758Rudolstadt. Macheleid. Porcelaine dure.
175Espagne, Buen-Retiro. Porcelaine tendre.
1760Saxe-Meningen, Limbach. Greiner. Porcelaine dure.
1760Hollande, Wesp. Gronsfeld. Porcelaine dure.
1762Saxe-Cobourg. Wallendorf. Porcelaine dure.
1762Hesse-Darmstadt. Grosbreitenbach. Porcelaine dure.
1762–Kelsterbach. Busch. Porcelaine dure.
1762Saxe. Ilmenau, Seltzerode,&c. Greiner. Porcelaine dure.
1762France, Gros-Caillou. Broilliet. Porcelaine dure.
1763Hilburghausen. Weber. Porcelaine dure.
1763Hollande, Amsterdam. Grosfield. Porcelaine dure.
1763Suisse, Zurich. Porcelaine dure.
1763Hesse, Fulda. Porcelaine dure.
1763–Cassel. Par un ouvrier de Ringler. Porcelaine dure.
1765Angleterre, Shelton. Cookworthey. Porcelaine dure.
1765France, Marseille. Honoré Savy. Porcelaine dure.
1766––Robert. Porcelaine dure.
1767–Vincennes. Maurin des Aubiez. Porcelaine dure.
1763–Niederville. Porcelaine dure.
1768–Etiolles. Monnier. Porcelaine tendre&porcelaine dure.
1769–Lunéville. Porcelaine dure.
1769–Paris. Hannong, fabr. du comte d’Artois. Porcelaine dure.
1770–Vaux. Moreau. Porcelaine dure.
1771–Vincennes. Hannong. Porcelaine dure.
1772Angleterre, Shropshire. Turner. Porcelaine tendre naturelle.
1772Danemarck, Copenhague. Von Lang, transfuge de Furstenberg. Porcelaine dure.
1773France, Bourg-la-Reine. Jacques&Julien. Porcelaine tendre.
1773–Gros-Caillou. Advenir Lemare. Porcelaine dure.
1773–Paris, faubourg Saint-Antoine. Morelle. Porcelaine dure.
1773–Souroux. Porcelaine dure.
1773––La Courtille. Locré. Porcelaine dure.
1773–Limoges. Massié, Grellet&Cie. Porcelaine dure.
1774–La Seinie. De St-Aulaire&Cie. Porcelaine dure.
1774–Paris, rue de Reuilly. Lassia. Porcelaine dure.
1774––rue de la Roquette. Vincent Dubois. Porcelaine dure.
1775.–Clignancourt. Deruelle, manufacture de Monsieur. Porcelaine dure.
1776Angleterre, Bristol. Porcelaine tendre naturelle.
1778France, Boissette. Vermonet père&fils. Porcelaine dure.
1778–Ile Saint-Denis. Laferté. Porcelaine dure.
1778Hollande, La Haye. Porcelaine dure.
1778France, Paris, rue Thiroux. Le Bœuf, manufacture de la Reine. Porcelaine dure.
1780––rue de Bondy. Guerhard&Dihl, manufacture du duc d’Angou
lême. Porcelaine dure.
1780––rue de Popincourt. Le Maire, Nast. Porcelaine dure.
1781Saxe-Gotha. Porcelaine dure.
1782France, Arras. Dlles Deleneur. Porcelaine tendre.
1782–Tours. Noël Sailly. Porcelaine dure.
1784–Lille. Le Perre Duroo, manufacture du Dauphin. Porcelaine dure.
1784–Paris, rue des Boulets&Pont-aux-Choux, manufacture du duc d’Orléans. Porcelaine dure.
1784–Saint-Denis de la Chevasse. De Torcy. Porcelaine dure,
1784–Paris, rue de Reuilly. Chanou. Porcelaine dure.
1784–Saint-Brice. Gomon&Cie. Porcelaine dure.
1785–Valenciennes. Fauquez, Lamoninary. Porcelaine dure.
1785–Choisy. Lefèvre. Porcelaine dure.
1786–Vincennes. Le Maire, manufacture du duc de Chartres. Porcelaine dure.
1789Paris, rue de Crussol. Potter. Porcelaine dure.
1790Suisse, Nyon. Maubrée. Porcelaine dure.
1793France, Paris. Hannong. Porcelaine dure à feu.