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A TRAVERS CHAMPS

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L’inconnu, qui venait de la Rochette et qui allait à Allevard, en touriste, s’était machinalement laissé conduire par la jeune fille étrange, cachée dans cette gorge et sur laquelle son attention avait été si singulièrement appelée.

Il pressentait que la conduite inexplicable de cette jeune fille avait un motif grave; il devinait que c’était dans son intérêt qu’elle agissait ainsi.

Il ne lui fit aucune résistance, et disparut avec elle dans une vaste excavation dont l’entrée invisible était dissimulée par d’épaisses broussailles, qu’elle avait écartées, en se piquant les doigts.

Il allait parler. Elle lui mit la main sur la bouche pour lui imposer silence.

C’était prudent.

— Où est-il? où est-il? Se serait-il enfui? s’écriait avec rage Zorigues, que l’on entendait distinctement courir de la gorge au sentier, et du sentier à la gorge, entremêlant ses exclamations de fureur des blasphèmes les plus impies.

Tonnerre de Dieu! dit-il enfin, il m’échappe.

Il faut que ma fille l’ait averti de mon dessein, il faut qu’elle lui ait dit que je voulais le voler et que, pour le voler, j’allais le tuer.

La misérable!

Elle paiera pour lui. Je vais la battre jusqu’au sang. Elle a peur des coups. Cette leçon lui servira. Une autre fois elle se taira.

Mais jamais je ne retrouverai une occasion pareille; et en disant ces derniers mots, il se mit à vociférer de toutes ses forces et à pousser des lamentations qui ressemblaient à des hurlements de bête fauve.

Edmée tremblait de tous ses membres. Elle se serrait contre son jeune compagnon, comme si elle avait voulu chercher dans ses bras un refuge contre la vengeance de son père.

Elle entendit bientôt, de sa retraite, le bruit des pas de Zorigues s’éloigner dans la direction de leur pauvre demeure.

Mais il ne tarda pas à revenir, courant vers le sentier et s’écriant d’une voix furieuse et désespérée.

— Partie, partie, elle aussi!

L’infâme l’a enlevée, je suis ruiné.

Pendant que Zorigues vociférait ses imprécations et ses menaces, une nouvelle inquiétude s’emparait d’Edmée.

Son père s’arrêta quelques secondes en face de l’entrée de la cachette où elle avait emmené le jeune voyageur qu’elle voulait sauver.

Elle craignit un moment qu’il ne connût cette cachette aussi bien qu’elle, et qu’il n’eût l’idée d’y pénétrer.

Mais bientôt elle fut rassurée. Il s’éloigna de nouveau dans la direction de la masure où il avait établi son domicile.

— A qui en avez-vous, père Zorigues? dit tout à coup un nouveau personnage dont l’arrivée subite ne fit que redoubler la fureur du père d’Edmée.

Pourquoi brandissez-vous ainsi votre couteau de chasse?

— Ah! c’est vous, père Humbert, vous me voyez exaspéré et désolé. Un inconnu vient d’enlever ma fille.

— Combien ce rapt vous a-t-il rapporté ?

— Rien, pas même une méchante bouteille de vin. C’est bien là ce qui me désespère.

— C’est drôle, tout de même.

Ce matin je vous offre mille francs, si vous voulez me livrer Edmée pendant quelques semaines.

Quoi! c’est une fantaisie de contrebandier.

Je gagne assez d’argent pour me la payer.

Vous me demandez le double.

J’hésite. Nous nous quittons sans rien conclure, et ce soir on vous la prend pour rien.

Tout de même c’est drôle!

— La petite vous plaît toujours?

— Plus que jamais.

— Vous voulez encore me l’acheter?

— Oui, si vous voulez enfin me la vendre.

— Vous ne diminuez rien sur la somme?

— Maintenant je la double.

— Eh bien! au lieu de perdre notre temps à bavarder, courons après le ravisseur, courons après Edmée.

Il allait à Allevard. Deux routes seulement peuvent y conduire de cette gorge.

Je prendrai l’une, vous prendrez l’autre.

Si c’est vous qui avez la chance de rattraper. Edmée, vous tuerez son amant et vous lui prendrez la valise en cuir noir qu’il porte avec lui.

La valise sera pour moi, le cadavre pour les corbeaux et Edmée pour vous.

A cette condition, je ne vous la vends plus, je vous la donne.

Est-ce dit, père Humbert?

— C’est dit, père Zorigues.

Mais, fasse Dieu que ce soit vous qui ayez la chance de trouver le gibier. J’aime peu jouer du couteau.

— Aussi je choisis le chemin de traverse.

