Читать книгу La Porcelaine - Histoire artistique, industrielle et commerciale - Albert Jacquemart - Страница 6
CHAPITRE III.
PORCELAINE DURE ANTIQUE
ОглавлениеGENERALITES.–CARACTERES GENERAUX.–FAMILLE ARCHAIQUE.
–FAMILLE CHRYSANTHEMO-PAEONIENNE.–FAMILLE VERTE.–FAMILLE
ROSE.–FABRICATIONS PARTICULIERES.
ARMI la foule élégante des vases confondus dans les collections&les magasins fous le nom de porcelaines de Chine, il existe des œuvres créées par les différents peuples de l’Asie, s’échelonnant pendant l’espace de plusieurs siècles,&accusant, à certains signes, les usines particulières qui les ont produites. Or, parvenir à distinguer ces œuvres, à fixer leurs caractères, à déterminer leur âge, ce ferait jeter les lumières de l’histoire sur une branche de l’art jusqu’ici négligée à tort.
La tâche est difficile sans doute; les mentions vagues, superficielles, souvent contradictoires, semées dans les récits des anciens voyages semblaient devoir rebuter les plus ardents travailleurs. De Paw s’arrête au début de ses Recherches,&il s’écrie avec découragement: «Les voyageurs manquent souvent de loisir&plus souvent encore de capacité pour décrire tout ce qui se fait dans les manufactures de l’Asie.» L’abbé Raynal, auteur de l’Histoire philosophique&politique des établissements européens dans les deux Indes, rapporte comment les connaisseurs de son temps divisaient en six classes la porcelaine orientale; savoir: la porcelaine truitée, le blanc ancien, la porcelaine du Japon, celle de la Chine, le Japon chiné&la porcelaine de l’Inde; mais, ajoute-t-il, toutes ces dénominations tiennent plutôt au coup d’œil qu’à un caractère bien décidé.» Si Gersaint&Juliot, ces intelligents rédacteurs des catalogues du XVIIIe siècle, cherchent à désigner sous des appellations collectives, à grouper par genres distincts les vases soumis à leur appréciation, c’est encore&toujours l’empirisme qui les inspire. Pour dégager la vérité des récits ambigus sous lesquels elle se cache, il faut en esset, jugeant du passé par le présent, constater certaines tendances de l’esprit humain, infirmités réelles, persistantes, qu’il suffit de connaître pour posséder le correctif de bien des assertions douteuses. Ainsi, tout voyageur attribue au pays qu’il visite les objets d’art ou d’industrie placés fortuitement sous ses yeux; tout négociant en relation directe avec le Japon ou la Chine, admet comme certaine la nationalité des marchandises venues de l’un ou l’autre empire. On fait cependant combien l’extranéité ajoute de prix à toute chose. Ce goût universel de l’inconnu, est-il un moyen de progrès? Sert-il de base à la loi par laquelle les peuples, devenant tributaires les uns des autres, apprécient les bienfaits du commerce? On pourrait le penser, car les Orientaux, malgré l’invariabilité de leurs codes, l’inflexibilité de leur religion, n’y ont point échappé. La Chine, le Tonquin, la Corée, le Japon, la Perse, l’Inde, trafiquaient ensemble bien avant d’ouvrir leurs marchés à l’Europe. Or, il est incontestable qu’on doit rencontrer, dans chacun de ces pays, à côté de l’œuvre nationale, la marchandise importée; auprès de la création vulgaire, l’objet de curiosité.
Une analyse sérieuse, appuyée d’un peu de goût, fournira des moyens suffisants pour les distinguer.
Les hommes éclairés admirent tous une belle peinture ancienne; les amateurs désignent au premier coup d’œil l’école à laquelle appartient l’artiste qui l’a produite; mais les connaisseurs vont plus loin; à force de comparer, ils reconnaissent chaque maître&diraient au besoin quelle partie accessoire d’une toile émane de la brosse magistrale, quelle autre a été confiée aux soins d’un élève illustre. Les archéologues exercés repoussent à première vue la plus habile contrefaçon de médaille, de bronze ou de sculpture antiques. Cela n’est pourtant le résultat d’aucune étude laborieuse: la critique ne s’enseigne pas. Voir avec goût&intelligence, voir beaucoup&attentivement, voilà le secret. Il est applicable à la céramique comme à la peinture&à l’archéologie.
Mais, pour bien observer, il faut partir de certains principes fondamentaux; nous allons exposer ceux qui nous ont permis de grouper les porcelaines orientales en familles diverses. Ces principes sont particulièrement puisés dans les règles de l’art.
On fait combien, en Asie, les pratiques de tous genres sont invariables; Marco Polo écrivait déjà: «Et si voz di qu’il estoit establi por lor roi qe cascun doie faire les ars de son pere&se il auesse cent mille bezans ne poroit faire autre art qe son pere avoit fait. «De Paw disait plus tard, en parlant aussi des Chinois: Ils font travailler avec eux tous leurs enfants dès l’âge de six ou sept ans, ce qui gâte la main de ces enfants pour le reste de leurs jours Ils deviennent ce qu’ont été leurs pères, c’est-à-dire des barbouilleurs. «Ensin, le Père d’Entrecolles nous apprend comment la décoration s’exécute en fabrique: «L’un a foin uniquement de former le premier cercle coloré qu’on voit près des bords de la porcelaine; l’autre trace des fleurs que peint un troisième; celui-ci est pour les eaux&les montagnes; celui-là pour les oiseaux&les autres animaux. C’est, en esset, ce que confirme le livre de M. Stanislas Julien. Avec de telles méthodes, l’individualisme disparaît; il n’y a plus de peintres, pas même d’école, mais une fuite de générations travaillant sur un patron séculaire; c’est l’atelier. Aussi, comme pour les miniatures de l’Inde&de la Perse, les porcelaines sorties du même centre, issues du même goût, répondant aux mêmes besoin semblent, quelle que soit leur date, émaner d’un artiste unique La similitude ferait croire, dans certains cas, à une reproductio mécanique.
Toute différence dans les symboles, le mode décoratif, la délinéation ou la palette, indique dès lors le parti pris,&doit trouver sa raison d’être dans la nationalité, le rite, l’usage spécial ou la date de production.
Voyons d’abord les caractères généraux des familles.
FAMILLE ARCHAIQUE.–Les porcelaines archaïques méritent à tous égards le nom que nous leur imposons: d’une époque fort ancienne, elles ont certainement été introduites des premières en Europe, car les fabriques primitives, celles de St-Cloud, de Chantilly, de Meissen&de Sèvres, se sont bornées d’abord à les imiter.
Comme famille, elles ont des caractères tranchés, nous dirions presque naturels; aussi Julliot avait pressenti leur classification, &il désignait ainsi l’espèce principale: Ancienne porcelaine du Japon nommée première qualité colorée. Il en parle en ces termes: Cette porcelaine, dont la composition est entièrement perdue, a toujours eu l’avantage d’inspirer la plus grande sensation aux amateurs par le grenu si fin du beau blanc de sa pâte, le flou séduisant de son rouge mat, le velouté de ses vives&douces couleurs en vert&bleu-céleste foncé; tel est le véritable mérite reconnu dans cette porcelaine; aussi tous les cabinets supérieurs en ont été&en sont composés: ce qui seul fait son éloge.
Dans les pièces de choix, la pâte est laiteuse, la couverte unie, non vitreuse; il en résulte un aspect analogue à celui des produits parfaits de Meissen&des premières porcelaines tendres de Sèvres. Les vases ordinaires ou communs n’ont jamais la teinte bleuâtre& translucide des autres porcelaines; ils sont plutôt bis, opaques, avec quelques treffaillures dans le vernis. Un genre particulier fait seul exception à la règle: c’est celui où l’on trouve du bleu sous couverte. Nous le décrirons bientôt.
Les formes, généralement polygonales, affectent un galbe très-simple. Des potiches à huit pans, en baril ou légèrement amincies à la base, avec gorge supérieure rétrécie&couvercle surbaissé; des vasques ou compotiers à bord plat, comme le Marly de nos assiettes, avec l’extrême limbe relevé&coloré d’une tranche brun foncé; des boîtes à thé assez élevées, carrées de base, ou à angles coupés, terminées par un étroit goulot cylindrique à rebord; des bols hémisphériques; des gobelets en litrons cylindriques ou octogones, voilà ce qu’on rencontre le plus souvent. Des brûle-parfums couverts, surmontés du chien de Fo&portés sur trois pieds contournés, complètent à peu près la série de ces formes toujours régulières&bien étudiées.
Par la délinéation&les couleurs, cette famille se distingue des autres. Une haie de graminées, la vigne chargée de raisins, une espèce d’écureuil, des oiseaux fantastiques la caractérisent particulièrement. Les bordures, les arabesques procèdent d’une donnée fort simple, c’est le zigzag ou dent de loup, la grecque&une forte de rinceau dont les spirales plus ou moins serrées se peuvent multiplier sous la main de l’artiste pour former des fonds d’une grande richesse. (Voir les types de la planche Ire.)
La plupart des objets naturels s’écartent de l’imitation pure& prennent une disposition symétrique; on peut, toutefois, reconnaître plusieurs espèces végétales souvent repétées, telles que l’iris, la chrysanthème, la pivoine, le bambou, le pêcher à fleurs. Le paon, caractérisé par les yeux de sa queue traînante; un autre oiseau, voisin de l’argus,&décrit dans les catalogues sous le nom d’oiseau de paradis, remplacent habituellement le fong-hoang sacré. Le martin-pêcheur se voit souvent suspendu à la tige du bambou. Le dragon est assez rare&la grue peu commune, en d’autres termes, les animaux symboliques sont presque exceptionnels.
Les personnages représentés sur la porcelaine archaïque ne peuvent servir à déterminer son origine; tantôt Chinois, tantôt Japonais, ils laissent parfois reconnaître les hauts dignitaires de cette dernière contrée. Or, la loi impose aux artistes de Nippon l’obligation de ne jamais livrer au vulgaire,&moins encore à des étrangers, les effigies sacrées des membres du Daïri. On ne peut donc attribuer qu’à d’indiscrets voisins, en relations habituelles avec l’Empire du soleil levant, ces figurations d’hommes en robes de cérémonie, coiffés du bonnet officiel attribué à leur rang, ou celles, plus extraordinaires encore, des femmes de l’empereur ecclésiastique, enveloppées de leurs robes d’apparat, les pieds nus&les cheveux tombant sur les épaules, c’est-à-dire dans la tenue exigée en présence du souverain époux.
Notre supposition à cet égard est confirmée par un fait assez curieux; les personnages impériaux nous ont apparu la plupart du temps sur des pièces de fabrication médiocre, tandis que des dames en costume civil font destinées avec une rare perfection sur les vases de choix. D’autres indices non moins manifestes d’une situation intermédiaire entre la Chine&le Japon, singularisent cette porcelaine; deux fois nous y avons lu des inscriptions indiquant le règne des empereurs Tchun-ti&Chi-tsoung, qui gouvernaient le Céleste Empire en1465&1522(Coll. Weddell, Edm. Le Blant& A. Jacquemart); plus souvent nous avons rencontré la tortue sacrée entourée de flammes symboliques ou les autres signes religieux usités à Nippon,&enfin nous possédons une pièce timbrée au kiri-mon (armoirie impériale du Japon), figurée pl. I, no4.
La palette, comme la pâte, spécialise néanmoins les vases archaïques; les matières décorantes font peu nombreuses&distribuées sobrement. Le rouge de fer d’une teinte riche&pure; le vert de cuivre pâle, presque bleuâtre; le bleu-céleste foncé, le jaune paille, le noir&l’or, c’est tout le bagage du peintre. Les couleurs posées sur couverte forment souvent relief. Le rouge est mince& bien glacé; le noir, borné à des surfaces restreintes, n’a non plus aucune épaisseur; il est employé, le plus souvent, à chatironner ou entourer d’un trait les figures, les feuilles,&c. L’or, assez solide, est toujours plus foncé que dans les autres poteries orientales; il participe de l’aspect du bronze ou or faux.
La distribution des décors est faite avec sobriété pour laisser à la blancheur du fond toute son importance. Lorsqu’il y a des bordures ou des cartouches de couleur, ils font peu étendus, rouges à ornements verts, dorés ou réservés en blanc. Les masses florales, les oiseaux, les sujets occupent le centre des grandes surfaces; sur les pièces polygonales, les bouquets rigides alternent avec des fonds décorés ou des personnages isolés.
Nous avons dit plus haut qu’on pouvait établir un genre particulier dans cette famille pour des vases façonnés moins purement que ceux du type, à couverte un peu bleuâtre, vitreuse, toujours décorés de bleu fous couverte se reliant à l’ornementation générale. La forme des pièces observées par nous dans le commerce&les collections, semble indiquer une destination usuelle: on peut citer de petites buires à col élancé, à anses élégantes rappelant les affabeh métalliques de la Perse, des lagènes pyriformes très-élancées, surmontées d’un col cylindrique à rebord; des coupes, des petits plats à bords sinueux; l’un de ceux-ci est entouré d’un cordon en relief, capricieusement irrégulier; tout l’espace resté libre entre le cordon&l’extrême bord est coloré en brun chocolat (tse-kin-yeou). Ce joli spécimen, enrichi d’arabesques bleues&de fleurs en rouge de fer, rehaussées de touches d’émail jaune, fait partie de la collection de M. le comte Horace de Vieil-Castel. Les buires, pots à crême,&c., sont divisés par des bandes verticales d’arabesques peintes sur le cru; chaque médaillon blanc porte un bouquet de fleurs ornemanisées.
Julliot, dont nous partageons le sentiment, classe dans ce genre des vases représentant un tronc d’arbre noueux autour duquel s’enroule une vigne; des écureuils grimpent le long de l’arbre, ou sautent sur les branches feuillées; du bleu sous couverte&du brun sont les seules couleurs appliquées à ces porcelaines, destinées à recevoir des fleurs coupées.
La famille archaïque a beaucoup perdu de son ancienne vogue, &les ventes actuelles fournissent peu de pièces assez remarquables pour réveiller l’attention publique. Les plus purs échantillons, en grands vases, ont été vus par nous dans la collection de M. d’Aigremont&chez M. Beurdeley. En1777, Julliot livrait aux enchères publiques un choix de plus de cent cinquante spécimens, montes en bronze, qui atteignaient des prix élevés&passaient dans les mains du duc de Montmorency, de Mme de Mazarin, du vicomte de Choiseul, du comte de Merle,&d’autres amateurs célèbres.
Le décor à gerbes a été souvent appliqué par les Anglais&les Hollandais sur des pièces chinoises blanches, ou sans avoir égard aux destins bleus tracés dans la fabrique. Les amateurs auront donc a se méfier de ces surdécorations. Celles faites en Angleterre se reconnaissent aux caractères suivants: elles sont fines, soignées; les gerbes sont ordinairement tracées en noir, au lieu de l’être en rouge,&la ligature est figurée par une série d’oves alternant avec des perles, destin bien plus régulier que celui des peintures originales; un animal fabuleux (sorte de tigre) jeté sur le fond blanc, semble s’élancer dans l’espace. Dans les surdécorations hollandaises, les couleurs sont vives, heurtées, les traits lourds; on y retrouve le faire expéditif de la faïence.
Cependant nous avons vu des porcelaines grossièrement peintes, à émaux crus, où figure la gerbe archaïque,&qui sont certainement d’origine orientale. Ce sont des bols coniques évasés, à base très-étroite; leur vernis est verdâtre, épais; la décoration est intérieure; le dehors est entièrement nu. Ces bots nous paraissent persans.
FAMILLE CHRYSANTHEMO-PAEONIENNE.–Rien n’est plus difficile, dans notre langue, que de créer une appellation caractéristique; un seul mot ne dit souvent rien, plusieurs sonnent bientôt une phrase molle d’expression&trop longue pour se fixer dans la mémoire. Aussi, malgré leur apparente bizarrerie, n’avons-nous point hésité à choisir les deux noms conjugués qui forment le vocable de cette famille. Ils peignent exactement ce qu’ils veulent dire; en esset, la chrysanthème (Chrysanthemum)&la pivoine (Pœonia) forment la base décorative de cette espèce de porcelaine; on y trouve quelquefois d autres fleurs, mais les premières se montrent glorieusement dans les bordures, les fonds, les cartouches,&, par leur dimension, elles attirent nécessairement le regard.
Au reste, cette famille est naturelle, connue de tous; ses limites sont bien tracées; nous n’avions qu’un nom a lui trouver. Dans le commerce elle est appelée: porcelaine du Japon; Julliot la qualifiait: ancien Japon de couleur,&l’abbé Raynal: ancien Chine. Il était convenable de chercher une appellation qui ne préjugeât rien sur son origine&mît les opinions d accord; nous croyons y avoir réussi.
Voyons d’abord quels caractères généraux les auteurs attribuent à la famille chrysanthémo-pæonienne. «Parmi les diverses porcelaines qui se fabriquent a la Chine, lisons-nous dans l’Histoire philosophique&politique, il y en a une qui est soit ancienne. Elle est peinte en gros bleu, en beau rouge&en vert de cuivre. Elle est fort grossière, fort massive&d’un poids fort considérable. Il s’en trouve de cette espèce qui est truitée. Le grain en est souvent sec&gris. Celle qui n’est pas truitée est sonore; l’une&l’autre ont très-peu de transparence. Elle se vend fous le nom d’ancien Chine,&les pièces les plus belles sont censées venir du Japon. C’était originairement une belle poterie plutôt qu’une porcelaine véritable. Le temps&l’expérience l’ont perfectionnée. Elle a acquis plus de transparence,&les couleurs appliquées avec plus de loin, ont eu plus d’éclat. Cette porcelaine diffère essentiellement des autres en ce qu’elle est faite d’une pâte courte, qu’elle est très-dure&très-solide. Les pièces de cette porcelaine ont toujours en dessous trois ou quatre traces de supports, qui ont été mis pour l’empêcher de fléchit dans la cuisson. Avec ce secours, on est parvenu à fabriquer des pièces d’une hauteur, d’un diamètre considérables.» Voici maintenant le passage de Julliot: «Après avoir tenté de définir succinctement le beau genre de la porcelaine première qualité coloriée du Japon, on croit nécessaire, autant qu’il peut être possible, de donner ici une notice du mérite de cette deuxième forte que l’on distingue sous le terme d’ancien Japon;&l’on ne parlera pas des différentes autres classes de cette espèce. Les morceaux de choix, en cette deuxième qualité, font aussi piquants que rares; le grenu de fa pâte est plus sensible que celui de la première, son fond d’un beau blanc&la nuance verte des destins en font aussi plus foncés, ainsi que le rouge qui en est très-vif& d’un beau mat; les amateurs font flattés d’avoir ces pièces que l’on nomme à cartouche rouge; ils en estiment le bon genre& la singularité des formes.»
Les contradictions apparentes des deux auteurs peuvent s’expliquer facilement; l’un a vu la généralité, l’autre a choisi. La famille chrysanthémo-pæonienne renferme peu de porcelaines d’une belle pâte; la plupart ont une texture grenue, grisâtre; un vernis bleuâtre tirant même sur le vert; une grande épaisseur, un façonnage grossier. Faut-il toujours y voir la preuve d’une fabrication rudimentaire,&en induire une haute antiquité? Nous ne le pensons pas. Les vases de cette famille font généralement destinés à l’ameublement, à l’effet décoratif,&les Orientaux devaient se montrer plus soucieux de l’ornementation que de la perfection céramique. Nous savons que certaines pièces, les carpes, par exemple,&il y en a de fort belles, font moulées en pâte de troisième qualité, c’est-à-dire avec les résidus de fabrication. Il n’est donc pas étonnant de trouver des porcelaines de pâte médiocre éblouissantes d’or&de couleurs variées.
La couverte est rarement blanche&pure&souvent grumeleuse ou craquelée; enfin, la cuisson est faite sans soin; les vases font parfois tachés de cendre ou de gravier; les supports, soumis à un service prolongé, perdent leur pointe extrême,&finissent par adhérer à la pièce par une surface assez grande pour former les picots dont l’abbé Raynal se préoccupe à tort.
Les caractères essentiels de cette famille résident dans le décor, toujours conçu d’une manière grandiose&rendu avec une entente parfaite de l’harmonie des tons. Les bases décorantes sont le bleu foncé fous couverte, le rouge de fer vif, l’or&le noir. La première de ces couleurs est rarement pure&tourne parfois au noirâtre; cela peut tenir à la basse qualité du manganèse cobaltifère employé, ou à la réaction des éléments du subjectile. Le rouge est très-beau; appliqué en fonds, il arrive à une vigueur voisine des teintes carminées. Le noir est profond, lustré; l’or assez brillant est d’autant plus métallique&plus solide que les pièces remontent vers les temps anciens. Les teintes secondaires font un café clair ou isabelle provenant du rouge de fer; un vert vif, souvent chatoyant, extrait du cuivre; un gris ou violet de manganèse, quelques bruns ferrugineux,&, très-rarement, un jaune terne.
Nous divisons cette famille en trois genres, savoir: les porcelaines à reliefs; les polychrômes riches&les polychrômes simples.
PORCELAINES A RELIEFS. Quelques-unes font très-anciennes& d’un façonnage primitif; poussées dans le moule avec la main, elles présentent souvent à l’intérieur des inégalités d’épaisseur auxquelles on obvie en renforçant les parties trop minces par des bandes de pâte ou des boules étalées en pastilles. La base des pièces porte habituellement l’impression de la toile grossière sur laquelle s’opère le travail. La pâte, à grain assez ferré, est courte, plutôt bise que bleuâtre,&tellement riche en fondant, qu’on voit les parties sans couverte prendre l’aspect lustré brunâtre de certains grès. Le vernis, assez variable, est d’autant moins vitreux que les figures ou les vases sont plus anciens.
Les grandes pièces du genre font des fontaines coniques ou polygonales, à personnages&emblèmes de demi-relief, supportées par des animaux ou des figurines en nombre variable; ces fontaines, à couvercle surmonté d’un bouton ornemental ou d’une figure, font percées pour recevoir un robinet&quelquefois accompagnées d’une vasque ou cuvette. Ce font encore des statues civiles, dites pagodes, revêtues du costume japonais; des vases figuratifs, des gourdes&des demi-gourdes d’applique, des chimères,&c. On trouve, dans les petites pièces, des bouteilles à tabac, des flacons à odeurs,&une foule de figurines&d’animaux; mais ces derniers spécimens font d’une exécution tellement grossière, qu’il n’en peut être question ici que pour mémoire. Toutes les couleurs de la famille concourent à la décoration des porcelaines à reliefs.
Les statues atteignent souvent de grandes dimensions,&se sont remarquer par une certaine entente du modelé; les chairs sont peu colorées; mais les draperies affectent une richesse particulière; les robes à grandes manches pendantes portent, sur des fonds divers, des cartouches verts, noirs, blancs, rouges, semés d’ornements en or ou en couleurs harmonieuses. La chrysanthème, armoriale ou naturelle, le fong-hoang, la grue, le bambou, le paullownia imperialis, les bâtons rompus, des mosaïques diverses, des bordures arabesques complètent&rehaussent ces peintures. (Voir pl. II, fig. 1.) Plusieurs belles figures de ce genre, chargées d’armoiries japonaises, se voient dans la collection rapportée par M. de Sieboldt. Nous avons observé, dans la même collection, deux chiens roulant comme foudroyés sur un tertre; leur gueule grimaçante, leur pose exagérée, non sans grâce, annoncent un art sculptural assez avancé. Nous en dirons autant de quelques oiseaux, canards, coqs,&c., d’une pâte très-blanche&d’une allure naturelle fort remarquable. La plupart des autres animaux de relief, destinés à la décoration des intérieurs, sont, au contraire, exécutés grossièrement.
Les vases figuratifs sont, le plus souvent, formés d’une carpe se jouant dans les ondes ou parmi les roseaux. Nous avons rencontré une théière composée d’une femme assise sur un rocher; la collection de Mme Malinet, montre une Japonaise étendue pouvant recevoir, dans une cavité réservée entre les plis de fa robe, la bulbe d’une plante d’ornement. Une gourde d’applique appartenant à M. Paul Gasneau porte en demi-relief le cheval marin sortant des flots à l’ombre d’un acajou à pommes: ce sujet est rare.
Les Japonais reprennent aujourd’hui la fabrication des vases figuratifs; les derniers arrivages ont jeté sur la place beaucoup de poissons chimériques, aux nageoires épineuses, à la gueule béante, peints de couleurs ornementales; des plats ou compotiers en forme de poisson ovoïde, se montrent en bien plus grand nombre encore. On ne peut, du reste, confondre cette fabrication avec les anciennes porcelaines à reliefs; la pâte, le façonnage, les émaux, en diffèrent complètement.
POLYCHROMES RICHES. Ce sont des porcelaines sur lesquelles les artistes ont épuisé toutes les ressources de la palette minérale. Les pièces atteignent souvent de très-grandes dimensions,&s’assortissent par garnitures symétriques composées de potiches couvertes &de cornets en nombre impair. Dans l’ornementation, la fantaisie créatrice se montre sous des aspects aussi variés qu’ingénieux; cartouches&médaillons réguliers, savamment espacés sur des fonds arabesques; draperies pendantes soulevant leurs plis en tuyaux d’orgues, pour laisser apercevoir un semé de rinceaux en bleu sous couverte; bandes irrégulières s’entrecroisant, se cachant à demi, comme si le peintre avait jeté au hasard les croquis de son portefeuille sur la panse des vases; bordures richement brodées de fleurs&d’or; mosaïques aux patients détails; imbrications; rinceaux; postes, grecques; tous les styles, toutes les combinaisons, voilà ce que le curieux peut trouver sur ces porcelaines, dont notre pl. III fournit un exemple.
Les plus grandes réserves sont habituellement occupées par des bouquets, isolés ou sortant d’un vase,&composés de pivoines& de chrysanthèmes accompagnées parfois de tiges de graminées, des branches du pêcher à fleurs&d’une forte d’œillet aux fleurs multiples. D’autres fois, ce sont des paysages avec fabriques, lacs, montagnes, rochers surmontés du platane aux feuilles étoilées ou du paullownia imperialis. Plus rarement encore, on y voit des groupes familiers comme, par exemple, des femmes se promenant avec des enfants; une jeune fille traînant un vase à fleurs sur un chariot; une femme au vêtement entr’ouvert, versant le thé à un homme assis. Tous les personnages portent le costume japonais.
Parmi ces diverses scènes, ou dans des cartouches secondaires, ronds, ovales, polygonaux, ou assectant la silhouette d’un fruit ou d’une feuille, on rencontre le dragon, le fong-hoang, des oiseaux de proie, des chevaux, des ki-lins, des cailles, des grues, des lapins. Nous expliquerons plus tard la valeur de ces symboles.
Partout, sujet principal ou accessoire, les fleurs sont tracées d’après un poncif arrêté, sans prétention imitative, nous dirions presque géométralement. Les oiseaux, les animaux semblent plus mouvementés; mais on reconnaît bientôt que l’exagération même de l’action les éloigne de la nature. Evidemment, l’artiste a cherché les masses, les grands effets, en négligeant à dessein la perfection graphique, inutile dans des objets destinés à être vus à distance.
Le noir, placé en larges bordures encadrant les arabesques, ou couvrant les angles saillants des vases polygonaux, donne à l’ensemble des couleurs un rehaut extraordinaire. Pour augmenter l’effet ornemental de quelques grandes garnitures, les Orientaux ont imaginé d’y appliquer une découpure en pâte de cartonnage peinte, dorée&gaufrée. Rien n’est riche&sévère comme cette décoration; toute la surface vernissée, entourée par ces hauts reliefs aux teintes sombres ou mates, éclate de blancheur&de transparence. Les pièces cartonnées font rares,&la difficulté du travail en élève le prix. On en peut voir de fort belles au musée céramique de Sèvres.
La pratique du cartonnage remonte à une époque ancienne,& n’appartient pas exclusivement à l’art du potier; on en trouve la preuve dans ce passage des Mille&un Jours, ouvrage si précieux par l’exactitude des détails de mœurs. Il s’agit de funérailles: On mit le cercueil sur un char de triomphe couvert de plaques d’argent entremêlées de figures d’animaux peints sur du carton, puis on fit un sacrifice…..»
Les vases polychromes riches paraissent être sortis de diverses usines,&peuvent se diviser en deux groupes principaux: l’un se compose de porcelaines bises ou peu blanches, très-couvertes par la peinture,&sur lesquelles le vert, un peu pâle lorsqu’il existe, est toujours mis avec une grande discrétion. L’autre comprend des pièces à pâte blanche&laiteuse, d’un très-beau vernis; le vert y est abondant, vigoureux, souvent chatoyant,&accompagné ordinairement de violet de manganèse. Dans ce groupe, le peintre semble respecter la brillante pureté du subjectile; les ornements sont espacés; les fonds se restreignent en cartouches, en pendentifs, placés à la base&au sommet du vase; en un mot, la porcelaine elle-même compte pour quelque chose. La différence tranchée existant entre ces groupes nous permettra, plus tard, de déterminer la provenance&les connexions de chacun d’eux.
