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CHAPITRE II.
TECHNOLOGIE.
NATURE DE LA PORCELAINE.–COULEURS QUI LA DECORENT

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Table des matières


RACE au progrès de la science moderne, dès qu’on touche aux matières de l’industrie&des arts, les formules tendent à affecter une allure exacte; la description disparaît, la définition prend sa place.

Nous ne nous dissimulons pas, néanmoins, ce que le cadre&la destination de notre travail nous imposent de retenue au point de vue technologique; nous parlons à des gens du monde disposés à nous sacrifier quelques loisirs, mais que rebuterait une étude laborieuse: nous tâcherons donc d’être brefs, sans cesser d’être clairs. Au surplus, notre route est tracée; depuis longtemps, le savant Alexandre Brongniart a consacré une terminologie spéciale que tout le monde s’est empressé d’adopter. Quand il faudra définir, nous n’hésiterons pas à recourir au Traité des Arts céramiques; nous renverrons encore à ce précieux ouvrage ceux qui, désireux d’approfondir les procédés d’une des plus curieuses branches de l’industrie, trouveraient dans les pages suivantes des lacunes à combler.

La porcelaine est une poterie à pâte toujours dure, c’est-à-dire non rayable par l’acier; elle est toujours translucide, tandis que les produits qu’on pourrait confondre avec elle, comme les faïences les grès, ne le sont qu’accidentellement&dans leurs parties les plus minces.

POUR LA PATE, un premier élément argileux, infusible, est fourni par le kaolin seul ou associé, soit avec l’argile plastique, soit avec la magnésite. Le kaolin est une roche feldspathique décomposée, blanche comme la craie, que l’on trouve abondamment dans la nature; en France, un gîte considérable existe à Saint-Yrieix-la-Perche, près de Limoges. Quelques roches de kaolin caillouteux permettent encore de distinguer des grains de quartz&des lamelles de feldspath, ce qui constituait la pegmatite.

Un second élément fusible est donné par le feldspath même ou par d’autres minéraux pierreux, tels que le sable siliceux, la craie, le gypse, pris séparément ou réunis de diverses manières.

POUR LA GLAÇURE, nommée couverte, on emploie le feldspath quartzeux (roche pegmatite proprement dite), tantôt seul, tantôt mêlé avec du gypse, mais toujours sans plomb ni étain. Cet enduit fusible, ce verre ou émail, reçoit, le plus souvent, la décoration peinte qui y adhère.

Tels sont, avons-nous dit, les éléments naturels de la porcelaine dure ou réelle; nous verrons plus tard qu’il existe des porcelaines artificielles, à pâte marneuse, d’une texture presque vitreuse, fusibles à une haute température, dont le vernis est transparent, plombifére, rayable par l’acier: ce sont les porcelaines tendres.

Ces poteries, dont l’invention est une des gloires industrielles de l’Europe, doivent leur nom de porcelaine à une analogie d’aspect, &leur qualification de tendres à une comparaison.

Elles sont plus dures que la faïence, la terre de pipe,&c., mais elles sont tendres comme pâte, relativement aux porcelaines chinoises, qui supportent une température de140o du pyromètre de Wedgwood,&plus tendres encore comme couverte, puisque leur vernis, composé de silice, d’alcali&de plomb, se cuit à une température inférieure au ramollissement du biscuit lui-même.

Dans la langue céramique, on donne le nom de biscuit à une pâte cuite&non vernissée, c’est-à-dire sans couverte. La pâte de porcelaine se montre, dans la fabrication, sous trois états; dans le premier, le vase tourné ou moulé, réparé avec soin, a été séché par l’action de l’air&du soleil: c’est le cru. En Chine, on exécute sur le cru les riches dessins en bleu pur&ceux où le cobalt&le rouge de cuivre se mêlent à un blanc de relief. Le second état consiste dans une cuisson au rouge, destinée seulement à rendre les pièces consistantes au contact de l’eau&à augmenter leur faculté d’absorption en vue d’un vernissage ultérieur: cette cuisson est le dégourdi. Dans le troisième état, celui de biscuit véritable, la pâte a reçu toute sa cuisson&ne doit pas être vernissée.

On exécute en biscuit des bustes, des statues, des groupes, des sujets de nature morte, que pare suffisamment la blancheur laiteuse de la matière.