J’ai quelque idée que c’est celui-là qu’Edmée aura fait prendre à son protégé.

— Vous dites?...

— Avec vous je serai franc.

Je voulais tuer et voler cet étranger qui m’offrait quarante francs pour lui servir de guide pendant une heure.

Elle le savait, elle a voulu le sauver.

C’est pour cette belle œuvre qu’elle s’est enfuie avec lui.

— Voilà qui m’en rend encore plus amoureux.

J’aime ces natures frêles d’apparence, vaillantes en réalité.

— Prenez par là. Moi je prends par ici.

— Vous oubliez le sentier tracé à travers la vallée du Bens, et qui mène en biais des ruines du château d’Arvillard au hameau de Sainte-Hélène, sur la rive gauche de l’Isère.

Ce sentier passe près de cette gorge. Edmée a pu le faire prendre à son ravisseur.

— Regardez.

Il faut, pour l’atteindre, du point où nous sommes, descendre par ce rocher à pic ou sauter de vingt pieds de haut.

L’un et l’autre sont incapables d’avoir fait ce saut dangereux ou entrepris cette descente impraticable.

C’est sur l’une des deux routes d’Allevard qu’il faut les chercher.

Hâtons-nous, si nous voulons regagner l’avance que ma fille et son amant ont sur nous.

Nous nous retrouverons dans cette gorge dans deux heures.

Le premier arrivé attendra l’autre.

A propos, voulez-vous un couteau de chasse? J’en ai deux.

— Merci. J’ai mon couteau de contrebandier.

Je n’aimerais pas avoir à m’en servir. Mais on ne sait pas quelle rencontre on peut faire.

Il faut toujours prendre ses précautions.

Sur ces mots, le bandit Zorigues et le contrebandier Humbert se séparèrent.

Edmée leur donna le temps de s’éloigner.

Lorsqu’elle fut certaine que tout danger était momentanément évité :

— Cette excavation, dit-elle à Robert, aboutit, en contre-bas, au sentier dont parlait Humbert, et qui conduit d’Arvillard à Sainte-Hélène.

C’est cette direction qu’il nous faut prendre, puisque ce n’est pas de ce côté-là que mon père songe à diriger ses recherches.

Si je vous ramenais à la Rochette, vous seriez sauvé sans doute, puisque vous y seriez arrivé avant que mon père, qui ne vous rencontrera pas sur la route d’Allevard pût penser à vous rejoindre du côté opposé.

Mais moi, je serais perdue.

S’il m’y retrouvait demain, il aurait le droit de m’emmener avec lui.

— Vous ne voulez plus, mon enfant, retourner dans sa maison?

— Vous savez quelle vie m’y attend. J’aimerais mieux aller me jeter dans l’Isère.

— Pauvre petite!

Vous avez été mon bon ange. Je veux vous servir de frère. Soyez mon guide jusqu’à Sainte-Hélène.

Arrivé là, j’aviserai au meilleur moyen d’acquitter ma dette. Vous m’avez sauvé la vie. Je vous dois aide et protection.

Il y a dans ce hameau, une bonne femme qui a été ma nourrice. Elle m’est toute dévouée; c’est à elle que je vous confierai.

— Vous êtes donc du Dauphiné ?

— Mon père habite, pendant l’été, aux environs de Grenoble.

— Vous vous appelez?...

— Robert...

— C’est un joli nom. Je le répéterai souvent en cueillant et en effeuillant des marguerites dans la prairie.

Mais partons.

— Vous allez me guider.

— Robert, donnez-moi votre main, et suivez-moi.

— Oui, chère Edmée.

La main d’Edmée tremblait et brûlait dans la main de Robert, comme si elle eût été agitée par une fièvre ardente et une émotion profonde.

Le langage, les manières, l’attitude d’Edmée, tout indiquait une enfant de la nature, ignorante des usages et des convenances du monde, livrée à ses propres instincts, à ses seules inspirations, n’ayant nulle idée des pudiques réserves de convention sociale de la femme, et s’abandonnant à ses impressions, sans la moindre dissimulation, comme si c’était une chose naturelle et simple que de toujours laisser voir tout ce qu’on pense et tout ce qu’on éprouve.

Robert comprit vite qu’ayant grandi au milieu de rochers abruptes et de sauvages forêts, dans le silence et la solitude, à côté d’un père sans foi ni loi, Edmée ressemblait à une fleur sans culture qui ne tient que du ciel et de Dieu sa beauté et son parfum.

Le trajet que Robert et Edmée avaient à faire, pour sortir de l’excavation qui leur avait servi de refuge, du côté opposé à celui de l’entrée par laquelle tous deux y avaient pénétré, était difficile à parcourir.