POLYCHROMES SIMPLES. Ce sont des porcelaines très-voisines des précédentes, sortant des mêmes usines, affectant les mêmes formes, servant aux mêmes usages. Seulement, l’ornementation serait-elle identique, il y a parti pris dans l’emploi des couleurs, toujours en nombre réduit,&distribuées de telle forte qu’un ou deux éléments dominent les autres. Cet ordre comprend un grand nombre de pièces d’usage,&nous décrirons plus particulièrement celles-ci, puisqu’elles sont dans les mains de tous. Nous ne distinguerons pas, d’ailleurs, entre les assiettes, compotiers, bols, taises&soucoupes, attendu la parfaite similitude de leur décoration; le caractère est dans la composition d’ensemble soumise à certaines règles d’après lesquelles nous pouvons établir les divisions suivantes:
Décor plein régulier. C’est celui qui, abstraction faite de légères bordures, occupe à lui seul le vase, ou le partage en deux zones naturelles: le fond&le pourtour. Dans les pièces profondes: bols, couverts ou non, tasses,&c., la zone peinte est extérieure; dans les pièces plates, compotiers, soucoupes, assiettes, le fond, lorsqu’il est distinct, est séparé du pourtour par une simple ligne, ou déterminé par l’arête du marly. Voici maintenant les principales sources décoratives.
A. Paysages. Les eaux&les montagnes y dominent,&parmi les arbres à larges fleurs ou à feuillage accentué, surgissent des fabriques modestes&des temples à triple étage. Les rochers, les lointains, les maisons,&parfois les tiges principales, sont indiqués en bleu sous couverte&rehaussés d’or; les fleurs&le feuillage des arbres sont en or, en rouge&en chamois chatironnés de rouge vif ou de noir. Le dessin est toujours grossier, conventionnel sans perspective réelle ou aérienne; mais l’harmonie des tons est remarquable,&la forme arrêtée de certains feuillés permet d’interpréter l’intention du peintre,&de reconnaître les espèces botaniques qu’il a voulu représenter: ce sont, aux premiers plans, le paullownia imperialis&le platane aux trois couleurs ombrageant le bambou riverain; plus loin, les conifères&particulièrement le sapin.
B. Sujets. Ils se bornent habituellement à des scènes familières; ici, des femmes se promènent dans un jardin orné de fleurs&fermé à l’horizon par des montagnes boisées; ailleurs, une Japonaise assise dans un pavillon aux stores roulés, contemple un parterre embelli de rochers artificiels d’où s’élancent les tiges chargées de fleurs du pêcher symbolique; une draperie, relevée par des ganses à gros glands, surmonte la scène&lui donne l’aspect d’une représentation théâtrale; parfois aussi, des nuages circulant autour des personnages ou sous leurs pieds, sembleraient donner à la peinture un sens mystique ou idéal. Nous devons faire observer, cependant, qu’il s’agit ici de femmes au costume japonais,&nous verrons plus tard qu’à Nippon, aussi bien qu’en Chine, les saints&les divinités sont représentés avec les vêtements&les emblèmes antiques mentionnés dans le Chou-King.
C. Bouquets. Les uns affectent une allure agreste; ce sont des chrysanthèmes, des pivoines, des œillets, sortant de terre parmi des souchets&des graminées aux feuilles effilées&pendantes; des bambous entrecroisés pour former une espèce de barrière, entourent le groupe, qu’anime encore le vol de quelques papillons. Ce genre de décoration caractérise de très-belles porcelaines au vernis lustré, particulièrement de petites potiches à goulot étroit, convolvulacé, non couvert.
Les autres bouquets, composés des mêmes fleurs, sortent le plus souvent de vases&de corbeilles.
D. Arabesques. On les rencontre sur des pièces figuratives, telles que compotiers, bols couverts ou coupes. Ces pièces, godronnées&festonnées par le bord, représentent dans leur ensemble la chrysanthème armoriale; chaque godron ou fleuron, de couleur différente, blanc, bleu, vert, rouge, est rehaussé d’arabesques ou de mosaïques variées. A l’imitation de certains laques, on trouve parfois des vases chrysanthémiformes dont la décoration régulière est interrompue par des chrysanthèmes en demi-relief, isolées ou accouplées&semées de distance en distance; celles-ci font alors blanches, rouges ou dorées, selon la nature du fond sur lequel elles se détachent,&entourées ou chatironnées d’un trait en rouge de fer très-vif.
Décor plein irrégulier. Il se compose ordinairement d’arbres ou de bouquets jetés sur un côté de la pièce&retournant même sur le bord extérieur, tandis qu’un large espace reste entièrement nu sur la face supérieure. Les porcelaines ainsi décorées font d’un bon façonnage; leur vernis est beau&liste, bien qu’un peu bleuâtre. Elles sortent évidemment d’un centre particulier; nous le ferons connaître ultérieurement.
Fonds partiels. Les vases ornés de fonds partiels font fort élégants&, à quelques émaux près, rivalisent, pour la variété, avec les polychromes riches. Parfois des nuages bleus, roulant leurs spirales multiples, des bandes de la même couleur, droites ou slexueuses, divisent la pièce en compartiments ternaires ou quaternaires; d’autres fois, le bleu est disposé en bordure avec médaillons en réserve, ou forme d’irréguliers pendentifs répétés symétriquement. Les réserves reçoivent à leur tour, sur un champ d’or ou de rouge pur, des fleurs, des animaux symboliques. La figuration ornemanisée de l’ananas avec ses imbrications d’or&ses bractées épineuses se détachant en bleu fonce ou en noir, le voit aussi dans des médaillons&au fond des pièces.
Sur les masses bleues, l’or se découpe en rinceaux, en fleurs, en mosaïques variées; il arrive encore que, pour éviter la monotonie des fonds pleins, l’artiste entremêle à ceux-ci des colonnes, des pendentifs arabesques formés de rinceaux pressés, de bâtons rompus, demosaïques d’un belazur, dont l’effet est aussi doux qu’harmonieux. Nous avons vu même (Coll. Malinet) un fond bleu composé de traits déliés imitant les mille brisures de l’émail craquelé; les médaillons réservés portaient des personnages japonais en rouge&or seulement. Quant aux parties blanches circonscrites par les fonds, elles peuvent revêtir les différentes ornementations décrites ci-dessus de A à C. Ajoutons que la chrysanthème arabesque, réduite aux proportions d’une large rosette, pour parler le langage des anciens catalogues, sert de motif principal a la décoration de certaines porcelaines à fonds partiels; tantôt elle occupe tout le milieu des coupes, tantôt elle figure par moitié sur chaque bord de la pièce ou sur un seul. Employée ainsi, la chrysanthème ne nous parait avoir aucune signification symbolique; entière ou scindee, elle fournit simplement un décor élégant&nouveau.
Sous le rapport de l’équilibre des couleurs entre elles, les polychromes simples affectent des aspects divers: elles peuvent être à trois tons égaux, à deux teintes balancées&pseudo-monochrômes.
Dans la première forme, le bleu sous couverte, le rouge de fer &l’or mêlent leurs masses&s’associent au blanc de la couverte, de manière à produire un tout harmonieux. C’est l’effet des chrysanthémo-pæoniennes riches, moins les passages brillants résultant de l’emploi du vert, du noir, du jaune&du violet de manganèse.
Les porcelaines à deux teintes balancées sont celles où les fonds rouges ou blancs forment une première gamme puissante, tandis que des dessins d’or pur ou de rouge&de bleu pâles mêlés d’or remplissent les réserves, produisant une seconde gamme décorante très-adoucie.
Les pseudo-monochrômes semblent, au premier aspect, décorées uniquement de rouge ou d’or; mais un examen attentif fait découvrir dans l’or des rehauts rouges,&, dans le rouge, des touches d’or ou de manganèse. Quelques pièces à décoration pleine sont peintes en rouge de fer&en chamois aussi repiqués d’or, ce qui donne a l’ensemble certains rapports avec un lavis à teintes dégradées.
Quant à la pâte, les polychromes simples donnent lieu aux mêmes remarques que l’ordre précédent; on y trouve des pièces à grain lâche&grisâtre, à vernis bleu verdâtre&d’autres, moins nombreuses, blanches&polies.
En général, les porcelaines chrysanthémo-pæoniennes sont l’oeuvre de potiers habiles. Abstraction faite de la peinture, on peut admirer dans certaines pièces la hardiesse&la variété des formes, les inventions ingénieuses du façonnage. Citons, par exemple, les reliefs délicats appliqués sur quelques vases&formulés en branches flexueuses garnies de feuilles, ou bien encore les guirlandes de fleurs variées; ces fines sculptures ont été copiées plus tard, mais non dépassées, par les manufactures de Saint-Cloud, de Sèvres& de Saxe. Nous en possédons un spécimen charmant (Coll. Edmond Le Blant). De grandes garnitures ont leur partie supérieure ornée de médaillons à jours, répétés dans les couvercles des potiches; d autres, dites réticulées, présentent une paroi extérieure entièrement découpée à destins arabesques,&superposée à un second vase de forme analogue ou simplement cylindrique, peint de bleu (voir la fig. 2de notre pl. II); l’effet de ces pièces est saisissant; on ne comprend pas d’abord qu’elles aient une solidité proportionnée à leur volume. L’enveloppe réticulée a été appliquée aux services a the; le réseau extérieur des tasses permet de les tenir facilement a la main, malgré la chaleur du liquide qu’elles contiennent. On voit aussi des vases d’ornement à faux réticulé produit par une impression générale de destins en creux. Une décoration des plus remarquables est celle à jours cloisonnés; des fleurons symétriques, plus ou moins multipliés, ont été percés dans la pâte, puis la couverte onctueuse du vase a rempli les vides, formant un destin déjà visible a la lumière directe, mais d’une rare élégance lorsqu’on l’observe en transparence. Ce façonnage, appelé travail à grains de riz, est assez rare; deux grands seaux, avec bordure bleue sous couverte, figurent au musée de Sèvres; ce font les plus magnifiques échantillons que nous ayons rencontrés. De plus petites pièces se voient dans les collections de Monville, Gasnault, Malinet, Jacquemart,&c.
FAMILLE VERTE.–Le nom donné par nous à cette famille, confondue au XVIIIe siècle parmi les porcelaines deuxième qualité du Japon&d’ancien la Chine, est, comme on le voit, tout empirique: mais il est puisé dans un caractère frappant; sur presque toutes les pièces, un vert vif, transparent, souvent irisé, éclate en masses grandioses aussi importantes que le bleu ou le rouge dans la famille précédente.
Sous le rapport de la pâte, rien n’est beau, pur, vernissé avec soin&uniformité comme cette porcelaine; même dans les qualités secondaires, elle est d’une blancheur irréprochable,&certaines pièces font tellement minces, qu’ on leur donne, en Chine, le nom de porcelaines coquille d’œuf.
Les couleurs décorantes font assez nombreuses; c’est le vert de cuivre, le rouge de fer pur, le violet de manganèse, le bleu fous couverte toujours fin&. variant de la nuance céleste au lapis, l’or brillant&solide, le jaune brunâtre&le jaune pâle émaillés, le noir en traits déliés, rarement en touches épaisses; puis, des teintes modifiées dérivant des premières, comme du vert bleuâtre ou mêlé de jaune, le bleu à différentes intensités, le rouge se dégradant par le jaune orange pour arriver a un glacis carne ou isabelle, le gris pâle tiré du manganèse,&c.
Cette richesse de palette pourrait faire croire à un ensemble peu tranché, à une ornementation moins enluminée, plus peinte que celle des vases chrysanthémo-pæoniens. Il n’en est rien; l’aspect général est différent, le parti pris est le même; rarement l’artiste épuise dans un seul ouvrage les ressources dont il dispose; sur la plupart des vases, on n’aperçoit que deux ou trois couleurs radicales; mais, en regardant mieux, on voit quel est l’artifice du peintre; s’il emploie le bleu, le rouge&le vert; le vert&le rouge, ou le rouge seul, il cherchera des passages harmoniques du bleu au vert, par les demi-teintes célestes; du rouge au vert, par le chamois&le vert jaunâtre, ou bien encore, il arrivera au camaïeu par le rouge seul à diverses intensités. Par un fait analogue à celui qui nous a conduit à décrire des chrysanthémo-pæoniennes polychromes à une seule gamme de tons, nous ferons force de reconnaître, par déduction logique, qu’il existe dans la famille verte des pièces uniquement décorées en rouge de fer.
Il importe de faire remarquer une différence notable entre cette famille&la précédente; lorsque nous avons trouvé la représentation du type humain en bleu, rouge&or, c’était toujours sous la forme familière,&, fréquemment, avec le costume japonais. Ici, au contraire, il est rare que les sujets à figures n’aient pas une signification religieuse ou historique; on y retrouve les vêtements, les coiffures, les armes, les instruments inventés par les premiers légistateurs de la Chine&décrits dans le Chou-King. Cette considération nous engage à prendre pour base de la division des porcelaines vertes en ordres distincts, la décoration envisagée au point de vue du genre des objets représentés.
Ier Ordre. PORCELAINES HIÉRATIQUES. Nous réunissons dans cet ordre les peintures offrant un caractère religieux, soit par les sujets traités, soit par la figuration multipliée d’emblèmes sacrés reconnaissables à leur forme même ou au nœud qui les retient, véritable lemnisque aux bouts flottants, semblable à celui avec lequel les Grecs&les Romains attachaient leurs couronnes votives. Ces emblèmes se trouvent parfois dans les vases pæniens; mais la famille verte les reproduit avec une telle profusion, leur répétition est si constante, qu’on ne saurait méconnaître une intention mystique. Les porcelaines hiératiques forment les deux groupes suivants:
Hiératiques à personnages. Les scènes qu’elles reproduisent seraient fort intéressantes à connaître, car elles nous initieraient aux mystères de la théogonie orientale; malheureusement la science n’a pas encore mis à la disposition des curieux assez de monuments littéraires pour qu’il soit possible de remonter à la source de toutes ces figurations singulières. Au surplus, nous n’avons point à les décrire ici; nous réservons ce travail pour le moment où nous exliquerons comment la délinéation, le style, la conception des sujets peuvent faire distinguer les œuvres des peintres chinois, japonais, persans,&c. Bornons-nous à dire que les scènes hiératiques sont bien caractérisées; elles se passent souvent dans l’empyrée, au milieu des nuages&du tonnerre; si des mortels y prennent part, au seuil des palais&dans les lieux élevés, ces hommes, revêtus des insignes de l’autorité, entourés d’une assistance nombreuse, procèdent aux cérémonies du culte au bruit des chants& des instruments de musique; pour mieux exprimer l’intervention céleste, on voit apparaître au-dessus d’eux, entourés de flammes fulgurantes, le dragon, le ki-lin, le fong-hoang, ou même des divinités ou des saints, reconnaissables au nimbe&au sceptre.
Il ne faut chercher, dans les peintures de ce genre, aucune persection artielle; le trait est simple, conventionnels les expressions grimaçantes; la couleur réduite à quelques teintes uniformément posées, sans recherche du modelé. Cependant, on ne peut refuser à l’ensemble une certaine grandeur&cette harmonie ornementale si bien comprise par les Orientaux; à distance, les vases hiératiques sont du plus bel effet (voir pl. IV, fig. 2&4).
Hiératiques à symboles. Les symboles religieux sont variés& nombreux; on doit mettre en première ligne les animaux sacrés, le dragon, le ki-lin, le fong-hoang, la grue, la tortue, le poisson,&c.; puis, viennent les ting ou brûle-parfums, les vases honorifiques dans lesquels se placent le sceptre, les plumes de paon, le corail; les tablettes ou kouei, enfin tous les signes de dignités que les grands portent aux sacrifices ou déposent à titre d’hommage dans les temples des divinités ou des ancêtres; les amateurs du XVIIIe siècle avaient remarqué ce genre de décoration, mais n’y voyant qu’une reproduction des meubles usités dans la vie intime, ils lui avaient imposé la dénomination de modèles. Si impropre que soit le mot, comme il est fréquent dans les anciens catalogues, nous l’emploierons pour désigner le genre figuré pl. IV, no3.
Il est une sorte de symboles où l’on pourrait voir des offrandes ou des vœux; c’est la réunion sur une même pièce de tous les attributs du dieu de la longévité, de la richesse,&c., ou de plusieurs emblèmes de bonheur, de talent, de dignités,&c. Nous y reviendrons dans l’histoire spéciale des porcelaines chinoises.
2e Ordre. PORCELAINES HISTORIQUES ET CIVILES. Les premières portent des sujets à personnages multiples se livrant à des combats ou bien aux actes divers de la vie publique, tels que tournois, cortéges, chasses, réceptions. Les secondes, moins importantes, représentent les scènes de la vie privée, particulièrement des femmes avec leurs servantes&leurs enfants, ou assises parmi les fleurs.
Les sujets historiques&civils semblent traités, parfois, avec plus de soin que les hiératiques; l’artiste serait-il plus libre, moins assujetti au patron invariable&traditionnel? On le penserait à voir surtout certaines figures de femmes à la tournure svelte&gracieuse, aux mains, au visage délicatement tracés, aux draperies élégantes. Frappés de leur ensemble particulier, les Hollandais ont donné à ces figures le nom bien caractéristique de Lang lyzen, longues demoiselles.
3e Ordre. PORCELAINES ORNEMENTALES. Nous groupons ici toutes les pièces décorées de fleurs, de médaillons, d’arabesques, en un mot, de dessins variés inspirés à l’artiste par le caprice de son imagination. Bien qu’elles soient, en apparence, trop nombreuses pour se prêter à une classification méthodique, les porcelaines ornementales peuvent se grouper en deux divisions naturelles comprenant chacune des espèces très-distinctes.
Ornementales à fleurs. Elles ne portent que des plantes ou des bouquets richement agencés; les fleurs ont encore assez souvent une forme&des couleurs conventionnelles; la chrysanthème& la pivoine affectent cet ensemble régulier, géométral, signalé déjà dans la famille précédente; l’œillet, le nélumbo, la pivoine prennent, dans le même bouquet, la teinte rouge, jaune, bleue, grise ou dorée, suivant les nécessités imposées au peintre par la couleur des fleurs voisines. Constatons néanmoins un progrès notable dans certaines compositions; de nouvelles espèces botaniques apparaissent&se font reconnaître par un galbe assez exact; les feuilles, plus flexueuses dans leurs contours, mieux placées à leur plan perspectif, se nuancent en vert plus ou moins vif, selon la face exposée au regard, ou le plus ou moins de développement des pousses (voir pl. V, fig. I&4).
§ Ier. Caryophylléennes.–Ces porcelaines, décorées assez fréquemment en bleu sous couverte, rouge de fer, or&vert, participent de l’aspect des chrysanthémo-pæoniennes&forment, pour ainsi dire, passage entre les deux familles. Une plante caryophyllée, parfaitement reconnaissable à sa corolle à cinq pétales dentés, s’y rencontre toujours accompagnée de la pivoine&de la chrysanthème; mais cette plante n’est point un œillet proprement dit, elle étend ses longues branches qui retombent comme celles du saule &se couvrent de petites feuilles ovoïdes opposées. Peu scrupuleux en phytographie, les anciens appelaient décor jasmin&chutes de branches cette peinture remarquable (pl. V, fig. 5).
Il existe des caryophylléennes essentiellement vertes&d’une composition tout agreste; les fleurs, œillets, chrysanthèmes,&c., s’élèvent parmi des rochers dont la base est entourée d’herbes& de graminées; des insectes, des papillons achèvent de couvrir la pièce.
§ II. Pœoniennes.–Nous retrouvons, dans cette section, toutes les couleurs de la famille verte avec le style&la délinéation des porcelaines chrysanthémo-pæoniennes. Le but est le même, un grand effet décoratif,&, avec d’autres moyens, il est parfaitement atteint. Nous avons rencontré des garnitures où les fleurs, épanouies comme les gerbes d’un feu d’artifice, étalaient, sur la porcelaine d’un blanc pur, leurs teintes bleues, rouges, grises, jaunes, violacées ou dorées,&leur feuillage varié, chatironné de fins traits noirs, de manière à former l’ensemble le plus harmonieux.
§ III. Nélumbiennes.–Le nélumbo joue un rôle important dans la mythologie bouddhique,&, par une conséquence toute naturelle, il est devenu l’une des plantes favorites des Orientaux. Néanmoins, nous n’avons pas cru devoir ranger les porcelaines nélumbiennes parmi celles à symboles. Tout Chinois riche fait établir dans sa demeure un étang à nymphæas; il en cueille les fleurs pour orner ses vases de choix; cédant au goût universel, le peintre représente cette fleur, sinon de préférence à toute autre, au moins concurremment aux nombreuses variétés de la chrysanthème de l’Inde.
Le nélumbo de la famille verte est figuré largement; ses feuilles grandioses étendent leurs vastes ombrelles sur une onde indiquée par de légers traits; ses fleurs, plus ou moins avancées, inclinent leurs coupes entr’ouvertes ou leurs rosettes de pétales charnus sur des tiges délicates, dont la texture spongieuse est exprimée par un contour finement ponctué; comme nous venons de le dire, la vérité a cédé devant les nécessités ornementales,&le même groupe porte des fleurs d’or, rouges ou même jaunes, autour desquelles nage ou voltige le canard mandarin, reconnaissable aux riches éventails de son plumage, bien qu’il soit déguisé lui-même sous des teintes conventionnelles.
Ornementales arabesques. Nous trouverons dans cette division des pièces ambiguës dont le classement paraît d’abord assez difficile; œuvres de transition, elles nous aideront plus tard à expliquer certains faits historiques. Pour le moment, nous devons nous borner à faire ressortir le caractère général, à établir le signalement des porcelaines vertes ornementales.
A décor plein. Divisées par zones ou en médaillons divers, ces porcelaines portent des fleurs, des oiseaux, des paysages, diversement combinés. Dans de rares petites pièces, on voit au centre une femme japonaise assise, ou plutôt agenouillée devant une sorte d’autel chargé d’un vase de fleurs; tout le pourtour est occupé par la représentation d’un bourg avec ses portes, son temple, ses maisons particulières entourées de rochers&d’arbres divers. Aux couleurs près, ce sont des pièces chrysanthémo-pœoniennes. D’autres taises participent du même aspect avec une disposition différente; une bande losangée vert&or forme une sorte de guirlande circulaire, interrompue par un groupe de deux femmes japonaises portant des fleurs; la place que ces femmes occupent d’un côté est remplie de l’autre,¶llèlement, par un bouquet de chrysanthèmes. Nous possédons ces deux spécimens; le dernier se rencontre aussi dans les collections de MM. Carteret, Weddell, Ch. de Férol&Gasnault. Il est figuré pl. IV, no I.
Les vases, compotiers, assiettes à médaillons sont plus fréquents; un simple trait rouge limite chaque compartiment où se groupent les fleurs, les fruits, en un mot, les objets les plus variés, ce qui forme un ensemble riche&gracieux.
A fonds partiels. Nous revoyons ici des cartouches en éventail, en bandelettes, en colonnes, rouges, verts ou d’or, s’entrecroisant, se coupant avec une fantaisie originale,&parmi tout cela, les rosettes d’or ou d’un rouge vif de la chrysanthème armoriale, le dragon, les grues. Avec les éléments d’une autre palette, c’est ce que nous avons décrit plus haut. Ceci serait donc la copie d’un patron commun à deux ateliers.
Lorsqu’ils sont réguliers, les fonds partiels de la famille verte font moins douter de leur originalité; sans parler de la qualité de la porcelaine, les vases qui les portent ont un aspect particulier d’élégance tranquille, d’opulente simplicité; au XVIIIe siècle, ceux à cartouches ou bandes d’un beau rouge de fer étaient vivement recherchés.
Des lagènes souvent à pans, des lancelles biformes ont toujours de larges bordures fond rouge ou vert piqueté de noir, à ornements réservés où a fleurs; sur les grandes faces, les médaillons, ronds, ovales, arabesques, a rinceaux réservés ou bien à dragons&fong-hoang, forment motif principal&se réunissent quelquefois par une bande ornementale jaune, verte ou rouge qui ceint la pièce comme d’une couronne; puis, sur le blanc&particulièrement au col, de légers bambous peints en noir, des papillons aux ailes diaprées, des fleurs élégantes achèvent la décoration.
A côté des pièces à fonds partiels de vieux rouge, comme les déligne le commerce, citons encore celles qui sont ornées de grandes étoiles à six branches, avec le fond vert piqueté caractéristique. Espacées régulièrement, ces étoiles alternent avec des bouquets. Quelques vases ont des pendentifs verts tellement étendus, que les blancs ressemblent à des réserves décorées de corbeilles de fleurs. Ces belles espèces, rares aujourd’hui, forment passage à la division suivante:
A fonds pleins. La famille verte offre trois sortes de fonds exécutés par des procédés différents; ceux émaillés ou peints comme le reste du décor&cuits au même feu; ceux posés sous couverte &ceux incorporés à la couverte, ou céladons.
Les fonds peints, ou placés sur la couverte, font habituellement rouges ou verts; dans le premier cas, leur teinte est riche, vigoureuse, rehaussée simplement par des réserves de rinceaux&de fleurs ornementales bordées d’un trait d’or; quand on y trouve des médaillons blancs, ceux-ci portent des fleurs en simples traits rouges ou en or. Les fonds verts font très-unis, pâles, piquetés de noir ou à paillettes, avec semis de fleurs; des réserves de formes diverses, rondes, ovales, carrées, en éventail, sont ornées de fruits, de fleurs, d’oiseaux,&parfois même d’inscriptions; une potiche cylindrique à collet de même forme, placée au musée de Sèvres, fournit un bel exemple de cette porcelaine recherchée des amateurs orientaux. L’étui garni de soie dans lequel cette potiche était enfermée, prouve qu’elle a fait partie d’une riche collection. Nous avons rencontré quelques vases à fond vert uni, saillant, assez vif, évidemment réchampi autour de semés de bouquets&de papillons exécutés avec soin; ce genre est très-rare.
Fonds sous couverte. Il est presque inutile de dire qu’ils sont bleus,&de cette espèce remarquable par la pureté&le posage, qu’on nomme bleu fouetté. Leurs réserves se couvrent de toutes les variétés de dessins, paysages, fleurs, animaux, modèles,&c.
Fonds céladonés. Leur couleur, incorporée à la couverte, a été cuite au grand feu; ce n’est pas un fond proprement dit, c’est plutôt un émail coloré. La famille verte en présente deux fort distincts, le king-hoang-yeou, que nous appelons émail nankin,&le tse-kin-yeou, ou émail brun. Sur le premier, on rencontre parfois une décoration en vert, rouge&or, composée de bouquets agrestes ou de modèles; plus souvent il est semé d’arabesques en or ou de fleurs en traits rouges&or. Quant au tse-kin-yeou, il est rarement émaillé ou décoré en plein; mais il est posé avec des réserves de formes variées sur lesquelles le peintre épuise toutes les ressources de son art: sujets, paysages, oiseaux, bouquets, on y rencontre tout.
4e Ordre. PORCELAINES FIGURATIVES ET DE HAUT RELIEF. Ces porcelaines, très-variables par la perfection relative des objets, forment un lien de plus entre la famille verte&la pæonienne; ainsi, on trouve des vases-applique représentant un enfant tenant une potiche entre ses mains, vases qui, à la couleur près, ressemblent complètement à ceux décrits page61,&n’ont rien de plus remarquable fous le rapport du modelé ni de la beauté de la pâte. Au contraire, certaines petites coupes de sacrifice, imitées de vieux bronzes, sont d’un fini parfait; elles ont une forme ovoïde avec le bord renversé; deux lézards à queue fourchue, sculptés de haut relief, enrichissent le devant de la coupe; deux autres lui forment une anse; le fond de la porcelaine est vert pâle semé de paillettes; les sauriens ont une vivacité gracieuse qui rappelle les œuvres de Palissy. Nous avons rencontré de ces coupes au musée de Sèvres &dans les collections de M. le duc d’Hamilton&de M. Duvauchel. Citons encore, comme une des plus charmantes choses qui se puissent voir, un vase à parfum, en forme d’amande, à collet vert foncé formant le pédoncule du fruit; toute la surface péricarpienne est d’un vert pâle piqueté de noir, semée de bouquets&de papillons. Cette pièce, figurée ainsi que la précédente, pl. V, fait partie de la collection de Mme Malinet.
Les figures, ou pagodes de cette famille, font très-supérieures de style à celles chrysanthémo-pæoniennes; nous pouvons signaler, pour la perfection sculpturale, un dieu de la longévité appartenant a M. Ch. de Férol, une Chinoise du cabinet de M. le baron Dejean&deux statues de la collection de M. d’Aigremont, représentant un Hollandais&fa femme en costume du temps de Louis XIV; les vêtements font ornementés avec une grande richesse.
