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ОглавлениеAU BARON DE VAUX
LA VAILLANCE DES FEMMES
Il faudrait écrire cette préface à la pointe de l’épée, sur la crinière flambante d’un cheval, dans le steeple-chase d’une chasse à courre ou sur les vagues de l’Océan quand nagent les grandes dames. Qu’est-ce que la plume vient faire ici?
Et qui donc sera bien venu à nous parler du temps fabuleux des amazones et du temps chevaleresque des tournois? Jamais la France n’a donné mieux qu’aujourd’hui le spectacle de la vaillance dans la guerre comme dans le plaisir, — on pourrait dire aussi dans la poésie et dans la science, quand on voit marcher droits, tête fière et lumineuse, Chevreul, qui va avoir cent ans et Victor Hugo qui a plus de quatre fois vingt ans. Les sportistes peuvent lui opposer Mackensie-Greaves, le plus parfait des cavaliers, qui monte à cheval depuis toujours, et qui mourra à cheval.
Le cirque Molier, où toute la belle jeunesse contemporaine a jouté, n’a-t-il pas prouvé qu’il y avait aujourd’hui en France, comme autrefois en Grèce, des gymnases pour donner au corps la souplesse et la grâce à travers toutes les hardiesses périlleuses, comme il y a des sorbonnes et des collèges de France pour aviver les forces de l’esprit!
Ceux qui accusent les générations présentes de s’endormir dans le sybaritisme n’ont jamais été sur un champ de course, n’ont jamais tenté les périls de la mer dans un yacht de risque-tout, n’ont jamais valsé dans un salon du monde où l’on s’amuse, n’ont jamais hanté les salles d’armes, et n’ont jamais accepté comme une partie de campagne un duel où la mort était du voyage. Il y a là beaucoup de fils et de filles de ceux qu’on guillotinait naguère dans l’aveuglement des révolutions, une rose à la main et un sourire sur les lèvres.
Messieurs les bourgeois raillent agréablement les gens de la haute vie. Ils ne savent pas que c’est là que règne en toute souveraineté ce caractère français qui est le patrimoine de notre race et qui défie tous les hasards.
Vienne la guerre: vous les verrez à l’avant-garde des armées, tous ceux qui se risquent à l’avant-garde du plaisir. Vous les verrez courir les ambulances, toutes ces femmes qui font pleurer le cerf aux abois, qui conduisent si légèrement leur phaéton, qui bravent les vagues pour nager comme des dauphins. Elles se feraient plutôt vivandières que de ne pas être pour un peu dans la bataille.
Et quelle ardeur généreuse, mais discrète, dans l’art de faire le bien!
N’imaginez pas que toutes ces gaillardes-là se lèvent à midi. Que j’en ai vu qui se levaient avec l’aurore pour courir les chemins de la misère; pour frapper à la porte des femmes qui se désespèrent et des enfants qui pleurent dans leur berceau! Il n’y a pas de sœurs de charité plus douces au pauvre monde; elles couronnent ainsi leur vie mondaine tout en effaçant les heures de tentation et de folie. Que celles qui n’ont pas aimé — ni valsé — ni entrevu les abîmes, leur jettent la première pierre,
Que de chemin parcouru depuis la Croix de Benzy! On n’y montrait pas alors des mails comme ceux du duc de Bisaccia, du comte de Camondo, du comte Potocki, du duc de Morny, qui emportaient au dernier steeple d’Antony tant de généreuses ardeurs, tant d’entrain endiablé, tant de raisonnables folies, car si les enfants prodigues de 1884 jettent l’or par la fenêtre, c’est qu’il revient tout seul à la maison, tantôt parce que la fortune n’est pas aveugle, tantôt parce que les mariages redorent les blasons.
On a dit souvent que la France et l’Angleterre, comme deux chiens de faïence qui se regardent par-dessus l’Océan, étaient nées ennemies; il y a pourtant un champ de batailles où elles fraternisent; c’est le champ de courses. Les deux ambassadeurs qu’il fallait nommer naguère pour rapprocher les deux nations, c’était lord Seymour et le comte de Lagrange. Je les ai bien connus — à pied et à cheval. Eh bien, je réponds que ces deux gentlemen eussent fait de la bonne besogne, à l’inverse de tant d’ambassadeurs qui ne venaient en France ou qui n’allaient à Londres que pour traverser le détroit. On parle de tunnel sous-marin: le pur sang sera toujours le vrai hippocampe qui abordera les deux rives.
Messieurs les Anglais, qui pourraient venir à notre école pour peindre et sculpter des chevaux, nous donnent des leçons pour les élever. Mais si à Paris il y a encore des salons où l’on parle d’art et de galanterie, en Angleterre il n’y a que des salons où l’on parle de chevaux. Demain, on servira le thé à l’écurie.