La finesse de la pâte de porcelaine lui permet de se prêter à tous les procédés de façonnage; le plus ancien&peut-être le plus communément employé est le tournage; il consiste à placer la masse préparée sur le tour, à lui donner une première ébauche avec la main, puis à perfectionner sa forme au moyen d’un patron découpé ou calibre, pour la terminer ensuite avec délicatesse à l’aide d’instruments en acier nommés tournassins. Le moulage remonte aussi à une époque fort éloignée; il s’effectue souvent en coquilles séparées dont le rapprochement se fait ensuite par simple collage; bon nombre de vases chinois laissent voir la suture de leurs doubles pièces. Pour quelques porcelaines antiques à reliefs, la pâte était refoulée dans le moule par faction des doigts; l’impression en reste alors fortement exprimée intérieurement&des morceaux de renfort sont ajoutés parfois sur les parties trop amincies. C’est l’enfance de l’art.

Le coulage est un ingénieux procédé perfectionné à Sèvres depuis quelques années&répandu maintenant dans l’industrie privée; voici comment il se pratique: on verse dans un moule en plâtre, ayant la forme désirée, une pâte convenablement plastique délayée dans une quantité d’eau suffisante pour l’amener à l’état de barbotine ou de bouillie peu epaisse; cette pâte descend d’un réservoir placé à une hauteur calculée pour que, suivant la grandeur de la pièce, la pesanteur projette les molécules solidifiables avec une force égale dans toutes les parties du moule. Or, la nature absorbante de celui-ci amène promptement la barbotine en contact à un état de fermeté analogue à celui des pâtes ébauchées &déjà ressuyées. Dès que la capacité du moule est remplie on rejette donc la barbotine demeurée liquide, c’est-à-dire la presque totalité; les seules molécules adhérentes aux parois suffisent pour former le noyau de l’objet soumis au moulage. On obtient ainsi des pièces d’une ténuité extrême.

Nous passons sous silence les opérations relatives à l’extraction des moules après le retrait naturel de la pâte, au collage des pièces accessoires,&c. Ces opérations, curieuses sans doute, sont particulièrement du domaine de la technologie,&nous avons hâte de terminer, par quelques détails nécessaires sur la mise en couverte, ces préliminaires bien longs peut-être.

La couverte des porcelaines est un émail ou verre destiné à rehausser l’éclat de la pâte; on en broie finement les matières constituantes, on les délaye dans une certaine quantité d’eau, puis on plonge, rapidement&avec précaution dans le liquide agité, la pièce à vernir. Ce procédé, le plus usité&le plus facile, se nomme posage par immersion. La porcelaine, rendue poreuse&avide par sa cuisson au dégourdi, absorbe partout à la fois assez de la matière en suspension, pour que sa glaçure soit parfaite.

Le posage par arrosement ne s’emploie guère en Europe que pour les porcelaines tendres dont la pâte n’est pas absorbante. Dans cette pratique, on donne à la couverte la consistance visqueuse de la crême; on en verse sur la surface à vernir, en ayant soin de communiquer à la pièce un mouvement de balancement qui étende le liquide également sur toutes les parties.

En Chine, la couverte se met sur le cru,&l’opération, très-délicate, s’effectue à l’aide de l’immersion, de l’arrosement&même de l’insufflation à travers une gaze, selon la forme&la nature des objets à vernir.

Dans ces diverses pratiques, les bords des pièces prennent moins de couverte que le milieu; les parties par lesquelles on tient le vase n en reçoivent pas; il faut se servir du pinceau pour rétablir l’uniformité. Les Chinois appliquent même une double glaçure à leurs porcelaines; ainsi, lorsqu’au four, la matière vitrisiable a coulé formant gouttes de suif, on use au tour à polir tout ce qui fait faillie, on vernit une seconde fois&l’on remet au feu; l’émail est alors luisant «comme une couche de graisse figée.» Les Japonais paraissent aussi donner à leurs poteries, préparées d’abord au dégourdi, un vernis épais accumulé par deux immersions successives.

L’étude des couleurs qui décorent la porcelaine est indispensable à quiconque veut reconnaître, au premier coup d’œil, une œuvre chinoise ou japonaise, une pièce antique ou moderne, une peinture allemande ou française,&distinguer, surtout, un décor vieux Sèvres de fa contrefaçon.

Est-ce à dire qu’il faille pénétrer dans les arcanes de la chimie, souffler au chalumeau, essayer aux réactifs? Nullement. Les caractères saisissables de la peinture en émail font les mêmes que ceux d’une aquarelle, d’une gouache ou d’un tableau à l’huile. Nous rentrerons donc, autant que possible, dans la technique de la palette vulgaire pour exprimer les tons, les procédés manuels, les artifices de teintes que nous aurons à décrire. Les peintres sur porcelaine n’emploient que des couleurs vitrisiables, car toutes les matières colorantes organiques non susceptibles de faire corps avec la couverte disparaîtraient par volatilisation au feu de moufle le moins ardent de ceux que subit la poterie translucide.

