Читать книгу La Maison des Deux Barbeaux & Le sang des Finoël - André Theuriet - Страница 7
IV
ОглавлениеPendant les premiers mois qui suivirent la mort de Mlle Lénette, les deux frères furent trop abasourdis pour sentir toute la gravité de la perte qu’ils venaient de faire. Ils vivaient automatiquement sans s’inquiéter de ce qui se passait autour d’eux ou au dehors. Ils laissaient la direction du ménage à Catherinette, ne voulant voir personne, se mettaient à table sans appétit, mangeaient sans savoir ce qu’on leur servait, et ne prenaient plus goût à rien. Hyacinthe errait çà et là comme un corps qui a perdu son âme; Germain ne pensait plus à la chasse, et ne mettait plus les pieds au bois.
Parfois seulement, à la fine pointe du jour, ils se glissaient furtivement, chacun de son côté, hors du logis. Ils filaient discrètement par des ruelles détournées et étaient tout étonnés de se retrouver au détour d’une allée du cimetière. Ils restaient là une bonne partie de la matinée, sans se dire trois paroles, tout occupés à jardiner autour de la fosse de la tante Lénette. Les pluies d’avril avaient déjà tassé la terre, ils y avaient fait planter des fleurs et ils les arrosaient silencieusement.
Mais quand ce lourd engourdissement se fut peu à peu dissipé et qu’ils rentrèrent dans la vie consciente et active, alors ils commencèrent à sentir combien la défunte leur manquait. Une attaque de paralysie, les privant tout d’un coup de leurs yeux et de leurs jambes, les eût rendus moins impuissants et désorientés que cette brusque mort de Mlle Lénette.
Habitués à se reposer sur la tante pour toutes les choses du ménage, ils n’entendaient rien au gouvernement d’une maison, et les moindres détails domestiques prenaient pour eux l’importance d’une affaire d’État. Qu’il s’agit de commander le menu d’un diner ou de renouveler leur garde-robe, ils se regardaient tous deux avec des yeux ahuris, et finissaient par s’en reremettre aveuglément à la décision de Catherinette.
Or celle-ci, qui avait toujours été un instrument passif entre les mains de Mlle Lénette, manquait absolument d’imagination et d’initiative. Les deux Barbeaux dînaient mal: au milieu de l’abondance de toutes choses, ils étaient privés de ces gâteries et de ces petits soins que la sollicitude de la tante leur prodiguait, et que l’habitude leur avait rendus nécessaires comme le pain et le sel.
Ils s’embrouillaient dans ces trousseaux de clés que Mlle Lénette maniait avec tant de dextérité. Au fond de ces profondes armoires où la tante rangeait le linge avec un ordre méthodique dont elle avait emporté le secret, les deux infortunés ne savaient rien trouver. Ils passaient des heures à chercher un mouchoir de poche; puis, de guerre lasse, après avoir bouleversé tous les rayons, ils s’asseyaient découragés en face des piles de linge effondrées, et murmuraient d’un ton lamentable: – Ah! si la tante était là!
Un soir de mai, après une journée dépensée à l’une de ces laborieuses recherches, le souper fut plus détestable encore que de coutume. Catherinette avait servi à ses maîtres deux plats qui leur étaient antipathiques: une langue braisée et des œufs à l’oseille. Par surcroît, la salade, mal assaisonnée, n’était pas mangeable. Les deux frères, assis devant leurs assiettes intactes, restaient taciturnes, fatigués et maussades, quand Germain, posant brusquement sa fourchette, murmura ces mots, qui semblaient la conclusion d’un long soliloque intérieur: – Non, vrai, ça ne peut pas durer plus longtemps!
– Qu’est-ce qui ne peut pas durer, cadet? demanda Hyacinthe, tiré à son tour de sa méditation par l’exclamation de son frère.
– Eh! la vie que nous menons... Nous sommes bien portants, encore jeunes et fort à notre aise, et avec cela nous vivons plus misérablement que le dernier des tisserands de la rue de Véel.
– C’est vrai, mon camarade, mais c’est la faute des circonstances, et nous n’y pouvons rien... Ah! si la pauvre tante Lénette était là!
– Oui, si elle était là, les choses iraient autrement; mais enfin la chère femme est partie, et nous ne pouvons pas passer le restant de nos jours à nous lamenter, tandis que la maison s’en va en désarroi... Nous ne sommes plus des enfants, Lafrogne, et il faudrait pourtant prendre un parti.
– Quel parti, Germain?
