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IV

Table des matières

MASACCIO

Né à San Giovanni, près Florence, en 1401, mort en 1443.

On conçoit aisément que, pendant les quarante années que Lorenzo Ghiberti consacra à son grand ouvrage, ainsi qu’à d’autres auxquels il travaillait dans les intervalles, l’aide dont il avait besoin pour compléter ses propres modèles, pour dessiner, Pour fondre et pour polir, ait formé autour de lui Une école de jeunes artistes qui travaillèrent et étudièrent sous ses yeux. Le genre de travail auquel ils étaient occupés donnait à ces jeunes gens une grande supériorité dans la connaissance de la structure du corps humain, ainsi que dans les effets de relief, de lumière, d’ombre, etc. L’anatomie, les Mathématiques et la géométrie furent alors appliquées à l’art du dessin. A son honneur, cette école se distingue des autres écoles qui se formèrent en Italie plus tard, par le genre d’esprit que l’on remarque chez ses jeunes artistes; esprit généreux qui leur fit s’aider mutuellement, les remplit d’émulation, et les excita à s’admirer réciproquement; esprit bien différent de ces détestables jalousies, de ces coups de poignard, de ces empoisonnements et de ces complots dont il est question au XVIIe siècle. Parmi ceux qui fréquentaient l’atelier de Lorenzo était Paolo Uccello, qui le premier appliqua la géométrie à l’étude de la perspective. Il poursuivit ce système avec une ardeur si infatigable qu’il en perdit presque la raison. C’est pour son usage et pour celui de Brunelleschi que Manetti, qui un des premiers étudia le grec et les mathématiques, traduisit les Éléments d’Euclide. On y remarquait encore Maso Finiguerra, l’inventeur de l’art de la gravure sur cuivre; Pollajuolo, le premier peintre qui étudia l’anatomie par la dissection; et qui fut le maître de Michel-Ange; enfin, Masolino, qui avait étudié sous Starnina, le meilleur coloriste de ce temps.

On y voyait aussi un jeune homme, un adolescent, qui apprit à dessiner et à modeler en étudiant les ouvrages de Ghiberti, et qui, quoiqu’il ne soit pas compté au nombre de ses disciples, laissa bientôt derrière lui les élèves reconnus du maître. Il était venu d’un petit village appelé San Giovanni, situé à dix-huit milles environ de Florence. Ce que l’on connaît sur sa famille et sur ses premières années est fort incertain. Son véritable nom était Tommaso Guido. On l’appelait encore Maso di San Giovanni; mais son air distrait, son indifférence complète pour les amusements et les plaisirs de son âge, ses vêtements et ses Manières négligés lui valurent de la part de ses compagnons le surnom de Masaccio . C’est sous ce sobriquet injurieux que l’un des peintres les plus illustres est connu partout maintenant et qu’il passera à la Postérité. Masaccio était un de ces hommes remarquables et rares, dont la vocation est fixée irrévocablement presque dès leur enfance.

Bien jeune encore il fit ses premiers essais dans son village natal; dans la maison où il naquit, on conserva longtemps un portrait de vieille femme filant, qu’il peignit sur le mur de sa chambre; ce portrait est étonnant de vie et de vérité.

Lorsque à l’âge de treize ans il vint à Florence, il étudia, suivant Vasari, sous Masolino, qui travaillait alors aux fresques de la chapelle de la famille Brancacci, dans l’église des carmélites. Masolino mourut bientôt après, avant d’avoir terminé son œuvre. Masaccio continua cependant ses études. Ghiberti et Donatello lui enseignèrent les principes du dessin, et Brunelleschi la perspective. L’énergie ardente avec laquelle il s’adonnait à son art de prédilection, son oubli de tous les intérêts communs, de tous les plaisirs de la vie, attirèrent sur lui de bonne heure l’attention de Côme de Médicis. Mais vinrent les troubles civils: Côme fut banni, et Masaccio quitta Florence pour venir à Rome. Il y poursuivit ses études avec la même ardeur qu’auparavant et de plus avec tous les avantages qu’offraient les restes de l’art antique réunis dans cette ville.