Les matières décorantes des porcelaines ont été divisées par Alexandre Brongniart en quatre groupes.

1oLes couleurs vitrisiables proprement dites;

2o Les engobes, matières terreuses susceptibles de se fixer par un fondant vitreux;

3o Les métaux à l’état métallique;

4o Les lustres métalliques.

COULEURS VITRIFIABLES. Elles font composées de deux éléments distincts: les oxydes métalliques&les fondants. Les oxydes, partie essentiellement colorante, peuvent s’employer seuls ou se combiner pour former des tons composés.

Les fondants sont des matières fusibles, incolores, qu’on ajoute aux couleurs&aux métaux pour les faire adhérer à la porcelaine &glacer.

Les couleurs de porcelaine ne supportent pas toutes une température également élevée; on les a donc distinguées en deux groupes selon qu’elles peuvent ou non résister à un feu capable de cuire la glaçure ou couverte. Les couleurs au grand feu sont, pour la porcelaine dure, le bleu de cobalt, le vert de chrôme, les bruns de fer, de manganèse&de chroma te de fer, les jaunes d’oxyde de titane&les noirs d’urane; pour les porcelaines tendres ce font: les violets, rouges&bruns de la manganèse, de cuivre&de fer.

Les couleurs de moufles se vitrifient à un maximum de chaleur inférieur à la fusion de l’argent&s’altéreraient à une température plus élevée; on les divise en couleurs de moufles dures ou de demi-grand feu,&en couleurs de moufles tendres; les premières, une fois cuites, peuvent recevoir une surdécoration d’autres couleurs, la dorure brunie, le platinage, sans réagir&se combiner avec ces diverses matières. Les secondes, très-nombreuses, fervent à exécuter les décorations peintes. Expliquons ici certains termes céramographiques qui reviendront souvent dans cet écrit. On dit généralement une peinture en émail sur porcelaine; une porcelaine émaillée. Il faut se garder d’attribuer au mot émail une valeur toujours absolue. Appliquée sur son excipient, la peinture des porcelaines devient un émail, grâce aux combinaisons opérées dans la moufle; en esset, elle s’incorpore avec la couverte, forte d’émail blanc, qui passe ainsi à l’état d’émail coloré. Mais quand il s’agit d’émailler, c’est-à-dire de peindre en émail sur métal, sur terre non vernissée, en un mot, sur une surface impropre à céder à la couleur un élément vitreux, au lieu d’employer l’oxyde métallique avec son fondant seul, on y mêle, comme véhicule, une matière vitrifiable, susceptible de former une couche épaisse, souvent opaque, ayant sa coloration propre, comme nous le voyons dans les travaux sur cuivre ou sur bocaro; c’est là le véritable émail.

Cela posé, nous arriverons à reconnaître plusieurs sortes de peintures sur porcelaine,&nous les appellerons peintures proprement dites, peintures mixtes&peintures émaillées.

Peintures proprement dites. Sur les porcelaines européennes, la peinture a été étendue au pinceau par un procédé analogue à celui qu’on appelle aquarelle; les couleurs n’ont pas d’épaisseur appréciable, elles se fondent en glacis, de la demi-teinte à la lumière, sans autre artifice qu’une moins grande accumulation de molécules colorantes sur l’excipient dont les parties réservées forment lumière. La richesse&la variété des tons tiennent, d’ailleurs, à d’heureux mélanges de palette. L’Orient n’a pas connu ces pratiques laborieuses; il a su trouver l’harmonie&l’éclat dans des procédés plus naïfs.

Peintures mixtes. Les Chinois&les Japonais en ont fait un fréquent emploi; elles se présentent, partie à l’état de glacis, partie mélangées à un véhicule abondant formant saillie. D’ordinaire, ces couleurs sont simplement posées; quelquefois les glacis sont hachés ou pointillés au pinceau pour produire une forte de modelé rudimentaire. Les parties épaisses sont, dans le plus grand nombre de cas, étendues à plat&chatironnés, c’est-à-dire entourées&rehaussées de traits noirs ou bruns exprimant les contours, les nervures des feuilles, les divisions des pétales, les plis des draperies,&c.

Peintures émaillées. Essentiellement orientales, elles se montrent sur des produits chinois d’une époque relativement assez récente,& sur les pièces japonaises minces de pâte&d’une exécution artistique.