– Ah! voilà!.. dit le cadet, en pliant lentement sa serviette; tu vas pousser les hauts cris, et je sais bien que ma proposition a son mauvais côté, mais de deux maux il est sage d’éviter le pire... Donc je pensais que Catherinette est vieille, qu’elle ne peut suffire à tout et que... bref, il serait urgent qu’il y eût une femme à la maison.
– Hum! répliqua Hyacinthe qui écoutait en trempant une croûte de pain dans son vin pur, c’est chanceux... Si nous prenons une femme de charge qui nous volera et deviendra une façon de servante-maîtresse, ce sera tomber de fièvre en chaud mal.
– Qui te parle d’une mercenaire? riposta Germain; non, il nous faut une femme qui veille à nos affaires avec un dévouement qu’on ne trouve pas chez une domestique, et pour cela il faut que l’un de nous se marie.
– Oh! oh! oh! se récria Hyacinthe sur trois tons différents... Y songes-tu? A nos âges, avec nos habitudes, introduire ici une étrangère qui n’aura ni nos goûts, ni nos façons de vivre, et qui d’aventure prendra en grippe celui de nous qui deviendra son beau-frère?.. C’est dangereux.
– Il le faut! répéta nettement Germain, et, si la pauvre tante pouvait parler, je crois qu’elle nous donnerait ce conseil.
– Oui, si nous pouvions rencontrer une seconde tante Lénette... murmura Hyacinthe, devenu rêveur.
– Un peu plus jeune pourtant! objecta Germain.
– Le choix n’est pas facile, poursuivit l’ainé des Barbeaux; par le temps qui court, où trouver une femme qui puisse s’intéresser à nos affaires et s’habituer à notre régime?
– Qui sait? Nous n’aurions peut-être pas à l’aller chercher bien loin... il me semble que nous l’avons sous la main.
– Et qui donc?
– Notre cousine de Coulaines.
– La mère ou la fille? demanda ingénument Hyacinthe, un peu effaré.
– La mère est un peu mûre, répondit Germain en faisant la grimace; non, je parle de la fille, naturellement.
– Laurence! s’écria l’ainé en joignant les mains, mais elle a dix-neuf ans à peine.
– Tant mieux, elle n’a pas encore eu le temps de prendre de mauvais plis, et nous la façonnerons à notre gré.
– Mais la différence d’âge?.. Ne te souviens-tu plus de ce que tu disais à Nivard?
–Nivard est usé, et nous sommes verts et gaillards... Et puis songe que du moment où nous nous décidons au mariage, il est plus prudent de prendre une femme dans notre parenté; notre fortune ne sortira pas de la famille, et, de plus, Laurence, qui est pauvre, sera liée à nous à la fois par le sang et par la reconnaissance. En choisissant une étrangère, nous nous exposerions aux mêmes risques sans rencontrer les mêmes avantages.
Germain prêcha si bien qu’il finit par convaincre Hyacinthe; ils tombèrent d’accord que le choix devait s’arrêter sur Mlle de Coulaines. Elle est un peu jeune, murmurait Hyacinthe en vidant son verre à petits coups, mais enfin. va pour Laurence!
– Affaire entendue!s’exclama Germain en secouant la main de son frère; maintenant il ne s’agit plus que de décider lequel de nous se mariera.
–Quelle plaisanterie! reprit Hyacinthe, c’est toi, naturellement. Tu es le moins âgé, et, entre nous, j’ai cru déjà m’apercevoir que la jeune personne ne t’était pas indifférente...
– Peuh! fit l’autre, j’avais du plaisir à la regarder, mais elle me plaira tout autant comme belle-sœur que comme femme... D’ailleurs, tu es l’aîné, et c’est à toi que revient l’honneur d’être chef de famille.
– Merci de l’honneur! dit Hyacinthe en se levant pour protester, je te cède mon droit d’aînesse. Je suis timide, gauche, quinquagénaire, je serais un trop triste sire aux yeux d’une femme.
– Allons donc! tu es doux, tranquille, d’humeur agréable et accommodante; c’est ce qu’il faut dans l’état du mariage, tandis que moi, avec mon caractère entier, bourru, et avec mes mœurs de chasseur, je suis un ours trop mal léché... C’est toi qui iras devant M. le maire.
– Non, non, Germain! s’écria le malheureux Hyacinthe d’une voix suppliante, les femmes me font peur.
– Et moi, je les épouvante...
