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12. Des Valeurs Différentes

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Tess, Jake et Aara arrivèrent dans le complexe chic de Bedminster, dans le New Jersey. Un homme à la barbe soignée les accueillit à la portière de leur Range Rover. Il était impeccablement vêtu d'un costume occidental. Chemise à un col rond et sans cravate, il arborait le style prisé des Iraniens contemporains.

« Bienvenue ! Je m'appelle Fuad, assistant en chef de Monsieur Nazari. Veuillez me suivre. »

L'homme monta le long d'un grand escalier et ouvrit l'impressionnante porte d'un élégant immeuble principal. Jake laissa Tess et Aara entrer devant lui dans le spacieux atrium de la maison. Fadime ainsi qu'un petit groupe de personnes étaient déjà rassemblés à l'autre bout de la pièce.

L'assistant fit obligeamment les présentations.

« Monsieur et Madame Vickers, je vous présente Daryush Nazari, son épouse Forouzan et leur fils Karin. Je crois que vous connaissez déjà Madame Fadime al-Saadi. »

Jake salua ses hôtes d'un sobre hochement de tête, tout comme Tess et Aara. Quand les yeux de Tess et de Fadime se croisèrent, elles se retinrent tout juste d'échanger des regards meurtriers.

Daryush Nazari offrit sa main à Jake.

« Salam. Kheili Khosh Amadid. Bienvenue ! »

Jake s'était préparé à cette réunion en dépoussiérant ses connaissances du persan qu'il avait appris quand il était à la CIA.

« Halet Chetore? Comment allez-vous ? »

Nazari fut surpris et répondit : « Khoobam, mamnoon. Va shoma? Je vais très bien, merci. Et vous-même ? »

Jake demanda ensuite : «Shoma Englisi harf mizani ? Parlez-vous anglais?

— Oui, nous le parlons tous, répondit-il.

— Vous avez une superbe maison, Nazari Agha. Vous vous y plaisez ?

— En effet, oui. Nous aimons venir y passer l'été. Je crains que Téhéran ne soit une vraie chaudière en cette saison.

— J'ai été à Téhéran à plusieurs reprises pour affaires, fit part Jake. J'ai beaucoup aimé. Très belle ville. » Il pensa sage de ne pas révéler que son temps passé en Iran avait été pour des opérations secrètes pour la CIA.

Nazari fit entrer ses invités dans un grand salon magnifiquement meublé et leur offrit de s'asseoir autour d'une impressionnante table de cocktail en marbre.

« J'ai pris la liberté de nous commander du thé. »

Deux femmes en robes longues, la tête couverte, apportèrent obséquieusement les boissons.

Karin, le jeune homme, impeccablement vêtu d'un costume de couleur, sans cravate, et portant une barbiche, regarda Aara avec appréciation. Il lui sourit. La jeune fille le lui rendit avec une petite contraction de la bouche.

Nazari entama la conversation en s'adressant à Jake.

« Nous vous souhaitons la bienvenue dans notre maison et, par la grâce de Dieu, que notre disicussion sur les éventuelles fiançailles de nos chers enfants soit fructueuse. »

Jake se contenta de hocher la tête.

Fadime, contre toute attente, était vêtue sobrement d'une robe longue et ses cheveux étaient couverts. Elle prépara le terrain.

« Nous sommes réunis parce que mon frère défunt et bien-aimé Amir al-Saadi, que la paix soit avec lui, a pris des dispositions pour que sa fille Aara se marie dans une famille qui d'histoire a fait partie de notre cercle d'amis et d'alliés estimés. »

Elle fit une pause.

« Les liens entre nos familles sont anciens et à travers les temps nous avons assuré l'honneur de nos lignées en alliant soigneusement nos enfants. J'ai été chargée par mon frère de présenter sa fille pour un possible mariage avec le fils aîné de la famille Nazari, Inshallah, si Dieu le veut. »

Tess eut immédiatement en grippe le fait que l'une des personnes qu'elle appréciait le moins au monde discute de l'avenir d'Aara.

Le beau Karin se leva et s'inclina devant Aara. « Peut-être serait-il bien que je montre les jardins à Mademoiselle Aara. »

Aara, qui avait tout l'air d'un petit oiseau effrayé, ne voulait rien de moins mais Karin était persévérant. Il lui tendit la main et la courtoisie voulut qu'elle y réponde. Aara jeta un regard vers Tess qui acquiesça de la tête. La jeune fille se leva et suivit le jeune homme.

Le père Nazari prit une gorgée de thé.

« Je crois comprendre que le général al-Saadi a réservé une généreuse dot pour le mariage de sa fille. Notre religion ne l'exige pas mais je suis heureux qu'il en soit ainsi. Il est convenable qu'une femme demeure financièrement indépendante. »

L'homme n'avait manifestement aucune intention de s'adresser aux femmes présentes dans la pièce. Jake sentit Tess sur le point d'exploser, aussi prit-il l'initiative.

« Monsieur Nazari, nous comprenons que votre famille se conforme aux coutumes et pratiques islamiques. Notre préoccupation est que notre belle-fille Aara n'a pas été élevée dans cette religion. Nous aimerions discuter de la façon dont certains arrangements seront gérés dans le cas où Aara et Karin se marieraient. »

L'homme répondit à Jake.

« Je ne vois aucun problème, Monsieur Vickers. La jeune Aara se convertira à l'Islam et se conformera à nos coutumes comme il se doit. »

Tess donna instantanément voix à son irritation et ignora complètement le fait qu'en tant que femme, elle n'avait pas droit au chapitre.