Les peintures émaillées forment toujours un relief très-sensible dû à la présence d’un flux vitreux si prédominant, qu’il faut une accumulation considérable du mélange coloré pour lui donner une teinte d’une certaine intensité. Souvent, pour échapper aux effets froids&désagréables d’une enluminure,&arriver, au moins dans certaines limites, à des dégradations d’ombre&de lumière, l’artiste dépose son émail en épaisseur notable dans les parties destinées à donner un ton vigoureux,&l’amincit jusqu’au point le plus clair; on a donc, pour les fleurs, les vêtements, les oiseaux, une sorte de relief qui permettrait pour ainsi dire d’apprécier, au tact seul, la nature de l’objet représenté.

Nous avons pu distinguer deux écoles bien tranchées dans les peintures émaillées; l’une emploie évidemment la couleur mêlée au véhicule vitreux; des réactions chimiques, résultant de leur fusion simultanée, donnent à tous les tons une transparence sans netteté; les rouges d’or (rose carminé) sont ternes dans les lumières&brunâtres dans les vigueurs; les bleus pâles tournent au grisâtre; les verts sont ou trop bleus ou trop jaunes; en un mot, les couleurs ont un aspect gommeux d’autant plus marqué qu’elles sont posées sur une couverte ordinairement très-blanche. Dans la seconde école, si pâle que soit une teinte, elle est assez bien déterminée pour qu’on assigne sans peine l’oxyde métallique auquel elle est due; les roses ont une fraîcheur mate dans les lumières, qui rappelle les gouaches magistrales du XVIIIe siècle; s’agit-il de passer de ce rose à la vigueur intense du rouge d’or pur (carmin), le modelé se produit avec une franchise pleine de puissance. En cherchant d’où pouvait provenir une différence aussi marquée entre les deux procédés, nous crûmes remarquer que, dans le second, l’émail intermédiaire entre l’oxyde colorant&la porcelaine était posé séparément, comme un subjectile plus favorable au développement des couleurs; celles-ci placées rapidement en glacis, obéissent sans doute mieux aux exigences de l’artiste&aux besoins de son inspiration.

Cette théorie n’a point semblé inadmissible à M. Riocreux, technologiste aussi savant qu’artiste habile; certaines pièces de notre collection où des parties boursoufflées au feu se sont déchirées violemment&retournées, lui ont montré l’émail, blanc à son revers, &vivement coloré à sa surface. Il y a là démonstration complète d’un fait curieux pour l’histoire de l’art.

ENGOBES. Nous avons dit que les engobes sont des matières terreuses appliquées avant la couverte, laquelle leur donne le lustre nécessaire; l’emploi de ce mode de décoration est encore assez restreint en Europe; les Chinois&les Japonais l’ont mis en usage sous les vernis blancs ou céladons,&les Persans l’ont aussi appliqué sur leurs porcelaines extérieurement à des glaçures colorées.

METAUX. Pour entrer à l’état métallique dans la décoration des porcelaines, il faut que les métaux soient malléables&inaltérables par l’action du feu&de l’air. Cette nécessité réduit à trois les métaux susceptibles d’être employés; ce sont, l’or, le platine& l’argent; on a même à peu près renoncé à se servir du dernier, qui noircit au contact des vapeurs sulfurées assez fréquentes dans les habitations.

L’or, si abondamment appliqué dans les poteries orientales, manque d’éclat&de solidité particulièrement sur les pièces d’époque intermédiaire; les Japonais le posent cependant mieux que les Chinois&sont arrivés à lui donner un brunissage assez parfait dans quelques vases antiques. En Europe les céramistes ont obtenu les plus heureux effets du brunissage total ou partiel de ce métal&de la superposition d’un décor de relief sur fond uni.

LUSTRES MÉTALLIQUES. C’est un genre de décoration dans lequel les couleurs, souvent chatoyantes, participent de l’éclat métallique, ou dans lequel les métaux, extrêmement divisés, s’étendent à la manière des couleurs,&doivent prendre leur éclat par la cuisson, sans avoir besoin, pour devenir brillants, d’être soumis à l’opération du brunissage.

Ces notions, toutes restreintes qu’elles soient, étaient indispensables pour l’intelligence des descriptions qui vont suivre. Si les porcelaines peuvent se distinguer entre elles, c’est moins encore par leur composition intrinsèque que par les signes extérieurs qu’y ont imprimés, dans tous les temps, les artistes auxquels leur décoration a été confiée.

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