Читать книгу Le cuivre et le plomb dans l'alimentation et l'industrie, au point de vue de l'hygiène - Armand Gautier - Страница 7
II. — A minimes doses, le cuivre peut-il être pris sans danger?
ОглавлениеIl semble bien établi aujourd’hui qu’à doses assez faibles pour que leur goût métallique nauséeux ne soit plus sensible, les sels de cuivre peuvent être absorbés, d’une manière à peu près continue, sans notables inconvénients.
Ces sels ont été, depuis Van Helmont, employés contre l’épilepsie, l’hystérie, la danse de Saint-Guy, la scrofulose, le cancer, la phthisie, etc., souvent durant de longues périodes, sans que la santé générale des malades soumis à cette médication parût s’en ressentir. Les seuls accidents quelquefois observés ont été les vomissements et les coliques, lorsque le médicament était donné à doses un peu trop fortes.
D’après M. le Dr Burq, qui nous fournira sur ce sujet de nombreux renseignements , des expériences furent faites au commencement du siècle sur les enfants scrofuleux de la Pitié qu’on essaya de traiter par le verdet. Même à la dose de 0gr,20 par jour, on n’observa chez eux aucun symptôme alarmant. Mercey, médecin de l’hôpital des enfants de Pesth, regardait le sulfate de cuivre comme un spécifique de la danse de Saint-Guy, etle donnait progressivement jusqu’à la dose de 0gr,40 par 24 heures. Cullen, Russell, Chaussier, ont administré ce sel à peu près aux mêmes poids. Gerbier, qui acquit une si grande réputation dans le traitement des cancers par le cuivre, affirme avoir donné sans inconvénient jusqu’à 1 gramme et plus de verdet dans les 24 heures, et Solier de la Romillais, expérimentant ses fameuses pilules à l’hôpital Saint-Louis pour le compte de la Faculté de Paris, paraît avoir guéri un cancer de la face avec 30 grammes de verdet distribués en 82 jours.
Guersant dit avoir employé, par 24 heures, jusqu’à 0gr,40 de chlorure de cuivre ammoniacal en dissolution alcoolique, sans que les malades éprouvassent la plus petite nausée.
Dans ses expériences sur l’action du sulfate ammonio-cuprique chez les épileptiques, M. le Dr Bourneville débutait par une pilule de 0gr,10 de ce sel dans la journée; au bout de quelques jours, il en donnait deux; il en ordonnait trois après 10 jours et ainsi de suite. Cinq malades ainsi traités ont absorbé de 43 grammes à 124 grammes de ce composé durant des périodes de 122 à 365 jours. Voici comment l’auteur décrit les effets physiologiques de ce sel réputé si vénéneux:
«L’appétit s’est parfaitement maintenu chez toutes nos malades. Aucune n’a accusé de douleur du côté de l’estomac, mais presque toutes ont eu des coliques, d’ailleurs passagères et assez rares. Chez quatre d’entre elles, nous avons observé des vomissements muqueux, glaireux ou alimentaires, tantôt incolores, tantôt gris ou bleuâtres, selon le moment où ils se produisaient. Ces mêmes malades ont eu de la diarrhée qui n’a jamais été assez considérable pour nécessiter un traitement spécial ou même la suspension du médicament. Nous n’avons pas eu la moindre altération du côté de la peau ou de la muqueuse buccale; la nutrition n’a pas été modifiée; une de nos malades n’a pas présenté le moindre accident bien qu’elle ait absorbé 63 grammes de sulfate de cuivre en 5 mois et qu’elle en ait pris quotidiennement 0gr,60 durant 45 jours consécutifs. Enfin nous tenons à rappeler que chez celle de nos malades qui a succombé à un état de mal épileptique pendant qu’elle était en traitement, il n’y avait absolument aucune lésion de l’appareil digestif .»
