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III.

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Parmi les difficultés sans nombre que soulève la grande question de l’apparition de la vie à la surface du globe, l’une des plus embarrassantes concerne le nombre des centres d’évolution qu’il convient d’admettre. N’en existe-t-il qu’un seul, en existe-t-il plusieurs, et, dans cette dernière hypothèse, ont-ils été contemporains?

Étant donné un même âge de la terre, les probabilités sont certainement en faveur de la pluralité des centres. Quant à savoir si même alors ils datent de la même époque, rien n’est plus incertain, la science ne nous fournissant pas assez de documents positifs pour en décider; mais on peut dire, relativement au nombre des centres de création, dans le sens du darwinisme, que, quand la terre fut devenue propre à permettre l’évolution de la vie, toute la surface dut jouir de cette merveilleuse prérogative. Tous les changements qu’elle a subis se sont toujours généralisés. La croûte terrestre s’est solidifiée partout en même temps; les eaux douces ou salées, ainsi que l’air atmosphérique, avaient de l’un à l’autre pôle une composition et des qualités pareilles. Sans doute, certaines espèces devaient être, comme aujourd’hui, condamnées à la stérilité ; cependant il ne pouvait y avoir aucun point qui fût privilégié. L’opinion génésiaque peut admettre un centre unique, mais non le système darwinien, qui fait intervenir uniquement l’action des forces naturelles. Or, voici où ce système nous conduit et quelles sont les conséquences qui découlent de la pluralité des centres, à laquelle il faut bien s’arrêter.

Plusieurs centres supposent plusieurs germes dans un même centre. Si la création d’un seul type est un fait inexplicable et en dehors des lois qui régissent la physique du globe, que dirons-nous de cette immensité de types qui tous auront donné lieu par leur naissance à autant de faits miraculeux? Croire que ces types, nés dans des milieux différents, auront été semblables, n’est pas possible. La terre entière aura donc été le théâtre de cette création à long terme qui n’aura formé les êtres que pour les transformer? Ainsi, tandis qu’autour de nous tout paraît stable, tout au contraire serait mobile et incertain; le hasard régirait la nature vivante; il n’y aurait d’autre loi que la métamorphose, et elle ne serait soumise à aucune règle. Dans le système de M. Darwin, il faut conclure de ce qu’on ne voit pas à ce qu’on voit, tandis qu’il semble seulement logique de conclure de ce qu’on voit à. ce qu’on ne saurait voir. Voilà pourquoi je ne puis accepter le darwinisme, tout en admirant les idées neuves et hardies sur lesquelles s’appuie le savant fondateur de ce système.

Cette multitude de métamorphoses, regardées comme évidentes, sont autant de petits miracles tout aussi difficiles à croire au point de vue scientifique que le grand œuvre de la création biblique. S’il m’est impossible de comprendre comment les grands animaux et les grandes plantes ont pu arriver jusqu’à nous avec les formes qui les différencient, il ne me l’est pas moins de chercher l’origine du baobab, du cèdre, du palmier, de la baleine, du phoque, du singe ou même de l’homme, à travers les changements successifs d’un type primordial ayant pu passer avec le temps de la simplicité la plus grande à la structure la plus compliquée. Disons-le, la matière n’a pas agi par elle seule, elle a obéi. Expliquez l’immensité des plantes et des animaux par dix, cent, mille, dix mille types; faites intervenir, pour les modifier, autant de siècles que vous admettrez de types, et vous ne m’aurez rendu compte ni de la forme, ni de la vie, ni de l’instinct, ni de l’intelligence.

M. Darwin ne se prononce pas sur la question relative au nombre des centres de création; mais il pense que chaque espèce en a un qui lui est propre. Si les individus qui composent cette espèce occupent aujourd’hui de grands territoires, c’est qu’ils ont émigré. Comment, en irradiant, ont-ils pu vivre dans des milieux différents de ceux pour lesquels ils étaient faits? C’est là ce qui peut sembler extraordinaire et ce qu’il aurait fallu prouver. Avant de se transformer, n’auraient-ils pas dû mourir?

Si M. Darwin reconnaît un centre spécial pour l’espèce, à plus forte raison doit-il en admettre un pour le prototype; cela accepté, le voilà en dehors du vraisemblable, s’il est bien vrai, comme tout semble le prouver, que les qualités prolifiques de la terre n’ont point été localisées, mais universalisées.