Pendant son séjour à Rome, Masaccio exécuta dans l’église de Saint-Clément, un crucifiement, ainsi que quelques scènes de la vie de sainte Catherine d’Alexandrie; malheureusement, ces tableaux ont été repeints si grossièrement, qu’il ne reste aucun vestige de la main de Masaccio, si ce n’est la composition du sujet, mais d’après les gravures qui en existent, on peut se former quelque idée de leur beauté et de leur simplicité.

Côme de Médicis fut rappelé de son exil en 1433; et bientôt après, grâce probablement à sa protection et à son influence, on chargea Masaccio de terminer la chapelle que Masolino avait commencée dans l’église del Carmine.

Cette chapelle se trouve à droite en entrant dans l’église; elle a la forme d’un parallélogramme, trois des côtés sont couverts de fresques, divisées en douze compartiments, dont quatre larges et oblongs, et les autres étroits et en ligne verticale. Ils représentent tous des scènes de la vie de saint Pierre, excepté les premiers de chaque côté en entrant qui ont pour sujet: la Chute et l’Expulsion d’Adam et d’Ève du paradis. Des douze compartiments, deux avaient été peints par Masolino avant 1415: c’est le Sermon de saint Pierre, un des petits compartiments; et le Saint Pierre et saint Jean guérissant le paralytique, un des grands; dans cette dernière fresque, l’artiste a peint deux beaux adolescents, dans le costume des patriciens de Florence; rien ne peut être d’une grâce plus naturelle et plus parfaite; ils feraient regretter que la mort de Masolino eut laissé à un autre le soin de terminer son œuvre, si cet autre n’eût été Masaccio.

Six des compartiments, deux grands et quatre petits, furent exécutés par Masaccio. Ils représentent le Tribut d’argent; Pierre ressuscitant un jeune homme; Pierre baptisant les convertis; Pierre et Jean guérissant les malades et les paralytiques; les mêmes apôtres distribuant des aumônes; et l’Expulsion d’Adam et d’Ève du paradis terrestre.

L’un des grands compartiments a pour objet un trait des Actes des apôtres. Simon le Magicien prétendait rendre à la vie un jeune homme mort qui, dit-on, était cousin ou neveu de l’empereur romain. Le magicien échoua, ce qui ne pouvait manquer d’arriver. L’artiste a choisi le moment où saint Pierre et saint Paul ressuscitent l’adolescent, il le représenta agenouillé devant les apôtres; le crâne et les os qui se trouvent auprès de lui représentent son état antérieur. Une foule de spectateurs assiste à ce miracle. Toutes les figures sont de demi-grandeur naturelle, et tout à fait étonnantes pour la vérité d’expression, la variété du caractère et la simplicité digne et élégante des formes et des attitudes. Masaccio mourut pendant qu’il travaillait à cette grande entreprise, et le groupe du milieu fut fait quelques années plus tard par Filippino Lippi. La figure qui est au centre du tableau passe d’après la tradition pour être celle du peintre Granacci, alors enfant. Parmi les personnages figurant les spectateurs se trouvent plusieurs portraits contemporains: entre autres, celui de Piero Guicciardini, père du grand historien, celui du poëte Luigi Pulci, auteur du Morgante Maggiore; enfin celui du peintre Pollajuolo,le maître de Michel-Ange. Quant au portrait de Masaccio, il se trouve dans la fresque des deux apôtres devant Néron; c’est de toutes les œuvres du peintre la plus belle et la plus remarquable. La grande ligure représentant saint Paul devant la prison de saint Pierre, figure que Raphaël introduisit avec quelques changements dans son carton de saint Paul prêchant à Athènes, est attribuée maintenant à Filippino Lippi. Les quatre autres compartiments ne furent ajoutés que plusieurs années après (vers 1470); ils sont également l’œuvre de Filippino Lippi, qui semble avoir été inspiré par la grandeur de ses prédécesseurs.