Dans sa remarquable Étude toxicologique sur le cuivre et ses composés , M. le Dr V. Galippe a essayé surtout sur les chiens l’action des doses non vomitives, progressivement croissantes, de divers sels de cuivre. Sans avoir à signaler aucun autre accident que leur répugnance pour des aliments surchargés de substances d’un goût détestable, il a pu faire absorber à ces animaux des doses quotidiennes de divers sels de cuivre variant de 0gr,50 à 3 et 4 grammes par jour. Dans 124 jours, un chien a pris 72 grammes d’acétate neutre de cuivre; un autre a absorbé 48 grammes de vert-de-gris en 40 jours; une chienne, 98 grammes de sulfate de cuivre en 150 jours; un chien, 25 grammes de lactate en 50 jours; un autre, 39 grammes de tartrate en 77 jours. Tous ces animaux ont survécu; plusieurs ont même acquis de l’embonpoint. Le citrate, l’oxalate, l’oléate de cuivre ont donné lieu à des observations identiques.
Ces résultats ne sont pas isolés. MM. V. Burq et L. Ducom avaient déjà commencé, vers 1869, des expériences qui les avaient conduits aux mêmes conclusions. Il résulte de leurs travaux 1° que le cuivre métallique et ses oxydes administrés aux chiens à l’état de mélanges avec des matières albuminoïdes, sucrées ou grasses, n’exercent sur ces animaux aucun effet fâcheux et ne déterminent aucun accident grave, même aux doses de 4 à 8 grammes par jour. Exceptionnellement se produisent quelques vomissements et un peu de diarrhée. Le plus souvent, les animaux acquièrent de l’embonpoint; 2° le cuivre, à l’état de vert-de-gris, tel qu’il se rencontre à petite dose dans les aliments ayant séjourné dans des vases de cuivre, ne produit chez les chiens aucun accident; 3° les sels solubles de cuivre, à la dose de 10 centigrammes à 1 gramme par jour, sont facilement tolérés et n’entraînent, en général, aucun trouble fonctionnel. Même aux doses de 2 à 4 grammes, les animaux se portent encore bien et mangent leur pâtée, mais après leur repas ils vomissent une partie de leurs aliments. Ces dernières doses ne sauraient être indéfiniment continuées: il arrive, au bout de quelque temps, que les chiens refusent obstinément l’aliment cuivrique, puis enfin la pâtée elle-même qui ne contient plus de cuivre. A ce moment ils maigrissent et peuvent même succomber au bout de quelque temps.
Toutes ces expériences, comme celles de Toussaint faites à Kœnigsberg en 1855 et celles plus récentes de Ritter et Feltz (de Nancy), démontrent l’innocuité relative des préparations de cuivre de toute nature employées à doses faibles chez les animaux.
A tous ces faits on pourrait peut-être objecter que les uns ont été observés chez l’homme malade, que l’on sait être doué quelquefois d’une grande tolérance pour certains médicaments, et que les autres ont été établis sur des espèces animales qui, telles que le chien, le chat, le lapin, résistent souvent d’une façon très inattendue à l’action des toxiques.
Mais la démonstration de l’innocuité pour l’homme sain des faibles doses de sels de cuivre, même répétées, est aujourd’hui facile à établir.
Il y a 26 ans, qu’expérimentant sur lui-même, Toussaint, déjà cité, montrait qu’un adulte peut journellement absorber de 0gr,2 à 0gr,5 de vitriol bleu durant plusieurs semaines sans inconvénient sensible. Il se soumit à l’action de toutes sortes de sels de cuivre pendant six mois, sans que sa santé en parût altérée.
Les expériences cliniques et thérapeutiques de Rademacher, Müller, Pforzeim, Charcot et Bourneville, quoique faites sur des malades chroniques, épileptiques, hystériques, etc., peuvent bien aussi être rapprochées des précédentes.
Dans ses recherches sur les effets prophylactiques et curatifs du cuivre contre le choléra , V. Burq établit par sa propre observation et celle d’un certain nombre d’individus bien portants, qu’en état de santé, l’homme peut absorber durant plusieurs semaines de 10 à 30 centigrammes d’un sel cuprique, sans qu’il en résulte autre chose que de la constipation et peut-être un peu d’inappétence ..
L’expérience a été refaite et largement contrôlée par M. V. Galippe sur lui-même et sur les membres de sa famille, avec un plein succès. Pendant près d’une année, il n’a consommé que des aliments préparés dans des vases de cuivre: viandes, poissons, légumes divers, corps gras, mets acidulés par addition de vinaigre ou contenant naturellement des acides végétaux, aliments de toute sorte préparés et quelquefois refroidis dans des vases de cuivre non étamés, présentant souvent la coloration bleue indicatrice de la dissolution du métal à doses jusque là réputées dangereuses. Ces aliments n’ont produit chez lui ni coliques, ni diarrhée, ni nausées, ni troubles d’aucune espèce. Renseigné par ces premiers essais, il a pu répéter cette importante expérience sur les personnes qui ont bien voulu s’y prêter spontanément. Les résultats sont toujours restés les mêmes.