– Voyons, cadet, soyons sérieux... Tout à l’heure, tu m’as persuadé que la maison péricliterait si l’un de nous ne se mariait point, et je suis tombé d’accord avec toi... mais je pensais que tu te chargerais de l’affaire.
– Moi! j’avais au contraire l’idée que la chose te revenait de droit.
–Non, décidément, je suis trop vieux.
–Et moi trop grognon!
Ils restèrent un moment silencieux, se promenèrent les yeux baissés et la mine perplexe; puis, venant à se rencontrer et à se regarder en face, ils se mirent à rire mélancoliquement.
–Il faut pourtant prendre une résolution, reprit Hyacinthe.
– Eh bien, tirons au sort, répliqua Germain, sans quoi nous n’en finirons jamais.
Il prit son carnet, en arracha deux feuillets sur lesquels il écrivit séparément le nom d’Hyacinthe et le sien; puis, les ayant pliés et jetés dans son chapeau: Choisis! s’écria-t-il; celui dont le nom sortira se vouera au conjungo.
– Un instant! dit Hyacinthe, qui surveillait avec terreur les apprêts de son frère, il faut faire les choses en forme, afin que celui qui tombera au sort ne puisse accuser l’autre d’avoir triché...
Il appela Catherinette par la fenêtre de la cour, et quand elle se présenta:
– Ma fille, continua-t-il, tu vois ce chapeau... Il y a dedans deux billets; tu vas fermer les yeux et en prendre un au hasard.
Catherinette regardait alternativement les deux frères d’un air hébété, et se demandait si les deux Barbeaux ne devenaient pas fous. Pourtant, sur un geste impératif de Germain, elle retroussa sa manche et plongea la main dans le chapeau.
Hyacinthe, l’œil fixé sur Catherinette, suivait le geste de la vieille servante et sentait un petit frisson lui passer le long de l’épine dorsale; en même temps, il formait mentalement le souhait que son nom ne sortit pas.
– Voici le papier!dit la cuisinière en retirant du chapeau l’un des billets qu’elle tendit aux deux frères.
– Donne, repartit vivement Germain, donne à mon frère Hyacinthe, et va voir à ta cuisine si j’y suis!
Il la poussa dans le vestibule, et, avant qu’elle eût le temps de se reconnaître, il ferma la porte en dedans. Hyacinthe cependant dépliait le billet qui tremblait légèrement entre ses doigts. L’aîné des Lafrogne s’était rapproché de la fenêtre pour mieux lire, et son long profil naïf se découpait sur la blancheur des rideaux.
– Eh bien? fit l’autre impatient.
– Il y a «Germain», répondit Hyacinthe avec un gros soupir de soulagement. Il passa le papier à son frère, qui le lut et le froissa entre ses doigts:– C’est fichtre vrai! grommela-t-il.
– Allons, reprit Hyacinthe d’un ton affectueux et guilleret, du courage, mon pauvre cadet! En résumé la Providence a bien fait les choses... Il ne me reste plus qu’à aller en causer avec notre cousine de Coulaines.
– Rien ne presse! répliqua Germain d’un air bourru.
Si fait! mieux vaut dès aujourd’hui savoir à quoi nous en tenir... A moins pourtant que tu ne te repentes déjà.
– Nenni, je n’ai qu’une parole, murmura Germain devenu subitement rêveur.
Hyacinthe prit son chapeau et courut chez Mme de Coulaines.
Précisément Laurence venait de se retirer dans sa chambre, et la veuve était seule dans la salle à manger. Hyacinthe lui exposa do son mieux l’embarras où les avait mis la mort de la tante Lénette, et il lui demanda solennellement pour son frère cadet la main de Mlle Laurence.
Mme de Coulaines n’en pouvait croire ses oreilles. Après la façon plus que froide dont elle avait été traitée par les Lafrogne, cette démarche étonnante lui faisait l’effet d’un brusque change-ment à vue dans une féerie. Néanmoins elle sut contenir prudemment sa joie et répondit avec un grand air de dignité qu’elle était très-honorée de la proposition de son cousin; mais que, le mariage étant une chose sérieuse, il était de son devoir de consulter d’abord sa fille. Bref, elle demanda la nuit pour réfléchir et promit de rendre réponse dès le lendemain.
Sitôt qu’Hyacinthe se fût retiré, elle gagna lestement la chambre de Laurence.
Celle-ci, assise sur une chaise basse auprès de la fenêtre ouverte, lisait un roman aux dernières lueurs du soleil couchant qui plongeait derrière les arbres du jardin d’en face. Au bruit de la porte, elle releva la tête et fut surprise en constatant la mine épanouie de sa mère.
