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LORENZO GHIBERTI

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Né à Florence en 1378, mort en 1455.

Nous allons entrer à présent dans l’examen du progrès de la peinture au XVe siècle.

Ce XVe siècle est peut-être, dans toute l’histoire du genre humain, l’époque la plus remarquable; c’est alors que l’activité intellectuelle se développa d’une façon extraordinaire, que les arts de la vie se perfectionnèrent avec rapidité, qu’eurent lieu les premiers Progrès certains dans la recherche de la philosophie, que les belles-lettres furent de nouveau cultivées, et qu’enfin arrivèrent deux événements dont les résultats sont incalculables, l’invention de l’imprimerie et la découverte de l’Amérique.

Le progrès, signe caractéristique de cette mémorable époque, se fit aussi sentir dans les beaux-arts: en peinture, l’huile remplaça dans le mélange des couleurs les matières aqueuses et glutineuses dont on faisait usage auparavant, et amena les résultats les plus importants. Mais, il le faut dire, le développement intellectuel dans l’art précéda de beaucoup les perfectionnements matériels.

C’est de ce développement intellectuel en général dont nous allons nous occuper avant de traiter de l’histoire et des efforts particuliers des individus.

Pendant le XIVe siècle les élèves et les imitateurs de Giotto remplirent toute l’Italie; mais au XVe il y eut un effort manifeste vers l’originalité de style; les différentes branches formèrent des écoles particulières. Chacune de ces écoles se distingua par un caractère prédominant dans sa manière de traiter l’art; chez les unes c’était l’expression, chez les autres la forme; chez celles-ci la couleur, chez celles-là la tendance vers l’imitation; chez d’autres enfin l’aspiration vers l’idéal. A cette époque, nous commençons à entendre citer les écoles de Naples, de l’Ombrie, de Bologne, de Venise et de Padoue comme étant parfaitement distinctes les unes des autres. De 1400 à 1450, ce sont encore les écoles toscanes que nous trouvons en avance sur toutes les autres, tant sous le rapport de la force, de l’invention, de la fertilité, que pour l’application de la science et des moyens mécaniques dans la réalisation d’un but donné. De même qu’en parlant du XIVe siècle nous avons marqué l’influence nouvelle imprimée à l’art moderne par Giotto, et que nous avons remonté jusqu’au sculpteur Nicolas Pisano, ainsi nous retrouvons au XVe siècle l’influence qu’un autre sculpteur, Lorenzo Ghiberti, exerça sur ses contemporains, surtout sur ses concitoyens. Cette influence, qui contribua à développer et à perfectionner ce principe d’imiter la peinture qui avait été celui de Giotto, imprima à l’art florentin un caractère particulier qui le distingua au XVe siècle et même au commencement du XVIe.

La vie de Ghiberti et la fonte des fameuses portes de Saint-Jean forment vraiment époque dans les annales de la peinture: nous verrons se rattacher à l’une ou à l’autre, à mesure que nous avancerons, Presque chaque grand nom, et chaque progrès important dans l’art.

Florence, à l’époque dont nous parlons, se trouvait à la tête de tous les États d’Italie et au comble de la prospérité. Son gouvernement était essentiellement démocratique d’esprit et de forme; chaque classe, chaque intérêt dans l’État, l’aristocratie, les gens de guerre, les marchands, les commerçants, les artisans avaient tous une part convenable de puissance, et se faisaient contre-poids les uns aux autres. Les Médicis qui, un siècle plus tard, s’emparèrent du pouvoir souverain, se contentaient alors d’être au nombre des citoyens les plus distingués, et membres d’une grande maison commerciale, à la tête de laquelle était Jean, le père de Côme de Médicis. Les différentes branches de commerce étaient divisées en corporations ou compagnies, appelées arti, qui étaient représentées près du gouvernement par trente-quatre consoli ou consuls. Ce furent les consuls des marchands qui, en 1401, entreprirent d’élever une seconde porte en bronze au baptistère de Saint-Jean; cette porte devait former le pendant de la première, exécutée dans le siècle précédent (1330), par Andrea Pisano, d’après les dessins de Giotto, et représenter en riches sculptures les différents événements de la vie de saint Jean-Baptiste. Égaler ou surpasser la magnifique porte de Pisano, qui avait fait pendant un demi-siècle l’admiration de toute l’Italie, tel était le but qu’on se proposait, et aucune dépense ne devait être épargnée pour y atteindre.