Nous avons fait pressentir, en commençant la description des porcelaines vertes, qu’il nous faudrait mentionner certaines décorations donnant un apparent démenti au nom de la famille. En esset,&nous le dirons une fois pour toutes, rien n’est variable comme la fantaisie; plus on voit de porcelaines, plus on demeure convaincu de la difficulté d’assigner aux genres des limites absolues &d’expliquer les faits exceptionnels qui viennent si souvent dérouter l’observateur. Heureusement, la variété même des objets permet aux esprits attentifs de saisir des passages, d’apercevoir des nuances, au moyen desquels le raisonnement rapproche ce que les sens eussent d’abord séparé.
L’analyse nous avait démontré l’existence dans la famille verte, outre la couleur fondamentale, d’un certain nombre d’émaux particuliers, tels que le violet de manganèse, le jaune,&c.; il était naturel de chercher, par la synthèse, le moyen de rattacher à cette famille les pièces décorées de l’une des couleurs caractéristiques. Ainsi, certain bol de la collection Malinet portant des fong-hoangs d’or posés sur des rochers violets&noirs, nous paraît devoir être décrit comme appartenant à un rameau de la grande souche verte; effectivement nous avons rencontré depuis, sur de vieux compotiers, un décor semblable augmenté de nuages&de la figure du pin avec ses larges rosettes de feuilles verdoyantes. Un grand plat appartenant à M. le comte de Vieil-Castel, offrait au centre des figures civiles drapées de rouge, de vert&de jaune, tandis que le marly était couvert d’arabesques en rouge pâle dégradé, rehaussé de touches d’or; nous ne pouvions méconnaître, dès lors, comme provenant du même atelier, les pièces de style semblable&entièrement peintes de rouge pâle&d’or. Des potiches, des assiettes à bordure polychrome piquetée de noir avaient, pour sujet principal, des nélumbos, des bouquets, des modèles exécutés en rouge vif rehaussé d’or, ou en rouge à deux teintes vigoureuses, le fond déjà intense &les chatirons presque bruns. N’etait-ce pas une démonstration parfaite de l’origine des porcelaines assez nombreuses, à modèles, bouquets, nélumbo en camaïeu rouge de fer?
En général, on peut poser ce principe: les vases purement hiératiques sont simples de tons; le rouge&le vert y dominent. Les pièces ornementales à fleurs, a médaillons,&c., montrent presque au complet les richesses de la palette minérale employée dans l’atelier; enfin, les porcelaines d’usage, de dimension restreinte prennent assez souvent un décor presque camaïeu, composé d’or rehaussé de rouge, de rouge vif à deux tons ou de rouge pâle dégradé au jaune chamois.
En commençant, nous avons exprimé aussi brièvement que possible la perfection technique de la famille verte; il nous reste a expliquer ce que nous avons entendu par porcelaine coquille d’œuf. Ce mot est depuis longtemps dans le commerce,&, maigre son élasticité, nous devons l’accepter, à raison de son origine chinoise. Dans la famille qui nous occupe, il s’applique à deux genres de produits; les uns sont des tasses hémisphériques ou d’autres, plus grandes, en gobelet, d’une pâte mince, bien tournassée, recouvertes d’une glaçure blanche, mince elle-même&susceptible de s’écailler sur les bords; les autres font de petites tasses toujours hémisphériques, travaillées avec soin, dont le vernis vitreux, épais, très-adhérent, prend une transparence tant soit peu opaline, plus voisine du jade blanc que de l’émail. Ces dernières ont presque toujours, en dedans, une fleur d’épidendrum peinte en jaune ou en vert pâle. Nous retrouverons les porcelaines coquille d’œuf en bien plus grand nombre encore dans la famille suivante.
La fabrique d’où font sorties les pièces vertes a varié la nature de ses produits. On voit fréquemment des surtouts à compartiments symétriques, dont le décor est entièrement vert, blanchâtre &violet,&de petites garnitures, sur pieds moulés, empreintes des mêmes teintes fondamentales. Ces objets, sur la nature desquels des doutes s’étaient élevés, font en porcelaine de dernière qualité&non point en grès; ce qui le prouve, ce font des pièces (Coll. Weddell, Ch. de Férol&Jacquemart) dont l’extérieur est vernissé en vert avec réserves blanches, tandis que l’intérieur, décoré de traits bleus, est enduit de la couverte feldspathique ordinaire.
Il faut probablement attribuer à la famille verte des vases antiques de pâte grise&dure, où se voient en relief le nélumbo& diverses autres fleurs ou même des personnages; un trait élevé indique le contour,&les couleurs minérales bleu, vert, blanc,&c., font posées entre ces cloisons comme dans les vases en cuivre émaillé. Sèvres possède un beau spécimen de ce genre.
FAMILLE ROSE.–Cette famille remarquable, nombreuse en produits, variable dans ses formes&ses usages, puisqu’elle a continué de satisfaire à la consommation locale&aux commandes étrangères jusqu’à l’époque actuelle, se reconnaît très-facilement au premier aspect. Ainsi que l’indique l’appellation choisie par nous, elle a pour base décorante, non plus le bleu fous couverte ou le vert, mais un rouge carminé dégradé jusqu’au rose pâle&obtenu de l’or; c’est ce qu’on nomme en Europe pourpre de Cassius ou rouge d’or.
Toujours mêlée à un véhicule abondant, cette couleur forme relief sur la couverte,&les pièces qui la portent présentent, en général, une épaisseur sensible dans leurs autres teintes; c’est par excellence la porcelaine émaillée, celle désignée dans le commerce, à raison de ce caractère, comme porcelaine de Chine. Nous avons dû repousser cette dénomination erronée; nous prouverons bientôt par des arguments incontestables que les plus beaux vases émaillés de rose proviennent du Japon; la délimitation raisonnée des groupes à établir dans la famille, peut donc feule jeter un jour nouveau sur une question constamment agitée depuis le XVIIe siècle,&non résolue jusqu’ici.
Au point de vue de la fabrication, il n’y a rien de particulier à dire sur la famille rose; elle se compose généralement de pièces parfaites par le travail, la blancheur&la finesse; les vases coquille d’œuf s’y montrent en grand nombre,&, parfois, avec les dimensions exceptionnelles de potiches ornementales, d’assiettes&de plats. Comme nous l’avons expliqué, à propos de la famille verte, ces vases fins sont de deux pâtes distinctes; l’une, un peu courte, à émail blanc opaque, quelquefois piquée de noir; l’autre, longue, fort transparente, à vernis opalin.
Les matières décorantes sont toutes celles dont dispose la céramique orientale; les peintres ont épuisé ici les ressources complètes de leur palette&les ont combinées avec un rare bonheur. Les hommes de goût seront forcés de reconnaître combien, à cet égard, les porcelaines roses, même de qualité ordinaire, sont supérieures à la plupart des œuvres commerciales européennes. On a prétendu que cette harmonieuse entente résultait forcément de l’emploi de couleurs noyées en quelque forte dans une masse vitreuse&toujours peu tranchées. Nous ne pensons pas que tout le secret soit là; les Orientaux, moins habiles dessinateurs que nous, sont plus savants ornemanistes.
Au surplus, nous pourrons bientôt juger s’il y a chez eux quelque talent, ou si, comme le prétend de Paw, ce sont de simples barbouilleurs; «la famille rose présente, en effet, dans ses grandes divisions, des pièces parfaites&sorties des mains d’artistes de premier ordre dans chaque genre.
La première division comprend des porcelaines à peinture uniquement décorative, même dans les vases de choix; le sentiment qui les a inspirées, le mode d’exécution les rattachent étroitement aux familles précédentes. Les oxydes métalliques ne semblent point expurgés avec soin; les couleurs de relief, mêlées avec un fondant qui réagit sur elles, font rarement nettes&franches; le rouge est brunâtre; le bleu pâle, un peu gris; les rehauts d’ornementation, mal choisis comme nuance, contribuent eux-mêmes à ternir les fonds sous-jacents; ainsi le pailletté noir sur rose, le brun ferrugineux sur bleu céleste ou sur blanc d’émail, rendent ces couleurs louches en apparence. Quand le bleu sous couverte apparaît en bordure ou circonscrit de larges médaillons, il est de qualité médiocre&posé sans foin; l’or, mat&peu solide, rappelle les pièces chrysanthémo-pæoniennes; enfin, ce qui est plus caractéristique encore, les sujets à personnages, les animaux, les fleurs, font d’une délinéation cursive, lâchée, d’un style grossier, même sur des vases très-fins surcharges d’arabesques&de mosaïques riches&minutieusement tracées. Les ornemanistes l’emportent donc ici sur les peintres proprement dits; en d’autres termes, les bouquets, les figures ne font point sujets, mais élément décoratif.
Dans la seconde division, il n’en est pas de même; une solidarité de mérite, une rivalité de talent existent entre tous ceux qui concourent a la confection d’un vase. Les couleurs, choisies& préparées avec soin, ont une pureté irréprochable; le rouge d’or éclate de vigueur lorsqu’il est seul,&passe au rose le plus tendre en s’associant a l’émail blanc; il en est de même du bleu: mis sous couverte en traits déliés ou en touches puissantes, il forme un camaïeu rendu plus vif par la transparence du vernis pétrosiliceux; posé sur ce vernis, soit en fonds, soit en touches de relief, il se montre vigoureux comme une lazulite, ou suave comme une turquoise. Le vert d’eau, le jaune orangé partagent ce caractère de pureté gouachée. Si ces émaux s’enrichissent d’un damassé fin, d’une mosaïque courante, le rouge vif relève le jaune&le rose, le noir fait ressortir le bleu céleste; le bleu foncé, mêlé de touches de carmin, rehausse les roses pâles,&c. Voilà pour la partie ornementale. Quant au destin, l aspect est tout nouveau. Les figures, maniérées sans doute&trop semblables entre elles pour n’être pas le produit d’un poncif, ont cependant une grâce naïve, une mollesse voluptueuse, reflet évident des mœurs orientales. Ce n’est certes pas l’imitation de la nature; ce n’est pas l’art tel que nous le comprenons avec ses qualités complexes; c’est l’art rêvé, la première manifestation de la pensée fous la forme. Les oiseaux, les plantes ont déjà plus d’exactitude dans l ensemble&dans les détails: rien n’est joli comme certains merles huppés à ventre rose, comme les coqs au fier regard, perchés sur des rocs ou perdus dans les fleurs. Les liliacées, les roses au feuillage abondant, les chrysanthèmes variées, la vanille, le millepertuis, mille autres fleurs, puis le cédrat main de Fo, le raisin, la grenade, les mangues, nous donnent la flore&la pomone de l’extrême Orient.
La troisième division, tout aussi tranchée que les deux autres, se relie cependant à la seconde par des passages nombreux. En général, la décoration est moins émaillée, plus peinte; le rouge d’or n’a plus fa pureté carminée, il prend un ton violacé très-sensible; le violet est fréquent, comme le dit l’abbé Raynal. «On ne voit du pourpre que sur cette porcelaine, ce qui a fait follement imaginer qu’on le peignait en Hollande.» Les ocres, le rouge de fer reparaissent en abondance; le brun, le noir se fondent en teintes lavées; un damassé en relief bleu, rouge carmin ou blanc remplit certains fonds; enfin, un travail en hachures appliqué aux feuilles, aux fleurs&même à des paysages grossièrement tracés sur porcelaines fines, achèvent d’indiquer un centre&des procédés particuliers.
Les sujets à personnages sont presque toujours civils,&la coiffure comme le vêtement ont la forme moderne dite mandarin. Sous le rapport de l’exécution, on trouve depuis les plus merveilleuses peintures jusqu’à des pochades informes presque sans analogues dans les autres genres de vases orientaux.
Il en est de même des fleurs; émaillées avec soin, délicatement tracées sur certaines pièces, elles sont à peine ébauchées sur d’autres; mais, dans tous les cas, leur caractère est spécial, tout conventionnel&ferait supposer, parfois, une inspiration européenne; des roses largement épanouies, des pavots doubles aux pétales laciniés, mille fleurettes d’éventails donnent à cette idée singulière une forte de fondement. Ajoutons, d’ailleurs, que des médaillons en camaïeu rose, violet, rouge de fer ou même noir au trait, des fonds partiels Pompadour en imbrications dégradées, unissent étroitement cette division à l’art français du XVIIIe siècle. De l’Orient ou de l’Occident, quel est le tributaire? C’est ce que nous aurons à rechercher plus tard. Ce qu’il y a de certain, c’est que la division qui nous occupe a subi plus qu’aucune autre les fluctuations de la commande; elle a inondé le commerce de produits incohérents, bizarres, destinés à tous les emplois, soumis à tous les caprices. Elle a servi le riche&le pauvre, employant des matières de choix ou des rebuts de fabrication; semant à profusion l’or&les émaux variés, ou jetant sur une couverte grossière de plus grossiers décors, qu’eussent certainement désavoués les faïenciers de Rouen&de Nevers. Ces œuvres inférieures, désignées dans le commerce sous le nom de porcelaines des Indes, ont fait rejaillir une forte de défaveur sur les vases peints à fleurs, en donnant lieu à des suppositions erronées que nous combattrons bientôt.
Exposons maintenant les caractères des genres particuliers à chacune des trois divisions de la famille rose.
Ire DIVISION.–Porcelaines à peintures en relief purement décoratives.
Ier Genre. Chloroïdes.–Pour éviter de longues descriptions, il nous suffira de dire que ces porcelaines, dont la pâte, les émaux &le style rappellent la famille verte, viendraient y prendre place si quelques draperies, dans les sujets à figures,&quelques corolles, dans les bouquets, ne montraient déjà le rouge d’or en relief. Ce sont évidemment des œuvres de transition.
2e Genre. Nélumbiennes.–Nous avons fait pressentir l’importance relative de la figuration du nélumbo en Orient; la famille verte nous en a offert quelques exemples; mais ici nous le trouverons en bien plus grand nombre; il semblerait même, dans plusieurs circonstances, que le peintre y a voulu attacher une signification mystique, car, à côté du bouquet, composé de feuilles, de fleurs&de fruits, il a eu foin de placer en croix deux rhizomes chargés de fibrilles, complétant ainsi, par les organes habituellement cachés à la vue, l’ensemble d’une plante adoptée comme symbole des forces vives de la nature.
Les porcelaines nélumbiennes pures ne se rencontrent pas fréquemment; ce sont d abord de grandes vasques ou compotiers, d’une pâte médiocre, portant pour unique décoration un large groupe de feuilles&de fleurs peint en rose, vert∨ ou bien encore des garnitures de moyenne grandeur dont les cornets se renflent vers le milieu; des bols hémisphériques&des tasses convolvulacées, de la matière la plus fine&d’un beau travail; on y voit aussi le nélumbo sortant des ondes&presque toujours le canard mandarin nageant entre les tiges. Sur les tasses, le sujet est rapidement tracé; mais les garnitures&plus particulièrement les bols semblent traités par des artistes de choix.
Dans les autres pièces du genre, le nélumbo n’est plus le sujet unique adopté par le peintre; il occupe un rang secondaire&le partage, soit avec d’autres fleurs, soit avec des groupes de figures ou des ornements, ce qui permet de distinguer les sous-genres suivants:
Nélumbiennes chrysanthémoïdes. Les porcelaines que nous défignons ainsi sont toujours à fonds partiels, d’or ou de couleurs variées, telles que du rouge orangé ou du jaune impérial émaillé; les médaillons réservés, affectant une disposition régulière ou la silhouette d’un fruit ou d’une feuille, portent le nélumbo, le pêcher à fleurs,&c.; le centre des coupes ou des taises est occupé par un sujet à personnages du genre familier. Ce qu’ il y a de plus caractéristique dans le groupe, c’est la présence, sur les fonds, de la fleur isolée du pêcher, ou de chrysanthèmes, de pivoines&d’ornements conventionnels réservés, délimités&rehaussés par du rouge de fer ou de l’or,&affectant le style des porcelaines chrysanthémo-pæoniennes pures. Pour achever la ressemblance, le nombre des couleurs employées est toujours fort restreint&le mode d’exécution un peu barbare.
Nélumbiennes à bordures arabesques. Ici, à côté des tasses&soucoupes, des bols, nous trouvons bon nombre de pièces de grande dimension, assiettes, plats ou même potiches&cornets de décoration. Une bordure richement motivée, à pendentifs arabesques, à coins gracieusement repliés sur eux-mêmes, à compartiments diversement coloriés encadre le sujet nélumbien. Le plus souvent, cette bordure a pour fond principal un émail rose pailletté de noir, ou un filigrane brun d’un ton doux&d’un effet harmonieux; des rinceaux rose plein, bleu de ciel, ou d’un or brun couleur de bronze; des grecques en émail blanc, noir ou rouge, relèvent l’effet de ces fonds.
Lorsque le sujet est à personnages, il représente le plus souvent des femmes dans un intérieur, s’offrant des bouquets, ou s’enivrant du parfum des nélumbos placés devant elles dans des vases nombreux; parfois on y voit une servante gravissant les degrés d’un pavillon bâti sur l’étang couvert de fleurs,&rapportant l’odorante récolte à des femmes qui, dans l’intérieur, garnissent des cornets &les disposent sur les tables&les étagères. C’est là une allusion à la fête des nélumbos célébrée avec non moins de pompe, dans les gynécées chinois, que ne l’est celle des tulipes dans les sérails musulmans.
Si la fleur feule envahit le centre du vase, elle revêt alors le caractère mystique signalé plus haut; liée en bouquet par un ruban rose, elle se montre à tous les états, depuis le bouton jusqu’à la corolle réduite à quelques pétales flétris, depuis l’ovaire à peine noue jusqu’au fruit mûr. Ses feuilles, les unes encore roulées, les autres largement étendues, sont doublées d’or à leur page inférieure,&les rhizomes en croix se rangent à la gauche du bouquet. Cette figuration remarquable existe particulièrement sur des taises &soucoupes extérieurement vernissées en tse-kin-yeou.
Nélumbiennes à fonds divers. Dans ce groupe viennent se classer les porcelaines sur lesquelles le nélumbo occupe encore une place importante&significative, avec mélange d’ornementation hybride. Ainsi, dans certaines pièces, nous trouverons l’arrangement des chrysanthémoïdes avec un fond rose simplement pailletté; dans d’autres, les bouquets de nélumbo alterneront avec des médaillons d’émail bleu, brodés de dessins blancs de relief. Des fonds partiels en bleu sous couverte, en orangé à faux craquelé d’or,&c., entoureront les réserves où se retrouvera la fleur caractéristique du genre.
Il est bon de faire remarquer, en passant, combien la variété des espèces rend leur classement délicat,&avec quel soin il importe de chercher le caractère fondamental des porcelaines roses, pour ne pas tomber dans l’arbitraire en créant un trop grand nombre de divisions.
3e Genre. Ornementales.–La dénomination appliquée par nous à ce genre prend sa source dans le scrupule que nous venons d’exprimer; cette dénomination vague n engage pas l’avenir,&n’indique rien au delà de nos connaissances actuelles. Les porcelaines ornementales sont celles qui montrent beaucoup d’art&une grande richesse, sans qu’il soit permis encore de découvrir la signification des principaux motifs de la décoration.
Toutefois, en groupant les espèces selon la nature des objets représentés, nous pouvons espérer de mettre un peu d’ordre dans cette immense confusion,&de préparer, pour nous-mêmes ou pour d’autres, les progrès ultérieurs de la science.
Figures. Elles portent toujours le costume chinois pur,&sont tracées avec une hardiesse cursive peu favorable à la perfection du dessin. Les couleurs font posées a plat, en remplissage, entre les contours&les plis des vêtements. Par le nombre&la disposition des personnages, on doit croire au caractère historique,&peut-être sacré, de certains vases. De grandes potiches, des vasques, des bols, des plats,&c., nous montrent de vastes palais ou le souverain, entouré de la cour, préside a des réceptions solennelles, a des revues ou des tournois. Dans les scènes plus simples, quelques-unes font évidemment allusion a des sujets connus, tirés peut-être des romans ou du théâtre. Pour choisir un exemple qui est dans les mains de tout le monde, nous citerons cette jeune femme demeurant interdite, dans un coin de ion jardin, tandis qu’ un homme escalade la muraille après avoir pris la précaution de quitter les chaussures. (PI. VI, fig. I.) Ceci ne saurait être une peinture libre, un trait de mœurs légères. La répétition fréquente, identique de cette scène, insignifiante pour nous, doit la faire considérer comme l’illustration d’un ouvrage littéraire très-répandu en Orient. Les chasses, les tirs d’arc, les courses sur des chevaux aux couleurs extraordinaires doivent rentrer dans la même classe.
Les représentations purement familières, telles que des femmes promenant leurs enfants ou se reposant sur des rochers fleuris, des jeunes filles se balançant, des hommes du peuple se livrant à la pêche, ne peuvent avoir d’autre but que l’embellissement du vase. Mais, parmi les tableaux à une feule figure, beaucoup portent le caractère hiératique; on y trouve des dieux, des saints, des personnages illustres. Nous essaierons de les faire reconnaître au moyen de leurs emblèmes, sans dissimuler, toutefois, combien les documents positifs sont encore incomplets sur ce point.
Animaux. Ces sortes de figurations ne sont pas beaucoup plus parfaites que celles des hommes; les caractères des espèces ont cependant assez d’exactitude pour permettre au naturaliste une détermination à peu près certaine; aussi, à l’exception du dragon, du ki-lin&du fong-hoang, êtres fabuleux par excellence, beaucoup d’animaux, réputés d’abord imaginaires, ont été admis comme réels après des observations mieux dirigées. Le cheval, le buffle se rencontrent souvent; un onagre noir, aux oreilles dressées, à l’allure fringante, ordinairement monté par une femme&se promenant dans un paysage toujours orné d’un saule pleureur, sert à distinguer certaines porcelaines de bonne exécution,&probablement assez anciennes. (PI. VI, fig. 2.)
Les oiseaux abondent dans la famille rose; le coq y est vulgaire, &les faisans, ordinaire, argenté, vénéré, le paon, l’argus, les oies, les cailles&certains gros-becs s’y voient répétés sous maintes parures; assez souvent le peintre a imité, autant que ses émaux le lui permettaient, les teintes de la nature; d’autres fois, il a employé un camaïeu brun métallique ou d’or, rehaussé de traits plus foncés, pour exécuter son groupe qu’entourent de riches ornements polychrômes. Presque toujours les animaux exécutés ainsi sont dessinés avec goût&finesse. Les poissons, les crustacés&les insectes n’ont rien de remarquable; les papillons, entre autres, sont évidemment peints en dehors de toute intention imitative.
Fleurs. Il en est de même des fleurs; quelques-unes sont celles des familles précédentes avec des teintes nouvelles,&encore, si ces teintes semblent d’abord plus réelles, on reconnaît bientôt qu’elles sont dues à un hasard de palette: ainsi, on trouve le mou-tan (pivoine) avec ses pétales d’un rose tendre, mais ses feuilles palmées seront alternativement en émail vert pur&en bleu foncé, ou, dans d’autres cas, vert pâle&or bronzé. Leyu-lan (magnolia) portera sur les mêmes branches, dénuées de feuilles, de belles fleurs rouges&d’autres blanches, tandis qu’en réalité, sa corolle charnue, d’un blanc mat, se teint de rose violacé à la partie externe& inférieure seulement. L’observation s’applique, d’ailleurs, à toutes les autres espèces.
Ornementales à fonds. Il y a peu de choses à en dire, car la description détaillée des variétés infinies de ces fonds, comme teinte ou comme dessin, entraînerait beaucoup trop loin. Il suffira de rappeler «que nous avons exprimé en termes généraux, touchant cette première division de la famille rose; savoir, que les tons y sont peu frais,&les superpositions d’oxydes métalliques assez mal choisies.
Fonds partiels. Il est cependant une disposition riche d’effet& très-remarquable; c’est un émail noir brillant, rehaussé d’arabesques vertes&de fleurs roses, disposé parfois en cartouches dans des bordures ou sur des fonds variés, ou bien encore en colonnes sur des tasses à pans inégaux. Un de ces gobelets, appartenant à M. Signol, porte, entre les émaux noirs& sur les grandes surfaces, des corbeilles de fleurs d’un dessin très-fin&de style chrysanthémo-pæonien pur.
L’émail noir avec réserves de fleurs ou de médaillons se retrouve dans les fonds pleins. Nous le décrirons en ion lieu sous le nom de ou-king.
Une disposition bonne à noter est celle de certaines tasses&soucoupes cotelées, à bords échancrés, dont le pourtour est couvert de compartiments roses, bleus, noirs, jaunes, verts, répétés symétriquement; le fond de la tasse&le disque de la soucoupe sont occupés par un sujet dépêché assez grossièrement peint. D’autres tasses, beaucoup plus fines sous le double rapport de la pâte&du décor, affectent une certaine ressemblance avec les premières; seulement, chaque compartiment colorié porte, en réserve, un médaillon avec fleurs, oiseaux, animaux variés; les divisions ne sont plus motivées par un godron de la pâte, mais délimitées par d’élégantes bandelettes ornementales. Ces différences,&surtout la qualité exceptionnelle des pièces, nous engagent à désigner les porcelaines dont il s’agit sous le nom de porcelaines à mosaïques arabesques.
Fonds pleins. Ils offrent un grand nombre de teintes&sont posés par divers procédés; ceux placés sous couverte sont à dessins bleus, en bleu fouetté ou en bleu céladonoïde. Les céladons vrais, incorporés au vernis, affectent la teinte jaune dite nankin,&le vert olive clair; le premier à réserves peintes, le second à décor émaillé en relief; mais le plus commun de tous est le tse-kin-yeou. Il se formule en teintes extérieures uniformes, en fonds à réserves de fleurs, de fruits ou de médaillons,&c. Quant aux fonds sur couverte émaillés, on en rencontre de toutes les teintes, rouge de fer, rouge d’or, acajou veiné, brun chocolat voisin du tse-kin-yeou, jaune, vert, bleu céleste, rose, unis ou damassés, séparés ou combinés sur la même pièce&accompagnés de fonds filigranés ou paillettés bruns ou rouge de fer. Néanmoins, les émaux pâles en grandes teintes sont assez rares; une garniture de dimension exceptionnelle, à fond rose uni&bordure de vieux style, placée dans les salons de M. Gréterin, est le plus curieux spécimen que nous puissions citer.
Au XVIIIe siècle, on appelait nouveau la Chine, certaines porcelaines, peu communes aujourd’hui, dont le fond émaillé vert, jaune, bleu clair ou rose, était enrichi d’un travail à la pointe d’un effet distingué.
4e Genre. Porcelaines moulées&figuratives.–Les porcelaines de ce genre ont une pâte particulière, assez commune, susceptible de devenir ondulée à la surface par l’effet du retrait dans le moule. Le vernis est ordinairement bleuâtre. Malgré cette infériorité de matière, les pièces moulées offrent généralement plus d’art&de recherche, dans la fabrication, que les pièces coquille d’œuf. Presque toutes les pièces moulées sont nélumbiennes aussi bien par la forme&les reliefs que par la décoration peinte; beaucoup, doublement godronnées à la base, font enveloppées en outre d’un bouquet de la plante aquatique; les tiges circulent onduleusement à la surface, tantôt s’y appliquant, tantôt s’en détachant par gracieux méandres, afin d’épanouir librement leurs feuilles&leurs fleurs. Certaines tasses ne font elles-mêmes qu’un nélumbo ouvert, aux pétales roses nervés de rose plus foncé avec le pédoncule enroulé, de manière à former une anse&des pieds peu élevés; la soucoupe, toute verte, est une feuille aux bords repliés, à nervation palmée très-accentuée; comme pour la tasse, le pétiole contourné fournit, par ses courbures, un support naturel. (Pl. VI, fig. 3.) Les spécimens de cette espèce font rares&recherchés; nous en connaissons un gigantesque au musée de Sèvres,&, en proportion réduite, de très-beaux exemplaires dans la collection de M. Paul Delaroche&dans celle de Mme Malinet. Nous pouvons citer encore de cette dernière collection des théières à relief fort riches, dont l’anse&le goulot se formulent en lions fantastiques ou chiens de Fo, tandis que la panse porte de chaque côté un médaillon à jours délicats formant relief. Des sioles à parfums, des tasses&gobelets réticulés complètent cette intéressante série de vases.
Nous devons mentionner encore des demi-figures, des carpes d’applique émaillées roses, des coqs, des perdrix de grande dimension&même des pagodes diversement drapées. Il ressort évidemment de l’examen de ces pièces, analogues, pour la fabrication, à celles déjà décrites aux familles précédentes, que la première division de la famille rose a fa raison d’être, non pas dans la création d’usines particulières employant de nouveaux procédés, mais dans une modification de la palette minérale&du système général de décor. Il est certain même,&nous le démontrerons bientôt par des exemples frappants, que, tout en satisfaisant à des goûts divers, disons mieux, à des modes nouvelles, les trois familles pœonienne, verte&rose ont produit simultanément, sans se confondre&sans se nuire.
IIe DIVISION.–Porcelaines à peinture artistique émaillée, couleurs très-pures.
