Читать книгу Essai sur la restauration des anciennes estampes et des livres rares - Alfred Bonnardot - Страница 4
CHAPITRE PREMIER. — DÉDOUBLAGE ET REDRESSAGE DES ESTAMPES.
ОглавлениеUne estampe en parfait état sous tous les rapports n’a presque rien à exiger de moi dans cet opuscule. On n’a qu’à la conserver en cadre ou en portefeuille. (Voir le dernier chapitre.)
Je suppose, dans tout le cours de ce traité, une estampe qui a tous les défauts possibles, et je la fais passer successivement par une série de procédés capable de l’amener à figurer sans trop de désavantage à côté des estampes naturellement bien conservées. C’est donc pour prendre les choses dès l’origine que j’ai rédigé d’abord le présent chapitre.
Beaucoup d’estampes, celles surtout composées de plusieurs feuilles, telles que les vieux plans de villes, se rencontrent ordinairement doublées, c’est-à-dire renforcées d’une feuille de papier ou de toile; quelquefois même elles sont triplées. Quand ce renfort a été mal appliqué, et c’est un cas fort commun, il faut d’abord procéder au dedoublage, soit pour le supprimer, soit pour le rétablir plus habilement. On commence par plier mollement ou rouler l’estampe, et on la plonge dans un bain d’eau pure et froide; la chaleur, sauf quelques exceptions, ne contribuant en rien au succès. Ce bain, dont l’effet est très innocent, doit avoir une durée de 12 à 24 heures plus ou moins, suivant la ténacité ou l’épaisseur de la couche de colle qui a servi au doublage. Au bout de cet espace de temps, qui suffit parfaitement, si le dédoublage était difficile à pratiquer, la nature des papiers serait, comme je le démontrerai, l’unique cause de cette difficulté.
Bassines. — Les vases les plus commodes pour cette opération sont des bassines en forme de carré oblong avec des rebords hauts de quelques centimètres. On peut en avoir de toute grandeur; ce point est une affaire d’emplacement. La dimension moyenne et la plus usuelle comporte 72 centimètres de long sur 56 de large. Il est peu de feuilles d’ancien format qui dépassent celte dimension, ou bien elles se composent de plusieurs morceaux.
La plupart des bassines sont en zinc ou en cuivre étamé. Mais ces métaux sont très facilement attaqués par les acides et autres agents chimiques qu’il est souvent nécessaire d’employer. Le fer-blanc dépose sur le papier des taches de rouille qui exigent pour disparaître une opération de plus. Le plomb offre également des inconvénients; le platine, qui serait parfait, est d’un prix très élevé. Je conseillerais donc une bassine de verre, d’argile ou de porcelaine non vernie; mais on n’en trouve pas de toutes faites dans le commerce. Ces matières résistent à tout, hors à l’acide hydrofluorique, qui ne s’emploie jamais. Le prix de la porcelaine, dans les dimensions ci-dessus, ne dépasserait pas, je crois, 50 fr. Un simple siphon de verre assez court et qu’on remplirait dans le liquide même de la bassine, en l’y posant à plat, suffirait pour la vider. Ce tube de verre, en forme de fer à cheval à branches inégales, une fois amorcé, ou rempli de liquide, on bouche avec un doigt chacune des extrémités; on plonge la branche la plus courte dans le liquide, et on maintient en dehors du vase la plus longue; dès qu’on ôte le doigt, la bassine se vide dans un récipient placé au dessous.
On pourrait aussi se procurer quatre supports de bois reliés entre eux par des traverses; on y placerait d’aplomb la bassine quand il y aurait nécessité, comme il arrive souvent, de tenir chaud le liquide qu’elle contient. En ce cas on établirait sous le fond de la bassine un réchaud plat contenant des charbons allumés. On pourrait avec deux piles de briques superposées obtenir une disposition analogue.
Bien des vases, au reste, peuvent recevoir les estampes de petite dimension. J’ai souvent fait usage de plats oblongs ou de cylindres de verre ouverts par un bout, de forme allongée et maintenus sur un pied; j’ai aussi employé, pour les grandes pièces, ces grands pots de terre hauts et cylindriques qui servent a mettre une ou deux voies d’eau. Dans ces sortes de vases on roule l’estampe avant de l’y plonger, ce qui n’a aucun inconvénient: l’estampe se déroule d’elle-même, et l’eau tarde peu à s’infiltrer à travers les intervalles des circonvolutions. Mais on conçoit que, dans le cas où le liquide tiendrait en dissolution quelques substances chimiques assez chères, cette forme de vase entraînerait à un excès de dépense. Une bassine où la gravure est posée à plat exige bien moins de liquide, puisqu’on peut à volonté en diminuer ou en hausser le niveau.
Quand on a laissé tremper pendant 24 heures une estampe doublée, on remarque que l’eau a pris une couleur jaune assez foncée quelquefois pour ressembler à une dissolution de réglisse noire C’est la teinte enfumée du papier qui s’est déposée en grande partie. Il faut alors retirer la gravure avec beaucoup de soin, crainte de déchirures; si le papier est solide, on la retire, soit à plat, soit roulée, sans la moindre difficulté ; on la dépose et on l’étend sur une table, après l’avoir égouttée.
