Читать книгу Les douze nouvelles nouvelles - Arsène Houssaye - Страница 22
II
ОглавлениеCependant le marié entraîna la mariée, pour la nuit des noces, dans une villa de son département, qui avait reçu les plus beaux décors pour cette première représentation.
Angèle n'eut pas besoin que les matrones vinssent à la rescousse pour la décider à franchir le seuil de la chambre nuptiale. Tout est entraînant pour une curieuse.
Par malheur pour Léonce, ce n'était pas l'amour qui la prenait par la main. Aussi, ce fut avec un éclat de rire et non avec des larmes qu'elle passa le Rubicon.
Elle le repassa, toujours rieuse, se demandant ingénument pourquoi Léonce ne riait pas comme elle.
Mais il était si amoureux qu'elle lui pardonnait d'être un peu trop sacerdotal dans sa passion.
Le jeune licencié ne songeait pas à plaider d'autre cause que celle de son bonheur. Comme on avait manqué les derniers bals de juin et la fête du Grand Prix, Angèle voulut bien s'attarder dans sa villa, car on lui avait donné le nom de la Villa Angèle. Elle s'amusa à y jeter tout l'alliage du Louis XVI et du japonisme, ce qui émerveilla les voisins de campagne—par ouï-dire—puisqu'on vivait dans une maison fermée, avec quelques journaux, un peu de musique et beaucoup de primeurs. Tous les matins, Paris apportait des nouvelles, des fraises, des crevettes, des dentelles, des cerises et des chiffons.
Angèle était gourmande et coquette. Les femmes qui ne sont pas belles ont la fureur de se faire belles. Ce n'était pas pour son mari que la jeune femme travaillait sa figure, c'était pour elle-même.
Peu à peu la villa égaye ses portes, surtout quand il fut décidé qu'on y passerait la belle saison, grâce à quelques petites fêtes panachées de Parisiennes et de provinciales; Angèle trouvait amusant, je cite sa phrase, de faire une omelette aux fines herbes et aux petits oignons des femmes des Champs-Elysées et des femmes champenoises.
Mais, les jours de solitude, que faire dans une villa après les premières joies du nouveau et du renouveau? Angèle se mit à écrire un roman, mais au centième feuillet elle brûla tout.
Cette dévorante toujours affamée de curiosité, avait percé son mari à jour; elle trouvait qu'il commençait à rabâcher ses sentiments. Elle avait d'abord voulu l'aimer en français, en latin et en grec, mais il était à bout de science. Dans son culte pour Angèle, il faillit apprendre l'hébreu, après lui avoir conté toutes les passions de Paris, de Rome et d'Athènes. N'allez pas croire que ce fût un perverti. C'était un idéaliste parcourant toute la gamme de l'adoration.
Autrefois, les grandes passions duraient toujours; témoin Philémon et Baucis, pour ne donner qu'un exemple. Aujourd'hui, la vapeur emporte tout. Léonce eut peur, par les airs distraits de sa femme, de la voir bientôt s'ennuyer dans le tête-à-tête ou de devenir bas-bleu. Il fut le premier à lui conseiller de voir quelques voisins de campagne.
—Mais, mon cher Léonce, qui voir dans ce pays perdu?
—M. le curé.
—Oui, s'il veut que je le confesse.
—Le notaire.
—Peut-être, j'ai songé à faire mon testament.
—Le percepteur des contributions.
—Oui, je l'ai vu l'autre jour à la messe avec son jeune frère, le sous-lieutenant de chasseurs, qu'il faut inviter aussi.
—Nous l'inviterons.
—Vous choisissez bien votre monde, vous allez être jaloux, n'est-ce pas, monsieur mon mari, du notaire, du percepteur et du curé?
—Jaloux! s'écria le mari. Grâce à Dieu, vous êtes de celles qui commandent le respect.
—Vous croyez?
Il faudrait une grande actrice pour bien dire ce mot comme le dit la jeune femme; mais le mari ne comprit pas.