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II
ROSINE.

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Quelques années se passèrent encore, tristes, sombres et douloureuses.

Sa première fille avait dix-sept ans. Elle était belle, quoique un peu pâle et un peu attristée. La pauvre Rosine ne demandait qu’à verdoyer et à fleurir, comme toutes celles qui ont dix-sept ans; mais comment avoir la gaieté au cœur, quand on a sans cesse sous les yeux le spectacle d’une mère qui souffre et qui veille, d’un père que le travail a courbé, de sept enfants qui jouent, sans oublier qu’ils ont faim? D’ailleurs, Rosine n’avait pas le temps de rire: du matin au soir, elle était sur pied pour veiller ses trois sœurs et ses quatre frères. C’était la maîtresse d’école de la bande. Sa mère lui avait appris à lire; elle répétait la leçon aux autres.

Cependant, la jeunesse a tant de ressources en elle-même, que Rosine garda, dans cette atmosphère de mort, sa beauté et sa gaieté. Un nuage passait; mais bientôt le pur rayon de la jeunesse déchirait le nuage. Il lui arrivait çà et là d’heureux moments, soit qu’elle s’appuyât à la fenêtre pour regarder cette ville immense, où elle espérait une meilleure place, soit qu’elle peignât ses beaux cheveux brunissants devant un miroir cassé, qu’elle adorait, parce que seul il lui parlait de sa beauté.

Le matin, pour commencer sa triste journée, elle chantait, alouette vive, quelques airs d’orgue, que le vent apportait le soir jusqu’à la fenêtre, ou quelque vieille chanson lorraine dont sa mère l’avait bercée en de meilleurs jours. Le soir, elle s’endormait heureuse comme le voyageur après une mauvaise traversée.

Rosine avait la beauté charmante des Parisiennes, ces yeux noirs qui ont l’art de regarder comme le serpent, cette bouche un peu moqueuse qui sait sourire avec tant de grâce coquette. Son profil était ondoyant comme un profil peint par Diaz. Il rayonnait par les yeux et les dents, par le regard et le sourire. Vous vous rappelez ces vierges de Murillo, si charmantes et si humaines? c’était le portrait de Rosine.

Le logis du tailleur de pierres se composait d’une chambre et de deux cabinets; un de ces cabinets était pour Rosine et ses petites sœurs. Même aux plus grands jours de détresse, ce lieu avait un certain air de jeunesse qui charmait les yeux. Çà et là une robe, un bonnet, un fichu, cachaient la nudité des solives; les deux lits blancs avaient je ne sais quoi d’innocent et de simple qui réjouissait le cœur; la petite fenêtre s’ouvrant sur le toit avait un coin du ciel en perspective; enfin, quand Rosine était là, chantant à son réveil, tressant ses beaux cheveux, sa seule parure et sa seule richesse, ne voyait-on pas la jeunesse en personne?

Elle devinait Paris par instinct; car elle ne l’avait vu que de loin. A peine s’il lui était arrivé à deux ou trois jours de fête de suivre son père dans le cœur de la grande ville. La nuit elle avait rêvé de toutes ces splendeurs factices. Le lendemain, en revoyant le sombre intérieur et la triste famille, elle s’était ressouvenue de toutes les richesses parisiennes. Le serpent, celui-là qui perdit Eve et toutes les filles d’Eve, avait déployé sous ses yeux éblouis la soie et le velours, l’or et les diamants, toutes les tentations du diable, toutes les pompes humaines. «Pourquoi suis-je dans un grenier? se demandait-elle; qu’ai-je donc fait à Dieu pour qu’il me condamne à cette noire prison et à ce dur esclavage, quand tant d’autres, laides et vieilles, promènent bruyamment leur luxe coupable?» Et le serpent lui répondait: «Laisse là ton père et ta mère, descends ce sombre escalier, traverse la ville de ton pied léger; je te conduirai au banquet où l’on chante et où l’on rit; l’arbre de vie a des fruits pour toi comme pour les autres.» Elle comprenait vaguement que son honneur et sa vertu seraient le prix de sa place au banquet: elle s’indignait et reprenait avec une noble ardeur les chaînes de sa misère.

La Vertu de Rosine

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