La signoria, ou membres du gouvernement principal, agissant conjointement avec les consoli, tirent connaître dans toute l’Italie leur généreux projet, et, en conséquence, non-seulement les meilleurs artistes de Florence, mais d’autres encore de différentes villes, surtout de Sienne et de Bologne, se réunirent à cette occasion.

Parmi un grand nombre, les consoli choisirent sept artistes qui furent jugés dignes de concourir à l’œuvre, à des conditions non-seulement justes, mais libérales. Chaque concurrent reçut, outre le payement de ses dépenses, une large indemnité de travail pour une année entière. Le sujet proposé était le sacrifice d’Isaac, et chaque artiste était requis de livrer à la fin de l’année un modèle exécuté en bronze, de la même grandeur que l’un des compartiments de l’ancienne porte, c’est-à-dire d’environ deux pieds carrés.

On établit trente-quatre juges, choisis principalement parmi les artistes, quelques-uns étaient florentins, les autres étrangers; chacun d’eux devait donner son vote publiquement, et émettre les raisons à l’appui. Les sept compétiteurs dont les noms nous ont été transmis par Vasari sont: Jacopo della Quercia, de Sienne; Nicolo d’Arezzo, son élève; Simon da Colle, célèbre déjà par ses beaux travaux en bronze, qui lui valurent le surnom de Simone dei Bronzi; Francesco di Valdambrina; Filippo Brunelleschi; Donato, plus connu sous le nom de Donatelli, et Lorenzo Ghiberti.

Lorenzo avait alors environ trente-trois ans; il était fils du Florentin Cione, et appartenait à une famille qui jouissait, à Florence, d’une certaine considération. La mère de Lorenzo, veuve de bonne heure, épousa en secondes noces un homme de mérite, nommé Bartoluccio, connu par son talent comme orfévre. Les orfèvres de ce temps-là n’étaient pas de simples artisans, mais de véritables artistes dans toute l’acception du mot; ils exécutaient la plupart du temps des ouvrages d’après leurs propres dessins. Ils empruntaient à l’histoire sainte ou à l’histoire profane les sujets et les figures qu’ils reproduisaient ensuite, tantôt en les ciselant en relief, tantôt en les gravant ou en les émaillant sur les châsses ou sur les calices qui servaient aux offices divins, ou bien même encore sur des vases, des plats, des poignées d’épée et d’autres objets.

