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VIII

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Table des matières

Par une de ces belles matinées d’automne où le soleil brille de tout son éclat et semble dire adieu à la verdure mourante, Gilbert était accoudé à une petite fenêtre au second étage, dans une rue écartée derrière les Champs-Elysées. Tout en fredonnant un air de la Norma, il regardait attentivement chaque voiture qui passait sur la chaussée. Quand la voiture arrivait au coin de la rue, la chanson s’arrêtait; mais la voiture continuait sa route, et il fallait en attendre une autre. Il en passa beaucoup ce jour-là, mais le jeune homme inquiet ne vit dans aucune un petit chapeau de paille d’Italie et une mantille noire. Une heure sonna puis deux; il était trop tard; après avoir regardé vingt fois à sa montre, avoir fait autant de tours de chambre, et s’être désolé et rassuré plus souvent encore alternativement, Gilbert descendit enfin, et erra quelque temps dans les allées. En rentrant chez lui, il demanda à son portier s’il n’y avait point de lettres, et la réponse fut négative. Un pressentiment de sinistre augure l’agita toute la journée. Vers dix heures du soir il montait, non sans crainte, le grand escalier de l’hôtel de Marsan; la lampe n’était pas allumée, cela le surprit et l’inquiéta; il sonna, personne ne venait; il toucha la porte, qui s’ouvrit, et s’arrêta dans la salle à manger; une femme de chambre vint à sa rencontre, il lui demanda s’il pouvait entrer. «Je vais le demander, » répondit-elle. Comme elle entrait dans le salon, Gilbert entendit entre les deux portes une voix tremblante qu’il reconnut et qui disait tout bas: «Dites que je n’y suis pas.»

Il m’a dit lui-même que ce peu de mots prononcés dans les ténèbres, au moment où il s’y attendait le moins, lui avaient fait plus de mal qu’un coup d’épée. Il sortit dans un étonnement inexprimable. «Elle était là, se dit-il, elle m’a vu sans doute. Qu’arrive-t-il? Ne pouvait-elle me dire un mot, ou du moins m’écrire?» Huit jours se passèrent sans lettres, et sans qu’il pût voir la comtesse. Enfin il reçut la lettre suivante:

«Adieu! il faut que vous vous souveniez de votre projet de voyage et que vous me teniez parole. Ah! je fais un grand sacrifice en ce moment. Quelques mots profondément sentis, et que vous m’avez dits au sujet d’un parti funeste que je voulais prendre, m’arrêtent seuls. Je vivrai. Mais il ne faut pas entièrement arracher une pensée qui seule peut me donner une apparence de tranquillité. Permettez, mon ami, que je la place seulement à distance, avec des conditions: si, par exemple, une entière indifférence pour moi prenait place dans votre cœur; — si, une fois de retour, et le cœur raffermi, vous ne me veniez plus voir; — si jamais mon image, mon amour ne venait plus... Il est impossible de continuer l’affreuse vie que je mène. Le plus malheureux est celui qui reste; il faut donc que ce soit vous qui partiez. Vos affaires vous le permettent-elles? Ou voulez-vous que j’aille je ne sais où ? Répondez-moi, ce sera vous qui aurez de la force; je n’en ai pas du tout; ayez pitié de moi. Dites, que sais-je? que vous guérirez; mais ce n’est pas vrai! N’importe, dites toujours. Evitez de me voir avant le voyage; il faut de la force, et je ne sais où en prendre. Je n’ai cessé de pleurer et de vous écrire depuis huit jours. Je jette tout au feu. Vous trouverez cette lettre-ci encore bien incohérente. Monsieur de Marsan sait tout: mentir m’a été impossible; d’ailleurs il le savait. Cependant cette lettre est loin d’exprimer ce qu’il y a de contradictoire entre mon cœur et ma raison. Allez dans le monde ces jours-ci, que votre départ n’ait point l’air d’un coup de tête! De sitôt je ne pourrai sortir ni recevoir. La voix me manque à tous moments. Vous m’écrirez, n’est-ce pas? Il est impossible que vous partiez sans m’écrire quelques lignes. Voyager!... C’est vous qui allez voyager!»

Le malheur de Gilbert lui parut un rêve; il pensait à aller chez monsieur de Marsan et à lui chercher querelle. Il tomba à terre au milieu de sa chambre, et versa les larmes les plus amères. Enfin il résolut de voir la comtesse à tout prix, et d’avoir l’explication de cet événement, qui lui était annoncé d’une manière si peu intelligible. Il courut à l’hôtel de Marsan, et, sans parler à aucun domestique, il pénétra jusqu’au salon. Là, il s’arrêta à la pensée de compromettre celle qu’il aimait et de la perdre peut-être par sa faute. Entendant quelqu’un approcher, il se jeta derrière un rideau: c’était le comte qui entrait. Demeuré seul, Gilbert avança, et, entr’ouvrant la porte d’un cabinet vitré, il vit Emmeline couchée et son mari près d’elle. Au pied du lit était un linge couvert de sang, et le médecin s’essuyait les mains. Ce spectacle lui fit horreur; il frémit de l’idée d’ajouter, par son imprudence, aux maux de sa maîtresse, et, marchant sur la pointe du pied, il sortit de l’hôtel sans être remarqué.

