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L’ILOT DES SAPINS

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Après la question embarrassante qu’Edmée avait adressée à Robert sur le motif qui le conduisait à Allevard, et à laquelle il n’avait pas osé répondre franchement, quelques minutes s’écoulèrent.

Edmée continuait, sans rien dire, à marcher dans la direction du hameau de Sainte-Hélène.

Tout à coup, elle rompit la première le silence, et revenant à son idée:

— Tu vas peut-être, dit-elle, prendre les eaux d’Allevard?

Dans cette saison, beaucoup de baigneurs et de baigneuses, se rendent à Allevard de Chambéry, de Grenoble et de Lyon.

— Justement, répondit Robert, heureux de donner cette explication toute naturelle de son intention de se rendre à Allevard.

Mais en même temps qu’il faisait cette réponse à Edmée, il s’accusait mentalement de lui avoir menti et se demandait par l’influence de quel sentiment il avait été amené à dissimuler la vérité à cette enfant.

Il ne devait pas du tout aller à Allevard pour y prendre les eaux.

Robert de Montboran était le fils d’un homme politique, très-aimé, très-populaire, très-estimé de ses concitoyens de Grenoble, qui l’envoyaient à la Chambre des députés, depuis un grand nombre d’années.

Sous la Restauration, le duc de Montboran avait été l’ami et l’allié de Casimir Périer, du général Foy, de Benjamin Constant, de Royer-Collard, de Jacques Laffitte.

Sous la monarchie de 1830, il était l’un des membres les plus actifs et les plus influents du groupe qui, de tout temps, avait voté sous la direction de M. Guizot.

Il était encore à Paris, où il possédait un luxueux et vaste hôtel, bien qu’à cette époque de l’année il habitât généralement le magnifique château de famille qu’il avait dans les environs de Grenoble, sur les bords de la Romanche.

On agitait alors, dans les hautes régions gouvernementales et parlementaires, la question d’Orient.

Adversaire déclaré de la politique de M. Thiers, le père de Robert avait voulu rester à Paris pour combattre cette politique auprès du roi, qui l’admettait souvent dans son intimité.

Robert était son fils puîné. C’était son Benjamin, son enfant gâté. Il lui passait toutes ses fantaisies et lui donnait tout l’argent qu’il fallait pour qu’elles pussent être rapidement, pleinement satisfaites.

Il était, du reste, l’un des plus riches propriétaires fonciers du Dauphiné et de la Touraine.

Robert avait voulu visiter la Suisse. C’était sa première excursion. Son père lui avait envoyé 20,000 francs pour faire ce voyage. Il lui restait plus de la moitié de cette somme.

Il avait rencontré, sur le bateau à vapeur que l’on prend pour visiter le lac de Genève, une veuve de quarante ans, qui passait l’été un peu partout, et qui partageait sa saison d’hiver entre Paris, sa patrie d’adoption, et Grenoble, sa patrie d’origine.

La saison d’hiver comprenait pour elle l’automne et le printemps.

Elle prétendait que l’almanach ment, lorsqu’il dit que l’année se divise en quatre parties de trois mois chacune.

Selon elle, il n’y en avait que deux: l’une qui en compte huit, et l’autre qui n’en a que quatre.

Cette veuve s’appelait madame Mason.

Riche, élégante, spirituelle, coquette, madame Mason, encore séduisante, était au fond femme de beaucoup de cœur, de beaucoup de bonté, très-sérieuse et très-réfléchie, sous l’apparence d’un caractère frivole et léger qu’elle se donnait à dessein pour avoir le droit de tout entendre et de tout dire, sans que cela tirât à conséquence, et afin de pouvoir prendre en riant les déclarations d’amour dont elle était assaillie.

Robert s’était subitement pris pour elle d’une passion violente. Elle avait écouté ses roucoulements d’écolier, ses soupirs d’enfant, sans y attacher de l’importance.

Mais elle n’avait pu se défendre de s’intéresser à ce jeune fils du duc de Montboran, qui annonçait un futur poète.

Il avait donc été convenu qu’il la retrouverait aux eaux d’Allevard, où elle devait se rendre, en quittant la Suisse. Robert se croyait épris pour toujours de madame Mason.

