Читать книгу Les vivants et les morts - Anna de Noailles - Страница 22

UN JOUR, ON AVAIT TANT SOUFFERT…

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Un jour, on avait tant souffert, que le coeur même,

Qui toujours rebondit comme un bouclier d'or,

Avait dit: «Je consens, pauvre âme et pauvre corps,

A ce que vous viviez désormais comme on dort,

A l'abri de l'angoisse et de l'ardeur suprême…»

Et l'on vivait; les yeux ne reconnaissaient pas

Les matins, la cité, l'azur natal, le fleuve;

Toute chose semblait à la fois vieille et neuve;

Sans que le pain nourrisse et sans que l'eau abreuve

On respirait pourtant, comme un feu mince et bas.

Et l'on songeait: du moins, si rien n'a plus sa grâce,

Si ma vie arrachée a rejoint dans l'espace

Le morne labyrinthe où sont les Pharaons;

Si je suis étrangère à ma voix, à mon nom;

Si je suis, au milieu des raisins de l'automne,

Un arbre foudroyé que la récolte étonne,

Je ne connaîtrai plus ces supplices charnels

Qui sont, de l'homme au sort, un reproche éternel.

Calme, lasse, le coeur rompu comme une cible,

J'entrerai dans la mort comme un hôte insensible…

—Mais les fureurs, les pleurs, les cris, le sang versé,

Les sublimes amours qui nous ont harassés,

Les fauves bondissants, témoins de nos délires,

Ont suivi lentement le doux chant de la lyre

Jusque sur la montagne où nous nous consolions;

Les voici remuants, les chacals, les lions

Dont la soif et la faim nous font un long cortège…

—J'avais cru, mon enfant, que le passé protège,

Que l'esprit est plus sage et le coeur plus étroit,

Que la main garde un peu de cette altière neige

Que l'on a recueillie aux sommets purs et froids

Où plane un calme oiseau plus léger que le liège.

Mais hélas! quel orage étincelant m'assiège?

Lourde comme l'Asie et ses palais de rois,

Je suis pleine de force et de douleur pour toi!

Les vivants et les morts

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