Ce que nous avons dit en commençant la description de la famille rose, nous dispense de longs détails sur cette division; son caractère tout entier repose sur la valeur relative du mot artistique. Ici, nous trouvons le dessin, non pas parfait selon les idées européennes, non pas inspiré par une connaissance profonde de la nature, mais arrêté, nerveux, exprimant dans les poses la grâce ou la fermeté, manifestant, en un mot, la pensée de l’artiste. D’un autre côté, la couleur ne se montre plus par masses tranchées; elle s’adoucit en teintes suaves, destinées à augmenter le charme du dessin,&s’allie souvent à une ornementation en simples traits noirs, dite à l’encre de Chine. C’est là, encore, une tendance nouvelle, un changement radical. Le noir ne peut séduire qu’à la condition de rendre la forme épurée ou les subtiles combinaisons de l’esprit; aux nations barbares, aux esprits incultes, incapables de comprendre la finesse du contour ou le goût des détails, il faut l’éclat&le contraste violent des tons vifs.
Des différences aussi notables permettront d’entrevoir, entre cette division&la précédente, une distinction plus radicale qu’une subordination d’ordre dans la même famille. En esset, un goût d’atelier, une mode, un progrès même n’expliqueraient pas la naissance des peintures artistiques. Mais, au début de ce travail, nous devons nous borner à chercher les caractères d’une dichotomie artificielle destinée à faciliter l’étude. Ces caractères, une fois démontrés, viendront se combiner avec les documents historiques,&nous pourrons alors, sans paraître trop hardis, donner aux choses leur véritable nom.
Les peintures artistiques se présentent sous deux formes très-distinctes; les unes, peu nombreuses, ont un décor délicat, toujours irrégulièrement jeté sur un côté de la pièce,&passant même quelquefois sous le bord inférieur; les autres, beaucoup plus fréquentes, affectent une grande régularité de disposition.
Personnages. Comme nous l’avons déjà dit, ils portent le costume chinois antique; il est très-rare de les voir réunis en grand nombre; ils concourent, le plus souvent, à la formation de groupes familiers. Nous avons rencontré quelques scènes populaires, telles que des enfants demi-nus gardant des troupeaux; une famille de pêcheurs vaquant à ses travaux autour de la barque-maison fixée au rivage. Mais, habituellement, on doit reconnaître dans les personnages de hauts dignitaires, ainsi que le prouvent leurs vêtements splendides&leurs palais garnis de vases à fleurs, de pierres sonores, de plumes de paon, de brûle-parfums. Dans quelques cas même, des flots tumultueux, des nuages, des constellations placées autour de figures portant le jou-y indiquent les héros des temps anciens, ou les divinités du ciel, de la terre&des eaux. (Voir les figures de la pl. VII.)
Sous le rapport de la complication, les accessoires du sujet& l’ornementation suivent, dans les vases artistiques, une gradation ascendante très-régulière. D’abord les figures se destinent au milieu du vase nu; quelques traits légers, quelques herbes couchées fous les pieds des hommes ou des animaux indiquent seuls la nature du lieu, route pierreuse ou prairie verdoyante. Bientôt apparaissent des arbustes touffus, des arbres au feuillage desséché par l’ardeur du soleil, des rocs&des horizons sinueux; mais, comme si l’artiste craignait de surcharger la blanche surface de l’émail ou de nuire à l’effet de la scène principale, il indique son paysage en demi-teintes sourdes empruntées au noir, au brun&au rouge de fer; c’est un léger lavis dont on ne retrouve l’analogie que dans les fins écrans de soie, ou sur ces tableaux en papier appendus sur les cloisons mobiles des habitations orientales. Décorée ainsi, la pièce prend une bordure réduite aux proportions les plus simples; elle se compose de deux filets, l’un épais, l’autre mince, exécutés en noir ou en or. Enfin, circonscrite par le contour du vase ou par les arabesques de l’ornementation, la peinture devient un véritable tableau exécuté dans son ensemble par des procédés identiques; intérieurs de maisons, mobiliers, paysages, tout prend sa couleur naturelle,&rivalise, pour la netteté de l’émail&le fini avec les groupes de personnages. Ici le décor doit nécessairement se compliquer lui-même; les délicates mosaïques à l’encre de Chine ou sur émail, l’or en couronne de fleurs, se substituent au double filet, &quand cette bordure ne satisfait pas encore à l’intention prodigue du peintre, il y adjoint des arabesques de forme variée, à fond d’or ou d’émail rehaussé de mosaïques non moins fines que celles de la bordure&d’un ton ou d’un dessin différent. Rien n’est harmonieux&riche comme cette ornementation, toute composée de teintes pâles heureusement associées entre elles.
Animaux, oiseciux, insectes. Les animaux, sauf les chevaux, les ânes&le bœuf, sont assez rares&n’offrent rien de particulier que la finesse du contour&la minutie des détails; mais les oiseaux annoncent toujours une observation exacte de la nature; leur port est naturel, leur mouvement expressif; outre les coqs, très-fréquemment répétés, on trouve des merles, des gros-becs&autres passereaux d’une merveilleuse exécution. Les papillons aux ailes diaprées sont si patiemment copiés qu’on croirait voir se détacher, au moindre contact, la poussière colorante de leurs ailes; choie digne de remarque, dans ce genre de porcelaine, on ne rencontre presque jamais que des lépidoptères diurnes, tandis que les nocturnes (phalènes, bombyx,&c.) ainsi que leurs chenilles deviennent fréquents dans la division suivante,&y prennent parfois une signification symbolique.
Fleurs. Nous ne nous arrêterons pas à les décrire, car le premier coup d’œil les fait reconnaître; intention délinéative dans la forme, pureté dans la couleur, recherche dans les détails, voilà leur signalement général. Les espèces fondamentales sont la chrysanthème& surtout une rose qui semble remplacer ici la pivoine des autres porcelaines; il n’est pas permis d’hésiter pour reconnaître cette fleur, la disposition des boutons, la forme des feuilles la caractérisent suffisamment, bien que quelques personnes y voient un camellia. Des liliacées, différentes radiées, un œillet ou un lychnis, le vihurnum plicatum, achèvent la composition des bouquets, toujours heureusement groupés&d’une exécution irréprochable. Des fleurs isolées, placées autour du groupe principal, semblent jouer un rôle particulier sur lequel nous reviendrons plus tard; la plus fréquente de celles-ci est la vanille, puis une crucifère rouge foncé&une forte d’hydrangea.
Arabesques. Nous venons de parler des arabesques ajoutées aux bordures&formant ainsi, autour des pièces, des fonds partiels élégants; mais il est des vases qui sont en quelque forte envahis par les fonds ornés, au point de ne laisser voir la porcelaine qu’en réserves restreintes, occupées elles-mêmes par des fleurs, des corbeilles ou des modèles. Cette disposition fe présentes fous trois formes très-distinctes: les arabesques mosaïques, les arabesques brodées&les fonds vrais.
Arabesques mosaïques. Nous nommons ainsi la décoration composée de fonds divers, séparés entre eux par des filets d’or dessinant des guirlandes, des ogives,&c.,&qui forment comme les grandes divisions d’une mosaïque à plusieurs teintes; chaque fond reçoit à son tour un fin travail au trait, dont la patiente régularité démontre la science&l’adresse manuelle des peintres orientaux. (Pl. VIII, fig. I.) Les pièces capitales à mosaïques sont rares, quelques compotiers&des cloches à couvrir les mets sont tout ce que nous en connaissons.
Arabesques brodées. Les Chinois&les Japonais ont une tendance particulière à imiter, dans un art, les produits d’un autre. Non contents de copier en porcelaine la forme des tings de bronze, ils ont cherché parfois à donner à la couverte une couleur de patine antique. Habiles à rouler le métal en délicats filigranes, ils ont reproduit ces filigranes, avec les paillettes qui s’y appliquent, sur les laques&sur la porcelaine; il n’est donc pas surprenant de les voir apposer sur ce dernier produit l’image des remarquables broderies exécutées sur les étoffes de soie.
Les arabesques brodées ont leurs méandres de feuilles tellement pressés, qu’on aperçoit à peine la couverte blanche ou le fond d’or sur lequel ils se détachent; ces feuilles sont idéalisées&laissent épanouir, de distance en distance, des fleurs émaillées, d’une forme non moins éloignée de la nature. L’ensemble de ce décor est abondant sans confusion, riche sans crudité. (Pl. VIII, fig. 2.)
Fonds vrais. Ils sont parfois formés d’un simple destin au trait, à l’encre de Chine, d’un aspect doux&d’une précieuse régularité, sur lequel se détache la réserve destinée au sujet principal; si cette réserve est une feuille, un fruit, le pétiole ou le pédoncule donnent naissance à des rameaux chargés de feuilles&de fleurs en or, qui se groupent en encadrements capricieux; si la porcelaine représente un rouleau déployé en partie, l’envers du cylindre ou les coins retournés ont une couleur particulière ou une ornementation tranchée sur le fond. Le plus ordinairement, l’or avec mosaïques diverses en noir, ou bâtons rompus d’un beau vert, le rouge carminé, le bleu lapis, le rouge de fer rehaussé d’or, se substituent à la froide encre de Chine; il en résulte un aspect éclatant&riche. Une tasse de notre collection, entièrement émaillée de rouge d’or, a pour décor unique des bambous adroitement enlevés à la pointe sur l’émail&qui apparaissent gravés en traits blancs.
Si les porcelaines artistiques portent souvent des bordures, des arabesques ou des fonds en noir au trait, les sujets eux-mêmes ne font pas toujours traités en émaux colorés; ainsi, on trouve des scènes à personnages, assez compliquées, dessinées à l’encre de Chine; d’autres décors à figures, animaux ou fleurs, font en or rehaussé de rouge de fer ou bien en camaïeu argent&or repiqué de noir.
Cette division est exclusivement composée de porcelaines minces; les tasses, soucoupes, bols, sont appelés par excellence coquille œuf; les pièces plates sont dites assiettes d’échantillon. Il y a cependant une remarque à faire, c’est que les objets destines a porter de lourds accessoires, comme des anses, goulots,&c., sont relativement épais&grossiers; ainsi, dans un même service, les tasses hémisphériques, les grandes coupes, auront la minceur du papier &une transparence opaline, tandis que la théière&les tasses a anses seront d’une pâte compacte&à peine transtucide; cela s’explique par une nécessité de fabrication,&l’exception confirme ici la règle. Si des anses pesantes étaient appliquées sur une paroi peu solide, celle-ci s’affaisserait à la cuisson; sur ses pièces coulées, plus légères encore que la pâte coquille d’œuf orientale, la manufacture de Sèvres n’a pu adapter d’accessoires qu’en les coulant eux-mêmes à l’épaisseur commune en supprimant leur intérieur&détruisant ainsi la plus grande partie de leur poids.
Toutefois, il se présente, dans les porcelaines artistiques, un fait qu’il serait peut-être intéressant d’étudier; plus le décor est simple, plus la pâte est irréprochable; toute pièce surchargée de peintures offre des points noirs&des trous piqués dans l’émail, très-nombreux surtout à la face intérieure du vase. L’artiste se montrerait-il indifférent au choix de la matière, que ion talent seul doit embellir? Les accidents signalés seraient-ils l’effet des cuissons réitérées à la moufle, ou bien préparerait-on, dans l’intérêt de la réussite des émaux, une couverte particulière dont les qualités seraient compensées par une tendance au coqué d’œuf? Nous laissons aux céramistes le soin de résoudre ces questions.
Les porcelaines artistiques ont toujours été rares&elles le deviennent de plus en plus; le nom commercial de pièces d’échantillon, appliqué aux objets de service, prouve assez qu’à l’époque de la plus grande facilité d’échange entre l’Orient&l’Occident, la porcelaine artistique venait en petite quantité pour satisfaire au goût des grands personnages. Cependant, il existe encore des séries presque complètes de ces magnifiques produits chez quelques amateurs privilégiés, nous pouvons citer, entre autres, les services de M. de la Renaudière&de M. le comte d’Havraincourt. La fragilité extrême des pièces, leur prix considérable sur les lieux de production, expliquent suffisamment cette rareté relative. La feule garniture artistique que nous connaissions appartient à Mme la baronne James de Rothschild.
IIIe DIVISION.–Porcelaine à décor artistique peint. Rose affectant une teinte violacée.
Il ne ferait pas suffisant de dire que cette division diffère de la précédente par l’absence d’émaux saillants&le genre de la peinture lavée. Nous avons signalé des sujets artistiques dont les fonds font traités en demi-teintes légères; nous trouverons ici des scènes entièrement émaillées&d’aspect artistique. Ce sont les transitions inévitables dans des produits contemporains, voisins, déviés évidemment d’une école commune. Cependant il est des caractères auxquels on ne peut manquer de reconnaître la division qui nous occupe; le costume mandarin des personnages, le genre des fleurs, exécutées à la manière hindoue&persane, la couleur particulière du rouge d’or, tout indique un centre spécial, travaillant avec ses matériaux&ses modèles, sans être étranger, néanmoins, aux
œuvres des autres fabriques.
Par une coïncidence singulière, cette division nous offrira depuis les plus beaux vases empreints du plus précieux décor, jusqu’aux pâtes vulgaires chamarrées de grossières couleurs; en forte que la famille rose compose, dans son ensemble, une pyramide idéale dont la base ferait formée par les produits inférieurs de la première& de la troisième divisions; la partie moyenne, par les pièces de choix de ces mêmes divisions, le sommet, par la porcelaine artistique. Si artificiel&fortuit que paraisse ce groupement, nous y trouvons la trace d’un fait intellectuel intéressant dont nous chercherons bientôt à tirer un enseignement utile.
Deux tendances particulières se remarquent dans les porcelaines peintes: le retour fréquent au bleu fous couverte,&le goût du camaïeu. Le bleu est beaucoup plus foncé que dans les autres genres; il s’étend parfois en fonds paillettés ou en guirlandes arabesques d’un style Chino-Pompadour assez médiocre. Quant au camaïeu, il se manifeste par de petits paysages, des groupes de fleurs&d’oiseaux, des tousses de bambous, dans les petites réserves des pièces les plus riches; les fabrications ordinaires le montrent, en outre, sur les fonds&les bordures,&l’on rencontre, parmi les vases à mandarins, des services uniquement peints avec un jaune bistré, chaud de ton&agréable d’aspect.
Les porcelaines de cette division se confondent par des passages infinis; cependant on peut y reconnaître un certain nombre de genres assez bien délimités. Nous allons les décrire.
Ier Genre. Porcelaines à mandarins.–Par un de ces emprunts si fréquents dans le langage, les Européens ont pris l’habitude de désigner par le mot portugais mandarins (de mandar, commander) les officiers civils&militaires du Céleste Empire. Or, le mandarin, comme les autres Chinois de l’époque moderne, porte sur la tête un bonnet hémisphérique à bord relevé; le bouton de pierre précieuse ou d’or qui surmonte ce bonnet indique le grade, comme la plaque brodée sur la poitrine révèle la nature des fonctions. Nos porcelaines à mandarins sont donc celles à sujets de personnages postérieurs à1616,&les hommes qu’elles représentent, ont presque toujours le vêtement supérieur court,&le bonnet à bouton.
Sur les grands vases, les figures sont nombreuses&concourent certainement à la représentation de faits historiques; on retrouve quelques scènes de même genre dans les services usuels; mais, le plus souvent, les petites pièces portent des sujets familiers exécutés parfois en demi-figures. On peut regarder cette dernière disposition comme toute nouvelle&spéciale au genre mandarin, puisque nous ne l avons trouvée qu’une feule fois appliquée dans les réserves d’une pièce chrysanthémo-pæonienne.
Sur les porcelaines de belle qualité,&celles-là seules nous occuperont, les personnages sont dessinés&peints avec autant de soin que sur les pièces artistiques. Mais le style est bien différent, le visage est ombré par une demi-teinte fondue, les vêtements ont leurs plis modelés par un travail au pinceau en petits traits parallèles. Nous pouvons même citer, comme un chef-d’œuve à part, le vase de Sèvres, répété dans la collection de M. le comte de Rougemont,&représentant des Tartares entourés de leurs moutons; les chairs sont faites avec le soin d’une miniature, les draperies se soulèvent en plis moelleux,&les animaux, dont les frisures bouclées sont reproduites patiemment, n’ont que le défaut d’être trop scrupuleusement rendus dans leurs détails. Ce curieux spécimen est sur une pâte mince&tremblée, que M. Riocreux suppose avoir été coulée.
Quelques grandes garnitures paraissent, par la forme&le décor, remonter à une date assez ancienne; nous mentionnerons, comme exemple, des vases carrés de plan, dont les angles sont ornés de bambous modelés en relief&peints au naturel. Une garniture appartenant à M. Beurdeley portait un sujet historique à personnages moulés presque en ronde-bosse&coloriés; une autre, de la collection de M. d’Aigremont, offrait un sujet du même genre soigneusement peint en couleurs émaillées.
Le plus souvent, les personnages se trouvent placés dans un médaillon circonscrit par un fond ornementé. Or, la nature de ce fond, celle de la bordure, permettent d’établir plusieurs sections dans les porcelaines à mandarins.
Mandarins artistiques. Cette espèce, toute de transition, est caractérisée par un fond mosaïque à l’encre de Chine bordé d’une guirlande fleurie en or rehaussé de noir; par l’ornementation, elle est artistique; par la peinture, elle est purement mandarine.
Mandarins filigranés. Ceux-ci, presque toujours de belle qualité&soigneusement exécutés, ont un fond filigrané d’or à réserves; la bordure intérieure des pièces est presque toujours denticulée; le médaillon principal est délimité par un trait d’or, ou par une forte d’arabesque accolée de branches fleuries. C’est dans cette section que se rencontrent les porcelaines les plus parfaites de la division, soit comme pâte, soit comme peinture. Beaucoup de sujets font entièrement émaillés; tracés parfois dans des dimensions réduites, ils n’en font pas moins purs de délinéation, moins précieux de détails; le rouge d’or y revêt un éclat particulier,&l’or des fonds est si beau, qu’on le croirait bruni. Les petites réserves font occupées par des oiseaux&des fleurs en camaïeu rouge ou noir d’une délicatesse&d’une liberté charmantes. (Pl. IX.)
Quelques services exceptionnels viennent former un appendice à ce genre. La bordure&le médaillon principal font en bleu fous couverte; sur le fond filigrané, assez grossièrement indiqué, est jeté un dessin courant de fleurs, feuilles&fruits polychromes de style indo-persan. On y voit des roses, des tulipes, des pavots doubles, des œillets, le melon, la mangue, l’avocat,&c., le tout en couleurs vives, peu adoucies par le travail.
Mandarins rouges. Le fond en est rouge de fer à mosaïque noire rehaussée d’or. Les médaillons font souvent circonscrits par une bordure répétée autour de la pièce&très-caractéristique; il s’y adjoint parfois une bande d’un noir métallique chargée d’une grecque d’or. L’ensemble de ces pièces est sévère, riche&harmonieux; aussi les recherche-t-on avec empressement; les garnitures complètes &certaines vasques colossales atteignent, dans les ventes, des prix excessifs. Il y a cependant à choisir dans les mandarins rouges; ceux de pur style, où les rehauts noirs&l’or dominent, où les sujets sont traités avec soin, méritent l’engouement de la mode: mais nous avons vu, parfois, le fond rouge s’accoler à des arabesques bleues fous couverte, d’un goût médiocre, encadrant un sujet criard&mal dessiné; c’est la dégénérescence de l’art,&nul ne peut s’y tromper. Il faut se méfier aussi de certaines imitations sorties des fabriques européennes; elles se décèlent par le manque d’harmonie&le mauvais style des figures.
Mandarins variés. Ceux-ci, avec les bordures habituelles, présentent des fonds divers, trop exceptionnels pour servir de types à des espèces; parfois, c’est un losangé en triples traits rouge de fer; d’autres fois, une mosaïque noire&rouge au trait, ou bien encore un losangé dont chaque compartiment porte la figure dite Wan-tsé.
On pourrait peut-être appeler fond arlequiné, celui composé de compartiments alternativement blancs, rouge de fer&bleus rehaussés d’or; son élégance&la bonne exécution des sujets historiques qu’il entoure le rapprochent des porcelaines filigranées. Les mandarins arlequinés passent assez rarement en vente&ne se rencontrent presque plus chez les marchands.
Mandarins pseudo-laqués. Nous n’avons jamais vu de pièces de service de cette remarquable espèce, mais feulement de petits vases d’ornementation d’une forme très-pure&d’un décor exquis; le fond est entièrement rouge de fer; des ornements en or au trait, de la plus riche composition, lui donnent l’aspect d’un laque; la réserve centrale porte un sujet mandarin très-fin d’exécution&, autour du col, des phalènes régulièrement espacées étalent leurs ailes aux teintes douces. Le vase auquel nous empruntons ces caractères est l’une des perles de la collection céramique de Sèvres; nous en avons vu passer quelques autres en vente publique.
Mandarins chagrinés&gaufrés. La nécessité de resserrer cette première partie de notre travail&d’éviter la confusion en restreignant les espèces, nous force à réunir ici des pièces de styles divers. Les mandarins chagrinés proprement dits sont, le plus ordinairement, des potiches lagénoïdes à col étroit, ouverture évasée, panse oviforme, presque toujours aplaties&anguleuses au point de réunion des deux pièces moulées. La pâte porte en relief des rinceaux d’ornements dessinant sur chaque face un grand médaillon,&de plus petits en réserves sur les côtés; tout l’espace compris entre ces médaillons est semé de points saillants imitant la peau de chagrin, ou mieux encore, selon l’expression chinoise, la chair de poule. Lorsque le vase est décoré, ce fond affecte la teinte appelée vert de gris; dans quelques rares spécimens portant du bleu sous couverte, le chagriné reste blanc&ses saillies, sur lesquelles la couverte a glissé, semblent mates sur un fond vitreux. Les peintures des vases chagrinés sont compliquées, assez fines, mais presque toujours un peu crues de ton.
Cette espèce offre un assez grand intérêt; les petites bouteilles à tabac qui ont fait tant de bruit dans le monde savant, sous le nom de vases des tombeaux égyptiens, s’y rattachent étroitement; d’un autre côté, divers passages du livre de M. Stanislas Julien ne permettent pas de douter qu’on ait imité, en Chine, la chair de poule sur les porcelaines, à une époque très-ancienne. Nous aurons, dès lors, à examiner si les mandarins chagrinés sont d’une époque reculée, ou bien s’ils seraient une contrefaçon de produits antiques.
Les autres espèces à reliefs sont de plusieurs sortes; les unes ont des moulures saillantes&des ornements à rinceaux jetés autour des médaillons; mais leur fond ne porte que de rares bouquets en bleu sous couverte ou même en blanc d’engobe. Les dernières, peu communes, sont moins à reliefs qu’à gaufrages; en effet, une guirlande ou des groupes séparés de feuilles&de fleurs ont été imprimés dans la pâte, en sorte que la couverte remplissant les vides, fait apparaître les contours&les nervures par sa teinte bleuâtre, comme le serait un émail ombrant (céladon). L’effet de ce travail est charmant, la plus grande partie de la décoration est en bleu sous couverte,&les personnages sont souvent émaillés.
Mandarins camaïeu. Le caractère de cette espèce réside dans les bordures&les fonds partiels remplis d un losangé ombre en imbrications plus ou moins serrées. Des pièces de choix portent ce losangé d’or, accolé d’une étroite bande vert pâle avec ornements en poste. Dans les services ordinaires, les fonds sont rose violacé ou pourpre,&les réserves nombreuses se remplissent de paysages au trait tracés avec le même émail. Cette forte de porcelaine établit une transition naturelle entre les vases à personnages&ceux à fleurs, car on trouve à peu près même nombre de services à bordures semblables, décorés tantôt de mandarins, tantôt de bouquets &fleurettes.
2e Genre. Porcelaines peintes à fleurs de l’Inde.–Pour la disposition générale, les porcelaines à fleurs, dites de l’Inde, ne diffèrent en rien des précédentes; elles ne portent point de figures: voilà leur caractère générique.
Leur nom vulgaire soulève bien des questions, mais il serait prématuré de les discuter ici; nous y reviendrons bientôt.
Les fleurs de l’Inde, nous lavons dit, sont exécutées dans un style à part, rappelant les gouaches persanes; finement peintes ou esquissées grossièrement, elles ont la même forme, le même aspect, c’est-à-dire qu’elles expriment bien la pensée unique& persistante d’un atelier spécial.
Les espèces principales sont l’inévitable chrysanthème, la rose, l’œillet, le pavot lacinié&les anémones doubles, qui apparaissent ici pour la première fois; çà&là quelques fleurettes légères, des cinéraires, un myosotis; puis, plus rarement, la célosie à crête; voilà la flore du genre à très-peu d’exceptions près. Par une innovation radicale, l’artiste ne cherche plus le modelé par la teinte fondue ou l’accumulation de la matière colorante vers la partie ombrée; il se sert du haché carmin sur rose, noir sur gris, rouille sur jaune; les feuilles mêmes reçoivent un rehaut de traits noirs, spirituellement touché quelquefois, mais fort peu naturel. Au surplus, si le procédé haché est habituel aux décorateurs de l’Inde, ils n’ignorent pas l’usage des émaux fondus&en relief; sur une tasse de notre collection, à fond céladon gris perle&à bordure filigranée rouge, on voit un bouquet complètement émaillé, bien que dessiné dans le style particulier à la fabrique. Un emploi plus fréquent encore du relief consiste dans la figuration, monochrome ou dichrôme, de bouquets ou de guirlandes de fleurs, dont les détails sont indiqués par des traits gravés à la pointe.
En suivant la gradation ascendante de leur richesse ornementale, on peut subdiviser ainsi les porcelaines peintes à fleurs:
A bouquets isolés. Les pièces sont assez blanches, bien vernissées, en un mot, d’une belle qualité; la peinture, peu compliquée, est exécutée avec soin&finesse. Nous ne pensons pas que ce puisse être une porcelaine spécialement destinée au commerce, elle est trop nue pour cela. (PI. X, fig. 2).
Dans quelques services, le bord de ces pièces porte une étroite ligne d’or.
A fond filigrané d’or. Une large bande d’arabesques d’or, à fond filigrané, reçoit, dans ses réserves, de petits bouquets ou des fleurs isolées; sur les assiettes, les bols, l’espace libre, au centre ou au-dessous de l ornementation principale, est occupé par des groupes de fleurs distribués avec goût.
A fond camaïeu. Nous retrouvons ici les bordures&les médaillons roses, violets, d’or, losangés à points ou imbriqués de l’espèce a mandarins. Seulement des fleurs, parfois assez grossièrement peintes, occupent tous les espaces restés vides dans la décoration générale.
Rien n’est commun comme ces porcelaines dont le marché est littéralement encombré; beaucoup sont d’une pâte&d’un décor vulgaires; quelques autres, exécutées sur commandes européennes, se font remarquer par la complication savante des formes, la richesse&le fini de la décoration peinte. Des soupières& des légumiers à contours sinueux, à anses&couvercles ornés de reliefs, dans le style de l’orfévrerie du XVIIe siècle, des plats& des assiettes à marly cancellé ou tressé à jour, des corbeilles de dessert également à jour&à anses légères, semblent avoir servi plus tard de modèles aux plus beaux produits de la Saxe.
A fonds pleins. Ces fonds sont assez rares; nous avons déjà parlé d’une tasse gris perle, à bouquet émaillé&bordure filigranée rouge; on remarque le même gris décoré en camaïeu bleu de relief. Nous possédons une autre tasse entièrement émaillée de bleu avec petits médaillons en réserve; les fleurs qui s’y trouvent sont fines&délicates. Le fond rouge de fer, ou pseudo-laqué, se rencontre aussi quelquefois.
A fond damassé. Le damassé est blanc sur blanc; il est parfois formé d’une ornementation quadrillée régulière,&plus souvent encore d’un semé de fleurs&feuillages relevés de traits gravés à la pointe. Dans quelques services un simple filet circonscrit le bord des pièces&les réserves; celles-ci portent un bouquet riche de ton, assez bien peint; mais dans d’autres, une bordure filigranée rouge s’adjoint au fond,&la réserve est occupée par un paysage grossier indiqué au trait avec des émaux criards.
A reliefs appliqués. On trouve rarement aujourd’hui cette espèce, très-fréquente autrefois,&qui nous arrivait blanche ou décorée. Les plateaux, tasses&soucoupes sont entourés d’une vigne en relief dont les sarments se détachent dans leurs principales ondulations; un écureuil, également en relief, se joue parmi les feuilles. Outre la délicatesse&le style particulier de la sculpture, les porcelaines à écureuil se recommandent à l’attention par leur peinture. Une bordure extrême, en bleu sous couverte, est celle des mandarins; au-dessous de la couronne en relief, un groupe composé de fleurs&de fruits s’épanouit, non sans grâce; mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est le mode d’exécution; par le dessin les fleurs font bien celles de l’Inde; les émaux ont la teinte particulière de ceux de la division; seulement, au lieu de modeler en hachures empruntées à l’oxyde métallique du dessous, le peintre emploie le même artifice que les artistes européens, mêlant du brun au jaune&au rouge, du noir violacé au rose,&il obtient ainsi plus de vigueur&de relief. Beaucoup de personnes ont pensé que ces porcelaines étaient surdécorées en Europe. Il est manifeste pour nous qu’elles ont, au contraire, servi de modèle aux premiers essais polychromes de l’Allemagne. (Pl. X, fig. I.)
