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IX

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Je crois vous avoir dit, madame, qu’Emmeline avait une sœur. C’était une belle et grande jeune fille, et de plus un excellent cœur. Soit par une timidité excessive, soit par une autre cause, elle n’avait jamais parlé à Gilbert qu’avec une extrême réserve, et presque avec répugnance, lorsqu’elle avait eu occasion de le rencontrer. Gilbert avait des manières d’étourdi et des façons de dire qui, bien que simples et naturelles, devaient blesser une modestie et une pudeur parfaites. La franchise même du jeune homme et son caractère exalté avaient peu de chances de rencontrer de la sympathie chez la sévère Sarah (c’était le nom de la sœur d’Emmeline). Aussi quelques mots de politesse échangés au hasard, quelques compliments lorsque Sarah chantait, une contredanse de temps en temps, c’était toute la connaissance qu’ils avaient faite, et leur amitié n’allait pas plus loin.

Au milieu de ces dernières circonstances, Gilbert reçut une invitation de bal d’une amie de madame de Marsan, et il crut devoir y aller, pour se conformer au désir de sa maîtresse. Sarah était à cette soirée. Il fut s’asseoir à côté d’elle. Il savait quelle tendre affection unissait la comtesse à sa sœur, et c’était pour lui une occasion de parler de ce qu’il aimait à quelqu’un qui le comprenait. La maladie récente servit de prétexte; s’informer de la santé d’Emmeline, c’était s’informer de son amour. Contre sa coutume, Sarah répondit avec confiance et avec douceur; et l’orchestre ayant donné, au milieu de leur entretien, le signal d’une contredanse, elle dit qu’elle était lasse, et refusa son danseur, qui venait la chercher.

Le bruit des instruments et le tumulte du bal leur donnant plus de liberté, la jeune fille commença à laisser comprendre à Gilbert qu’elle savait la cause du mal d’Emmeline. Elle parla des souffrances de sa sœur, et raconta ce qu’elle en avait vu. Pendant ce récit, Gilbert baissait la tête; quand il la releva, une larme coulait sur sa joue. Sarah devint tout à coup tremblante; ses beaux yeux bleus se troublèrent. «Vous l’aimez plus que je ne croyais,» lui dit-elle. De ce moment elle devint tout autre qu’elle ne s’était jamais montrée à lui; elle lui avoua que depuis longtemps elle s’était aperçue de ce qui se passait, et que la froideur qu’elle lui avait témoignée venait de ce qu’elle n’avait cru voir en lui que la légèreté d’un homme du monde, qui fait la cour à toutes les femmes sans se soucier du mal qui en résulte. Elle parla en sœur et en amie, avec chaleur et avec franchise. L’accent de vérité qu’elle employa pour montrer à Gilbert la nécessité absolue de rendre le repos à la comtesse le frappa plus que tout le reste ne l’avait pu faire, et en un quart d’heure il vit clair dans sa destinée.

On se préparait à danser le cotillon. «Asseyons-nous dans le cercle, dit Gilbert, nous nous dispenserons de figurer, et nous pourrons causer sans qu’on nous remarque.» Elle y consentit; ils prirent place, et continuèrent à parler d’Emmeline. Cependant de temps en temps un valseur forçait Sarah de prendre part à la figure, et il fallait se lever pour tenir le bout d’une écharpe ou le bouquet et l’éventail. Gilbert restait alors sur sa chaise, perdu dans ses pensées, regardant sa belle partenaire sauter et sourire, les yeux encore humides. Elle revenait, et ils reprenaient leur triste entretien. Ce fut au bruit de ces valses allemandes, qui avaient bercé les premiers jours de son amour, que Gilbert jura de partir et de l’oublier.

Lorsque l’heure de se retirer fut venue, ils se levèrent tous deux avec une sorte de solennité. «J’ai votre parole, dit la jeune fille, je compte sur vous pour sauver ma sœur; et si vous partez, ajouta-t-elle en lui prenant la main sans songer qu’on pût l’observer, si vous partez, nous serons quelquefois deux à penser au pauvre voyageur.»

Ils se quittèrent sur cette parole, et Gilbert partit le lendemain.

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