La veille encore, il se sentait tout prêt à lui consacrer sa vie.

C’est à elle qu’il pensait, lorsque, sur la plate-forme du château démantelé de la Rochette, il s’était écrié :

— Qu’on serait heureux de vivre ici près d’une femme aimée!

Maintenant il ne savait plus quel était le sentiment le plus fort de celui qui l’attirait vers madame Mason, ou de celui qui le retenait près d’Edmée.

Il chercha à changer de sujet de conversation. Il proposa à Edmée de la mettre dans un pensionnat de Grenoble.

Edmée se mit à sangloter.

— Qu’as-tu, mon enfant, et pourquoi ma proposition te fait-elle pleurer? reprit Robert d’une voix caressante.

— Je ne sais pas, mon ami. Mais, il me semble que si je te quittais, je redeviendrais malheureuse, comme je l’étais là-bas dans cette gorge où tu m’as trouvée.

Emploie-moi à tout ce que tu voudras; mais garde-moi près de toi.

— Est-ce de l’ingénuité et de l’ignorance, ou du calcul et de la corruption? se demanda intérieurement Robert, à cette proposition étrange dans la bouche d’une fille de quinze ans, faite à un jeune homme de dix-huit ans, paraissant être riche.

Un silence suivit ce dialogue.

Edmée le rompit tout à coup pour adresser à Robert cette naïve question, qui témoignait de son innocence et de sa pureté :

— Ami, dis-moi donc pourquoi le contrebandier Humbert offrait mille francs à mon père pour m’avoir à son service pendant quelques semaines?

C’est bien de l’argent pour si peu de temps et pour moi surtout qui ne pouvais guère lui être utile, puisque je ne sais rien faire.

Ravi et charmé de ce langage qui dissipait tous ses soupçons, Robert prit soudainement une résolution romanesque.

Il oublia madame Mason, et, apercevant aux faibles clartés de l’aube naissante les toits en chaume du hameau de Sainte-Hélène, sans répondre à la question embarrassante qui venait de lui être adressé : — Je vois, chère Edmée, dit-il, en montrant une habitation plus confortable que les chaumières voisines, la maisonnette qu’habite ma nourrice.

Tu vas te reposer chez elle.

Plus tard, tu sauras ce que je compte faire pour que nous ne nous quittions plus.

Edmée le remercia d’un regard plein de bonheur et de tendresse, et il frappa à une porte qui ne tarda pas à s’ouvrir.

Lorsque la porte de la maisonnette à laquelle Robert avait frappé s’ouvrit, Edmée vit apparaître sur le seuil une femme vêtue en paysanne, âgée d’environ cinquante ans, d’une figure sympathique, qui respirait la bonté et inspirait la confiance.

— Jésus! Dieu! s’écria-t-elle aussitôt; en apercevant Robert, c’est vous, mon jeune maître! Mais comment vous trouvez-vous dans ce village, à une heure si matinale?

Il n’est pas arrivé de malheur au moins?

— Ma bonne Germaine, rassure-toi. C’est le hasard seul qui m’a conduit ici. Mais je ne suis pas seul.

— Ah! c’est vrai. Je n’avais pas remarqué mademoiselle, dit-elle d’un ton moitié méprisant, moitié comique, toisant de haut en bas la pauvre Edmée qui, rouge et confuse, se tenait derrière Robert et baissait la tête.

— Je te confie cette jeune fille pour quelques heures. Je lui dois la vie.

— Ah! c’est bien différent.

— Donne-lui une chambre et un lit. Après les fatigues et les émotions de cette nuit, elle doit avoir besoin de repos.

Plus tard je t’expliquerai tout. Figure-toi pour le moment que c’est ma soeur, et traite-la comme si j’étais son frère et qu’elle fût aussi ta fille.

Edmée rougit et pâlit tour à tour; ces mots de frère et de sœur paraissaient lui faire éprouver une impression douloureuse, et elle disparut dans l’intérieur de la maisonnette avec Germaine, qui ne tarda pas à reparaître.

— Il est à peine quatre heures du matin. Ne voulez-vous pas aussi vous reposer, mon cher Robert?

— Ma bonne Germaine, je n’éprouve pas la moindre envie de dormir. Je suis plus agité que fatigué.