De cette longue observation ayant duré des mois entiers et où l’auteur s’était placé dans les conditions habituelles les plus variées de la pratique journalière, il n’est résulté aucun accident.
Nous verrons plus loin que l’on fabrique tous les ans, en France seulement, 40 millions de boîtes de conserves de légumes et de fruits par la méthode Appert. Tout le monde sait aujourd’hui que pour un grand nombre de ces préparations (légumes, fruits, etc.), la coloration verte naturelle que ferait disparaître la cuisson en vase clos est conservée au végétal par l’addition, faite avant la soudure définitive de la boîte, d’une petite quantité d’un sel de cuivre. Mes dosages m’ont démontré que l’on pouvait trouver dans ces aliments jusqu’à 125 milligrammes de cuivre métallique par kilogramme, poids qui correspond à 0gr,308 milligrammes de couperose verte. Dans les conserves fabriquées à Bordeaux, M. Caries a dosé jusqu’à 210 milligrammes de cuivre, soit 0gr,518 de sulfate par kilogramme. Or l’on sait que depuis bien des années ces aliments sont impunément consommés sur une très grande échelle à la condition toutefois qu’ils ne contiennent pas de plomb, condition fort importante, difficile à réaliser pratiquement, et sur laquelle nous reviendrons plus loin dans la deuxième partie de cet ouvrage.
Les recherches de MM. Pécholier et Saint-Pierre sur la santé des ouvrières en verdet du midi de la France témoignent à leur tour de l’innocuité des préparations de cuivre absorbées à doses faibles mais continues par l’homme et par divers animaux. Nous reparlerons dans un chapitre suivant de ce travail dont les conclusions tendent à établir que loin d’altérer la santé des ouvriers qui manipulent l’acétate de cuivre à haute dose, et l’absorbent par une grande surface de la peau, cette profession coïncide, en général, avec une santé parfaite et paraît même faire disparaître l’anémie et la chlorose chez les ouvrières qui en étaient atteintes.
Le cuivre métallique et ses oxydes peuvent être introduits dans l’économie en quantité souvent considérable, soit par la bouche, soit par les poumons, sans qu’il en résulte d’inconvénients sensibles. Par les soins du docteur Burq, des centaines de sujets ont pris durant des semaines et des mois, jusqu’à 20 et 30 centigrammes d’oxyde de cuivre par jour sans qu’il ait été jamais observé d’accidents sérieux. Des diabétiques, des névropathiques ont subi ce même traitement. Aucun trouble ni de la nutrition, ni de la digestion n’a obligé de discontinuer l’usage de ces préparations.
Enfin, l’on sait que les chaudronniers, les fondeurs, les polisseurs, les tréfileurs en cuivre, les fabricants de brocart jaune, respirent et avalent des poussières chargées de cuivre métallique ou d’oxyde très divisé en si grande quantité que leurs cheveux, leur peau, et quelquefois leurs urines sont colorés par les sels de ce métal . Il n’en résulte pour eux ni affection spécifique, ni intoxication.
Il est cependant une maladie qui frappe sans pitié les ouvriers en cuivre: tourneurs, chaudronniers, polisseurs, horlogers, etc., c’est la phthisie pulmonaire. Mais l’inflammation chronique du poumon, dont la tuberculose est la conséquence, doit être principalement attribuée chez eux à l’action mécanique des particules métalliques aiguës qui irritent les voies respiratoires. Les mêmes effets se produisent chez les charbonniers, les tailleurs de pierres et de cristal, les fabricants d’émeri, etc.
D’après le Dr Perron , tandis que la ville de Besançon perd annuellement un peu plus d’un phthisique par an sur 1000 habitants, les seuls horlogers, au nombre de 2000, fournissent chaque année 36 décès par tuberculose, soit 18 pour 1000. D’autre part, M. Lombard de Genève a trouvé que sur 1000 décès, les professions à poussières métalliques comptaient 176 cas de phthisie, c’est-à-dire plus du double de la moyenne qui est de 80 seulement.