Aussi le mot de Louis XV sera-t-il toujours vrai: La Tour peignait au pastel Mme de Pompadour. Le roi survient dans le petit salon de la marquise; il était chez lui, parce qu’il était chez elle. La Tour avait passé quelque temps à Londres, tout émerveillé des mœurs britanniques, croyant que c’était le pays de la libre pensée, car La Tour se piquait de philosophie. Le voilà qui se met à parler à tort et à travers des beautés de l’Angleterre. «Et qui donc vous a tant charmé là-bas? lui demanda le roi.
— Sire, j’y ai appris à penser.
— Des chevaux!» répondit Louis XV impatienté.
Mme de Pompadour ne manqua pas de dire tout bas à La Tour:
«La Tour, prends garde!»
Ceci prouve que depuis bien longtemps le cheval est en honneur en Angleterre. Je crois volontiers que le cheval-consul de Caligula venait de la Grande-Bretagne ou qu’il y est allé mourir, comme consul, à la tête des légions romaines. Cave ne cadas!
On comprend sa vie aujourd’hui mieux que jamais. Les Grecs trempaient les Achilles futurs dans le Styx. Nous trempons nos enfants dans les forces vives de la nature pour faire des Achilles et des Clorindes — des hommes et des femmes!
Mon père nous jetait à six ans, garçons et filles, sur un cheval arabe, qui nous apprenait à n’avoir peur de rien, aussi n’ai-je jamais eu peur ni des choses ni des hommes — ni des femmes.
Au temps de la chevalerie, les hommes étaient les seuls combattants, dans les tournois comme devant les cours d’amour. Les femmes se réservaient le droit de juger et elles jetaient aux vainqueurs la fleur du triomphe. Mais les femmes vaillantes de notre temps ne veulent pas rester en quenouille. Omphale n’enchaînera plus Hercule à ses pieds; elle lui donnera plutôt des leçons d’adresse et d’audace. Voyez toutes ces beautés parisiennes qui affrontent les fatigues des luttes sportives: elles sont loin des marquises de la Régence qui s’ennuyaient sur le sopha de leur boudoir. Quand l’heure est venue, elles ont autant d’esprit que leurs grand’mères; en voulant être fortes, elles n’ont pas renoncé à leur héritage de grâce; mais il semble que la vie moderne les ait entraînées comme nous-mêmes; à travers les souvenirs de l’ancien monde, elles ont senti passer le souffle altier. S’attendait-on, au temps du décaméron du second Empire, à voir bientôt Mme la duchesse de Chartres nager comme lord Byron, Mme la duchesse d’Uzès sonner l’hallali, la princesse de Metternich et la vicomtesse de Gilly être sans rivaux, l’une à la chasse au tir, l’autre au tir à l’arc, la baronne de Vimont croiser le fer avec les plus braves, la baronne de Rothschild conduire un yacht audacieux à travers toutes les surprises des flots? Je ne parle pas de nos belles amazones: sans aller jusqu’à l’impératrice d’Autriche, la comtesse Potocka, la marquise Hervey Saint-Denis, Mme Bischoffsheim, la baronne Rothwillers qui font le tour du lac et qui feraient le tour du monde comme des gazelles lancées à fond de train au bord des abîmes. Et le tir au pistolet! et le patinage! et le steeple-chase des passions, un autre abîme où elles ne tombent pas tout en le côtoyant! Mais pour parler de tout, il ne suffit pas d’une préface, il faut un livre. Ce livre est fait et bien fait.
Mon ami le baron de Vaux, familier à toutes les vaillantises du corps comme à celles de l’esprit, est venu à point pour se faire l’historiographe du sport dans toutes ses métamorphoses. Qui donc pourrait mieux dire sur les courses, sur la chasse, sur la natation, sur le duel: toutes les pages de la haute vie!
Je ne viens pas ici, par ce mot de haute vie, exalter une caste, puisque tout le monde peut être élu dans la haute vie. En effet, si c’est une aristocratie, on n’y demande pas de parchemins. C’est un tort de croire que c’est là le privilège de quelques-uns, quand c’est l’école de tous, comme les bataillons scolaires. Dans cette science du savoir-vivre, est-ce que Feuillant, de Péne, Jollivet, Scholl, Carolus Duran, Michel Ephrussi n’y font pas aussi bonne figure que ceux qui portent une couronne de duc ou de marquis? Aujourd’hui qu’on ne se croise plus les bras, les Croisades ont fait leur temps. Si j’étais M. Prud-homme je ne manquerais pas de dire que chacun est fils de ses œuvres.
Que l’on soit prince ou que l’on soit — électeur, — pourvu que l’on sache tenir d’une main un fleuret et de l’autre une cravache, on est chevalier. Je ne parle pas de la plume, du pinceau, de l’ébauchoir, qui ont été en tout temps des armes de noblesse, comme aussi le compas de de Lesseps et le creuset de Pasteur.
ARSÈNE HOUSSAYE.
Château de Parisis, 16 septembre.
Après la chasse.