Читать книгу La Vertu de Rosine - Arsène Houssaye - Страница 5
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LES TENTATIONS DU PAYS LATIN.
Un matin, Rosine descendit pour prendre le lait quotidien au coin de la rue. Elle était habillée pour l’amour de Dieu: une petite jupe verte, un corsage de basin blanc, des pantoufles déchirées. Deux boucles de ses cheveux flottaient au vent sur ses joues. Elle était charmante ainsi. Un grand étudiant blond, qui l’avait vue sortir, comme un doux rêve, de l’obscure allée de la maison, la suivit pas à pas, émerveillé de tant de grâce et de légèreté. Il prit surtout un grand charme à voir sautiller ses petits pieds presque nus sur les pavés. Une charrette de maraîcher arrêta Rosine au passage. Tout naturellement l’étudiant s’arrêta près d’elle, entre deux portes. Elle le regarda et rougit.
–Mademoiselle (c’était la première fois qu’on appelait Rosine mademoiselle), vos jolis pieds ne devraient aller que sur des roses.
Elle ne répondit pas, mais elle ne songea pas à s’offenser.
–Mademoiselle, reprit l’étudiant avec un regard plus tendre, est-il possible qu’une jolie fille–comme vous–demeure enfouie dans une pareille rue? Pourquoi les belles femmes n’habitent-elles pas les belles rues? Je ne sais pas ce que je dis, mais vous savez bien ce que je pense.
La charrette allait passer; l’étudiant se rapprocha de Rosine et lui saisit la main.
–Monsieur.
La voix de Rosine expira sur ses lèvres.
–Encore un mot, mademoiselle.–Voulez-vous être de moitié dans ma fortune d’étudiant? 200francs par mois–c’était hier le premier du mois–une jolie chambre en belle vue, le cœur le mieux fait du monde, la Chaumière deux fois par semaine, un joli chapeau bleu de pervenche pour ombrager cette fraîche figure, une robe de soie claire, un collier de perles du Rhin, des bottines pour ces petits pieds blancs. C’est peu, mais, quand le cœur y est, c’est tout. Si vous saviez comme on est heureux de vivre là-bas autour du Panthéon, rue des Grés, no22!
La charrette était partie; Rosine, abasourdie de toutes ces paroles, qu’elle n’entendait pas, finit par dégager sa main et par s’échapper.
L’étudiant vit bien qu’il s’était mépris; cependant il ne voulut pas s’éloigner encore; il suivit la jeune fille des yeux; elle paya son lait et revint sur ses pas. Il l’attendit de pied ferme, résolu de tenter encore la bonne fortune. Mais Rosine, craignant de le rencontrer une seconde fois, entra dans l’arriére-boutique d’une fruitière, d’où elle ne sortit qu’une demi-heure après. Le jeune homme n’était plus là.
Loin de se fâcher contre les airs sans façon de l’étudiant, Rosine lui sut gré de lui avoir dit avec tout l’accent de la vérité qu’il la trouvait jolie. Rentrée dans son cabinet, elle se mira vingt fois, tout en regrettant d’être sortie avec des cheveux en désordre.
–Si je l’avais suivi! dit-elle en rougissant.
Elle chercha à se faire le tableau de la vie de l’étudiant; elle y prit place, elle se vit avec une robe de soie–une robe de soie claire! se disait-elle en tressaillant–un chapeau –un chapeau à fleurs! poursuivait-elle en encadrant sa fraîche figure dans ses mains, que le travail n’avait pas gâtées.–Enfin elle fit passer sous ses yeux tout l’attirail du luxe du pays latin. Elle se vit suspendue au bras de l’étudiant, rangeant et dérangeant dans la petite chambre de la rue des Grés; le matin ouvrant la fenêtre pour respirer le bonheur et pour arroser quelques pots de jacinthe ou de verveine; le soir, travaillant devant un vrai feu à quelque fine collerette ou à quelque léger bonnet.
–Mais la nuit?–dit-elle tout à coup. A cette pensée elle retomba du haut de ses rêves.