La table ou planche qui reçoit l’estampe à plat doit être bien nette et bien unie. J’étends l’estampe en certains cas sur un marbre de commode, sur une glace polie, ou sur une toile cirée; le côté gravé ou le recto () doit toucher la table, de sorte qu’on a sous les yeux le papier qui double le verso. Voici le motif de ce procédé : en règle générale, quand on dédouble un papier, même à sec, c’est toujours celui de dessus qui est le plus susceptible de se lacérer; celui de dessous, quand il est bien maintenu pendant le dédoublage, risque à peine quelques écorchures. Quand les papiers juxtaposés sont tous deux assez forts et formés d’une pâte bien encollée (absorbant difficilement une goutte d’eau), l’opération marche très bien; il suffit de soulever par un coin le papier supérieur: la colle détrempée reste déposée, à partage à peu près égal, sur les deux surfaces qui adhéraient. Il faut néanmoins agir toujours lentement: car, si la gravure était trouée ou lacérée en certains endroits, un dédoublage trop prompt élargirait les trous ou prolongerait les déchirures.
Si la feuille qui double une estampe tirée sur papier encollé était au contraire formée d’une pâte absorbante, elle ne céderait pas toujours d’une seule pièce; il faudrait, l’estampe étant bien maintenue, l’enlever par copeaux, ou même le réduire en une sorte de bouillie pour obtenir le dédoublage ().
Pour cette opération comme pour beaucoup d’autres je ne connais qu’un bon outil, le seul, pour ainsi dire, indispensable à l’amateur: c’est une de ces lames flexibles, amincies et arrondies à l’extrémité, à l’usage des peintres pour ramasser leurs couleurs sur la palette. Quand on s’est habitué à la manier, on s’en sert pour décoller, couper le papier, relever les bavures, abattre les plis, etc.
Quand le papier qui doublait l’estampe sur toute la surface est enlevé, on entraîne au moyen de la lame la majeure partie de la colle qui est adhérente au verso, et, si l’estampe se compose de plusieurs feuilles, on les isole en glissant avec précaution l’extrémité de la lame entre les deux parties qui se touchent; mais ces deux opérations seraient inutiles si on voulait doubler de nouveau l’estampe et la conserver d’un seul morceau. J’exposerai maintenant un cas très laborieux et heureusement fort rare de dédoublage. La raison de la difficulté peut tenir quelquefois à la composition même de la colle employée, par exemple quand elle contient de l’alun; mais le plus souvent elle provient de la nature du papier. Supposons une gravure tirée sur un papier mince et non encollé ; admettons que précédemment elle a été lavée au moyen d’un liquide dangereux par un réparateur ignorant; enfin qu’elle a été contrecollée sur un papier qui réunit les mêmes désavantages, de sorte que la colle aura pénétré assez profondément dans l’épaisseur des deux surfaces superposées; ajoutons, si l’on veut, des trous, des lacérations, des plis très compliqués en tous sens: voilà la circonstance la plus critique ou se puisse trouver une estampe au sortir de la bassine. Si l’on avait plongé dans l’eau, sans précautions préalables, un pareil assemblage, on courrait grand risque de ne plus étaler sur la table qu’une masse informe, tournant en bouillie à chaque mouvement de la main, et presque aussi difficile à manier que les anciens papiri d’Herculanum, ces rouleaux de mince écorce réduits en un paquet de cendre. J’ai deux ou trois fois été aux prises avec un pareil embarras; le vif désir de conserver l’estampe m’a seul inspiré le moyen de triompher. Ce n’est qu’après l’avoir laissé sécher à moitié et a force de patience et d’adresse que j’ai pu réussir miraculeusement à la sauver; mais, au lieu de détailler les moyens de sortir d’un si mauvais pas, j’indiquerai plutôt celui de le prévenir.
Premier procédé. — Au lieu de mouiller l’estampe, on l’étendra à sec sur un marbre, bien à plat, autant que les plis le permettront; puis sur la feuille doublante collée au verso on passera doucement une éponge fine légèrement humectée, de manière que le papier contrecollé seul absorbe l’eau; au bout de deux minutes on l’enlèvera par parcelles, en raclant, au moyen de la lame, avec beaucoup de précaution, de peur d’écorcher le fond de l’estampe; a l’approche d’une lacération ou d’un trou, on redoublera de soins. C’est ce moyen qu’on emploie en général pour dédoubler ou décartonner les dessins à la gouache ou au pastel; qui ne peuvent être humectés sans danger. Mais ce procédé est long quand la surface est large; j’en vais indiquer un plus expéditif.