D’ailleurs, nous avons à causer d’affaires sérieuses.

Seulement, donne-moi de la bière, du pain et du fromage.

J’ai plus soif et plus faim que je n’ai sommeil.

Pendant son frugal repas, Robert mit Germaine au courant de son aventure de la nuit, et il lui peignit Edmée sous des couleurs si séduisantés, il lui en parla avec des expressions si touchantes, qu’il réussit à intéresser vivement sa nourrice au sort de cette pauvre jeune fille.

Elle la prit aussitôt en amitié.

D’ailleurs, il s’agissait d’une bonne œuvre, puisque c’eût été perdre Edmée que de l’obliger à retourner dans la masure de la gorge, où elle se serait vite trouvée placée entre le suicide et la prostitution, tandis qu’en lui offrant un asile où son père n’eût pas l’idée de la chercher, c’était la préserver du vice, l’arracher à la mort; et puis il y allait aussi du salut de son âme.

Robert, en expliquant à Germaine ses projets pour Edmée, n’avait pas oublié de lui parler de l’ignorance où Zorigues avait laissé sa fille sur Dieu et la religion.

D’ailleurs, les intentions de Robert étaient pures.

Edmée lui avait sauvé la vie.

Il voulait payer la dette de reconnaissance qu’il avait contractée vis-à-vis d’elle, en lui donnant un maître, en contribuant à lui former l’esprit et le cœur, en lui ouvrant l’intelligence et en lui fournissant un moyen d’existence honnête.

Il désirait qu’elle fût en état de devenir institutrice.

Il n’y avait rien à dire à ce plan. Germaine consentit sans difficulté à s’y prêter.

Au centre de l’îlot des Sapins qui occupait le milieu du lac, d’où il surgissait comme un nid de verdure, il y avait une délicieuse villa, cachée dans des massifs d’arbres et de fleurs, ombreuse et embaumée, qui était toute meublée.

Cette villa, qui appartenait au propriétaire du splendide château des Abeilles, bâti sur la cîme du mamelon voisin, était à louer.

Il fut convenu que la location de cette villa serait immédiatement faite au nom de M. Robert Dartoy.

Germaine devait s’y installer, en qualité de femme de charge. Edmée passerait pour une orpheline dont elle avait connu le père et la mère et que la famille lui avait confiée.

Une cuisinière et un jardinier devaient compléter le personnel de l’habitation. Robert se passerait de valet de chambre et Edmée n’avait nul besoin d’une femme de chambre.

Robert voulait, dans les premiers temps, veiller lui-même à l’éducation d’Edmée, ce que Germaine, qui avait toujours vécu au village, admit sans réfléchir aux suites inévitables de cette intimité quotidienne entre un jeune homme de dix-huit ans, à l’esprit romanesque, aux tendances sentimentales et à l’imagination poétique, et une jeune fille de quinze ans élevée à suivre, sans contrainte, les inspirations de son cœur et les penchants de sa nature.

Le 2 juillet, dans la soirée, Robert, qui allait s’appeler Dartoy pour tout le hameau, pour le propriétaire de la villa que Germaine lui avait indiquée et pour Edmée elle-même, s’installait dans l’îlot des Sapins, au milieu du lac de Sainte-Hélène.

Germaine choisit une cuisinière et un jardinier, qu’elle connaissait de longue date.

La cuisinière s’appelait Jeanne; le jardinier se nommait Lucien.

Ce fut également Germaine qui décida un vieux curé des environs à entreprendre l’instruction religieuse d’Edmée.

Une ancienne institutrice, retirée au hameau de Sainte-Hélène, accepta, pour un prix élevé, la mission fastidieuse d’apprendre à lire, à écrire, à calculer à une jeune fille de quinze ans qu’elle supposait intérieurement plus paresseuse qu’intelligente.

Le hasard enfin voulut qu’il y eût alors dans le voisinage une excellente maîtresse de chant et de piano qui voulut bien donner à la pupille de Germaine des leçons grassement payées de musique vocale et instrumentale.

On fit changer de costume à Edmée, et, dès le lendemain, elle commença son éducation, sous le contrôle de Robert, dont Germaine n’essaya même pas d’expliquer et de justifier la présence à la villa.