En acceptant l’hypothèse d’un type unique, comment comprendre qu’il ait pu se développer? Pour se rendre compte de cette évolution, il faudra attribuer à ce type, père de toute la nature vivante, des propriétés plus ou moins comparables à celles dont jouissent les animaux et les plantes gemmipares. Il se sera successivement séparé de lui des types modifiables de second, de troisième, de quatrième ordre, lesquels à leur tour auront produit d’autres organismes, les uns et les autres toujours plus compliqués, méconnaissables à la suite d’une sorte de gestation multiséculaire. Ainsi variés à l’infini, quoique sortant de la même souche, ces types, toujours provisoires, auront peuplé la terre; mais la physionomie que les plantes lui avaient primitivement imposée n’est plus celle d’aujourd’ hui, comme celle d’aujourd’hui ne sera plus celle qu’elle revêtira dans les siècles futurs; les animaux eux-mêmes, chacun selon leur espèce, ne doivent garder leurs formes que pour un temps: tout a changé, tout change, tout ou presque tout changera.

Pour mieux confirmer la variabilité des formes, on indique un certain nombre d’animaux arrêtés dans leur développement ou en voie de transformation, et l’on fait voir qu’il existe des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des insectes qui n’ont pas d’une manière complète les caractères de l’ordre auquel on les rattache. On les regarde comme des ébauches, et l’on va jusqu’à dire qu’ils sont embryonnaires: les grands pachydermes, les amphibies et les cétacés, l’autruche, le casoar, l’aptéryx, l’orvet, etc., seraient dans ce cas. Sans aller aussi loin, il est permis de décider que si, d’une part, tout ce qui vit aujourd’hui est dans des conditions qui suffisent à l’espèce, elles ne sont pas aussi favorables les unes que les autres, et l’on décide que le temps devra leur donner ce qui leur manque.

Ces sortes de lacunes ne sont pas rares. Certains animaux privés d’armes et de moyens de fuir sont entourés d’ennemis redoutables. Parmi les mammifères, l’unau, le paresseux, le guanuco et même l’hippopotame, seulement défendu par sa masse, sont dans ce cas; parmi les oiseaux, le manchot, le pingouin et d’autres espèces stupides, sachant à peine voler, et, parmi les sauriens et les batraciens, le caméléon et la salamandre. La torpeur dans laquelle tombent les grands serpents, quand ils digèrent, les livre sans défense aux insultes des animaux les moins redoutables. La caille, poussée par un invincible besoin de traverser les mers, tombe et meurt dans les flots, au-dessus desquels son aile, qui n’est pas faite pour un vol prolongé, ne peut la soutenir. Les lemmings, s’ils émigrent, sont dévorés par les oiseaux de proie, et cependant ils ne font aucun effort pour fuir. Ne semble-t-il pas que, s’ils étaient plus agiles, ils se trouveraient, relativement à eux, dans de meilleures conditions? Certaines plantes ont des sexes séparés; ne vaudrait-il pas mieux qu’elles eussent des fleurs hermaphrodites? Il serait facile de multiplier ces exemples; aussi ne doutons-nous pas que certains animaux, ceux mêmes qui appartenaient à notre cataclysme, n’aient disparu par insuffisance de moyens de résistance aux causes de destruction qui les entouraient. On peut citer entre autres le dronte, oiseau lourd, aux formes grossières et seulement ébauchées, incomplètement couvert de plumes, ne pouvant ni voler ni courir. Il vivait à l’île Bourbon, et on l’y cherche aujourd’ hui vainement.

Pense-t-on que les cornes démesurément longues qui chargent la tête de certains ruminants leur soient utiles? que les pattes inégales du kanguroo et des gerboises remplissent aussi bien leur office que si elles étaient de même dimension? que la longueur démesurée des phalanges de l’aïe-aïe de Madagascar, la roideur du cou de la girafe, soient un avantage pour ces animaux? et voudrait-on méconnaître que le lion, le tigre, le loup, le renard, le cheval, ont été mieux dotés? L’exubérance des plumes du ménure-lyre, de l’épimaque, de l’oiseau de paradis, de la veuve, du tyran à ventre jaune; la grosseur du bec du calao et du toucan, ainsi que la singulière conformation du bec du flamant et celle du bec-en-ciseaux, ne laissent-ils de place qu’à l’admiration, et n’est-il pas possible de décider que les rapaces et les passereaux ont été plus généreusement traités?