Il fallait, à chaque instant, changer de direction. Souvent il fallait se baisser, souvent aussi le passage était si étroit qu’une seule personne à la fois pouvait le franchir.

Ce trajet se fit donc sans qu’une seule parole fut prononcée, ni par Robert, ni par Edmée qui le guidait toujours par la main, familiarisée qu’elle était avec tous les accidents de ce chemin secret, creusé dans les flancs du rocher par le travail du temps.

Lorsque tous deux se virent à ciel ouvert, au-delà et au-dessous de la route qui va de la Rochette à Allevard et par laquelle le bandit Zorigues et le contrebandier Humbert devaient revenir à l’entrée de la gorge où il était convenu qu’ils se retrouveraient plus tard, il leur sembla que leur poitrine oppressée commençait à respirer à l’aise.

C’était le salut, c’était la liberté, par une nuit splendide, sous le ciel bleu, aux douces clartés de la lune, au reflet doré des étoiles, dans une riche contrée.

Robert regarda de nouveau sa montre. Elle marquait une heure du matin.

Edmée marcha vite d’abord, afin d’éloigner le plus possible Robert de la gorge où Humbert et Zorigues devaient se retrouver.

Mais bientôt elle ralentit sa marche, et se mit à babiller comme un oiseau échappé de sa cage, qui gazouille sur la branche où il s’est réfugié.

Robert écoutait avec ravissement sa jeune compagne qui lui plaisait et qui le charmait par l’originalité native de son langage, l’étrangeté de ses idées, son sentiment instinctif du beau et du bien, sa familiarité enfantine.

Il était fatigué. Il prit un pas de promenade.

Il ne tarda pas à s’apercevoir qu’Edmée était d’une ignorance absolue en toute chose.

Elle ne savait ni lire, ni écrire, et jamais son père ne lui avait parlé ni de Dieu, ni de religion.

Heureusement, par une grâce particulière du ciel, tous ses instincts étaient bons.

Son cœur et son âme ressemblaient à ces terrains incultes, quoique d’une excellente qualité, qui ne produisent rien, parce qu’on n’y sème rien, et où il suffirait de jeter du grain pour y récolter une abondante moisson.

— Est-ce que tu as encore ta mère? dit tout à coup Edmée à Robert.

— Non, Edmée, répondit Robert dont le visage devint triste, je n’ai plus ma mère. J’avais quinze ans, lorsque je l’ai perdue. J’ai beaucoup pleuré, beaucoup prié. Puis on m’a envoyé au lycée où j’ai achevé mes études.

— Ce doit être bien doux d’avoir sa mère? La mienne est morte, lorsque j’avais six ans à peine.

Nous habitions alors sur une montagne où il y avait des mines, une maison presque belle.

Mon père dirigeait, comme contre-maître, sur ce point éloigné d’Allevard où se trouve la fonderie, l’extraction du minerai.

Mais il était souvent ivre. On ne le gardait, dans les derniers temps, que par considération pour ma mère.

Dès que Dieu eût rappelé à lui ma pauvre mère, qui pleurait souvent en me couvrant de baisers et de caresses, on le renvoya.

C’est alors qu’il se réfugia dans la masure que nous habitions ensemble au fond de la gorge où tu m’as rencontrée.

Là, disait-il, nous serons tranquilles.

C’était loin d’Allevard où jamais il n’avait eu l’idée de m’amener avec lui, lorsqu’il s’y rendait pour voir le directeur des hauts fourneaux.

Il n’avait dans le bourg, prétendait-il, que des ennemis, et il ne désirait pas que ses anciens camarades des mines eussent la fantaisie de venir le voir.

La vérité est que sa vanité souffrait vis-à-vis de ces anciens camarades, dont il redoutait les conseils et même les reproches.

Il voulait vivre à sa guise.

— Quelles étaient ses occupations?

— Il n’en avait point. Il me faisait mendier, et allait boire au cabaret avec l’argent qu’on me donnait par pitié.

Puis, changeant tout à coup de sujet de conversation:

— Pourquoi vas-tu à Allevard? demanda-telle.

— J’y vais pour...

Robert s’arrêta tout court.

Il venait seulement de s’apercevoir qu’Edmée le tutoyait et qu’il tutoyait Edmée, depuis plus d’une heure.

Comment cela était-il arrivé ? Il ne pouvait s’en rendre compte.

Étonné de se sentir troublé, à la question qui venait de lui être adressée, sans qu’il eût pu dire pourquoi cette question l’embarrassait, il prit le parti de suspendre sa phrase et de garder le silence.

Le chapelet d'amour

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