A feuilles versicolores. On rencontre encore abondamment dans le commerce des potiches dont la panse entière est couverte par un groupe de feuilles dentées ou sinuées, les unes bleues (sous couverte), les autres vert pâle, rose, jaune, émaillées; au bas du faisceau principal s’épanouit une large fleur aux pétales découpés ornementalement, avec un cœur fermé, d’une couleur particulière; les pétales sont roses, doublés de jaune, la pomme centrale jaune ou verdâtre, panachée de rose; quant aux feuilles, leur forme, leurs dimensions, feraient penser au châtaignier, tandis que leur couleur rappelle le platane aimé des Orientaux, tant à raison de son ombrage, que de l’effet pittoresque de ses tousses, variant du vert frais au rouge vif, en passant par les nuances intermédiaires.
Le bord de la pièce porte une légère guirlande de fleurettes&, derrière les grandes feuilles, sortent des tiges surmontées aussi de fleurs délicates en rouge de fer, jaune, rose ou bleu émaillés.
Si nous avons décrit les potiches, communes par le nombre& souvent par la qualité, on voit quelques porcelaines de même décor&d’une forme plus rare, telles que des tasses&soucoupes, des bols; nous avons rencontré aussi des légumiers, deux magnifiques plateaux carrés&un service de table complet de l’espèce à feuilles versicolores. (Pl. X, fig. 4.)
La singulière fleur, espèce d’anonée, toujours accolée au groupe de feuilles changeantes, se retrouve feule dans de grandes pièces admirables d’exécution&de finesse, que leur excessive rareté nous empêche feule de prendre pour type du genre, sauf à modifier la dénomination indiquée plus haut.
Une paire de vases appartenant à M. le baron Gustave de Rothschild réunit toutes les qualités particulières à cette précieuse porcelaine; haute de150centimètres, chaque pièce, blanche&mince, porte sur fa grande face le fong-hoang merveilleusement exécuté. Des fleurs nombreuses,&surtout l’anona, l’accompagnent de leurs teintes suaves; enfin des bordures arabesques à fines mosaïques entourent le col&se répètent sur le couvercle de chaque potiche.
Ce sont là des pièces que les anciennes flottes espagnoles osaient feules importer,&qu’il faut chercher aujourd’hui dans les collections princières.
3e Genre. Porcelaine anomale.–Cette porcelaine incontestablement orientale, comme le démontrent fa pâte&ses émaux, semblerait, dans certaines parties, révéler l’influence européenne. Les chairs font modelées avec soin; les fleurs peintes&étudiées en vue d’une imitation parfaite de la nature; les ornements cèdent d’un goût particulier&semblent empruntés à l’époque Louis XIII.
Peu nombreux en espèces, le genre se compose de rare duits, savamment façonnés,&de formes si voisines de celles à usage, qu’il ferait difficile de dire s’ils ont été fabriqués pour être employés sur place ou exportés. Ainsi, la plupart font des plats, des assiettes, des pots à eau ou à crême. Les spécimens observés par nous affectent deux dispositions tranchées dans la décoration; les uns font à personnages; les autres, à fleurs&arabesques.
Personnages. Par le costume&la physionomie, ils ne peuvent être comparés à aucun de ceux décrits par nous jusqu’ici. Ce sont des hommes sans barbe, au crâne nu, aux oreilles pendantes par le bas, ayant le nez mince&aquilin, la bouche agréable, le menton proéminent, les pommettes accentuées,&une expression générale de bienveillance intelligente&de dignité. Si nous confrontons ces traits avec les figures&les signalements donnés par les voyageurs, ils se rapportent de tous points à la race primitive du Japon, cette race de demi-dieux, bientôt dégénérée par son mélange avec les enfants de la terre,&dont les derniers descendants forment aujourd’hui la haute aristocratie de l’empire ou Daïri. Le riche vêtement de ces personnages suffirait au surplus à les faire reconnaître pour les dignitaires d’un état; un manteau de cérémonie jeté sur les épaules&croisé par devant, recouvre une longue tunique sous laquelle on aperçoit à peine le bout des pieds, chaussés de babouches rouges; le manteau est d’étosse épaisse&forte, à en juger par les larges cassures des plis,&de couleur brune, rose, lilas& encore plus souvent d’or; un semé de fleurs en rosaces relève le fond,&, chose remarquable, on entrevoit près de la poitrine l’une de ces fleurs indiquée en couleur spéciale, blanche, parmi celles d’or, ou d’or, parmi les blanches, comme pour figurer les décorations européennes, ou bien encore, certaines broderies du vêtement romain.
Sur le plus grand nombre des vases, les figures sont au nombre de quatre, trois assises autour de la petite table basse usitée en Orient, la quatrième debout. C’est, sans nul doute, la représentation d’un repas d’étiquette; deux des hommes accroupis tiennent à la main des poissons tirés, selon toute apparence, de la cuve en porcelaine placée sur la table; le personnage debout est peut-être l’officier présidant au service. Le paon perché sur une barrière située au second plan, l’herbe&les plantes croissant sur le sol, indiquent que la scène se passe dans un jardin. (PI. XI, fig. 2.)
Notre description est faite d’après des cornets appartenant à M. Paul Gasnault; nous avons vu des assiettes de même dessin chez MM. Beurdeley, Malinet& Mme Lemercier. Toutes ces pièces portaient une bordure jaune à écailles tracées en noir.
D’autres assiettes ont un sujet différent, presque toujours effacé en partie par la cuisson, mais que nous essayerons d’expliquer d’après les spécimens les plus parfaits que nous connaissions (Coll. Weddell&Malinet). Au centre est un bosquet arrondi en dôme, soutenu par quatre piliers de verdure, à jour, surmontés de boules, également taillées dans le feuillage; toute cette construction végétale, entourée de fleurs grimpantes, rappelle, à s’y méprendre, les singuliers enjolivements usités dans les parcs, du temps de Louis XIV&de Louis XV. Deux femmes occupent le pavillon; la première, âgée, se tient debout, offrant une fleur épanouie à la seconde qui est assise; celle-ci, jeune, élégamment vêtue, semble interdite&se détourne à demi; à droite, un jeune homme en manteau violet, se penche pour écouter ou voir la jeune fille; à gauche, sur le devant, trois hommes forment un groupe; celui du premier plan, assis à terre&vêtu d’or, va être couronné de fleurs par le vieillard placé derrière lui; l’autre vieillard joint les mains en signe de satisfaction. A leurs pieds est une pièce d’eau où nagent deux canards mandarins.
Cette scène ne peut être que le mariage oriental; nous y voyons l’entremetteuse accomplissant sa mission officielle, dont le fiancé attend le résultat entre les deux pères de famille. Cette supposition s’appuie, non-seulement sur l’inspection du sujet, mais encore sur les emblèmes. Le canard mandarin est l’attribut de l’amour conjugal; dans les ornements accessoires, de nombreux papillons nocturnes, symboles de la fécondité, alternent avec la pêche de longévité, le raisin&diverses fleurs également expressives. A part les réserves à fleurs, le marly est couvert par un losangé noir sur fond vert clair.
Une autre représentation féminine, plus grande&par conséquent plus distincte, existe sur une plaque à bordure d’ornements en relief gracieusement découpés, qui fait partie de la collection Malinet. Cette femme a les cheveux relevés à la chinoise; sa tunique violette, ouverte très-bas&sans ceinture, est entourée d’une bordure blanche rabattue sur le col,&découpée vers le limbe extérieur; sous la tunique apparaît le bas d’une robe bleu pâle. Elle porte deux flambeaux, l’un élevé, l’autre abaissé vers la terre. Comme les deux femmes du sujet précédent, elle a le pied non déformé; ses manches longues ne sont cependant pas destinées à couvrir les mains.
Il nous reste à parler d’une porcelaine extraordinaire, même parmi les précédentes,&dont nous possédons un spécimen (Coll. Jacquemart); elle figure aussi dans la collection céramique de Sèvres &dans celle de Mme Malinet.
Sur la pâte fine dite coquille d’œuf, s’étend un émail noir mat, à reflets irisés, bordé de légères arabesques d’or. Au centre, deux Indiens debout sonnent une fanfare; le premier, couronné de plumes, vêtu d’une tunique vert d’eau&chaussé de sandales, embouche la trompette; le second, coissé d’un turban,&habillé de jaune, donne du cor. Ces costumes, demi-sauvages, demi-turcomans, n’ont sans doute aucun caractère de nationalité; ils nous paraissent copiés sur quelque vignette européenne; mais les deux noirs, naïvement destinés, sont modelés avec soin; leurs joues gonflées expriment bien l’action&font comprendre l’énergique sonorité du concert (PI. XI, fig. I.).
Arabesques&fleurs. Si, par les traits&les vêtements, les personnages de ce genre surprennent&embarrassent l’observateur, les ornements accessoires ne sont pas de moins difficile attribution. Nous venons de parler de la bordure arabesque de notre tasse à fond noir; il suffit d’y jeter les yeux pour reconnaître la pureté, l’originalité de son style&sa forme toute nouvelle. Les pièces au mariage portent un fond losangé particulier, qu’on pourrait appeler à facettes; de distance en distance sont tracées, en traits rouges, une valve de coquille vue par le talon (genre Pecten ou Venus)& une figure composée de sept plumes flexueuses implantées dans un culot ornemental. Cette figure, en relief,&colorée de rouge de fer&de vert pâle, domine&couronne la plaque de Mme Malinet; on la retrouve dessinée en grand sur des vases (petites potiches ou pots à crême) dont elle couvre la panse; elle est rouge de fer sur fond à facettes au trait, ou lilas sur fond jaune aussi à facettes. Sa constante répétition lui donne évidemment un caractère significatif. (Voir pl. XI, ces divers ornements.)
Dans les pièces purement arabesques, les rinceaux, les feuillages, les combinaisons géométriques, ne rappellent en rien l’invention orientale; ainsi, sur le marly des assiettes court une poste d’acanthes à fleurons inspirée sans doute de quelque œuvre du XVIe siècle, suivie d’une seconde bordure en bleu sous couverte rehaussée d’entrelacs en traits d’or. Au centre figure un bouquet composé de l’iris germanique&d’une fleur orchidée; toutes deux sont peintes en émaux de relief avec un soin&une vérité qui feraient honneur à nos artistes européens; au cœur de l’orchidée gît une chenille hérissée; une autre larve de lépidoptère ronge la feuille de l’iris, tandis qu’un joli papillon (hespérie?) voltige autour du groupe&en complète la gracieuse composition. Les autres fleurs éparpillées sur les porcelaines arabesques sont peintes avec le même soin&s’éloignent également des représentations habituelles de l’Orient.
APPENDICE.–Porcelaine vitreuse émalllée.
Nous ouvrons cette division spéciale pour des porcelaines japonaises qui semblent avoir été fabriquées avec des matériaux particuliers, ou du moins, dont la pâte&l’émail sont si purs qu’il en résulte une transparence voisine de celle du verre dépoli, une couleur opaline, en un mot, un aspect de jade blanc. La décoration, très-sobre, d’une grande netteté d’exécution, présente toujours des émaux en relief,&souvent des espèces de perles blanches presque hémisphériques.
Le type de cette fabrication consiste pour nous dans les rares coupes à saki rapportées par M. de Siebold (PI. XII, fig. 5); le plus grand nombre se trouve réuni dans sa collection, à Leyde; quelques autres ont été offertes par lui au musée céramique de Sèvres; nous avons été assez heureux pour en rencontrer dans le commerce un échantillon pour notre suite.
Les coupes à saki, subhémisphériques, très-évasées, ont un pied comparativement élevé&un peu conique; des graminées, des oiseaux, en simples traits rouges ou d’or, ou une femme couchée, légèrement peinte, forment le sujet principal; c’est dans la bordure que se trouvent les émaux blancs ou bleus en grand relief. La fabrication de ces charmants produits s’est continuée avec une telle fidélité d’imitation, qu’il est extrêmement difficile de distinguer les vases anciens des modernes. La collection Siebold en renferme un orné du portrait d’une impératrice, dont l’antiquité ne saurait faire doute; eh bien, nous avons acheté, au bazar royal de La Haye, un vase semblable venu directement de la fabrique&débarqué depuis quelques mois; aucune différence dans la pâte, dans les émaux&dans le faire ne permettait de constater sa date plus récente. Depuis, il est vrai, M. Malinet a rapporté du même bazar une coupe à impératrice moins pure de style&de couleur.
Parmi les produits actuels on ne peut rien voir de mieux réussi que ceux décorés, en bleu sous couverte, d’un paysage montueux; le destin délicat, la pureté du cobalt employé, leur donnent un charme particulier. M. Malinet a bien voulu enrichir notre collection d’un spécimen de cette espèce.
A côté des coupes à saki, se classe une fabrication non moins remarquable&peut-être plus ancienne encore; nous voulons parler de petites tasses campanulées, sans soucoupes, minces comme du papier&du plus beau blanc. L’extérieur, destiné à se détacher sur un présentoir en laque, n’est jamais décoré; en dedans existe un filet d’or; quelques traits d’émail bleu en relief ou d’or indiquent la silhouette d’une montagne&d’un vaste horizon, puis le soleil, des nuages,&des oiseaux volant en ligne. Cette simple esquisse fait allusion au célèbre mont Fousi. Nous possédons (Coll. Jacquemart) une de ces tasses,&deux autres ornementées seulement en or bruni&représentant, l’une le fong-hoang dans les nuages, l’autre une grue éployée. (Pl. XII, fig. 4.)
Par gradations insensibles, ces tasses se font agrandies; on y a joint des soucoupes; les fleurs se font épanouies sur leur blanche couverte,&on les voit ainsi se rattacher aux émaillées roses à décor irrégulier. D’un autre côté, par leur pâte admirable&leur émaillage de relief, les deux espèces ci-dessus mènent à ces admirables produits modernes du Japon, plus minces que la porcelaine coulée de Sèvres,&dont nous parlerons plus longuement au chapitre spécial de la céramique japonaise.
FABRICATIONS EXCEPTIONNELLES.–Blancs.–Dans son acception la plus large, le nom de blanc peut s’appliquer à toute porcelaine non décorée; mais dans la langue des amateurs, ce nom a été réservé à certains produits orientaux, le plus souvent enrichis par la sculpture,&destinés à briller par leur seul mérite sans employer l’artifice de la peinture.
Voici ce que l’abbé Raynal écrivait sur ces produits:
Le blanc ancien est certainement d’une grande beauté, soit qu’on s’en tienne à l’éclat de sa couverte, soit qu’on en examine le biscuit. Cette porcelaine est précieuse, assez rare&de peu d’usage. Sa pâte paraît très-courte,&on n’en a pu faire que de petits vases, ou des figures,&des magots dont la forme se prête à son défaut. On la vend dans le commerce comme porcelaine du Japon, quoiqu’il paraisse certain qu’il s’en fait de très-belle de la même espèce à la Chine. Il y en a de deux teintes différentes, l’une qui a le blanc de la crême précisément, l’autre qui joint à fa blancheur un léger coup d’œil bleuâtre qui semble annoncer plus de transparence. En esset, la couverte semble être un peu plus fondue dans celle-ci. On a cherché à imiter cette porcelaine à Saint-Cloud,&il en est sorti des pièces qui paraissoient fort belles. «Quelques années plus tard, Julliot, dans ses catalogues, s’exprimait ainsi: «Les amateurs n’ont cessé d’estimer les morceaux supérieurs de porcelaine ancien blanc du Japon; son ton velouté est séduisants il est rare d’en trouver de bien réussis dans cette espèce».
Au XVIIIe siècle on connaissait donc l’ancien blanc&, tout en hésitant sur l attribution particulière de ses diverses espèces, on les distinguait a certains caractères,&l’on tentait même de les désigner par les appellations de blanc velouté&blanc foncé. Voyons si nous serons aussi heureux que nos devanciers.
Blanc de Chine proprement dit ou blanc vitreux. Nous nommons ainsi une porcelaine blanche bien caractérisée par la nature de ses éléments&son façonnage. La pâte en est blanche&serrée comme de la neige pétrie; soumise au moulage, elle montre toute sa finesse en rendant avec netteté les détails les plus délicats du modèle; son vernis épais, vitreux, engluant, est d’une transparence telle, qu’il laisse apercevoir, même au fond des cavités où il s’est accumulé par la fusion, toutes les perfections de modelé du biscuit; c’est une glace posée sur la sculpture&qui la garantit en la respectant. Bien que très-vitreuse, cette couverte ne nuit en rien à la couleur de crême, au velouté de la pâte; vue en transparence, elle prend même plutôt une teinte laiteuse&jaunâtre que bleue.
Par une singuliere anomalie, le blanc de Chine, si bien affiné dans ses élements constitutifs, est employé par des procédés annonçant l enfance de l’art; sa pâte courte serrée ne se prêterait pas au travail du tour, on la moule donc, mais elle est pressée dans le moule avec si peu de précaution&de soin, que certaines parties semblent présenter à peine une épaisseur sensible, tandis que d autres sont massives à l’excès. Dans les figures, la matière plastique poussée au doigt, présente, intérieurement, une foule de cavités&de crêtes anguleuses; on conçoit que l’ouvrier se préoccupe peu de l’aspect d’une partie destinée à demeurer cachée aux yeux, mais il montre le même laissé-aller dans la confection des vases creux; une belle théière de la collection de M. le comte de Vieil-Castel nous a offert des rugosités semblables, ce qui avait certes de graves inconvénients lorsque la pièce était employée au service. Les coupes mêmes,&les autres vases que leur forme ouverte permet de vernisser sur les deux faces, font peu unis en dedans, &souvent piqués de noir.
Le blanc de Chine paraît, au surplus, bien moins destiné à l’usage journalier qu’à l’ornementation. Des statuettes de la déesse Kouan-in&du dieu Pou-taï, des panthéons, de petites figurines &des animaux fantastiques, voila sa for me habituelle; quelques brule-parfums à couvercles a jour, souvent a pans, avec des pieds sculptés; des coupes libatoires imitant les vases tailles dans les cornes de rhinocéros,&affectant parfois la forme générale d’une feuille de nélumbo, avec des branchages&des fleurs en demi-relief; plus rarement encore des gobelets, des théières, des taises&des lagènes à parfum, complètent la série de cette fabrication exceptionnelle. (Voir pl. XIV, fig. 2.)
Entraînés par le sujet&sortant de la réserve que nous nous sommes imposée en parlant des porcelaines de fabrication habituelle, nous allons exposer les motifs qui nous font attribuer a la Chine les blancs anciennement considérés comme japonais.
Nous ne citerons pas la phrase empruntée par le Père d’Entrecolles aux annales de Feou-liang&dont il a été abusé depuis plus d un siècle dans tous les travaux relatifs à la porcelaine; nous connaissons trop bien la tendance hyperbolique des écrivains du Céleste Empire pour attacher une valeur réelle à ce qu’ils rapportent de l’ancien blanc. Mais le caractère ethnique des personnages représentés, la nature des ornements&des fleurs, en disent plus qu’une citation banale. La grecque, les figures géométriques tirées des vieux bronzes, le pêcher à fleurs, le nélumbo, toutes ces choses communes au blanc qui nous occupe&aux plus anciens céladons, établissent leur idendité d’origine&peut-être leur synchronisme. Il est, d’ailleurs, facile de s’assurer que les petits groupes, les figurines&les coupes à reliefs ont tous leurs analogues, pour la composition, la forme générale&le travail, dans les objets en corne de rhinocéros, en jade&surtout en pierre de lard, d origine chinoise certaine.
Blanc intermédiaire. Parmi les blancs de Chine on rencontre, dans les collections, un certain nombre de pièces de nature douteuse &d’origine incertaine. Les unes, par leur dimension&leur façonnage, indiquent une pâte plus longue&plus facile a conduire que celle déjà décrite; les autres, par une couleur bleuâtre, une demi-opacité, ou bien encore par un vernis mince&non vitreux, annoncent une fabrication à part.
Nous possédons (Coll. Edmond Le Blant) une potiche non couverte de30centimètres de hauteur, du galbe le plus élégant&le plus pur; sa panse fusiforme est élancée&renflée seulement près de la gorge, qui se relève, par une courbe heureuse,&s’évase en collet très-court; des têtes de lions en applique enrichissent les hanches sans les surcharger, enfin des traits légers, creusés dans la pâte destinent le nélumbo&la fléchière (sagittaria sagittifolia). Ce vase est tourné avec soin, mince, sensiblement égal dans son épaisseur. Certaines parties de la pâte, un peu jaunâtres, indiquent l’inexpérience de la fabrication&, dès lors, une date ancienne. Nous ne doutons pas, à ces imperceptibles défauts, qu’il faille reconnaître ici l’un des chefs-d’œuvre des artistes de la moyenne antiquité. Nous croyons à la nationalité chinoise de la pièce.
Ce vase forme en quelque sorte le passage à une autre espèce ancienne du même blanc, dont toute la surface est semée d’ornements archaïques en demi-relief comme gaufrés: c’est ce que l’on nommait autrefois Pe-ting-khi, vases blancs par excellence; la figure d’un de ces vases se voit dans un recueil de destins envoyé de Chine par les missionnaires. M. Stanistas Julien annonce que les fabricants de Pe-ting faisaient en même temps une foule de petits objets de curiosité fins&communs. Aujourd’hui, on imite les vases blancs à relief, mais en une pâte bien différente comme l’explique l’ouvrage du savant sinologue.
Nous croyons devoir aussi classer parmi les Pe-ting, ou blancs intermédiaires, certains spécimens en porcelaine à destins gravés de manière à être vus en transparence comme ceux de la porcelaine cloisonnée; nous possédons une coupe de ce genre&la pareille existe dans la collection Weddell; on y voit des fleurs&des branches de pêcher à fleurs circulant sur le pourtour&perceptibles soit en lumière, soit dans l’ombre, par la légère coloration du vernis ou sa parfaite translucidité. Nous reconnaissons dans ce rare produit l’espèce décrite par l’abbé Grosier,&dont il parle en ces termes: «M. Turner, dans sa Relation du Thibet, fait mention de très-belles tasses de porcelaine chinoise, dans lesquelles le régent de Teschou-Lounbon leur fit servir le thé.–Ces tasses, dit-il, ou plutôt ces coupes, ont la forme d une jatte de porcelaine, à laquelle est adapté un pied creux sur lequel elles reposent&par où on les tient lorsqu’on veut boire. Elles sont de la plus belle porcelaine, extrêmement minces,&entièrement blanches. Le dragon impérial de la Chine, avec tous ses emblèmes, s’y voit des deux côtés, de la même manière qu’on aperçoit au jour, sur une feuille de papier blanc, le nom ou le chiffre de la manufacture où elle a été fabriquée.»
On voit au musée ethnographique du Louvre une grande cage à perroquet, formée par la répétition d’ornements à jour gracieusement contournés; le fond, d’un blanc éclatant, est parfaitement homogène; mais la couverte est bleuâtre dans tous les endroits où elle a pu s’accumuler¬amment dans le sillon régulier qui forme une bordure de chaque côté des ornements. Exceptionnelle par fa dimension, cette pièce, bien réussie, dénote une grande habileté de facture&n’est certes pas de la même qualité que les pièces à décorer. Nous lui trouvons une certaine parenté avec des potiches moyennes, assez rares, à surface régulièrement onduleuse ou à grandes fleurs d’un faible relief, très-légèrement ombrées par la demi-teinte de l’émail. Cette qualité mène, par une gradation insensible, aux céladons&pourrait, à la rigueur, en réclamer le nom. (Voir Céladon blanc.)
Il nous reste à signaler un vase offert par nous à la galerie céramique de Sèvres&dont nous conservons un double (Coll. Jacquemart); c’est une coupe ornée d’une guirlande circulaire de fleurs &feuillages découpés à jour; vers le bord supérieur l’émail a été enlevé à la pointe pour former une grecque brillante sur le fond mat de la pâte; un travail analogue indique, en traits profonds& non vernissés, les hachures ombrantes des pétales&les nervures des feuilles. Il résulte de ce mélange du blanc terne&du blanc éclatant un ensemble harmonieux des plus singuliers. La riche fuite de M. d’Aigremont renferme une pièce analogue tout ornementale. Ce font là, sans doute, les œuvres d’un potier amoureux de son art&désireux d’en varier les procédés. A certains signes de pratique, aussi bien qu’au style du décor, nous jugeons ces coupes d’origine japonaise.
Blanc non vitreux. Nous ne doutons pas que cette porcelaine ne soit celle désignée par Julliot sous le nom de blanc foncé; en effet, son aspect opaque, gris, voisin de certains grès cérames, justifie en partie cette appellation. La pâte en paraît grossière,&cependant elle se prête à toutes les finesses d’un modelé parfait; la couverte est étendue au pinceau avec rapidité sans doute, car certaines parties du biscuit sont presque à nu. Ce procédé singulier de vernissage ne contribue pas médiocrement à augmenter l’apparence rugueuse ou plutôt granuleuse des grandes surfaces.
Les pièces de cette espèce que l’on rencontre le plus souvent sont des canards presque de grandeur naturelle, sculptés avec art &aussi vrais dans leur attitude générale que dans leurs détails; le bec&les pattes ont la couleur naturelle&les yeux sont en émail. Il ne faudrait pas confondre ces oiseaux avec les coqs&autres animaux d’exécution barbare déjà signalés à la famille chrysanthémo-pæonienne. Les blancs qui nous occupent sont toujours des objets d’art,&leur ton mat les distingue des pièces vitreuses&bleuâtres dont il s’agit. Nous avons observé dans la collection Malinet un vase blanc non vitreux assez remarquable pour mériter une description particulière. C’est une fontaine à thé, polygonale, rappelant par le style les porcelaines à reliefs de la deuxième famille. La pâte paraît avoir été pressée entre deux toiles, car on voit encore intérieurement le grain du tissu; la surface extérieure, planée &polie avec soin, porte, gravé en creux à la pointe, un bouquet de fleurs sur chaque face. Des pieds en grisses, surmontés de têtes fantastiques, supportent la pièce; deux têtes semblables d’où fort une forte de corne relevée forment les anses. Les parties sculptées ne laissent rien à délirer pour le fini; mais les surfaces planes, vernies au pinceau avec parcimonie, prennent une apparence granuleuse qui serait confondre, de loin&au premier coup d’œil, cette œuvre distinguée parmi celles de qualité secondaire. Une fontaine analogue se retrouve chez M. Guntzberger.
il existe des grands vases blancs à reliefs de fabrication moderne; leur forme, complètement opposée à l’archaïsme de la décoration, ne permet pas de les confondre avec les produits anciens; ce sont les imitations de Pe-ting mentionnées plus haut.
Les blancs ont été longtemps entourés en Europe, d’une estime égale à celle dont ils jouissent en Chine; sans rappeler ce que nous avons dit dans notre introduction, touchant les blancs de Chine offerts à la reine Elisabeth d’Angleterre, ou conservés au palais de Fontainebleau, nous constaterons, avec MM. Brongniart&Riocreux qu’en Espagne on donne aux vieux blancs la préférence sur les porcelaines décorées. Dans le catalogue de la collection Fonspertuis, rédigé en1747par Gersaint, on trouve la mention de pièces fort recherchées&montées en or. Une petite théière obtint, en effet, une enchère de151H10S,&une autre trouva acquéreur à124H.
Quelles qu’aient été les fluctuations de la mode, cette fabrication de choix n’a jamais perdu complètement sa valeur; à Paris, &surtout en Hollande, nous avons encore trouvé beaucoup de vases parés de leur ancienne orfévrerie&réservés pour les amateurs d’élite.
Bleu turquoise.–On fait que la turquoise est un ivoire fossile coloré par l’oxyde de cuivre,&dont la teinte passe, selon le degré de perfection de la pierre, du jaune verdâtre au vert bleu pour arriver au céleste pur. Il nous semble donc convenable de nommer, avec M. Salvétat, bleu turquoise, la couleur empruntée au cuivre, dont les Chinois ont fait un si heureux emploi dans la couverte de certaines pièces. Alexandre Brongniart&les anciens catalogues lui donnent le nom de bleu céleste; mais cette dénomination serait, à notre avis, une cause d’erreur&de confusion, les Orientaux ayant fabriqué du bleu céleste, du bleu du ciel après la pluie, en y employant l’oxyde de cobalt. Il nous paraît heureux de rencontrer un mot d’autant plus capable de faire distinguer les deux espèces, qu’il indique, par analogie, la base réelle de la couleur&les variétés qu’elle peut offrir, selon fa réussite.
