Читать книгу Les vivants et les morts - Anna de Noailles - Страница 25

SEIGNEUR, POURQUOI L'AMOUR…

Оглавление

Seigneur, pourquoi l'amour et son divin supplice

Sont-ils, entre deux coeurs noblement rapprochés,

Comme un glaive qui rend une inique justice,

Et qui toujours châtie un mystique péché?

Tour à tour l'un des deux est votre humble victime,

Il doute, il est brûlant, bondissant, abattu;

Les regards hébétés il mesure l'abîme

Où le buisson ardent parlait, et puis s'est tu…

—Mon Dieu, dans ces amours, la douleur est si forte

Que, malgré le courage, on ne peut pas vouloir

Être celui des deux qui chancelle, et qui porte

Tout le poids d'un si lourd et cuisant désespoir;

Faut-il que l'un des deux seulement reste libre,

Que tour à tour l'on ait le calme ou le désir,

Et que l'amour ne soit que l'instable équilibre

D'être celui des deux qui ne va pas mourir?

Faut-il que l'un des deux brusquement se repose

Dans le bonheur amer et puissant d'aimer moins,

Et d'être, à la faveur de cette froide pause,

Non plus le combattant vaincu, mais le témoin;

D'être celui des deux qui n'est pas l'humble esclave

Dont on voit panteler la muette terreur,

Et dont les yeux, pareils à des torrents de lave,

Font un don infini de soupirs et de pleurs.

—On a besoin parfois de la douleur de l'autre,

De ses bras suppliants, de son front inquiet

Penché comme celui du plus doux des apôtres

Sur son céleste ami, qui songe et qui se tait.

On a besoin de voir sourdre au bord de la vie

Cet ineffable sang des larmes de cristal,

Offrande qui toujours répond à notre envie

D'épier la douleur et son puissant signal;

—Et moi, qui me revêts de vos grâces précoces,

Comme un brûlant frelon dans un lis engouffré,

Cher être par qui j'ai, plus qu'à mon tour, pleuré,

Pourrai-je pardonner à mon âme féroce

La paix qui m'envahit quand c'est vous qui souffrez?

Les vivants et les morts

Подняться наверх