Mme de Coulaines lui prit gaiement le livre des mains, la baisa au front, et s’asseyant près d’elle: – Écoute-moi bien, Laurette, j’ai du nouveau à t’apprendre.
– Quoi donc? murmura Laurence, tu as l’air rayonnant.
– Il y a de quoi... On vient de me faire pour toi une proposition de mariage... un parti magnifique, inespéré... Devine!
– Le fils d’un prince! dit railleusement Laurence, dont les yeux eurent une expression d’incrédulité.
–Non, mais ton cousin Germain Lafrogne.
–Ce n’est pas tout à fait. la même chose, répliqua la jeune fille avec une moue dédaigneuse.
– Je te conseille de te plaindre! un garçon qui a vingt-cinq mille francs de rente, sans compter la fortune de son frère, qui est quasi la sienne.
– Un ours, reprit Laurence d’un air déçu, un sauvage qui a au moins vingt ans de plus que moi.
– Tu raisonnes comme une enfant! Si tu avais un peu plus d’expérience, tu saurais que les garçons de l’âge et de la tournure de Germain sont les meilleurs maris. Tu feras de lui ce que tu voudras. D’ailleurs, il n’est point déjà si mal bâti; il a de beaux yeux et de belles dents, il est solide et il faut que l’air des bois conserve les gens, car il ne paraît pas son âge... Il ne s’agit pas de faire du sentiment, petite fille, tu sais que nous sommes gênées et que nous ne parvenons jamais à nouer les deux bouts. Hier encore j’ai eu une scène avec l’épicier, qui m’a menacée du juge de paix... Sois donc raisonnable et ne refuse pas le seul parti un peu propre qui se soit présenté; plus tard tu t’en mordrais les doigts.
Laurence, le menton dans l’une de ses mains, et de l’autre tambourinant contre la vitre, restait silencieuse.
–Hyacinthe reviendra demain, reprit la veuve, que dois-je lui répondre?
– Je sais bien que je n’ai pas le droit d’être difficile, dit enfin la jeune fille en secouant nerveusement ses épaules, réponds-lui que je ferai ce que tu voudras.
Restée seule, Laurence revint s’accouder à l’appui de la fenêtre, et les deux mains plongées dans la crêpelure de ses cheveux abondants, les yeux fixés sur les arbres des jardins, elle s’enfonça dans une mélancolique méditation.
Le soleil s’était couché, mais une chaude réverbération empourprait encore le ciel vers la droite. Sur cette rougeur, les cimes des arbres, les pignons des maisons et l’aiguille d’un clocher s’enlevaient en noir avec un vigoureux relief. Laurence, qui instinctivement aimait les couleurs vives, les parfums violents et la musique tapageuse, prenait d’ordinaire un grand plaisir à griser ses yeux de cette opulente lumière des soleils couchants. Ce soir, elle ne put s’empêcher de soupirer en songeant au contraste de cette illumination du ciel avec l’assombrissement intérieur où venait de la jeter la singulière démarche de Germain.
Certes elle avait souhaité plus d’une fois de se marier; mais bien qu’elle n’eût pas grand motif d’espérer un mari brillant, elle avait rêvé tout autre chose que son cousin Lafrogne. Le sauvage Germain, sous son enveloppe rugueuse et déjà mûre, ne réalisait nullement l’idéal qu’elle s’était plu à concevoir. Et pourtant elle reconnaissait elle-même que sa mère raisonnait juste en lui conseillant de ne pas dédaigner un parti qui était avantageux, sinon séduisant. C’était déjà beaucoup de pouvoir sortir de cette existence étroite et besoigneuse où il fallait liarder chaque jour, porter des robes fanées, des gants recousus, et subir les aigres réclamations de fournisseurs rendus féroces par de nombreux mémoires impayés. Au moins, quand elle se nommerait Mme Lafrogne, elle serait riche et souveraine d’une maison où rien ne manquait; elle pourrait se donner ce luxe qu’elle aimait, ce superflu qui pour elle passait presque avant le nécessaire.
A l’âge de Laurence, quand le cœur n’a pas encore parlé, on ne voit la vie qu’en surface; on n’en soupçonne pas les dessous pénibles, douloureux ou mortifiants; aussi on prend légèrement des résolutions devant lesquelles plus tard on est étonné de ne pas avoir reculé avec terreur. C’est ce qui explique le nombre de ces mariages disproportionnés que tant de jeunes filles acceptent, non pas seulement avec-résignation, mais presque avec le sourire sur les lèvres. Ce serait odieux, s’il n’y avait au fond de tout cela plus d’ignorance et d’étourderie que de calculs intéressés.