La porcelaine turquoise, tournée en vase, ou moulée en grandes pièces, est habituellement mince; contrairement à l’habitude chinoise, elle est cuite en biscuit&revêtue ensuite de l’émail coloré, extrêmement vitreux, qui manifeste une tendance à la craquelure. Dans fa perfection, cet émail est mince, bien glacé, pâle&très-pur de bleu; trop épais, il se fendille, s’accumule dans les parties creuses &tourne au vert.
Le plus souvent le bleu turquoise se formule en petites figurines, en animaux fantastiques, en perroquets de proportion réduite; mais on rencontre par exception des spécimens importants qui sont hors de prix. Citons comme exemple les chimères du mufée de Sèvres, si parfaitement réussies, de même que le socle violet qui les supporte; les vases de M. Lafaulotte, des plateaux en forme de feuille avec dragon en relief appartenant l’un à M. le comte de Morny, l’autre à Mme Malinet,&la charmante coupe à bord évasé de la salle chinoise au Louvre (no224).
Cette porcelaine rare a toujours été estimée des véritables amateurs; en1782, un magot (c’est ainsi qu’on nommait alors les personnages, dieux ou bonzes, saints ou mendiants), un magot fut vendu340livres.
Aujourd’hui on teint en bleu turquoise les figurines&les animaux de blanc de Chine; il faut se méfier de ces contrefaçons, habituellement fort bien réussies.
Violet ancien.–Le violet, plus rare encore que l’émail précédent, a pour base principale l’oxyde de manganèse&il s’applique dans les mêmes conditions, c’est-à-dire sur la pâte déjà préparée en biscuit,&sur des pièces de nature semblable, animaux, statuettes ou vases de toutes dimensions. Dans fa réussite parfaite la couleur est d’un ton chaud, velouté, profond fous une mince épaisseur; moins pure, ou cuite dans de mauvaises conditions, elle tourne au pourpre brunâtre. Ces caractères permettent de la distinguer du violet bleu dont il fera prochainement question&qui est produit par le cobalt.
Nous devons citer, parmi les spécimens les plus extraordinaires que nous ayons vus en violet ancien, un vase figuratif de la collection de M. d’Aigremont: une carpe&son carpeau se jouent parmi des feuilles aquatiques; les deux poissons, gracieusement enlacés, rendus dans leur ensemble&leurs détails avec l’exactitude&la science d’un art avancé, font teints de l’émail violet; les rochers& les plantes ont été enduits d’une couverte bleu turquoise. Cette association des deux couleurs est fréquente; nous avons déjà cité les chimères de Sèvres, bleues à socle violet; beaucoup de petits chiens de Fo en violet commun ou brun pourpré font posés sur-des feuilles bleues,&l’on rencontre même des pièces sur lesquelles les deux teintes, jetées en masses irregulières, prennent l aspect agatisé.
D’autres vases non moins exceptionnels ornent le cabinet de M. le comte de Morny; hauts de40centim., ils affectent la forme d’un tube de bambou divisé par ses nœuds; à la partie supérieure, une jeune pousse échappée de l’une des articulations se contourne en S&forme un goulot, ce qui prouve qu’il s’agit ici de pièces d’usage,&non de cylindres de décoration; la beauté du ton, la parfaite réussite de ces vases les rendaient suffisamment précieux, pourtant, au XVIIIe siècle, Goutière a été chargé de les embellir d’une monture digne d’un souverain,&l’habile artiste n’a point sailli à sa tâche; mascarons délicieusement ciselés, guirlandes délicates, moulures heureusement choisies, rien ne manque à ce chef-d’œuvre. L’Empereur l’a jugé si parfait, qu’il a voulu en doter la collection d’un homme de goût, connaisseur éclairé.
Si, dans le siècle dernier, il s’attachait au bleu céleste une estime particulière, le violet n’était pas moins recherché; à la vente de Mme de Mazarin, un chat de8pouces de haut (216millimètres), légèrement restauré, fut poussé jusqu’à1,800livres. Quels prix auraient donc obtenu, nous ne dirons pas des vases inestimables tels que ceux de M. le comte de Morny, mais le groupe figuratif de M. d’Aigremont, groupe intéressant sous le rapport de l’art& dont la proportion est de43centimètres.
Les derniers arrivages de Chine,¬amment ceux venus à l’adresse de M. Tastet, prouvent combien le violet est plus rare que le bleu; à peine ont-ils procuré aux collections quelques pièces d’une certaine importance; la plus belle, offerte par M. Tastet à Sèvres, était un bol évasé ancien, d’un ton charmant; le reste se composait d’animaux chimériques&de petits exemplaires plus ou moins réussis.
Considérés au point de vue technique, le bleu turquoise&le vieux violet ont un caractère spécial; la pratique exceptionnelle d’une première cuisson (biscuit) pour la pâte qui les porte prouve assez jusqu’à quel point ils s’éloignent des couleurs voisines de nuances¬amment des céladons. M. Salvétat les signale comme couleurs de demi grand feu&annonce y avoir découvert, par l’analyse, une proportion notable d’oxyde de plomb. Ces raisons sont plus que suffisantes pour nous faire classer à part les couvertes vitriques bleue&violette que certains auteurs qualifient céladons.
Le livre de M. Stanislas Julien fait remonter la fabrication du violet couleur de la peau d’aubergine à la dynastie des Song (960-1279); mais, en rapprochant les commentaires tirés des mémoires de Tsiang, des observations contenues au dernier paragraphe de la page75, on reconnaît que les vases des Song n’étaient pas feldspathiques,& que la vraie porcelaine violette a pris naissance à King-te-tchin.
Céladons.–Avant d’étudier les porcelaines dites céladons, il convient de rechercher l’origine&de déterminer la véritable signification du nom qu’on leur a appliqué. Lorsqu’en1647, Honoré d’Urfé publia son roman d’Astrée, une vogue inimaginable s’attacha aux formes ridicules&à la fable absurde de cette longue rapsodie; le livre devint en quelque forte le manuel de la cour&de la bourgeoisie; on le lut&relut au point d’introduire dans la conversation les tournures apprêtées de fa phraséologie sentimentale. Les bergers du Lignon furent les modèles de la haute société française; les hommes éminents s’abaissèrent jusqu’à répéter près des femmes les tirades quintessenciées de cette philosophie amoureuse. Et, chose étonnante, la mode dura longtemps, en dépit des grands écrivains, des épigrammes de Boileau, des Précieuses ridicules; au XVIIIe siècle on vivait encore dans cette atmosphère artificielle; des personnages sérieux empruntaient le pinceau de Pater&de Lancret pour se faire peindre en céladons, affublés de vêtements de soie, de rosettes surabondantes, tenant les pipeaux ou la houlette du berger; on peut citer parmi les plus célèbres le maréchal de Richelieu, de galante mémoire.
Or, pour mettre d’accord la fade pastorale&leurs habits d’emprunt, ces bergers courtisans choisissaient les couleurs les plus tendres, les moins déterminées: le vert d’eau, le lilas, le rose pâle, le bleu céleste ou cette foie changeante appelée gorge de pigeon; voilà les étoffes acceptées,&les tableaux de Watteau, surtout le Départ pour l’île de Cythère, ne laissent nul doute à cet égard. La langue ne tarda point à ressentir l’influence de cette mode&, dès1690, Antoine Furetière donnait droit de cité au mot céladon, en le définissant ainsi: «Couleur verte, blafarde, mêlée de blanc, qui tire sur le blanc.» En1694&1695, l’Académie acceptait à peu près la même définition,&disait dans son dictionnaire: «Céladon, couleur verte mêlée de beaucoup de blanc, taffetas céladon.» Ici, cependant, il y a restriction; il ne s’agit plus que d’une couleur procédant du vert, tandis que le premier lexicographe avait entendu étendre le mot à tout ce qui est blafard, mêlé de blanc ou tirant sur le blanc. Les catalogues anciens paraissent avoir accepté ce sens général, car s’ils désignent comme céladon une porcelaine particulière, souvent verdâtre, ils en citent d’autres de tons foncés&de tons clairs, nuancés de brun, de bleu céleste,&c.. A son tour, Sallé explique céladon par tendre ou flou,&. il ramène ainsi le langage de la curiosité à la définition de Furetière. Appuyés de ces autorités, nous prendrons le mot comme signifiant une couverte de couleur pâle, nébuleuse, légèrement ombrante par accumulation, &passant du gris verdâtre au vert de mer ou du blanc bleuâtre au bleu gris dit empois. Ces caractères répondent bien a une couverte tendre ou flou, dans le sens que la peinture donne à ces deux mots.
Si nous cherchons maintenant la raison d’être des couvertes céladonnées, elle nous semble facile à expliquer; les anciens céladons sont tous travaillés en pâte lourde, grossière, brunâtre, plus voisine des grès que de la porcelaine; ainsi nous apparaissent les spécimens véritablement antiques&reconnaissables pour tels, non-seulement à la nature du subjectile, mais encore à la couleur du vernis&au style des ornements. Pour dissimuler le défaut d’une poterie aussi rudimentaire, il fallait nécessairement la couvrir d’un enduit non pas précisément opaque, mais assez peu transparent pour empêcher le fond de reparaître&d’ôter à la couleur cherchée, le vert d’eau par exemple, sa fraîcheur&son éclat vitreux; le pe-yeou, couverte blanche mêlée au vernis coloré, devait produire l’effet désiré en abaissant, d’ailleurs, ou rendant plus flou, plus tendre, le ton obtenu.
D’après MM. Brongniart&Riocreux, les plus anciens céladons seraient représentés, au musée céramique de Sèvres, par un plat sestonné dont le bassin porte une mosaïque à quadrilles en relief; la couverte, d’une teinte sombre vert de mer, fait ressortir l’effet des impressions en les ombrant. Cette pièce offre, dans l’opinion de ces deux savants, les caractères attribués par le Père d’Entrecolles à une certaine porcelaine de King-te-tchin, fabriquée avant l’établissement de la dynastie des Ming (1368); du temps de ce religieux, un mandarin contrefaisait les céladons anciens&donnait ses copies en cadeaux, aux grands de l’Etat, comme objets d’une haute antiquité.
Nous acceptons&le type&les indications fournis par les auteurs de la description du musée de Sèvres&nous disons avec eux: Céladons primitifs: pâte dense, plutôt brune que blanche, ordinairement à reliefs; couverte épaisse, vitreuse, semi-opaque, d’un vert olivâtre. Nous avons trouvé, dans la précieuse collection de M. d’Aigremont, un vase de cette espèce imitant dans fa forme &ses détails, les vieux bronzes d’usage religieux; des têtes de chimères portant des anneaux détachés, une ornementation géométrique de style primitif, tout y révèle la pratique du métal fondu bien plus que celle de la céramique.
Plus tard la terre s’épure; ses éléments moins colorés, plus fictiles, se prêtent au tournage aussi bien qu’au travail à la housse, &permettent d’appliquer un émail à teintes fraîches passant du vert d’eau au gris verdâtre presque blanc. Sous cette forme un peu plus moderne, le céladon se pré fente avec deux décors inhérents à la pâte; l’un à demi-reliefs comme dans les vases antiques: c’est le céladon fleuri; l’autre à dessins gravés en creux&teintés par la couverte: Céladon ciselé ou graré (Tchoui).
Le vernis gris pâle ou vert d’eau est parfois associé, sur la même pièce, à la couverte ordinaire; nous possédons des tasses céladonnées extérieurement, tandis que l’intérieur, blanc, est enrichi de dessins en bleu exécutés sur le cru; des gourdes&des lagènes à col allongé offrent les deux couvertes, réunies côte à côte ou séparées par une zone étroite de craquelé.
L’extrême habileté avec laquelle les Orientaux varient la composition&le posage de leurs couvertes, permet d’étendre à l’infini les ressources de la décoration; ainsi l’on rencontre des vases en céladon à réserves peintes en bleu ou en couleurs diverses; d’autres où la teinte verte se borne à remplir des cartouches ou médaillons, ou bien encore à colorer des rochers, dans un paysage,& des oiseaux, des fleurs, des feuillages, dans des compositions agrestes. Une assiette du XVe siècle nous a montré un paysage en traits bleus exécuté fous céladon&nous avons vu, chez M. Beurdeley, une magnifique coupe de la même porcelaine sur laquelle le paysage était émaillé en couleurs saillantes; c’est là un spécimen tout exceptionnel&, à en juger par le style, d’une date fort reculée.
Les céladons verts paraissent devoir leur coloration à l’emploi d’une pierre ferrugineuse encore inconnue de nos chimistes,& peut être aussi aux conditions particulières de cuisson. La fabrication s’en continue en Chine&la parfaite similitude de teinte des produits actuels doit faire croire à la certitude des procédés de composition. Les vases modernes sont généralement ornés de zones blanches avec des dessins bleus très-réguliers.
Céladon gris bleu, dit empois. Cette couverte, à la teinte près, a tous les caractères de la précédente; ombrante par épaisseur, semi-laiteuse, elle s’emploie de la même manière&produit un effet semblable; le nom vulgaire de bleu empois, exprime très-bien, du reste, son apparence; l’empois est un liquide rendu laiteux par une dissolution d’amidon&coloré par une très-petite quantité d’azur en poudre, on silicate de cobalt.
Posé sur les vases de grande ou de petite dimension, le céladon cobaltifère est ordinairement peu foncé&plutôt gris de perle que bleu; sur les figurines&les petites bouteilles à parfums, il est épais &plus chargé, dès lors, de l’oxyde colorant. Nous l’avons presque toujours rencontré sur des pièces unies,&non point associé à la ciselure&au relief. Une très-petite lagène couverte d’un groupe de ling-tchi&une tortue (vase figuratif) à la carapace géométrique font exception à cette règle; l’émail aide au relief des détails tracés sur ces objets.
Toutefois, si le céladon bleu se combine moins que le vert avec la sculpture&la gravure céramiques, les potiers orientaux ont imaginé de l’enrichir par d’autres moyens. La pâte reçoit, préalablement au vernissage, un décor en traits bleus foncés&rouges vifs (de cuivre), relevé par des touches blanches posées en engobe; l’ensemble, une fois glacé, est d’une harmonie parfaite. On rencontre souvent ainsi des oiseaux au ventre blanc voletant sur les branches du pêcher à fleurs. Ce genre de décor a été appliqué aux deux espèces de céladons; un vase du musée de Sèvres presque couvert de branches de pins&de tiges de bambous, parmi lesquelles perche ou voltige une famille entière de passereaux à longue queue, est le plus bel exemple que nous en puisfions citer. Une autre ornementation, rare dans les vieux verts, assez fréquente dans les bleus anciens,&commune sur les empois modernes, consiste dans la réserve en blanc de plantes&d’ornements en petit relief, ou pour mieux dire gaufrés, car les détails ont autant d’importance que les masses principales.
Des vases empois nous ont offert quelques inscriptions extérieures alternant avec les bouquets; sur l’un d’eux, appartenant à M. Gleizes jeune, les inscriptions étaient en caractères japonais. Cette précieuse indication, rapprochée du style&du faire d’un certain nombre de pièces, nous permet de constater que la fabrication des céladons n’est pas spéciale à la Chine.
Craquelés.–La couverte craquelée, truitée ou tressaillée, tsoui-yeou, est particulièrement estimée en Orient,&fa rareté l’a toujours fait rechercher des Européens. A vrai dire cependant, la disposition de cette couverte est due à un défaut, à un accident,&dans les fabriques de France, tout objet treffaillé est, en même temps, pièce de rebut. En effet, lorsqu’une pâte&son vernis ne font pas rétractiles &dilatables au même degré, dans des conditions analogues, la première entraîne l’autre, le divise en segments plus ou moins multipliés&plus ou moins réguliers. Par l’usage, cet accident se produit inévitablement dans les faïences; il est plus rare dans la fabrication&l’emploi des porcelaines. Or, avec la patiente réflexion qui caractérise leurs actes, les Orientaux ne pouvaient observer un pareil défaut sans chercher à s’en rendre maîtres&à le régulariser à volonté. C’est ce qu’ils ont fait, sans doute à force de tâtonnements empiriques, composant des couvertes susceptibles de se fendre en grands, moyens ou petits fragments,&remplissant les sillons avec des couleurs diverses, selon les lois de l’harmonie& du bon goût.
Nous allons étudier les craquelés en les rangeant aussi méthodiquement que possible.
Craquelés moyens remplis de noir. D’après M. Stanislas Julien c’est fous les Song du Sud (1127-1179) qu’on a inventé les Tsoui-K’i; la pâte en était grossière&dure; ils étaient épais&lourds, blanc de riz ou bleu clair. Ce signalement, répété par le Père d’Entrecolles, convient aux craquelés anciens désignés par les amateurs sous le nom de craquelés gris. L’excipient en est brun&granuleux; la couverte grise, par l’influence inévitable du dessous; c’est sans doute cette couleur demi-transparente de l’émail comparable à la substance amylacée du riz en coction qui a valu au craquelé sa description chinoise. Les fentes du vernis sont remplies par une encre épaisse. Si rudimentaire que soit la matière des Tsoui-k’i, elle se prête assez bien au façonnage pour se formuler en jarres à pieds, en brûle-parfums&en vases de galbe élégant; souvent des anses en forme de têtes de lions&des zones à impressions de rinceaux& de grecques servent à les orner; ces accessoires sont ajoutés par application d’une matière brune d’apparence ferrugineuse quelquefois surdorée (Pl. XIV, fig. 3). Le craquelé gris à reliefs bruns est aujourd’hui imité parfaitement; il faut donc apporter une grande attention à l’examen des pièces pour ne pas confondre les copies récentes avec les originaux anciens.
Si nous devons croire les catalogues du XVIIIe siècle, le craquelé gris décoré en bleu était assez fréquent dans les cabinets.
Ce que nous avons observé de plus curieux parmi les pièces peintes de cette espèce de porcelaine est un plateau carré appartenant à Mme Malinet; épais, rudimentaire, à bords brusquement relevés, il porte en émaux très-saillants des rosettes de feuilles vertes d’où s’elève une hampe chargée d’une fleur jaune, c’est indubitablement le pissenlit (Taraxacum dens leonis); tout autour, des tiges brunes roulées en crosse à leur sommet&quelques-unes barbelées de vert, indiquent probablement une fougère. Nous croyons cette pièce antique, surtout en la comparant aux beaux vases gris de Sèvres qui portent la date du XVe siècle. Une chose digne de remarque&dont nous ne prétendons cependant tirer aucune conséquence formelle, c’est que le pissenlit n’a jamais été relevé par nous sur les porcelaines, tandis qu’ils est figuré avec soin &talent sur plusieurs laques anciens du Japon exposés au Louvre.
Il n’est peut-être pas sans intérêt, d’ailleurs, de rapprocher cette observation du passage suivant de l’ouvrage de M. Stanistas Julien: Les anciens vases craquelés sont fort estimés au Japon. Là, pour acquérir un véritable vase craquelé, on ne regarde pas à1,000 onces d’argent (7,500fr.). On ne fait pas sous quelle dynastie on a commencé à fabriquer des cassolettes à parfums en porcelaine craquelée. Sous le pied il y a un clou en fer qui est fort brillant&ne se rouille jamais. «
Une décoration plus récente&cependant fort rare du craquelé gris est celle qui revêt tous les caractères de la famille verte; nous connaissons une théière&plusieurs tasses de cette espèce; la tasse de la collection Malinet, émaillée en rouge de fer, violet, vert, jaune &noir, représente la grue&les plantes emblèmes de longévité.
Nous parlerons plus loin d’un tsoui laqué en partie.
Auprès du craquelé gris vient se ranger une espèce très-voisine, à segments de même dimension remplis de noir, mais dont la teinte générale, non plus grise, passe du brunâtre au brun foncé. Ceux des vases à craquelé brun qui forment transition avec le gris font assez fréquents;&comme les parties où l’émail s’est accumulé font bien plus foncées que le reste, on peut supposer qu’il y a eu décoloration par excès de feu partout où l’action de l’atmosphère du four a été trop directe; ainsi la coupe du Louvre, no185, véritablement brune au fond, est grise sur les bords. Le précieux bol de la même collection, no186, est au contraire du ton brun le plus riche avec les segments bien marqués de noir; c’est le vrai type de cette rare espèce, sans doute colorée par le fer,&que nous nommerons craquelé brun. Il en existe un beau spécimen dans la collection de M. Ch. de Férol.
Craquelés moyens remplis de couleurs diverses. Plus les craquelés s’éloignent des anciennes fabrications, plus leur subjectile se rapproche de la porcelaine ordinaire,&plus aussi l’émail tend à la blancheur&se laisse pénétrer par la matière destinée à teindre le réseau fendillé. Cette particularité n’avait pas échappé aux anciens connaisseurs,&Julliot, frappé de la teinte café de certains vases, en parle en ces termes: «Porcelaines de truité fin d’ancien la Chine. Cette qualité, fond de couleur ventre de biche relevé de destin vert&bleu, ou fond gris coloré de brun, est séduisante par le ton de sa nuance, le grain fin du truité&le coloris des dessins légérement jetés; on a cru devoir l’annoncer ainsi afin de la distinguer d’avec l’autre espèce de porcelaine, seulement indiquée trustée, les traits étant plus forts.» Il y a là quelques erreurs &des vérités importantes à faire ressortir; discutons:
Les pièces ventre de biche a décor vert&bleu finement tressaillées ne sont pas des porcelaines; leur pâte est un grès fin voisin des boccaros; quant aux vases fond gris colore de brun, il est facile de voir, par ses descriptions, que Julliot possédait une ou deux pièces de l’espèce précédente (pâlie au feu)&que les autres, presque toutes avec destins bleus fous couverte, forment espèce a part; c’est le craquelé rouille ou casé. Voici ses caractères: email presque blanc, segments plus petits, à fentes moins ouvertes que dans les craquelés gris&bruns. L’aspect chamois de l’ensemble résulte évidemment de l’infiltration dans la pâte&fous la couverte du brun jaunâtre introduit dans les craquelures. Une petite coupe ancienne de notre collection le démontre; le ton jaune pâle du réseau, passant fous l’émail mince, transparent&bleuâtre, lui donne un reflet verdâtre plein de charme; il semble voir non plus une poterie, mais une gemme agatisée, une forte de pétrosilex. La variété casé, décorée en bleu, est assez commune; l’autre, jaune rouille l’est beaucoup moins.
Craquelé rouge. Les tons divers appliques par les Orientaux aux différentes espèces de tsoui-yeou font une preuve de goût épuré; le noir en réseau sur du gris n’a rien de dur&de heurté; il n’en ferait pas de même sur du blanc; aussi les tsoui-k’i blancs sont-ils tous veinés au moyen d’une argile ocreuse, ou sanguine. On trouve ainsi des bouteilles sphériques cotelées, a col droit, d’autres pyriformes, à goulot renflé, quelques bols,&c.
Craquelé pourpre. M. Stanistas Julien le décrit ainsi: «Lorsqu’on veut donner aux vases craquelés une teinte d’un rouge violet, on fait usage de la couleur appelée yen-tchi-hong (fondant coloré en rouge rubis par l’or dissous). Voici la manière de procéder: On fait une espèce de calotte en mailles de fil de fer, &on y place le vase craquelé. On chauffe fortement, en en
tourant cet appareil de charbon de terre allumé. Ensuite on retire le vase,&on le mouille avec une eau tenant en suspension du yen-tchi-hong,&il prend immédiatement la couleur requise. «A cette description, il est facile de reconnaître de très-rares bols ou taises couvertes dont la teinte générale est rose violacée (par infiltration), bien qu’ils portent un décor émaillé de diverses couleurs; ce décor, forte de trompe-l’œil, se compose de papiers superposés, déchirés ou roulés, l’un jaune, l’autre rose, un troisième vert, avec des inscriptions en noir; sur la feuille jaune on lit: «Fait pendant le règne de la dynastie des Ming.» Une charmante petite tasse de cette espèce existe à Sèvres; la collection Sauvageot renferme un bol sur son plateau, complété par une cuiller du même craquelé; nous en possédons aussi un échantillon. Il n’est pas besoin de faire remarquer que, dans toutes les pièces de petite dimension, les segments du craquelé font très-réduits, sans revêtir cependant les caractères du truité fin.
Grand craquelé rempli de noir ou de rouge. Il n’existe aucune disférence fondamentale entre le grand&le moyen craquelé; M. Stanislas Julien nous fait connaître comment on produit à volonté l un ou l’autre. «On prend du pe-tun provenant du pétrosilex de san-pao-p’ong. Si on l’a lavé de manière qu’il devienne très-fin, on obtient des vases à fines craquelures; s’il est grossièrement lavé, on obtient des vases à grandes craquelures. «Presque toujours la couverte peu fendillée est blanche ou de teinte douce; en d’autres termes, elle est assez élégante pour ne pas exiger, comme les couvertes grises&brunes, le rehaut d’une treffaillure à mailles serrées. Le grand craquelé est très-souvent appliqué sur une pâte brune grossière; la nature presque opaque de son émail dissimule le défaut du subjectile; ce caractère de quasi-opacité, la couleur &l’aspect de jade blanc qui en résultent suffisent à faire distinguer le tsoui qui nous occupe des couvertes blanches&à fixer fa place parmi les céladons. (PI. XIII, fig. I.)
Les Orientaux le considèrent certainement ainsi, car ils assortissent parfois leurs grands craquelés par pièces, l’une blanche, l’autre vert d’eau; dans ce cas, pour ne pas nuire à la fraîcheur du dernier ton, ils substituent le brun rouge au noir dans le remplissage à froid des fentes du vernis.
Céladon craquelé. Au surplus, la pratique de rassortiment des craquelés à fond blanc&vert ne paraît pas remonter à une époque très-reculée, tandis qu’il est à peu près certain que l’application du craquelage au céladon est contemporaine de l’invention de cette couverte. Nous pouvons citer à l’appui de cette assertion plusieurs pièces d’un caractère antique, à pâte brune, épaisse, dont les fissures, rares sur les bords, multipliées partout où l’émail a coulé, annoncent une pratique encore incertaine. Nous citerons aussi, à un autre point de vue, le beau vase appartenant à Mme Malinet,&représenté pl. XIII, no3; ses ornements en relies &gravés révèlent, par le style, une date ancienne,&son craquelé régulier est aussi parfait qu’ on le puisse désirer. Une admirable lancelle du même genre orne le cabinet de M. le comte de Morny.
La décoration a été jointe quelquefois au céladon craquelé; M. Tastet a offert au musée de Sèvres une coupe à bord en forme de marly, sur l’intérieur de laquelle court une riche bordure mosaïque à médaillons, de la famille verte; à l’extérieur, un caractère antique répété simule une seconde bordure,&d’élégantes arabesques entourent la panse du vase.
Yao-pien craquelé. On verra plus loin la description de cette porcelaine; nous la mentionnons ici pour ordre, parce qu’il en existe des pièces ornées de craquelures.
Truité fin.–Les catalogues modernes appliquent indistinctement à la même couverte les noms de craquelé&truité, qui ne sont cependant pas synonymes. Julliot avait eu le tort de les considérer comme tels dans son catalogue de1777; mais Gersaint, trente ans auparavant, expliquait déjà leur véritable signification. Craquelé doit se dire d’un vernis fendillé en segments d’une certaine étendue; truité exprime le plus fin réseau, par analogie, dit l’abbé Raynal, avec les écailles menues de la truite.
Cette définition paraît d’abord excellente; seulement il serait bien difficile d’établir la proportion métrique du plus fin craquelé &celle du plus grand truité, c’est-à-dire d’assigner la limite séparative des deux espèces.
Nous avons donc cherché un caractère spécial au truite fin,& nous croyons l’avoir trouvé; à nos yeux, cette couverte n’est plus un céladon semi-opaque,&Julliot l’avait entrevu lorsqu’il décrivait, comme truité fin, le grès ventre de biche.
Examiné à la loupe, le vernis très-finement fendillé paraît souvent vitreux&transparent, quelle que soit d’ailleurs sa coloration; les fissures, très-nettes, ne semblent pas toujours remplies après coup; on croirait plutôt que la matière colorante s’est accumulée là en pénétrant le biscuit, pendant la seconde cuisson. Ce qui donne quelque poids à cette supposition, c’est que des fissures évidemment postérieures au refroidissement sont restées incolores&se voient à peine.
En ouvrant les curieuses lettres du Père d’Entrecolles, nous lisons ce qui fuit: «On m’a montré cette année, pour la première fois, une espèce de porcelaine qui est maintenant à la mode: sa couleur tire sur l’olive, on lui donne le nom de long-thsiouen: j’en ai vu qu’on nommait tsing-ko; c’est le nom d’un fruit qui ressemble assez aux olives. On donne cette couleur à la porcelaine en mêlant sept tasses de vernis tse-kin avec quatre taises de pe-yeou, deux tasses ou environ d’huile de chaux&de cendres de fougère&une tasse de tsoui-yeou, qui est une huile faite de caillou; le tsoui-yeou fait apercevoir quantité de petites veines sur la porcelaine; quand on l’applique tout seul, la porcelaine est fragile&n’a point de son lorsqu’on la frappe, mais quand on le mêle avec les autres vernis, elle est coupée de veines, elle résonne&n’est pas plus fragile que la porcelaine ordinaire. «
M. Stanistas Julien ne pouvait méconnaître l’importance de ce passage; il le cite en effet&le commente en le rapprochant des documents chinois; il explique que Long-thsiouen est le nom d’un district du Tche-kiang où se fabriquèrent, sous les Song, des porcelaines bleu pâle&bleu foncé, particulièrement estimées. Depuis, on les a imitées à King-te-tchin&cette imitation est passée entre les mains des fabricants de tsoui-k’i.