« Monsieur Nazari, notre fille a été élevée en jeune femme moderne et instruite ayant des projets et des aspirations qui ne seront probablement pas compatibles avec les contraintes de la pratique islamique. Son éducation sera-t-elle un obstacle à cette union? »

Nazari parut agacé par la témérité de cette femme qui avait parlé sans permission et adressa de nouveau sa réponse à Jake.

« Comme je le disais, la jeune fille se convertira à l'Islam. Elle sera instruite sur les principes de notre religion et élèvera ses enfants comme disciples d'Allah.»

Tess n'en fut pas intimidée pour autant.

« Je crains qu'un régime religieux strict ne soit un problème pour Aara. C'est une femme moderne. »

Nazari adressa ses remarques encore une fois à Jake.

« La religion ne devrait pas poser de problème. Je suis sûr que vous savez que l'Islam est l'une des trois grandes religions abrahamiques. Comme le judaïsme et le christianisme, notre religion a été fondée par un descendant d'Abraham. Nous croyons en Moïse et en Jésus, que la paix soit avec eux, ainsi qu'en la Torah et l'Évangile originels révélés au Prophète. Nous croyons aux Dix Commandements. Nous croyons en Dieu, en ses anges, ses écritures et ses prophètes, au Jour du Jugement, au paradis et à l'enfer, ainsi qu'en la sage parole et la mesure de Dieu et au libre arbitre de l'homme. Voilà les préceptes essentiels de la foi islamique. Certains pensent que nous avons un dieu différent parce que nous utilisons le nom arabe pour désigner Dieu, qui est "Allah". Ce qui est important, c'est que nous prions tous le même Dieu, que nous soyons chrétiens, juifs ou musulmans. Nous croyons que Dieu a envoyé un messager à chaque nation avec le même message : croyez en un dieu et soyez justes les uns envers les autres. »

Tess fut impressionnée par le point de vue de Nazari mais elle était loin de renoncer.

« Vous attendriez-vous à ce qu'Aara porte une tenue musulmane et se couvre la tête ? »

Nazari continua de refuser de la regarder et il continua de répondre à Jake.

« En Iran, nous préférons que les femmes portent la tenue musulmane pour la modestie et la vertu qu'elle représente, et qui font grandement défaut à la culture occidentale. Nous ne favorisons ni le libertinage, ni la convoitise. Nos femmes sont chéries, honorées, protégées. Je suis sûre que vous approuverez que la culture occidentale contemporaine a mené à un effondrement moral, à une luxure débridée, aux comportements impudents et aux grossesses non désirées.

— Vous exagérez, Monsieur Nazari, rétorqua Tess. Vous ne voulez pas reconnaître que le vrai problème auquel nous faisons face est un choc des civilisations. Les musulmans d'aujourd'hui semblent être en guerre contre le reste du monde. Pensez aux actes épouvantables de Daesh et d'Al-Qaïda, que des dirigeants comme Assad en Syrie massacrent leur propre peuple. Erdogan en Turquie essaie de revenir en arrière en voulant remettre la seule république démocratique du Moyen-Orient sous le joug de l'Islam. Vous ne pouvez tout simplement pas appeler cela des pratiques religieuses convenables. »

Nazari apparut alors comme un homme pliant sous un lourd fardeau.

« Daesh et Al-Qaïda sont en train de détourner l'Islam. Ce sont des pécheurs. Les djihadistes de Daesh pensent qu'ils pratiquent l'Islam pur mais leur théologie est fallacieuse. Ils sortent les passages du Coran hors de son contexte historique et acceptent de façon infamante les contestables hadiths "faibles", les paroles et les actes du prophète Mahomet, et en font une interprétation outrancière. Ils violent le respect du "Peuple du Livre", les juifs, les chrétiens, les zoroastriens et préconisent le meurtre de tous ceux qui sont en désaccord avec leurs vues extrémistes, principalement les musulmans chiites. Nombres de dirigeants religieux musulmans condamnent l'État Islamique. »

Tess n'en démordit pas.

« Que pouvez-vous nous dire sur la façon dont les femmes sont traitées en Iran, Monsieur Nazari ?

— Les lois iraniennes sont encore favorables aux hommes mais les femmes ont davantage accès à l'éducation et ont un rôle plus visible dans la société, comparé à d'autres pays islamiques, à l'exception de la Turquie, qui est un état laïc. Même Masoumeh Ebtekar, notre première vice-présidente et cheffe de notre Organisation de la Protection de l'Environnement, affirme que les choses vont de mieux en mieux pour les femmes.

— Je le sais, répliqua Tess. J'ai vu une interview d'Ebtekar à la télé. Elle avait enjoint les Occidentaux à surmonter leur rejet du hijab. Eh bien, nous désapprouvons que le port du foulard par les Iraniennes soit décrété comme une loi. Nous y voyons encore le signe de l'oppression de la femme. »

Nazari eut l'air clairement agacé.

« Comparons l'Iran aux autres pays musulmans. En Arabie Saoudite, la loi interdit aux femmes de conduire et un parent masculin doit approuver presque toutes les décisions importantes de leur vie. De plus, elle ne peuvent occuper de charge publique. »

Jake, bien préparé comme d'habitude, se sentit obligé de corriger Nazari. « En fait, Nazari Agha, dix-sept femmes saoudiennes ont récemment été élues aux élections municipales. Mais d'un autre côté, le Grand Mufti du pays a déclaré que l'entrée des femmes en politique équivalait à ouvrir la porte au mal. Cela n'augure rien de bon pour l'avenir.»

Tess

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