Quand Laurence sortit de sa méditation, l’illumination au couchant s’était éteinte; la colline, les maisons et les arbres ne faisaient plus qu’une masse noire, et dans le ciel, devenu couleur d’aigue-marine, une petite étoile tremblait ainsi qu’une larme au bord de l’horizon. La jeune fille secoua une dernière fois la tête, comme pour donner congé à l’idéal amoureux qu’elle s’était forgé bien souvent depuis sa sortie de pension; c’était fini, elle avait pris son parti, et elle acceptait de s’appeler Mme Lafrogne.
Le lendemain, dès midi, Hyacinthe, prévenu par un billet de Mme de Coulaines, aida Germain à procéder à sa toilette de cérémonie. Le farouche chasseur s’était fait rafraîchir les cheveux et la barbe, il avait un chapeau de soie qui lui donnait la migraine, sa redingote le gènait aux entournures, et ses bottes vernies lui torturaient les pieds.
– Vois-tu, dit-il à Hyacinthe en faisant de vains efforts pour introduire ses mains dans des gants de peau, toutes ces cérémonies-là, ce n’est pas ma partie!
Hyacinthe l’encourageait de son mieux, tout en l’escortant rue des Saules, où ils trouvèrent leurs parentes qui les attendaient dans le salon décoré pour la circonstance d’un luxe de fleurs fraîches. Au bout de quelques instants, Mme de Coulaines fit un signe à Hyacinthe et l’emmena dans une pièce voisine, de façon à laisser les prétendus en tête-à-tête.
Laurence, assise sur le tabouret du piano, tortillait nerveusement une rose entre ses doigts. Germain, figé dans son fauteuil, se sentait plus que jamais gêné par sa redingote.
–Il fait bien chaud! dit-il tout à coup d’une voix étranglée.
– Le temps est à l’orage, répondit Laurence sans lever les yeux, voulez-vous que j’ouvre la fenêtre, mon cousin?
– Non, merci! s’écria-t-il vivement. – Il lui semblait que, si la fenêtre était ouverte, il aurait encore plus de peine à s’expliquer. A la fin, brusquement, sans transition, comme un. homme qui se jette à l’eau: – Cousine Laurence, reprit-il, votre mère vous a-t-elle fait part de ma demande?
Elle rougit, et ses yeux noirs se fixèrent un moment sur Germain, qui en fut comme ébloui.
– Oui, mon cousin. – Eh bien répondez-moi franchement, comme il convient entre honnêtes gens, voulez-vous être ma femme?.. Je ne suis pas un beau parleur et je n’entends rien aux longs discours... Sachez seulement que vous me ferez grand plaisir en acceptant, et que je tâcherai que vous n’ayez pas à vous en repentir... Voulez-vous?
La rose trembla légèrement dans la main de Laurence. – Oui, mon cousin, murmura-t-elle.
Il se leva et s’approcha de la jeune fille. – Merci, dit-il de sa grosse voix. – Et comme il lui avait pris sans façon la main, la rose à demi-brisée lui resta dans les doigts.
Il la mit triomphalement à sa boutonnière et répéta: – Cousine, foi d’honnête homme, je ferai tout mon possible pour que vous soyez heureuse avec moi...
On s’occupa immédiatement de la publication des bans, et, trois semaines après, le mariage eut lieu à Notre-Dame. Comme la mort de Mlle Lénette était récente, il n’y eut pas de noce. Toute la ville, fort surprise de ce brusque dénoûment, n’en assista pas moins à la messe. A la sortie, il y avait foule sur le parvis, et parmi les curieux se trouvait Delphin Nivard. Quand la première voiture s’avança et que la mariée, ramassant la longue traîne bruissante de sa robe de satin, y fut montée lestement, le bureaucrate resta un bon moment occupé à regarder les chevaux de louage trotter dans la direction de la rue du Bourg. Un pâle sourire plissa ses lèvres minces, et, tout en se frottant les mains, il murmura en son par-dedans: – Fouette, cocher! ne verse pas en route, mon garçon, tu portes ma vengeance! Cette belle mariée mettra les deux Barbeaux sur le gril... J’espère bien être là pour les voir rôtir et pour attiser le feu.