Il résulte de tout ceci qu’on doit entendre par long-thsiouen une porcelaine finement fendillée, bleue pâle, bleue foncée ou verte, assez ancienne&estimée; c’est là aussi l’espèce que nous nommons truité fin, en distinguant deux variétés que nous allons faire connaître.
Long-thsiouen vrai. Sa pâte, très-dense, est d’un jaune brunâtre ayant l’apparence du grès; elle se formule le plus habituellement en petits vases ou lagènes&en figurines de dimension réduite; nous croyons qu’elle est cuite avant le vernissage. La couverte, très-vitreuse, comme nous venons de le dire, est mince, glacée, transparente, tout à fait analogue pour l’aspect à celle du bleu turquoise&du grès ventre de biche. Pour répondre d’avance à la critique,&prouver que nous ne tombons pas ici dans une redite en scindant une seule espèce, ouvrons les textes chinois.
Vers960, la dynastie des Song compta parmi les fabricants les plus habiles deux frères de la famille Tchang; l’aîné se servait d’une argile brune, de fine qualité; ses porcelaines étaient fort minces&de couleur bleue, pâle ou foncée; leur émail était élégamment fendillé. On les nommait ko-yao, porcelaines du frère aîné. Le cadet fabriquait des vases appelés porcelaines de Long-thsiouen; ce qui les distinguait de celles de son frère aîné, c’est qu’elles n’avaient point ces fines craquelures qui en faisaient l’ornement.
Dans l’origine, les vases de Long-thsiouen n’étaient donc pas craquelés,&les imitateurs ont donné ce nom à des porcelaines semblables à celles du frère aîné. Qu’il y ait eu alors échange de nom, peu nous importe, s’il est démontré qu’il existe deux espèces de porcelaines de même nature&de même couleur; l’une ko-yao, que nous retrouverions dans les bleus turquoise; l’autre, long-thsiouen, qui est notre truité fin, tantôt bleu, tantôt vert.
Est-il supposable, d’un autre côté, que notre long-thsiouen repose sur un simple accident; en d’autres termes, ferions-nous une espèce à part des pièces ko-yao manquées au feu. Non certes. Nous avons annoncé que le bleu turquoise avait une tendance au craquelage; mais le défaut se montre par places, irrégulièrement, tandis qu’on trouve sur les long-thsiouen une égalité parfaite dans le réseau.
Le long-thsiouen vrai s’est offert à notre étude fous plusieurs teintes très-propres à concilier les documents chinois&les indications du Père d’Entrecolles. Ainsi, on peut voir au Louvre, fous les nos201, 229, une gourde&une lagène en truité bleu céleste; fous les nos186, 222, deux autres vases plus foncés&un peu verdâtres,&enfin des bouteilles cotées230, d’un truité bleu foncé. La collection Malinet renferme un dieu de la longévité astis, en vert olive offrant quelques taches rouges d’oxydule de cuivre; enfin un grand vase du Louvre, no176, montre un vernis truité bleu verdâtre foncé, marbré de noir, du plus bel effet. Ces dernières teintes suffiraient à nos yeux pour établir une séparation radicale entre les truités fins vitreux&la porcelaine turquoise, toujours pâle de ton, même dans les spécimens salis de vert.
Long-thsiouen opaque. Cette espèce est probablement celle du Père d’Entrecolles,&la nature de son vernis s’explique suffisamment par l’union du tsoui-yeou au pe-yeou; ce dernier, qui fournit la couverte ordinaire de la porcelaine, ne peut manquer d’amener l’opacité dans le mélange. Le changement introduit à cet égard dans la fabrication de la porcelaine long-thsiouen ne saurait surprendre lorsqu’on sait que, des mains d’artistes spéciaux, cette fabrication a passé dans celles des ouvriers en tsoui-k’i habitués à manier des couvertes plus ou moins opaques, afin de dissimuler le ton brun du subjectile&d’obtenir des couleurs éclatantes&pures.
Nous avons rencontré la nuance bleuâtre, dite vert anglais, sur une charmante petite lagène en truité opaque appartenant à Mme Malinet; un bol de la même collection, excessivement lourd, usé d’émail, ayant tous les signes de l’ancienneté, offre la teinte émeraude; enfin, deux cornets de la fuite de M. d’Aigremont, imitent la couleur foncée&profonde des feuilles de la rose thé ou du camellia. Toutes ces pièces, à bord brun noir, à pied couleur de fer, ont leur réseau rempli de noir, ce qui rehausse la fraîcheur du fond.
Il paraît exister un tsoui-yeou noir dont nous n’avons trouvé trace que dans les catalogues anciens.
Nous tenons à ne dissimuler aucun des faits qui peuvent renverser nos théories, car ce que nous cherchons avant tout, c’est la vérité. Or, il existe au cabinet des estampes de la Bibliothèque impériale un recueil peint, adressé par les missionnaires de la Chine,&nous y avons vu la figure d’un vase en porcelaine, craquelé sur céladon ordinaire, avec le nom de ko-yao. Cette appellation nous semble de voir être attribuée à une erreur; le céladon craquelé n’a pas de segments plus fins que le craquelé gris ordinaire &si c’était une porcelaine de cette espèce qu’on eût montrée au Père d’Entrecolles, sous le nom de long-thsiouen ou de tsing-ko, il n’aurait pas été chercher des phrases nouvelles pour en décrire la couleur, il se serait borné à dire qu’elle est semblable au céladon à relief, sauf la craquelure. Si cependant nous nous trompions sur ce point, ce que nous appelons long-thsiouen demeurerait truiré fin &l’espèce devrait se maintenir sous ce non.
Porcelaine peau d’orange.–M. Stanistas Julien mentionne à plusieurs reprises des vases dont l’émail imitait la peau chagrinée du kio, espèce d’orange douce. Bien que le seul spécimen qui nous paraisse répondre au caractère indiqué soit à couverte blanche, nous le décrirons ici pour ne pas scinder les espèces dues à des accidents de fabrication.
La couverte kio est obtenue par retrait comme le tsoui, mais au lieu de se produire par refroidissement, ce retrait a lieu pendant la liquéfaction; il ne brise pas le vernis, il le disperse en gouttes irrégulières, séparées par d’étroits espaces où la pâte reste nue. Les Japonais ont une habileté particulière pour ce tour de main; une théière en grès du musée céramique de Sèvres&une bouteille de la collection Ch. de Férol montrent jusqu’à quel point de perfection ils sont arrivés dans ce genre.
La pièce dont nous allons parler n’est pas aussi bien réussie. C’est une petite coupe à contour irrégulier imitant le galbe d’un fruit; le pédoncule, replié en dessous, s’attache à une branche couchée sous la face inférieure&portant des feuilles&des boutons de fleurs; la forme de ceux-ci, l’ovale lancéolé des feuilles annoncent une plante aurantiacée; la coupe représente donc, très-probablement, l’orange kio elle-même. Toute la surface externe brille d’un vernis blanc&vitreux, l’intérieur du vase seul est chagriné par retrait. Nous regardons ce spécimen comme l’un des plus curieux de la collection Malinet. (Pl. XIV, fig. I.)
Couvertes routes.–Nous revenons aux couvertes colorées. L’Europe n’a pas encore pu donner à ses vases la belle teinte d’un rouge parfois ocreux, parfois violacé, que les Chinois empruntent au cuivre pour l’appliquer au grand feu, sous forme de vernis opaque. Dans son état le plus parfait, ce vernis est d’une égalité parfaite de ton,&semblerait avoir été trempé; sur quelques pièces cependant, on aperçoit de légères veinules plus foncées indiquant le posage par insufflation; l’effet n’en a rien de désagréable&il nous fera comprendre tout à l’heure, les déviations de la couleur rouge en veines de diverses teintes.
Le rouge de cuivre est connu, dans le commerce, sous le nom de rouge haricot; il rappelle, en esset, la couleur vigoureuse de certaines graines du genre Phaseolus; il se nomme en chinois: Tsi-hong-yeou.
La collection du Louvre montre sous les nos182, 201&241, des bols ou vases de la réussite la plus complète; le musée de Sèvres en possède aussi plusieurs. Ce rouge continue à entrer dans la pratique des céramistes chinois; il faut donc apporter une certaine attention à l’examen des pièces pour ne pas confondre les anciennes&les modernes. Les premières sont, en général, de petite dimension, minces, bien travaillées, le bord est parfois blanc, mais sans craquelures; les secondes, souvent grandes, ont moins de grâce, l’émail est fréquemment jaspé de brunâtre; les parties supérieures annoncent une tendance à la décoloration en gris avec craquelage plus ou moins étendu.
Le musée céramique a récemment acquis une buire de forme intéressante à couverte d’oxydule de cuivre terreux; sa date de 1426à1435prouve combien la pratique des arts était avancée en Chine dès les temps anciens.
Une potiche du Louvre, numérotée206, dont la couverte épaisse, formant goutte de suif dans l’intérieur du collet, a passé du rouge haricot a un pourpre vineux fort riche, va nous amener par transition a parler de quelques accidents de cuisson, particulièrement remarquables dans le tsi-hong,&que les céramistes ont su exploiter habilement.
Certains métaux fournissent à la peinture vitrisiable des tons divers selon l’état chimique dans lequel ils se trouvent; ainsi, pour ne pas sortir de la question, le cuivre oxydulé donne un beau rouge, employé en masse dans la couverte haricot ou posé en traits au pinceau, sous les vernis ordinaires, concurremment au cobalt. Avec un équivalent de plus d’oxygène, il devient protoxyde& produit un beau vert, susceptible de se transformer en bleu céleste lorsque l’oxygénation est poussée encore plus loin. Or, si, pour les besoins de la palette, on prépare habituellement ces diverses combinaisons dans le laboratoire, au moyen d’opérations successives, on peut les effectuer subitement dans les fours au grand feu par des tours de main hardis. Lorsqu’un feu clair, place dans un courant rapide, entraîne une colonne d’air considérable, tout l’oxygène n’est pas brûlé&il peut s’en combiner une partie avec les métaux en fusion; si, au contraire, on fait arriver dans le récipient d’épaisses fumées dont la malle charbonneuse, avide d’oxygène, absorbe partout ce gaz nécessaire à leur combustion, les oxydes peuvent être détruits&le métal amené jusqu’à une revivification complète. Placée a un moment donne dans ces diverses conditions, par l’introduction rapide&simultanée de courants d’air&de vapeurs fuligineuses, la couverte haricot arrive à se transformer pour prendre un aspect des plus pittoresques; des colorations veinées, changeantes, capricieuses comme la flamme du punch, diaprent sa surface; l’oxydule rouge, passant au bleu pâle par le violet&au protoxyde vert, s’évapore même complètement dans certaines faillies devenues blanches,&fournit ainsi d’heureux accidents interdits au travail du pinceau. Chacun connaît cette porcelaine appelée vulgairement flambée. Le Père d’Entrecolles l avait signalée le premier dans fa lettre du25janvier 1722: On m’a apporté, dit-il, une de ces pièces de porcelaine qu’on nomme yao-pien ou transmutation. Cette transmutation le fait dans le fourneau&est causée ou par le défaut ou par l’excès de chaleur, ou bien par d autres causes qu’il n est pas facile de conjecturer. Cette pièce qui n a pas réussi, selon l’ouvrier,&qui est l’effet du pur hasard, n’en est pas moins belle ni moins estimée. L’ouvrier avait dessein de faire des vases de rouge soufflé: cent pièces furent entièrement perdues; celle dont je parle sortit du fourneau semblable à une espèce d’agate, Si l’on voulait courir les risques&les frais de différentes épreuves, on découvrirait, à la fin, l’art de faire sûrement ce que le hasard a produit une seule fois. »
Très-certainement les expériences demandées par le missionnaire français ont eu lieu, car les vases flambés arrivaient naguères en abondance sur le marché; presque toujours la garniture le compose d’un vase abondant en rouge&d’un autre a peine veine de cette couleur sur un fond mêlé de bleu tendre&de vert pale avec nuances violacées. Il n’en faudrait pas davantage pour prouver à quel point les cuiseurs chinois sont sûrs de leur pratique. Le musée de Sèvres possède une potiche tétragone du plus bel effet; la transmutation s’y est opérée violemment,&le blanc, le rouge&le bleu vif s’y voient déchiquetés par lambeaux&à peine reliés par des teintes intermédiaires. Les vases du Louvre prouvent au contraire l’identité du yao-pien&du vernis tsi-hong, en montrant la teinte rouge qui passe partiellement&par nuances insensibles au violet, au bleu pur&au gris verdâtre.
Si quelque chose nous étonne, c’est de trouver dans la lettre du Père d’Entrecolles&dans l’ouvrage de M. Stanistas Julien, la mention du yao-pien parmi les inventions modernes. Nous avons observé dans plusieurs collections,¬amment à Sèvres, des pièces épaisses, de forme ancienne, à vernis très-épais lui-même, offrant les couleurs&la disposition du flambé. Les tons sont moins purs peut-être, le gris verdâtre domine; mais on retrouve le rouge vif dans les parties soustraites aux feux oxydants,&le bleu apparaît, en touches minimes il est vrai, mais très-multipliées, dont la direction verticale révèle bien une couverte soufflée. Ces antiques rouges manqués auraient du mettre plus tôt sur la voie des couvertes flambées. (Voir pl. XIII, fig. 2.)
Le tsoui-yeou (émail craquelant) a été associé parfois au tsi-hong (rouge de cuivre), particulièrement dans des vasques ou compotiers; la craquelure en est régulière; seulement, il est rare que la couleur se soit conservée partout; les bords relevés sont verdâtres&le dessous est un beau céladon vert. Cette demi-transmutation est une démonstration de plus à l’appui des renseignements qui précèdent. La collection Malinet renferme un craquelé de cette espèce.
La même suite, le musée du Louvre&celui de Sèvres nous ont montré un vernis rouge, évidemment coloré par le cuivre, &bien différent du tsi-hong. Il semble avoir été trempé plutôt que soufflé&son aspect presque lavé est plus vitreux que celui d’aucun tsi-hong ou yao-pien. Il ne manifeste aucune tendance au craquelage ni à la transmutation, enfin il est constamment associé à une décoration bleue obtenue du cobalt, par réserves,&posée sur reliefs. Cette décoration se compose de bouquets de nélumbo& parfois d’une zone inférieure de flots blancs&bleus. Les larges feuilles de la plante aquatique, modelées avec une certaine hardiesse&présentées dans diverses positions, donnent au bouquet un aspect grandiose&sévère augmenté par les tons tranquilles du vase. Dans la pièce appartenant à Mme Malinet, l’artiste a mis le plus grand soin à étendre l’émail rouge jusqu’à l’extrême contour des dessins, de telle forte qu’on ne voie rien autre que le fond&le bleu; le vase du Louvre laisse apercevoir quelques liserés blancs&des touches éparses de la même couleur.
Couvertes agatisées.–Le peuple chinois aime passionnément& travaille avec supériorité les gemmes précieuses. Le jade, les agates &les calcédoines, la cornaline, la malachite&le lapis-lazuli se formulent en vases, en sceptres, en ornements de parure, fous la main de ses patients lapidaires. Poussés par leur penchant irrésistible à l’imitation, les céramistes ont vu là toute une veine à explorer,&ils ont cherché, dans la pâte translucide&les couleurs vitrisiables, les moyens de reproduire l’apparence des pierres naturelles.
Il existe bon nombre de pièces en céladon verdâtre parsemé de taches fondues, noirâtres, irrégulières, qui rendent à merveille certains pétrosilex ou la pagodite verte à marbrures; la collection de Sèvres possède dans ce genre des lagènes d’un galbe élégant qu’entoure un dragon en relief; nous avons retrouvé dans la fuite de Mme Malinet une coupe carrée à anses ayant appartenu à M. De-bruge-Dumesnil,&qui rappelle, par fa forme autant que par ses couleurs, les précieux vases taillés dans les pierres dures.
Nous aurions donc parlé de ces porcelaines en décrivant les céladons, si d’autres pièces agréablement veinées en teintes diverses ne nous avaient révélé toute une famille de fausses gemmes qu’il importait de réunir. La collection Malinet renferme un bol campanulé, lourd, très-épais, à pâte ferrée brunâtre, dont l’émail opaque, à peine lustré, passe par dégradations insensibles du rose vineux presque carminé au bleu céleste; ce bleu n’a pas la crudité vitreuse de celui emprunté au cuivre; il est plus nébuleux&le pourpre s’y associe harmonieusement en flocons vaporeux, comme ces nuages d’or perdus dans un beau ciel d’été. Le vase est certainement antique; ce n’est point un yao-pien accidentel; de grandes craquelures divisent le fond; mais elles sont si rares&si peu régulières qu’on peut les supposer postérieures à la fabrication.
Une pièce du musée céramique, plus franchement craquelée sur fond verdâtre, porte de larges macules en rouge veiné formant épaisseur&se parfondant peu avec le reste de la couverte. La forme du vase indique aussi une œuvre sortant des pratiques habituelles de la céramique; ce sont deux potiches en losange soudées par leurs angles aigus; il en résulte un ensemble plus large qu’épais, avec une dépression médiane; des mascarons saillants achèvent d’enrichir les hanches extrêmes; l’ensemble peut rivaliser avec les plus charmantes sculptures en jade ou en pierre de lard.
Quelques garnitures de petite dimension marbrées de noir sur fond roux brun, rappellent assez bien certaines pierres siliceuses ou l’écaille. Les taches noires sont dues à un oxyde de cobalt&la couverte est teinte par du manganèse. Parfois le noir, au lieu de s’éparpiller en nuages amorphes, prend la figure de dragons, d’animaux divers ou de fleurs. Le brun de manganèse n’est donc pas absolument agatoïde.
Auprès de ces variétés agatisées dont l’intention imitative est démontrée par la belle pierre sonore de porcelaine du cabinet De-bruge-Dumesnil, aujourd’hui placée dans la collection Malinet, viennent se ranger les couvertes jaspoïdes, c’est-à-dire opaques d’aspect, épaisses, formant souvent gouttes de suif sur le vase. Le fond est d’un brun chaud ponctué ou taché de roux clair&de gris bleuâtre; quelquefois le bleu, évidemment soufflé, s’est régulièrement fondu dans les tons environnants, souvent il a coulé en veinules flexueuses; il en résulte deux aspects différents. Le vase du Louvre, no174,&une petite coupe voisine montrent cette disposition. Nous avons vu, dans le commerce, des pièces à grandes marbrures analogues aux fonds de certaines faïences de Bernard Palissy; l’effet ornemental en était remarquable.
C’est sans doute dans cette division que devraient aussi prendre place les vases de couleur violette avec des points verts obtenus en soufflant la couleur à travers un châssis percé de trous. Cette porcelaine, mentionnée par les voyageurs, n’a jamais été vue par nous; l’opération qui la produit est si délicate&manque si souvent, qu’un petit bassin coûte, dit-on, de5,000à6,000francs.
Tse-kin-yeou.–Ce nom signifie littéralement émail d’or brun; c’est le fond laque des fabricants français; le Père d’Entrecolles, qui en donne la composition, ajoute: «Ce vernis est d’une invention nouvelle….. Il a été un temps qu’on faisait des tasses auxquelles on donnait par dehors le vernis doré,&par dedans le pur vernis blanc. On a varié dans la suite,&sur une tasse ou sur un vase qu’on voulait vernisser de rse-kin, on appliquait en un ou deux endroits un rond ou un carré de papier mouillé; après avoir donné le vernis, on levait le papier,&avec le pinceau on peignait en rouge ou en azur cet espace non vernissé. Lorsque la porcelaine était sèche, on lui donnait le vernis accoutumé, soit en le soufflant, soit d’une autre manière. Quelques-uns remplissent ces espaces vides d’un fond tout d’azur ou tout noir pour y appliquer la dorure après la première cuite. C’est sur quoi on peut imaginer diverses combinaisons.»
Nous avons cité, en esset, des pièces en tse-kin décorées de la famille verte&de la famille rose; on peut dire que cet émail coloré est le plus commun de tous; la réussite n’est pas toujours parfaite&il passe assez souvent au brun mat.
Bien que le Père d’Entrecolles considère l’émail d’or bruni ou feuille morte comme une invention nouvelle, les textes chinois semblent prouver le contraire; l’Histoire de la porcelaine indique, p.46, qu’on a commencé à l’imiter sous les Ming, ce qui implique une existence antérieure à cette dynastie,&le même livre ajoute, p.104, que le célèbre Ou-kong Ou-kong de1573à it, de15de1573à1619, des vases de forme antique vernis en tse-kin.
Si nous ne nous trompons, c est au même vernis qu’ on doit attribuer les bords bruns considérés par les anciens amateurs comme un indice de la qualité ancienne&précieuse des porcelaines orientales.
Vernis nankin.–Nous nommons ainsi une couverte très-voisine du tse-kin, mais plus pâle&d’un jaune d’or approchant de la teinte nankin; sa coloration est probablement due, comme celle du vernis feuille morte, à une argile ferrugineuse; c’est sans doute le hiao-hoang-yeou des livres chinois, composé d’émail blanc, de cristaux de salpètre&de fer oligiste terreux. Ce ne saurait être, dans tous les cas, le le kin-hoan émail jaune d’or email jaune d or. Celui-ci, a base de plomb, s’applique sur biscuit&couvre habituellement une pâte grossière. On l’appelle, dans le commerce jaune impérial.
Le vernis nankin se voit le plus souvent sur des gobelets octogones décorés de modèles en émaux de la famille verte, sur des lagènes à goulot étroit avec réserves blanches à destins bleus, ou bien encore sur des bouteilles de même forme ou des gourdes moitié nankin, moitié fond bleu. Quelques services à thé montrent aussi cette couverte avec des fleurs de la famille verte; l’interieur des pièces est en émail blanc.
Couvertes bleues.–Le bleu est particulièrement estime des Orientaux; ils sont appliqué, dès la plus haute antiquité, sur leurs diverses poteries, soit en teintes uniformes (couverte&fonds) soit en ornements variés. Notre intention n’est pas de réunir ici tout ce qu’ on peut dire de la décoration bleue&des formes infinies fous lesquelles on la rencontre; ce ferait reproduire des signalements déjà donnés. En effet, comme peinture, le bleu se présente avec les caractères particuliers à toutes les familles&même aux divisions principales de ces familles. Nous nous bornerons à parler des couvertes teintes par le cobalt&des fonds, tendres ou foncés, qu’on pourait confondre parmi les vernis colorés, parce que, comme eux, ils sont cuits au grand feu.
Le livre de M. Stanislas Julien prouve combien les nuances du bleu peuvent varier, puisqu’il existe une foule de noms chinois pour les distinguer. Nous ne chercherons pas à retrouver ces espèces; mais nous diviserons les bleus qui nous sont connus selon l’ordre de leurs affinités.
Bleu violet. On trouve dans les collections de rares petits vases enduits d’une couverte épaisse, d’un bleu profond à reflets violacés, très-différente du vieux violet, ou violet d’aubergine. Sa teinte paraît due à l’abondance&à la pureté du cobalt employé. Le Père d’Entrecolles appelle cette couverte tsoui par opposition au violet d’aubergine tsiu. Le tsoui-se-yeou des livres chinois semble aussi être un bleu, mais la recette est fautive&ne permet aucune vérification technique. L’appellation d’émail violet couleur de la pierre précieuse mei conviendrait assez à notre espèce si la pierre mei est la lazulite; cependant il existe un tse-se-yeou, violet bleu foncé, dont le nom pourrait s’appliquer aussi à la couverte qui nous occupe.
Le spécimen de Sèvres, no178,&celui du Louvre, no210, feront comprendre toute la beauté de l’émail bleu violet&les différences qu’il offre avec le tsiu. Si, comme l’annoncent la recette du tse-se-yeou &la notice du Père d’Entrecolles, cette couleur se pose sur biscuit, ce serait un émail demi-dur comme le vieux violet&le bleu céleste. Son aspect onctueux n’a rien qui démente cette supposition.
Bleu grand feu vrai. Celui-ci a toujours la teinte réelle de l’azur, &même il tournerait plutôt au noir qu’au pourpre. Il est appliqué, mêlé à la couverte ordinaire, soit par immersion, soit par insufflation &presque toujours très-uniformément. Dans les pièces de belle qualité, sa nuance est pure&profonde; destiné à recevoir une décoration d’or, il en éprouve un rehaut très-remarquable. Dans quelques vases, les dessins sont alternativement au trait&en masses d’or repiquées elles-mêmes de traits noirs; dans d’autres, l’or se formule en longues inscriptions; sur les tasses&soucoupes, l’ornementation consiste parfois en sujets à personnages&plus souvent encore en bouquets isolés avec bordures au trait.
Bleu céladonoïde. Un bleu assez foncé, de teinte riche, se voit sur des vases à anses, sans autre décor que l’azur de la couverte; celle-ci semble avoir été très-fluide, car elle a disparu sur tous les points formant saillie&s’est accumulée dans les cavités à la manière des céladons; la blancheur des parties décolorées pure donnerait à croire que la pâte était cuite avant le vernissage. Cette espèce serait-elle le tse-se-yeou? Elle est, du reste, fort distincte&d’un bel effet.
Bleu pâle, hiao-tsing-yeou. C’est une couverte composée d’émail ordinaire&de silicate de cobalt; elle prend, par suite, une couleur semi-opaque se rapprochant d’autant plus du bleu de ciel que l’oxyde colorant est en plus petite proportion. Nous croyons l’émail bleu pâle très-rare, d’après les caractères qui lui sont assignés; nous pensons même ne l’avoir rencontré que deux fois: à Sèvres &au Louvre, vase no203. Voici comment nous le décrirons pour le distinguer des bleus sous couverte: Email azuré, transparent, à légères veinules plus foncées, annonçant un posage par insufflation; aspect glacé, velouté, vitroïde. Dans les bleus fouettés, au contraire, le ton est pur, mais sec,&les points formés par les gouttelettes sont à peine fondus dans la masse; il n’y a aucune diaphanéité; nous dirions même volontiers que plus l’azur est tranché, plus il est beau.
Bleu pseudo-couverte. Il paraît être mis rapidement au pinceau& au tour; un curieux bol de Sèvres montre le procédé, non seulement par les lignes spirales de la couleur sur la pièce, mais encore par la prolongation des spires sous le pied, où le métal s’est revivifié à défaut de vernissage.
Presque toujours ce bleu, dans les vases anciens, est appliqué sur une pâte préalablement gravée à la pointe; les destins remplis de bleu apparaissent foncés, après la cuisson, comme pour le céladon ciselé. Nous avons rencontré toutes les nuances dans ce genre, depuis le ton noir du vase de Sèvres jusqu’au céleste doux d’une bouteille cylindrique de la collection Malinet.
Bleu du ciel après la pluie. Tsi-tsing-yeou. D’après la formule inscrite à la page213du livre de M. Stanislas Julien, ce bleu serait un émail coloré par l’oxyde de cobalt; s’il en était ainsi, on ne comprendrait pas bien la différence qui le séparerait du hiao-tsing-yeou, émail bleu pâle. Mais un hasard heureux a placé dans nos mains une pièce qui nous permettra d’assurer qu’aux temps modernes du moins, le tsi-tsing est mis sous couverte.
Un jour, dit M. Stanistas Julien, un fabricant ayant adressé un placet à l’empereur pour lui demander un modèle, Chitsoung répondit: qu’à l’avenir les porcelaines pour l’usage du palais soient bleues comme le ciel qu’on aperçoit après la pluie dans l’intervalle des nuages. De là est venu le nom deyu-kouothien-tsing (bleu du ciel après la pluie) qu’on a consacré pour désigner ces porcelaines,&qui est resté dans la fuite à celles qui n’en étaient que l’imitation.» Nous trouvons les quatre caractères yu-kouo-thien-tsing inscrits sous le pied de notre vase (Coll. Jacquemart) qui ne saurait être dès lors qu’une de ces belles imitations d’antiques dits Jou-k’i, vases de Jou-tcheou. Sur le fond bleu clair un peu nébuleux se dessine en blanc un dragon dans les nuages. Ce travail, enlevé à la pointe sur le cru, prouve assez que le bleu existait sur la pièce antérieurement au vernissage. Des vases plus modernes que le nôtre&dont l’un figure à Sèvres&l’autre dans la collection Malinet, présentent le même travail à la pointe sur un bleu plus intense. Nous ne saurions dire si l’analogie du procédé doit, malgré la différence de teinte, faire considérer ces deux pièces comme bleu de ciel après la pluie. Elles n’en sont pas moins curieuses&belles, dans tous les cas. Une charmante petite potiche du même bleu avec inscription se voit chez M. Ch. de Férol.