Second procédé. — Il consiste a tremper l’estampe pendant douze ou vingt-quatre heures avec les précautions suivantes: soit qu’on la mette à plat dans une bassine ou qu’on la plonge roulée dans un vase cylindrique, on applique le recto avant le mouillage sur une forte toile ou sur un papier fort et bien encollé ; cette feuille ou cette toile auxiliaire doit outrepasser les bords de l’estampe; c’est cette partie excédante qui servira à retirer le tout de l’eau sans avaries. Ce papier de soutien auquel la gravure adhère au sortir du bain joue ici le rôle de la baudruche dans le déroulement d’un papyrus tel qu’il est pratiqué à Naples. On l’étale à plat sur la table, et, après en avoir accéléré la dessiccation en essuyant avec une serviette, on détache avec légèreté au moyen de la lame le papier qui double, le seul qu’on ait sous les yeux.
Il est rare, en agissant sur une grande surface, qu’on n’écorche pas un peu çà et la la superficie du verso de l’estampe, ce qui forme des éclaircis quelquefois si minces, que l’encre d’impression semble n’avoir plus de papier pour appui. Ces éclaircis formeraient au recto des points disparates et désagréables dans le cas où l’estampe ne serait pas de nouveau doublée. On verra plus tard les procédés à suivre pour renforcer les éclaircis.
Quand après un long et pénible travail le papier de l’estampe est réduit à la simplicité, on enlève de la superficie du verso le gros de la colle au moyen de la lame; opération qu’il faut renouveler une ou deux fois, car, une couche de colle détachée, une autre semble sortir des pores du papier. Pour enlever le tout complétement, le plus simple moyen serait de retremper (avec lé papier de soutien) dans l’eau bouillante, qui entraînerait toute la partie visqueuse de la colle, nommée gluten.
On conçoit que, si on a le dessein de doubler l’estampe, il est inutile d’ôter toute la colle, puisqu’il faudra en ajouter une nouvelle couche; on se bornerait à racler les parties saillantes que pourrait former l’ancienne.
Si l’on veut conserver l’estampe à l’état simple, on la retourné, et on en applique le Verso sur un marbre poli, et non sur une planche, dans la crainte qu’il ne reste une partie de colle, qui, lorsqu’elle serait sèche, adhérerait au bois. On écrase les plis avec le doigt ou le plat de la lame, puis on remanie à plusieurs reprises le papier, l’étirant comme font les tapissiers pour tendre un tapis; on remouille au besoin à l’éponge humide. Enfin, s’il n’y a ni écorchures, ni trous, ni éclaircis, on met en presse comme je vais l’indiquer.
Redressage, ou mise en presse. — L’estampe étant toujours à l’état de moiteur, on en applique le verso sur une table de bois (dans la supposition que toute la colle ait été enlevée), puis on applique sur le recto, qu’on a sous les yeux, 20 ou 25 feuilles de papier dit buvard ou de tout autre très absorbant, assez fort et d’assez grande dimension pour déborder celle de l’estampe. Par dessus on pose à plat soit un carton épais et bien sec, soit une tablette de bois bien unie qu’on surcharge de 5 poids, un au milieu et un à chaque coin. Ces poids doivent peser de 2 à 3 kilos chaque; on peut les remplacer par des cubes de marbre, par des flacons de verre contenant du plomb de chasse, etc. J’ai redressé plus de quatre cents estampes de cette manière. Pour accélérer le séchage et selon l’épaisseur de l’estampe, je renouvelais quelquefois le papier buvard au bout de quelques heures.
Repassage. — On redresse aussi par un autre procédé ; mais applicable surtout aux pièces de petite dimension, pourvu que l’épaisseur du papier soit bien homogène et qu’elles ne conservent au verso aucune trace de colle. Dans ces conditions, on peut repasser au fer chaud. Il faut, pour éviter un degré de chaleur qui roussirait l’estampe, essayer le fer sur un papier sec et bien l’essuyer. On ne l’applique qu’au verso; et cette simple opération suffit pour enlever les rides. Si les plis Sont très prononcés et rebelles, on les mouille légèrement avant d’y appuyer le fer. Si l’on juge à propos de repasser au recto, il est important d’interposer entre le fer et l’estampe un papier joseph, sinon la gravure contracterait une sorte de poli assez disgracieux.
Quand ces deux systèmes de redressage ne suffisent pas, on a recours à un troisième plus parfait, mais aussi moins expéditif; je l’indiquerai plus tard. (Voyez chap. 9, Doublage.)
Les procédés indiqués dans ce chapitre sont infaillibles quand on les exécute bien. Je recommande aux amateurs de ne point se dépiter dans le cas où, encore peu exercés, il n’auraient pu obtenir du premier coup des résultats satisfaisants. En attendant une veine de patience, je dirai plus, un moment d’inspiration, ils devront resserrer l’estampe telle quelle, sans négliger surtout de bien s’assurer de la présence de tous les morceaux qui la composent L’eau de lavage pouvant quelquefois détacher et entraîner des fragments d’un grand intérêt, on la passera, avant de la jeter, à travers un tamis de crin ou de toile métallique.