Mais revenons à Masaccio. Si nous considérons ses œuvres, leur supériorité sur tout ce que la peinture avait atteint ou tenté jusqu’à lui est tellement surprenante, qu’il semble qu’il y ait eu une interruption dans le progrès de l’art, et que Masaccio ait franchi tout à coup les limites que ses prédécesseurs avaient trouvées infranchissables; cependant Ghiberti et ses portes expliquent ce qui paraît ici étonnant au premier abord. Ce en quoi excellait Masaccio était précisément ce qu’il avait appris de Ghiberti. C’est de lui qu’il tenait non-seulement sa connaissance de la forme, mais aussi ses effets de lumière et d’ombre qu’il obtenait en donnant du relief et de la rondeur à ses figures qui, en comparaison de celles de ses prédécesseurs semblaient se mouvoir sur la toile. Il fut le premier qui raccourcit avec succès les extrémités de ses personnages. Dans la plupart des peintures antérieures aux siennes les figures semblaient se tenir sur la pointe des pieds, comme par exemple l’ange d’Orcagna; le raccourci du pied, quoique souvent tenté avec plus ou moins de succès, semblait offrir des difficultés insurmontables. Masaccio donna au dessin de la figure nue une grande précision, et répandit dans les tons des chairs une délicatesse et une harmonie auxquelles on n’avait pu arriver avant lui, et qui n’ont pas été surpassées, si ce n’est par Raphaël et Titien. Il excellait également dans la manière de rendre les sensations et les sentiments. Dans la fresque de saint Pierre baptisant les convertis, on voit un adolescent qui vient de jeter son vêtement, et qui a l’air de frissonner comme sous l’impression d’un froid subit. Cette figure, selon Lanzi, fit époque dans l’art. Ajoutez à cela l’animation, la variété du caractère qu’il donnait à ses têtes (on disait de lui qu’il peignait les âmes aussi bien que les corps), la beauté de ses draperies, dont les plis libres et larges, quoique majestueux et simples, sont bien différents des plis longs et collants de l’école de Giotto, et vous comprendrez facilement que tout cela réuni le rendit un sujet d’étonnement pour ses contemporains. La chapelle des Brancacci fut pendant un demi-siècle ce que les chambres de Raphaël au Vatican furent depuis,—une école pour les jeunes artistes. Vasari énumère le noms de vingt peintres qui avaient l’habitude d’y étudier; nous y remarquons entre autres: Léonard de Vinci, Michel-Ange, Andrea del Sarto, fra Bartolomeo, Pérugin, Baccio Bandinelli, et le divin Raphaël lui-même. Il n’a jamais appartenu qu’au génie d’inspirer le génie; et la chapelle des Brancacci est devenue aussi sacrée et aussi célèbre par la réunion de tels esprits, qu’elle était déja précieuse et admirable comme monument de l’art.

Chose étonnante, l’histoire de Masaccio est presque ignorée; on s’est peu occupé de sa vie; comme souvenir de lui il ne reste que ses œuvres, et encore en petit nombre, mais ce que nous en connaissons est si beau, qu’une seule de ses têtes aurait suffi pour l’immortaliser et pour justifier l’enthousiasme de ses confrères. On dit qu’il mourut subitement, si subitement que l’on crut à un empoisonnement. Il fut enterré dans les murs de cette chapelle qu’il avait ornée, mais sans tombe ni inscription. La date de sa naissance et celle de sa mort sont une question difficile à résoudre. Suivant Rosini, le plus exact des auteurs modernes en fait d’art, il naquit en 1417 et mourut en 1443, à l’âge de vingt-six ans. Vasari de son côté dit expressément qu’il mourut avant vingt-sept ans; dans ce cas, il n’aurait pu être, comme quelques écrivains le prétendent, l’élève de Masolino, qui mourut en 1415. Suivant d’autres autorités, il était né en 1401, et mourut à l’âge de quarante-deux ans. Il semble probable que s’il eût vécu jusqu’à cet âge, on aurait connu plus de détails sur sa vie et sur ses habitudes; ses œuvres en tout cas eussent été en plus grand nombre. En admettant sa mort à l’âge de vingt-six ans, bien des faits et des dates deviennent clairs et croyables, qui autrement seraient inexplicables. Quant à l’étonnante précocité de son talent, nous pourrions rappeler plusieurs autres exemples de la même précocité, comme celui de Ghiberti, dont nous avons déjà parlé, et celui de Raphaël, qui fut appelé à Rome pour décorer le Vatican à l’âge de vingt-sept ans. Le portrait de Masaccio, peint par lui-même, dans la chapelle des Brancacci, deux ans au plus avant sa mort, est celui d’un jeune homme d’environ vingt-quatre ou vingt-cinq ans.

La peinture et les peintres italiens

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