Bleu sous couverte fouetté&marbré. Nous venons de laisser entrevoir combien il est difficile de distinguer les fonds colorés par l’oxyde de cobalt uni à la couverte de ceux dont la teinte est posée sur le cru. En esset, les mille accidents de la cuisson, les différentes natures de pâte&de couverte peuvent tromper l’observateur. Il est certain, cependant, que les deux procédés existent; laissons le Père d’Entrecolles en donner la preuve: «Quand on veut que le bleu couvre entièrement le vase, on se sert de liao ou d’azur préparé&délayé dans l’eau à une juste confistance&on y plonge le vase.
«Pour ce qui est du bleu soufflé, appelé tchoui-tsing, on y emploie le plus bel azur préparé de la manière que je l’ai expliqué; on le souffle sur le vase,&quand il est sec, on donne le vernis ordinaire, ou seul, ou mêlé de tsoui-yeou, si l’on veut que la porcelaine ait des veines.
«Il y a des ouvriers, lesquels sur cet azur, soit qu’il soit soufflé ou non, tracent des figures avec la pointe d’une longue aiguille: l’aiguille lève autant de petits points de l’azur sec qu’il est nécessaire pour représenter la figure, puis ils donnent le vernis...»
Evidemment le tchoui-tsing (bleu soufflé) du Père d’Entrecolles est la belle variété de bleu sous couverte que nous nommons bleu fouetté. Cette espèce est bien plus vigoureuse que le bleu pâle, hiao-tsing.
Quant au bleu marbré, c’est un fond posé au pinceau; chaque reprise, exagérée à dessein, donne à la teinte des intensités irrégulières voisines, pour l’esset, du bleu agatisé de Sèvres.
Couverte noire.–Selon le Père d’Entrecolles, il existe plusieurs espèces de couvertes noires; l’une appelée ou-mien, visage noir, serait «plombée&de la teinte des miroirs ardents»: on l’obtiendrait par le mélange de l’azur avec le vernis ordinaire. L’autre d’un noir éclatant, ou-king (miroir noir), serait due à une combinaison d’azur, de vernis feuille morte&de couverte blanche.
Les vases noirs que nous connaissons (il en existe un certain nombre de fort beaux à Sèvres) ont un émail très-lustré, noir profond, rehaussé par une décoration d’or analogue à celle du bleu grand feu, le plus remarquable spécimen appartient à M. Barbet de Jouy; quelques pièces plus modernes&moins parfaites portent des fleurs&des fruits en réserve, colorés par les émaux de la famille rose.
Hoang-lou-ouan.–«Si l’on souhaite, dit le Père d’Entrecolles, des porcelaines de différentes couleurs, telles que font les ouvrages appelés hoang-lou-ouan, qui font partagés en espèces de panneaux dont l’un est vert (lou)&l’autre jaune (hoang),&.c., on applique ces couleurs avec un gros pinceau. C’est toute la façon qu’on donne à cette porcelaine, si ce n’est qu’après la cuite, on met en certains endroits un peu de vermillon, comme, par exemple, sur le bec de certains oiseaux; mais cette couleur ne se cuit pas, parce qu’elle disparaîtrait au feu; aussi est-elle de peu de durée. «
D’après cette description, M. Salvétat croit reconnaître des couvertes colorées fusibles qui se posent sur biscuit pour cuire à une température inférieure à celle du grand feu, La marbrure jaune, verte, violette&blanche se rencontre, effectivement à l’état de couverte, sur certaines pièces figuratives, comme des fruits, des animaux&surtout de petites compositions agrestes. M. le comte de Vieil-Castel possède, dans ce genre, un rocher parsemé de constructions bouddhiques près desquelles les religieux se tiennent en contemplation. Mais le plus souvent, le hoang-lou-ouan est mis sur couverte blanche; nous conservons une tasse de cette espèce, commune en Chine, dont l’extérieur est marbré&l’intérieur peint en bleu; ainsi que l’annonce le Père d’Entrecolles, un coq, sujet principal de la décoration, devait porter un bec&une crête en vermillon; ces couleurs, évanouies ou enlevées, réduisent la tête de l’oiseau à une forte de boule. La collection Malinet renferme une coupe en forme de pêche, également marbrée sur couverte avec le vert, le violet&le jaune.
Rouge sous couverte.–Nous avons vu le rouge de cuivre fournir la belle couverte dite haricot; les Orientaux ne l’ont pas feulement employé en vernis; ils l’ont appliqué, soit seul, soit combiné au bleu &même au céladon, pour obtenir une riche ornementation sur les vases blancs. Il faut le reconnaître cependant, la facilité de réduction du métal rend l’opération chanceuse&borne sans doute l’ usage de cette décoration, car les pièces peintes de rouge sous couverte sont fort rares.
Rouge seul. Le plus beau vase à peinture rouge qu’il nous ait été donné d’observer appartient à M. Chanton; c’est une lagène de grande dimension à panse un peu surbaissée sur laquelle s’étend, parmi des nuages, un dragon tortueux à trois griffes; une légère bordure entoure l’extrême limbe du goulot&s’interrompt pour laisser place à une inscription à six caractères, tracée en bleu, indiquant la période siouan-te des Ming. Ce vieux produit est d une admirable réussite.
Nous en dirons autant d’un vase moins ancien sans doute, mais fort intéressant de la collection Malinet. Un fong-hoang éployé forme sujet principal; au-dessous, une zone ornementale en traits fins a subi un commencement de réduction qui lui donne un ton doux très-différent du rouge pur de l’oiseau sacré. En haut&vers le pied, des grecques, des feuilles d’eau, d’intensités diverses, achèvent la décoration.
On rencontre encore dans le commerce de petites bouteilles pyriformes à col long&étroit qui portent quatre animaux chimériques singulièrement accroupis. Le rouge de cuivre, plus ou moins modifié par le feu, les modèle en teinte passant du rouge au gris verdâtre. Aujourd’hui, ce genre particulier de porcelaine, méconnu par les trafiquants hollandais, nous arrive chargé d’une surdécoration ridicule. Notre suite renferme un spécimen curieux par sa forme; il est cylindrique, à goulot plus étroit largement rebordé. En examinant le dessous on aperçoit des stries saillantes annonçant une pâte assez grenue où le fondant abonde comme dans le blanc non vitreux. Néanmoins la couverte est très-lustrée, ce qui semble résulter d’une double application de vernis.
Rouge associé. Le rouge de cuivre occupe parfois les réserves de vases à fond bleu fouetté, ou celles du décor bleu dit à feuill es de persil. On ne saurait s’étonner de trouver ainsi réunies dans un même décor deux couleurs aptes à supporter le grand feu; leur union se montre plus intime encore dans des pièces anciennes dont quelques-unes remontent au XVe siècle (période Tching-hoa). Le bleu de cobalt&le rouge de cuivre s’associent pour varier les effets d’un paysage, d’un bouquet de fleurs,&rompre la monotonie inévitable du camaïeu. Le curieux vase du musée céramique, no154, fait voir tout le parti qu’on peut tirer d’un petit nombre de teintes habilement distribuées; des montagnes en céladon vert clair travaillé à la pointe forment un horizon vaporeux, sur lequel se détachent des arbres, des fabriques, en traits bleus ou pourprés; d’autres pièces des collections Guntzberger, Gasnault, Malinet&de notre suite, montrent l’application du même système à la figuration du nélumbo, des grues ou de simples bouquets de fleurs; les oiseaux mêmes sont rehaussés de quelques touches d’engobe blanche qui ajoutent à l’effet. Cette pratique n’a rien d’extraordinaire sous la couverte bleuâtre, puisque nous l’avons signalée pour les céladons bleu-empois.
Décor soufflé.–Lorsque des hommes étrangers à la technique écrivent sur les arts, leurs ouvrages font naître plus de doutes qu’ils ne résolvent de questions. Les lettres du Père d’Entrecolles&les textes chinois en fournissent la preuve: ils ont jeté une telle équivoque dans l’emploi du mot soufflé, qu’on ne fait plus comment l’entendre. Dans le langage de la fabrication, souffler c’est appliquer la couverte sur un vase impossible à vernir par immersion mais, évidemment, l’expression a dû se dévier&passer dans le langage du décorateur pour indiquer plus&mieux que le posage d’une teinte uniforme. Interrogeons d’abord les documents écrits.
« Le rouge soufflé, dit le Père d’Entrecolles, se fait ainsi: On a du rouge tout préparé, on prend un tuyau dont une des ouvertures est couverte d’une gaze fort serrée, on applique doucement le bas du tuyau sur la couleur dont la gaze se charge, après quoi on souffle dans le tuyau contre la porcelaine qui se trouve ensuite toute semée de petits points.» Dans un autre passage il ajoute: « En parlant des couleurs qu’on appliquait à la porcelaine, j’ai dit qu’il y en avait d’un rouge soufflé,&j’ai expliqué la manière d’appliquer cette couleur, mais je ne me souviens pas d’avoir dit qu’il y en avait aussi de bleu soufflé,& qu’il est beaucoup plus aisé d’y réussir. On en aura vu sans doute en Europe. Nos ouvriers conviennent que si l’on ne plaignait pas la dépense, on pourrait de même souffler de l’or&de l’argent sur de la porcelaine dont le fond serait noir ou bleu, c’est-à-dire y répandre partout également une espèce de pluie d’or ou d’argent. Cette sorte de porcelaine, qui serait d’un goût nouveau, ne manquerait pas de plaire.»
Dans le catalogue des émaux&des vases anciens qu’on imite à King-te-tchin, M. Julien traduit: «Email appelé fei-tsoui-yeou. C’est une imitation de l’émail des porcelaines qu’on fabriquait pour l’usage du palais. On en distingue trois sortes: 1o l’émail bleu uni (sou-tsoui-yeou); 2o l’émail ponctué de bleu (tsing-tien-yeou); 3o l’émail bleu ponctué d’or (kin-tsien-yeou).» Une note explique d’ailleurs, que dans les figures coloriées en Chine, les vases dénommés fei-tsoui-yeou sont de couleur bleu turquoise.
Voilà donc des porcelaines offrant les petits points de couleur ou d’or, la pluie soufflée, indiqués par le Père d’Entrecolles,&il y a lieu dès lors de distinguer entre les couvertes posées par insufflation,& le soufflé, genre de décoration d’un succès difficile.
Au surplus, le soufflé n’est pas inconnu dans la curiosité; le catalogue de la vente de M. le baron d’Ivry mentionne une garniture de trois pièces dont le prix s’est élevé aux enchères de3,000fr.,& cela en1841, lorsque le gôut des porcelaines orientales ne s’était pas encore réveillé. Quel était le soufflé dont il s’agit? Nous ne saurions le préciser, car la mémoire des connaisseurs n’a pu nous fournir aucun renseignement à cet égard.
Quant au soufflé que nous connaissons, il diffère assez de la description du Père d’Entrecolles pour mériter un signalement particulier. La porcelaine est couverte d’un émail gris bleu entièrement opaque, parsemé d’anneaux rouges contigus, formant comme le réseau de la plus fine dentelle; au premier aspect on n’aperçoit même pas le travail&la pièce semble teinte d’une nuance violacée; mais par un examen attentif&surtout aidé du grossissement d’une loupe simple, on aperçoit le travail&l’on s’émerveille en pensant à l’immense difficulté de réussite d’un semblable décor. Voici, au surplus, comment on peut supposer qu’il est obtenu: le rouge d’or, mis à la consistance convenable, est sans doute soufflé assez violemment pour former sur le vernis autant de gouttelettes remplies d’air qui crèvent en touchant la paroi du vase,&se transforment en petits cercles du diamètre d’une piqûre d’épingle.
Ce tour de main, si extraordinaire qu’il paraisse, ne peut surprendre de la part d’ouvriers aussi habiles aussi patients que les Chinois. Cependant, avouons-le, ce n’est pas là le semé de points du Père d’Entrecolles; le Révérend Jésuite aurait-il mal vu? ce que nous connaissons est-il un autre soufflé rouge que le sien? La question est impossible à résoudre. Seulement, nous pouvons soutenir avec raison que nos vases soufflés ne sont pas des œuvres exceptionnelles dues au hasard; comparativement aux autres pièces rares, nous en avons vu assez pour y reconnaître une fabrication habituelle. Le musée céramique en possède un beau spécimen; un autre, non moins remarquable, appartient à M. d’Aigremont, une charmante gourde, à Mme Malinet,&une petite lagène bulbi-forme à M. Léon Rattier. La collection Malinet renferme, en outre, un échantillon plus moderne.
Nous avons rencontré souvent, dans les ventes&chez les marchands, des garnitures&des vases dépareillés, à émail bleu pâle opaque semé de veines rouges, formant jaspure; nous ne doutons pas que ces pièces ne soient des soufflés rouges manqués,&livrés comme tels au commerce étranger. La collection de M. d’Aigremont renferme un autre genre de soufflé manqué qui va peut-être nous conduire au ponctué du Père d’Entrecolles; ce sont des vases du même fond que les précédents, mais marqués de petites veinules bleuâtres très-fines qui ont dû être posées en gouttes; en se parfondant avec le gris, par excès de chaleur sans doute, elles ont modifié ce fond, qui s’est agatisé de bleu tendre. Nous voyons d’un autre côté, dans l’Histoire de la porcelaine de King-te-tchin, p.195, qu’on faisait trois sortes de vernis à la porcelaine impériale: l’émail jaune d’anguille; l’émail vert de peau de serpent,& l’émail tacheté ou ponctué de jaune, hoang-pan-tien-yeou. Ce dernier ne serait-il pas voisin des vases de M. d’Aigremont, avec d’autres teintes?
Bien qu’il y ait à cet égard quelque probabilité, à raison du décor&du fond bleu pâle, généralement adopté pour les porcelaines du palais, nous devons avouer qu’il existe d’autres genres de jaune ponctué; on peut voir à Sèvres un curieux vase à émail brun foncé entièrement semé de points jaunes pâles, espacés de manière à imiter un porphyre.
Imitation de bronze.–Il existe dans la même collection une lagène de forme ancienne, à surface mate, d’un brun verdâtre dont l’aspect a quelque chose de métallique; une autre pièce du musée du Louvre, no248, est plus extraordinaire encore: c’est un ting en forme de parallélogramme, à pieds&anses pris dans la masse, avec un couvercle surmonté d’ornements en reliefs. Le fond du vase a la couleur du bronze, quelques saillies offrent une teinte dorée; enfin, des décorations imprimées sur les faces, à la manière du métal fondu, ont reçu, dans les parties creuses, un émail bleu verdâtre qui rend parfaitement l’oxydation d’un vieux cuivre. Une pareille pièce, placée parmi des vases de métal se confondrait complètement avec eux; il faut la voir de près, la toucher, pour reconnaître l’oeuvre du potier.
Est-ce là le kin-tsing-yeou des annales de Feou-liang, dont le signalement est, d’ailleurs, assez problématique? Nous ne le saurions dire. Les imitations de bronze en porcelaine nous ont toujours paru revêtir les caractères d’une fabrication de choix. Les spécimens des collections de M. le baron Dejean, de MM. Guntzberger, Ch. de Férol&de Mme Malinet en fournissent la preuve.
Vases dorés&argentés.–Si le livre de M. Stanislas Julien mentionne assez vaguement l’émail couleur de bronze dont nous venons de parler, il donne le signalement positif d’une espèce de porcelaine non moins rare, celle frottée d’or ou d’argent.
Il ne s’agit pas ici des décorations plus ou moins chargées de traits ou de masses métalliques, mais d’un enduit complet communiquant à la pièce l’aspect d’une œuvre d’orfévrerie. Ce travail est curieux à bien des titres,&nous y reviendrons plus tard lorsque nous aurons à étudier la géographie céramique de l’Orient.
Pour le moment bornons-nous à décrire. On peut voir à la galerie de Sèvres une buire moyenne de forme élégante, à bec gracieusement recourbé, soutenu par un support léger en forme d’S; l’anse est en harmonie avec la désinvolture générale du vase qui, dans son ensemble, rappelle les plus beaux spécimens de cuivre repoussé&damasquiné de la Perse; une coupe de forme antique accompagne cette buire. Les deux pièces teintes d’un or léger, noirci par places, ont l’aspect du métal patiné par le temps; en regardant avec attention on peut se rendre compte du procédé par lequel l’effet a été obtenu; la pâte a été couverte en tse-kin-yeou rendu chatoyant par une légère couche d’or revivifiée au feu.
La collection de M. Weddell renferme une troisième pièce plus brillante encore; c’est une cafetière élégante, à couvercle surhaussé terminé par un bouton entièrement rouge. L’or est plein, métallique, à peine veiné de brunâtre: évidemment il a été mis ici en grande abondance&sur un émail rouge de fer comme celui du bouton supérieur.
Ces trois monuments deviennent précieux en présence du livre de M. Julien dont ils expliquent un passage ambigu; le savant sinologue dit, d après son texte: vases frottés d’or&d’argent, imitation des vases de l’Indo-Chine. Or, la pièce de M. Weddell fournit incontestablement l’espèce chinoise; la richesse de l’or, le rouge sous-jacent, le façonnage de la cafetière, tout le ferait supposer, si la preuve ne se trouvait inscrite fous le pied par six caractères signifiant que le vase a été fabriqué pendant les années1465à1487 des Ming. L’espèce bien différente conservée à Sèvres doit donc être le modèle hindou d’après lequel ont travaillé les artistes du Céleste Empire.
Probablement la porcelaine frottée d’or était moins rare autrefois qu’elle ne l’est aujourd’hui, car elle a certainement fourni à la Saxe&aux autres fabriques européennes l’idée des vases doublés d’or.
Porcelaine laquée.–On fait avec quelle rare adresse les Chinois, les Annamites,&surtout les Japonais ont appliqué sur des ouvrages en pâte, en bois, en métal, la résine végétale désignée en Europe sous le nom de laque. En Chine, cette résine, appelée tsi-chou, tsaï-chou, paraît provenir de l’Augia sinenfis; celle du Japon, l’ourousi-no-ki, est extraite du Rhus vernix; quelques autres plantes, telles que le Rhus succedaneum, l’Elœococcus vernicia, le Melanorœa usitata&le Dryandra cordata, fournissent aussi un vernis-laque dont il est fait usage, non-seulement dans les pays que nous venons de citer, mais encore dans l’Inde, la Perse,&c.
Le tsi-chou&l’ourousi-no-ki n’ont pas été associés, seulement aux produits de l’ébénisterie&de la tabletterie; on les voit appliqués sur de précieuses œuvres céramiques qui en reçoivent un rehaut extraordinaire. Tantôt, ils couvrent toute la surface des vases&s’y montrent avec des reliefs ciselés, dorés ou diversement colorés; plus rarement ils dessinent des masses ornementales relevées de fins dessins d’or. Nous allons distinguer par leur genre, celles de ces pratiques qui peuvent être attribuées à la Chine&au Japon.
Porcelaine revêtue de laque ciselé. L’un des plus beaux laques de la Chine est sans contredit celui qu’on désigne sous le nom de laque de Ti-tcheou, bien qu’il soit principalement fabriqué dans le département de Houang-tcheou, province de Hou-péh. Sa pâte fine, colorée en rouge par le vermillon, est faite de filasse fine d’Urtica nivea, de papier de bambou, de chaux de coquilles&d’autres matières, le tout bien battu, bien lié, avec de l’huile de camellia ou de dryandra. Cette composition acquiert une grande dureté, on la découpe&on la sculpte avec une délicatesse merveilleuse, après l’avoir fait adhérer à la porcelaine; la vernissure des reliefs est l’objet d’un travail particulier resté secret. Pratiquée par des artistes habiles qui, tous, ont été se perfectonner dans les ateliers japonais, la ciselure du laque rouge est très-rarement employée pour l’ornementation des poteries translucides; la difficulté, le haut prix du travail, en sont probablement la cause. La collection de M. le comte de Rougemont renferme une charmante tasse ancienne décorée ainsi; nous avons vu aussi un élégant pi-tong du même genre qui est figuré pl. XV, no2.
Bien qu’on doive attribuer à la Chine la plupart des laques ciselés, le Japon n’est pas resté entièrement étranger à la pratique de cette espèce de travail; de petites tasses modernes, très-minces, sont revêtues extérieurement d’un vernis rouge à mosaïques en creux d’un effet élégant. On trouve souvent de ces tasses dans les arrivages de M. Chanton,&nous en avons vu passer chez M. Evans.
Porcelaine revêtue de laque à dorures&peintures. Ce genre, essentiellement chinois&plus moderne que le précédent, est assez rare, bien qu’on en ait souvent tenté l’imitation en Hollande. Chose assez singulière, le livre de M. Stanislas Julien sur les porcelaines, si abondant en nomenclatures&en renseignements techniques, ne parle nullement de Tsi-khi (vases laqués). Bridgemann, dans les documents commerciaux ajoutés à son dictionnaire, mentionne pourtant l’application du vernis d’arbre sur la porcelaine; «on le polit, dit-il,&ensuite on y pose le décor d’or&d’argent.»
Nous devons l’avouer, il a passé sous nos yeux bien peu d’œuvres intéréssantes répondant à la définition du savant Anglais,&le nombre des contrefaçons nous paraît ici être bien plus considérable que celui des pièces originales.
Pour ne parler que de celles-ci, nous citerons une belle garniture appartenant à M. d’Aigremont; le fond en est rouge foncé avec rinceaux, feuillages&fleurs diverses en relief, teints d’une couleur d’or bronzé avec quelques parties d’or plus pur. Des oiseaux, des rochers, semés vers le bas des vases, forment un relief considérable&semblent plutôt une sculpture qu’un véritable travail de laque. D’ailleurs, pour la grâce, le mouvement, la sûreté du destin, les oiseaux, les fleurs&les feuillages dépassent tout ce que nous avons vu en vernis chinois. On ne saurait toutefois s’y méprendre: ce n’est là ni le style, ni la flore des Japonais; nous avons simplement sous les yeux l’un des chefs-d’œuvre de la fabrication du Céleste Empire. Cette garniture se compose de deux potiches couvertes&d’une gourde servant de milieu.
Les vases laqués de noir sont bien loin de cette perfection. Sur un vernis assez beau, des bordures alternées d’or&d’argent, des rinceaux cursifs, frappent l’œil par une richesse criarde; des rochers sur lesquels croissent la pivoine&la chrysanthème, ajoutent leur éclat doré à ces premiers éléments décoratifs,&souvent les fleurs&même des oiseaux, posés ou voltigeant, sont colorés de teintes roses, blanches, jaunes, rehaussées de touches plus vives. Tout cela, nous le répétons, n’est pas de l’art sérieux&se confond facilement avec la fabrication hollandaise.
Porcelaine à ornements laqués. Si les Japonais n’ont pas employé sur porcelaine le fond laqué à reliefs d’or, ils paraissent lavoir appliqué partiellement dans la décoration, en concurrence avec les émaux. Nous possédons une tasse à modèles, dont les vases, les sceptres,&c., sont en laque noir épais, relevé de fins dessins d’or; cette matière s’harmonie agréablement à quelques touches de bleu, de rouge carminé,&à des dessins au trait d’encre de Chine. Nous avons rencontré chez les curieux quelques rares spécimens de ce genre,&dans le riche cabinet de M. Salomon de Rothschild, une coupe en jade, laquée de dragons dans les nuages, avec rehauts d’or, qui montre l’application du procédé, même aux gemmes précieuses.
Porcelaine laquée burgautée. Cette espèce est, de lavis unanime des connaisseurs, essentiellement japonaise; pourtant elle est habituellement caractérisée par une pâte médiocre, épaisse, à vernis bleuâtre,&souvent à surface ondulée ou tremblée. Il y a là, sans doute, une nécessité de fabrication; l’enduit adhère mieux, peut-être, sur une poterie un peu rugueuse que sur un émail lisse&fin. Pour assurer la solidité du travail, le laqueur emploie même parfois la porcelaine sans couverte. Nous ne saurions dire si, dans ce cas, les pièces sont fabriquées exprès en biscuit à l’extérieur, ou si l’artiste prend la première porcelaine venue&en use la surface à la meule. En général, dans tous les procédés, l’adhérence du vernis tfi est parfaite&les vases les plus anciens nous arrivent presque purs de tout accident d’écaillage.
Habituellement, la décoration des laques burgautés est agreste; sur le fond, d’un noir parfait&velouté, se détache un paysage exécuté en mosaïque de nacre, ou burgau. Les pièces, dune ténuité extrême, sont découpées avec habileté&colorées artificiellement, de manière à varier l’effet des ondes nacrées. On a peine à comprendre que la patience humaine puisse arriver à ce point de tailler une à une les feuilles d’un arbre ou d’un bambou, les plumes d’un oiseau, les parcelles chatoyantes destinées à imiter la rive caillouteuse d’un fleuve ou les facettes d’un rocher. L’assemblage&la combinaison de ces pièces annoncent au moins autant de talent que d’adresse: des filaments nacrés, déliés&souples comme un trait de crayon, silhouettent les nuages ou les eaux; les arbres, les montagnes, les terrains sont rendus par des mosaïques diversement colorées, de l’aspect le plus agréable; les plantes de premier plan, les herbes, les graminées sont taillées avec une hardiesse annonçant la science du dessinateur. Quant aux animaux&aux oiseaux surtout, on pourrait dire qu’ils sont modelés comme au pinceau, tant la forme des pièces est bien combinée pour rendre les raccourcis &la fuite des parties, donner du mouvement à l’ensemble&exprimer les moindres détails. On peut voir à Sèvres un grand bol représentant une plaine basse arrosée, fréquentée par des palmipèdes; c’est peut-être le chef-d’oeuvre du genre. La collection de M. de Rougemont en renferme une répétition un peu réduite. Les cabinets de M. le comte de Morny, de MM. d’Aigremont, Guntzberger, Weddell&de Mme Malinet possèdent aussi des vases laqués burgautés à paysages fort remarquables d’exécution&d’une conservation irréprochable.
Un fait curieux à noter, c’est que les Japonais n’ont pas toujours employé la porcelaine de leur pays pour servir de base au travail laqué. M. Ch. de Férol conserve un magnifique plateau marqué en dessous de six caractères qui signifient: Fabriqué pendant la période Tching-hoa (1465-1487) de la grande dynastie des Ming. Cette inscription aussi bien que la nature de la pâte&de la couverte indiquent une pièce chinoise sortie des usines impériales. Nous avons rencontré un petit bol hémisphérique également inscrit, mais d’une date postérieure. Il porte: Fabriqué pendant les années Yung-Tching de la grande dynastie des Thsing. Cette période s’étend de 1723à1735. Pourrait-on supposer des commandes faites par l’empereur de la Chine, à la condition d’y placer la marque habituelle des pièces du palais? Nous ne le croyons pas. Selon toute probabilité, l’artiste laqueur s’est servi de vases à fa convenance, sans chercher quelle en était l’origine. Nous avons fait remarquer déjà qu’une certaine épaisseur dans les parois de la porcelaine semble être une condition de réussite; la plupart des burgautés font exécutés sur l’espèce japonaise dite de l’Inde,&jamais on n’en trouve sur celle appelée coquille d’œuf; les deux pièces chinoises dont il vient d’être question avaient la solidité&le grain nécessaires pour supporter le travail du vernis; voilà pourquoi l’artiste les a choisies.
Nous avons vu chez M. Gleizes jeune une garniture en porcelaine laquée dont la surface était simplement semée d’une pluie de fragments de nacre irréguliers&diversement colorés; cette forte de porphyre artificiel produisait un effet piquant&d’une élégance sévère.
Les burgautés&, en général, les laques sur porcelaine ont toujours été rares,&ils le deviennent chaque jour davantage. Dans un avenir prochain, lorsque le goût sera complètement formé, ces produits japonais atteindront des prix excessifs. Ils sont beaux d’effet, intéressants sous le rapport de l’art, ils se classeront, nous aimons à le croire, parmi les curiosités les plus recherchées. Déjà les cabinets de premier ordre en sont pourvus; la mode ne tardera pas à descendre de si haut.
Craquelé laqué. Nous avons dit que l’usage du laque peint devait être considéré comme une pratique chinoise; nous avons cependant à signaler un laque en rouge&or de relief sur fond xyloïde, qui nous paraît essentiellement japonais;&comme si tout, dans cette pièce, devait être exceptionnel, l’artiste a posé son travail sur un beau craquelé fauve. Nous ne ferons pas une longue description de ce spécimen reproduit fidèlement dans notre planche XV. C’est une théière dont la base est restée nue; sur le haut, un fond imitant le bois veiné sert à détacher un paysage dont le sujet principal est une haute montagne, le Fousi-yama sans doute. Après avoir appartenu à Mme la comtesse de T... cette précieuse théière est venue prendre place dans la collection de Mme Malinet.