Le dessin et le modelage, arts essentiels alors pour un orfévre, furent enseignés au jeune Lorenzo, ainsi que la pratique de la ciselure et la fonte des métaux, par son beau-père. Les progrès de Lorenzo furent si rapides, qu’à l’âge de dix-neuf ou vingt ans, il s’était déjà assuré la protection du prince Pandolphe Malatesta, seigneur de Pesaro. C’est à la décoration du palais de ce prince qu’il était occupé, lorsque Bartoluccio lui fit connaître les conditions du concours qui allait s’ouvrir pour l’exécution des portes de Saint-Jean. Lorenzo revint aussitôt à Florence, se présenta Pour concourir, donna des preuves du talent qu’il avait acquis, et fut reçu au nombre des sept privilégiés. Chaque artiste admis au concours avait son atelier et son fourneau séparés, et l’on raconte qu’ils se cachaient réciproquement leurs dessins; mais Lorenzo, qui avait la modeste assurance que lui donnait la conscience de son génie, recevait au contraire les conseils ou les critiques, et admettait à son atelier, Pendant qu’il était à l’œuvre, ses amis, ainsi que les étrangers de distinction. A cette franchise d’ailleurs il joignait un courage persévérant. Ayant, après un travail incroyable, terminé ses modèles et fait ses préparatifs pour la fonte, il remarqua en son œuvre soit quelque défaut de procédé, soit un accident quelconque; il recommença le tout, et répara cette perte de temps par une ardeur incessante, et à la fin de l’année il ne fut pas en retard sur les autres compétiteurs. Quand les œuvres des sept artistes furent exposées ensemble, on trouva que le travail de Quercia manquait de délicatesse et de fini; que celui de Valdambrina péchait par sa composition confuse, et celui de Simon da Colle par son dessin, quoique le jet en fût déclaré irréprochable; l’œuvre de Nicolo d’Arezzo fut proclamée lourde et mal proportionnée quant aux figures, quoique d’une composition excellente. Bref, trois artistes seulement réunirent les mérites requis, la composition, le dessin et la délicatesse du travail, et furent unanimement préférés aux autres. C’était Brunelleschi, alors dans sa vingt-cinquième année; Donatello, âgé de dix-huit ans; et Lorenzo Ghiberti, qui n’avait pas tout à fait vingt-trois ans. Les suffrages semblaient être divisés entre eux trois; mais après une courte pose, et après avoir échangé quelques paroles à voix basse, Brunelleschi et Donatello se retirèrent du concours en s’accordant tous deux généreusement pour proclamer bien haut que Lorenzo les avait surpassés tous, et qu’à lui seul devait appartenir l’honneur d’exécuter le travail projeté. Cette décision, aussi honorable pour eux-mêmes que pour leur rival, fut confirmée au milieu des acclamations de l’assemblée.

Les citoyens de Florence étaient probablement aussi désireux que nous le serions nous-mêmes de nos jours de voir l’achèvement d’un ouvrage commencé avec autant de solennité. Mais le grand artiste qui l’avait entrepris ne se laissa pas entraîner à la précipitation ni par leur impatience ni par la sienne propre; et il ne s’engagea pas non plus à le terminer dans un temps donné, comme une corvée de forgeron. Il se mit à l’œuvre avec toute la prudence et la réflexion voulues, et cependant, comme il le dit lui-même, con grandissima diligenza e grandissimo amore, avec infiniment d’assiduité et de passion. C’est en 1402 qu’il commença ses dessins et ses modèles, et vingt-deux ans après, c’est-à-dire en 1424, la porte était terminée et placée au lieu de sa destination. Andrea Pisano avait choisi pour sujet de la première porte la vie de saint Jean-Baptiste, précurseur du Sauveur, patron des baptistères; sur la seconde porte, Lorenzo continua l’histoire de la Rédemption. Il la représenta tout entière depuis l’Annonciation jusqu’à la descente du Saint-Esprit, en une série de vingt panneaux ou compartiments, dix sur chacun des battants. Au bas de ces battants il ajouta huit autres panneaux représentant, en grandeur naturelle, les quatre évangélistes et les quatre docteurs de l’Église latine. Ce sont de grandes et majestueuses figures, entourées d’une bordure de riches ornements, se composant de fruits, de feuillage, de têtes de prophètes et de sibylles, le tout d’une beauté de dessin et d’un fini de travail merveilleux. Cette porte fut exécutée en bronze, et pesait trente-quatre mille livres.