Si des oiseaux nous passons aux reptiles, que penser de l’orvet fragile comme le verre, du tridactyle, de l’amphiuma, du chalcide, du chirote et de la sirène, avec leurs pattes rudimentaires? La disproportion des mandibules dans le machœra, la situation des yeux de l’uranoscope, la forme bizarre du corps, des raies, sont-elles un bien, et soutiendra-t-on que la carpe, l’esturgeon, le brochet ou le saumon n’ont pas été placés dans des conditions meilleures? Il y a plus, le rapprochement des sexes qui régit la durée de l’espèce, ne présente-t-il pas des difficultés évidentes? La direction du pénis, les papilles dont il est parfois couvert, la férocité des femelles dans les arachnides, la consistance solide du pollen dans les orchidées, tout cela est-il avantageux? Sans doute, ces défauts d’harmonie ne sont pas des obstacles insurmontables, puisque nous voyons se reproduire les êtres chez lesquels on les observe; cependant ils permettent de croire que certaines espèces encore plus mal dotées ont dû cesser de vivre, incapables de résister aux causes de destruction qui étaient en elles ou autour d’elles, et nous en avons trouvé dans le dronte un exemple presque contemporain.

L’homme lui-même, avec sa peau nue, exposé aux injures de l’air, privé d’armes naturelles, ne sachant ni courir, ni nager, ni grimper, n’a-t-il rien à désirer?

Cette inégale répartition des avantages physiques capables d’assurer le maintien de l’espèce dispose à penser que la nature, alors qu’elle exerçait sa puissance créatrice dans toute sa plénitude, a jeté à profusion sur le sol et dans les eaux des productions étranges qui n’étaient pas dans des conditions suffisamment favorables pour se perpétuer, celles-ci désarmées en présence d’ennemis redoutables, celles-là gigantesques et voraces, condamnées à périr d’inanition. Peu à peu ces monstres ont disparu; ce qui pouvait durer a vécu et vit encore. Une sorte d’épuration s’est opérée, et c’est là ce qui explique comment on voit certaines espèces d’animaux n’avoir juste dans leur organisation que ce qu’il faut pour résister aux causes défavorables qui sont en elles; elles vivent, mais leur existence est précaire et constamment menacée.

Des compensations, qui pourtant ne donnent pas à tous les êtres une complète égalité dans les avantages, ont été accordées. Ainsi, plus les cornes sont volumineuses, plus aussi elles ont de légèreté. Pourtant, si la nature a diminué l’inconvénient du poids, elle a laissé le volume toujours gênant. La queue du kanguroo, grosse et roide, permet à l’animal de rester indéfiniment accroupi; elle lui sert dans le saut, et, comme les bonds se succèdent avec une extrême rapidité, ils équivalent à la course la plus accélérée. Mais cet animal n’en est pas moins hétéroclite ou anomal; la disproportion des membres antérieurs et postérieurs est disharmonique et en dehors du plan du squelette: c’est une monstruosité. Quoique le bec énorme du calao rhinocéros et celui des toucans soient creusés de larges sinus destinés à en diminuer le poids, ils n’en sont pas moins un embarras pour ces oiseaux, obligés de renverser la tête sur le dos pour trouver le sommeil. La marche et le vol, si faciles d’ordinaire, en sont entravés. Les oiseaux des tropiques, chargés de plumes trop abondantes, laissent aux vents une si large prise, qu’ils ne peuvent diriger leurs mouvements; jetés contre les arbres et contre les rochers, ils sont écrasés par le choc. Le caméléon, le plus lent peut-être, dans ses mouvements, de tous les vertébrés, lance avec la rapidité d’un projectile sa langue gluante sur les insectes qui sont à sa portée. Cet avantage ne le met pas à l’abri de diètes prolongées qui le feraient mourir si les besoins de son estomac étaient plus impérieux.

Au reste, ces imperfections sont si peu de chose pour qui étend ses observations à l’ensemble des choses créées, qu’elles peuvent être comptées pour rien: elles se bornent à de simples arrêts de développement et à l’hypertrophie des productions épidermoïdes qui couvrent le corps de la plupart des animaux. Nous les avons signalées pour constater que l’impulsion créatrice a pu dépasser le but, ou bien ne pas l’atteindre complètement, et nous n’en parlons que pour indiquer comment le règne organique a pu subir une sorte de sélection naturelle sans qu’il soit besoin d’invoquer le secours du darwinisme.

Le darwinisme

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