Читать книгу Fragments d'épopées romanes du XIIe siècle traduits et annotés par Edward le Glay - Anonyme - Страница 9
VI.
ОглавлениеLes bourgeois ont vu leurs palissades franchies.—Les plus hardis en sont attérés. Cependant ils se sont précipités aux tourelles des murailles, et de là ils lancent des pierres et une multitude de pieux aigus. Il n'y a pas homme ayant maison dans la ville, qui ne soit à son poste. Déjà plusieurs des soldats de Raoul sont tombés morts, et les bourgeois jurent que s'ils trouvent le comte, ils le mettront en pièces.
—Raoul voit l'acharnement avec lequel ils se défendent, et il en est furieux. Il jure, par Dieu et par son épée, que s'il ne les fait pas tous brûler avant la nuit, il ne se prise pas la valeur d'un fétu de paille. Il ne tint pas ainsi la promesse qu'il avoit faite à l'abbesse, la veille, comme vous allez bientôt le voir dans la chanson.
«Barons,» s'écrie-t-il d'une voix terrible, «le feu! le feu!»
Les écuyers l'ont saisi aussitôt; car ils pilleroient volontiers. Ils escaladent les murs et se répandent dans les rues. Bientôt le feu prend aux maisons. Alors ils enfoncent les celliers, brisent les cercles des tonneaux et font couler le vin à grands flots. Les saloirs au lard s'embrasent; la flamme gagne les planchers qui s'écroulent; et les enfants sont brûlés vifs au berceau.
—Les nonnes de l'abbaye se sont réfugiées dans l'église; mais cela leur a peu servi; car la flamme roule déjà dans le maître-clocher. Les cloches fondent: les charpentes et les brandons tombent avec fracas dans la nef.—Le brasier alors devient si ardent, si chaud que les cent nonnes se consument en poussant des cris de désespoir: avec elles expirent la mère de Bernier, Marcent, et Clamados, la fille au duc Renier.
A la vue de l'incendie, les hardis chevaliers pleurent de pitié.
Bernier surtout, Bernier en devient presque fou: il prend son écu; et l'épée nue, il court droit à l'église.
Mais la flamme coule encore parmi les portes; et la chaleur est telle qu'on ne peut s'en approcher qu'à une portée de flèche lancée de toutes forces.
Alors Bernier s'arrête derrière un tombeau de marbre; et regardant, il voit sa mère étendue au milieu de l'église, sa belle face tournée contre terre; il voit son psautier qui brûloit encore sur sa poitrine.
«Hélas! s'écrie-t-il, tout est fini; et c'est folie d'essayer de la sauver! Ah! douce mère, vous m'embrassiez hier si tendrement! et moi, aujourd'hui, je ne puis rien faire pour vous!.... Que Dieu, qui doit juger le monde, prenne votre âme.... Et toi, félon Raoul, qu'il te confonde à jamais.... Je ne puis plus désormais t'accorder mon hommage.... Et je serois bien méprisable, si je ne tirois vengeance de ce crime.»
—Il est désespéré.... Son épée d'acier lui tombe des mains.... Trois fois il se pâme sur le cou de son destrier.—Il va demander conseil au sor Géri; mais le conseil ne lui a pas beaucoup servi, comme vous allez le voir.
—«Sire Géri, dit-il le cœur dolent, au nom de Dieu qui ne mentit jamais, conseillez-moi, je vous en conjure. Raoul de Cambrésis m'a traité bien mal. Il a brûlé dans l'église d'Origni ma mère Marcent au port majestueux.»
Géri répond: «j'en suis bien affligé pour vous.»
Le noble guerrier s'en retourne, plein de courroux, à son pavillon; il met pied à terre, et les écuyers courent dégarnir son cheval. Ses gens pleurent de le voir si triste.
Alors Bernier les prend à raisonner courtoisement: «Franche compagnie, conseillez-moi, je vous prie: messire Raoul ne m'aime pas beaucoup, lui qui a fait brûler ma mère dans cette église. Ah! si Dieu me laisse vivre, je saurai m'en venger!....»