Telle fut la gloire que ce grand ouvrage attira, non-seulement sur Lorenzo lui-même, mais sur toute la ville de Florence, que Lorenzo fut regardé comme un bienfaiteur public; et peu après, la même corporation des marchands lui confia encore l’exécution de la troisième porte du même édifice. La porte d’Andrea Pisano, autrefois l’entrée principale, fut reléguée sur le côté, et Lorenzo fut chargé de construire une porte du milieu, qui devait surpasser en beauté et en richesse les deux portes latérales. Lorenzo entreprit cette fois-ci l’histoire de l’ancien Testament. Les sujets furent choisis par Leonardo Bruni d’Arezzo, chancelier de la république, et Ghiberti les exécuta en dix compartiments, formant chacun un carré de dix pieds et demi. Commençant à la création et finissant à l’entrevue de Salomon avec la reine de Saba, il renferma l’ensemble de sa composition dans une bordure ou cadre du travail le plus recherché. C’était un mélange merveilleux de fruits et de feuillage, de figures de héros et de prophètes de l’ancien Testament. Ces dernières figures, de grandeur naturelle, debout dans des niches, au nombre de vingt-quatre, hautes chacune d’environ quatorze pouces, étaient étonnantes par leur expression variée et vraiment appropriée aux caractères de ceux qu’elles représentaient, ainsi que par la netteté, l’animation du dessin et la délicatesse du travail. Cette porte, du même métal et du même Poids que la précédente, fut commencée en 1428 et terminée vers 1444

Il est particulièrement digne de remarque que le seul défaut de ces ouvrages parfaits sous tous les autres rapports est précisément ce caractère de style, cause de leur influence comme école d’imitation et d’émulation pour les peintres. Ces sujets étaient sculptés en relief et jetés en bronze, la matière la plus dure, la plus sévère, la plus sombre et la moins flexible. Cependant, ils sont traités bien plus en rapport avec les principes de la peinture qu’avec ceux de la sculpture. Il s’y trouve de nombreuses figures groupées et placées à différentes distances de l’œil de celui qui les examine, mais toutes en relief et de bonne grandeur et très-conformes aux règles de la Perspective. Les différentes actions de la même histoire y sont représentées sur des plans différents. On y voit des édifices d’architecture, des paysages, des arbres et des animaux.—Enfin, c’est un genre de conception dramatique et scénique d’un effet totalement opposé à la simplicité sévère de la sculpture classique. Le génie de Ghiberti, malgré la matière Peu flexible qu’il employa pour rendre ses conceptions, appartenait par sa pente naturelle plutôt à la peinture qu’à la sculpture; et chaque panneau de ces magnifiques portes est un véritable tableau en relief.

Pour bien juger ces panneaux, c’est sous ce point de vue qu’il les faut examiner, en ayant soin de ne pas les assujettir aux règles de critique applicables à la sculpture. C’est alors que nous pourrons apprécier la fécondité étonnante d’invention de Ghiberti, le bonheur et la clarté avec lesquels il rend chaque histoire, la grâce et la naïveté de quelques-unes de ses figures, la grandeur pleine de simplicité de quelques autres, la richesse d’imagination qu’il déployait dans les ornements, la perfection avec laquelle il exécutait l’ensemble, et nous pourrons joindre nos éloges à l’éloge énergique de Michel-Ange, qui en parlant de ces portes s’écriait qu’elles étaient dignes d’être les portes du paradis!

Les dessins de ces fameuses portes ne se rencontrent que rarement. On en trouve cependant dans la plupart des musées et des collections publiques du continent.

Des esquisses en ont été gravées et publiées à Florence en 1821 par G. P. Lasinio. Il existe également des gravures représentant les dix sujets de la porte principale; elles sont dues au burin habile et hardi de Thomas Patch, et furent publiées par lui à Florence en 1771 .

Lorenzo Ghiberti mourut vers 1456, à l’âge de soixante-dix-sept ans. Ses anciens compétiteurs, Brunelleschi et Donatello restèrent ses amis pendant toute sa vie, et laissèrent après leur mort une réputation non moins célèbre, l’un comme architecte, l’autre comme sculpteur.

Telle est l’histoire de ces portes fameuses

Dont le travail merveilleux

Les rendait dignes de devenir les portes du ciel!

La peinture et les peintres italiens

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