Dès les premières questions que les commères du hameau lui adressèrent sur ce sujet, elle comprit combien était fausse la situation d’Edmée et de Robert vis-à-vis du monde.

Mais il n’était plus temps de réfléchir.

Elle prit bravement son parti de ce qu’on pourrait dire et de ce qu’on pourrait penser.

Du reste elle avait foi dans la pureté des intentions de son jeune maître. Germaine avait raison.

Robert se promettait de ne voir qu’une sœur dans Edmée.

Pourtant il ne pouvait s’empêcher de se dire, en la regardant à la dérobée:

— Comme elle est jolie! C’est vraiment une perle de grâce et de beauté.

Lorsque parfois il assistait aux leçons qu’elle prenait de l’ancienne institutrice qui s’était retirée à Sainte-Hélène, c’étaient de nouveaux enchantements, Il était fier et joyeux de la rapidité de ses progrès.

La vieille fille était obligée de convenir que son élève avait l’intelligence très-vive, et qu’elle apportait dans ses études une grande opiniâtreté et une assiduité rare.

Edmée voulait surtout plaire à Robert. C’est ce qui la rendait si laborieuse.

Sous prétexte de reconnaissance, Edmée avait pour Robert de délicates prévenances, des attentions touchantes.

Elle devinait et prévenait ses désirs. Elle mettait ses manuscrits, ses livres, ses journaux en ordre.

Elle cherchait à l’égayer par son babil, lorsqu’il paraissait absorbé dans de tristes pensées.

S’il l’eût étudiée dans ses gestes, dans ses attitudes, lorsqu’il était avec elle, il lui eût été facile de s’apercevoir qu’elle l’aimait.

Robert, de son côté, se sentait chaque jour plus ému, plus troublé, près d’Edmée, plus agité, plus fiévreux loin d’elle.

— Est-ce que je l’aimerais? se demanda-t-il enfin avec une sorte d’épouvante.

Ce serait gâter ma bonne action. Elle ne doit être pour moi qu’une sœur. Je veux rester son frère.

Puis il écrivit des vers pour se distraire d’Edmée, pour détourner sa pensée de cette jeune fille qui s’emparait malgré lui de son âme, qui remplissait son cœur et son imagination et dont il avait à chaque instant le nom sur les lèvres.

Il n’avait pas encore assisté à ses études de chant et de piano.

Un jour pourtant il voulut savoir quels progrès elle avait pu faire en musique. Il entra au moment où elle posait les doigts sur les touches d’ivoire.

— Quelles mains ravissantes elle a, pensa Robert, et comment ne les ai-je pas remarquées plus tôt.

La leçon était terminée. La maîtresse de chant et de piano se levait pour se retirer. Elle salua et sortit.

— Mon ami, dit Edmée, tu arrives trop tard.

J’aurais pourtant voulu chanter et jouer pour toi.

Mais seule je n’ose pas.

Je ne me sens pas encore assez savante pour affronter une aussi grosse épreuve devant le seul juge que je tienne à satisfaire.

Je voudrais tant que ma voix pût te séduire, que mon jeu pût te charmer.

Peut-être qu’alors tu me retiendrais plus souvent près de toi.

Je ne te vois presque plus qu’aux heures du repas, sans doute parce que notre bonne Germaine est admise à notre table, et qu’en n’y paraissant pas, tu craindrais de lui faire de la peine.

— J’ai peur de te détourner de tes études, en te gardant près de moi aux heures du travail.

— Je ne travaille jamais mieux, tu le sais, que lorsque je suis heureuse, et je ne sais heureuse que lorsque nous sommes ensemble, nous occupant, toi de poésie ou de musique, moi de grammaire ou de géographie.

C’est surtout ta présence qui me fait vaillante,

— Chère Edmée!

Et il lui prit les deux mains qu’il pressa délicieusement avec amour.

Il se sentait envahi par un flot irrésistible de tendresse, entraîné par un involontaire élan de passion, et il allait s’écrier:

— Je t’aime! je t’aime!

Une réflexion subite vint arrêter ces mots sur ses lèvres.

Il se sauva comme un fou, laissant Edmée étonnée, inquiète et triste de son inexplicable conduite.

Le chapelet d'amour

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