D’après tout ce qui précède, on voit ce qu’il faut penser de la prétendue colique de cuivre, qu’autrefois Blandet, Piedoye et Baudry , Perron et surtout Corrigan, avaient cru pouvoir rapprocher des coliques saturnines. Les symptômes de ce prétendu empoisonnement lent consisteraient dans l’amaigrissement, la pâleur, la perte de forces, les coliques sèches. La rétraction des gencives avec liseré rouge pourpre en serait un signe pathognomonique. Mais, suivant Piedoye et Baudry dont les observations ont été faites sur les ouvriers en cuivre de Villedieu-les-Poëles (Manche), cette colique est déjà fort rare, même chez les chaudronniers, qui vivent dans une atmosphère toute imprégnée de parcelles de cuivre; elle frapperait plus souvent les poëliers qui ne travaillent guère que la tôle et le laiton, c’est-à-dire un alliage de cuivre et de zinc souvent plombifère. La présence du plomb, ainsi que les positions forcées qu’entraîne le travail de ces ouvriers, paraissent expliquer beaucoup plus logiquement chez eux l’apparition de la névropathie intestinale que l’influence spécifique du cuivre que rien ne vient démontrer.
Du reste, ces auteurs remarquent eux-mêmes que ces coliques ont une complète identité avec les coliques saturnines. Les cheveux et le tartre des dents, ainsi que le bord des gencives prennent, disent-ils, un ton verdâtre, qui nous semble se rapprocher singulièrement du liseré bleu des saturnins. On voit dans tous les cas que cette prétendue colique de cuivre serait bien différente de celle décrite par Corrigan, et qu’elle s’explique beaucoup mieux chez ces ouvriers par le maniement incessant d’alliages contenant plus ou moins de plomb ou d’appareils portant de nombreuses soudures plombifères.
Mêmes remarques pour les observations faites sur les ouvriers horlogers de Besançon par le Dr Perron déjà cité : ceux-ci ont, dit-il, le pouls fréquent, la peau chaude, la gorge sèche; beaucoup sont sujets aux indigestions, à la diarrhée, aux entérites, presque tous ont les dents maculées d’un vert plus ou moins foncé. Les mucosités gingivales laissent déposer un enduit bronzé qu’on enlève difficilement par le raclage, et sous lequel on aperçoit l’émail de la dent d’un jaune sale, terreux, tirant sur le vert.
Parfois, ajoute M. Perron, les accidents sont plus aigus. L’ouvrier est pris d’une violente colique, de vomissements, de diarrhée, quelquefois de constipation. Mais malgré leur apparente gravité, ces symptômes se dissipent promptement après vingt-quatre ou trente-six heures.
Ces accidents qui ressemblent si peu à ceux qui ont été ci-dessus décrits se rencontrent surtout chez les apprentis, chez ceux qui subissent à l’atelier une fausse position continuée durant des heures, ou chez qui un travail fatigant et prolongé amène des états courbaturaux ou des névralgies rhumatismales fébriles.
Dans les nombreuses enquêtes faites par M. Burq, de 1852 à 1868, enquêtes qui avaient pour but principal de démontrer la préservation des ouvriers en cuivre contre le choléra , cet auteur n’a pas manqué de s’occuper de la question de l’influence, sur la santé générale de ces artisans, du maniement et de l’absorption des poussières de ce métal. Il assure n’avoir jamais eu à constater, pas plus chez les tourneurs que chez les fondeurs, mouleurs, ciseleurs, opticiens, etc., autre chose que de rares accidents survenus presque exclusivement chez des apprentis. Sur les registres de la Société du Bon Accord qui réunissait alors plus de 300 ouvriers en cuivre, l’auteur n’a relevé de 1820 à 1851 que le nom de six malades pris de coliques légères ayant duré dix jours en moyenne.
D’après ses observations sur la santé des ouvriers en cuivre des Madelonnettes, travail sur lequel nous reviendrons, M. Pietra-Santa, sans nier que les poussières de cuivre au milieu desquelles vivent certains de ces détenus puissent donner lieu à quelques légers malaises, affirme que la colique de cuivre telle qu’elle a été décrite par les auteurs qui ont précédé ou suivi Corrigan, et par Corrigan lui-même, n’existe pas.
Nous nous en tiendrons à ces conclusions .