Il sut bientôt que la comtesse avait été en danger de mort; une nouvelle lettre lui apprit en détail ce qui s’était passé. «Renoncer à nous revoir, disait Emmeline, est impossible, il n’y faut pas songer; et cette idée qui vous désole ne me cause aucune peine, car je ne puis l’admettre un instant. Mais nous séparer pour six mois, pour un an, voilà ce qui me fait sangloter et me déchire l’âme, car c’est là tout ce qui est possible.» Elle ajoutait que, si, avant son départ, il éprouvait un désir trop vif de la voir encore une fois, elle y consentirait. Il refusa cette entrevue; il avait besoin de toute sa force; et, bien que convaincu de la nécessité de s’éloigner, il ne pouvait prendre aucun parti. Vivre sans Emmeline lui semblait un mot vide de sens, et, pour ainsi dire, un mensonge. Il se jura cependant d’obéir à tout prix, et de sacrifier son existence, s’il le fallait, au repos de madame de Marsan. Il mit ses affaires en ordre, dit adieu à ses amis, annonça à tout le monde qu’il allait en Italie. Puis, quand tout fut prêt et qu’il eut son passeport, il resta enfermé chez lui, se promettant, chaque soir, de partir le lendemain, et passant la journée à pleurer.

Emmeline, de son côté, n’était guère plus courageuse, comme vous pouvez penser. Dès qu’elle put supporter la voiture elle alla au Moulin de May. Monsieur de Marsan ne la quittait pas; il eut pour elle, pendant sa maladie, l’amitié d’un frère et les soins d’une mère. Je n’ai pas besoin de dire qu’il avait pardonné, et que la vue des souffrances de sa femme l’avait fait renoncer à ses projets de séparation. Il ne parla plus de Gilbert, et je ne crois pas que, depuis cette époque, il ait prononcé ce nom étant seul avec la comtesse. Il apprit le voyage annoncé, et n’en parut ni joyeux ni triste. On devinait aisément à sa conduite qu’il se reconnaissait, au fond du cœur, coupable d’avoir négligé sa femme, et d’avoir si peu fait pour son bonheur. Lorsque, appuyée à son bras, Emmeline se promenait lentement avec lui dans la longue allée des Soupirs, il paraissait presque aussi triste qu’elle; et Emmeline lui sut gré de ce qu’il ne tenta jamais de rappeler l’ancien amour, ni de combattre l’amour nouveau.


Elle brûla les lettres de Gilbert, et, dans ce sacrifice douloureux, ne respecta qu’une seule ligne écrite de la main de son amant: Pour vous, tout au monde! En relisant ces mots, elle ne put se résoudre à les anéantir; c’était l’adieu du pauvre garçon. Elle coupa cette ligne avec ses ciseaux, et la porta longtemps sur son cœur. «S’il faut jamais me séparer de ces mots-là, écrivait-elle à Gilbert, je les avalerai. Maintenant ma vie n’est plus qu’une pincée de cendre, et je ne pourrai de longtemps regarder ma cheminée sans pleurer.»

Etait-elle sincère? demanderez-vous peut-être. Ne fit-elle aucune tentative pour revoir son amant? Ne se repentait-elle pas de son sacrifice? N’essaya-t-elle jamais de revenir sur sa résolution? Oui, madame, elle l’essaya; je ne veux la faire ni meilleure ni plus brave qu’elle ne l’a été. Oui, elle essaya de mentir, de tromper son mari; en dépit de ses serments, de ses promesses, de ses douleurs et de ses remords, elle revit Gilbert; et, après avoir passé deux heures avec lui dans un délire de joie et d’amour, elle sentit, en rentrant chez elle, qu’elle ne pouvait ni tromper ni mentir; je vous dirai plus, Gilbert le sentit lui-même, et ne lui demanda pas de revenir.

Cependant il ne partait pas encore, et ne parlait plus de voyage. Au bout de quelques jours, il voulait déjà se persuader qu’il était plus calme, et qu’il n’y avait aucun danger à rester. Il tâchait, dans ses lettres, de faire consentir Emmeline à ce qu’il passât l’hiver à Paris. Elle hésitait; et, tout en renonçant à l’amour, elle commençait à parler d’amitié. Ils cherchaient tous deux mille motifs de prolonger leur souffrance, ou du moins de se voir souffrir. Qu’allait-il arriver? Je ne sais.

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