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LETTRE DE CATULLE MENDÈS

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LETTRE

DE

CATULLE MENDÈS

Mon cher baron,

Votre livre a raison, et tout ce qu’on pourrait dire contre lui ne ferait que blanchir puisqu’il est amusant, vivant, curieusement moderne.

Cependant, si j’étais à votre place, je ne serais peut-être pas sans m’adresser quelques reproches.

Elles sont trop séduisantes, vos hardies sportswomen, celles qui tirent l’épée, celles qui tirent le pistolet, celles qui passent au galop de la cavalcade, correctes, froides, irréprochables, dans le nuage des crinières échevelées! Quelle est la parisienne qui, après avoir lu votre livre, — toutes les parisiennes le liront, et j’en dis autant des provinciales, — ne souhaitera pas, elle aussi, de fourrer sa mignonne menotte sous la peau du crispin, ou de loger douze balles dans le trou d’une seule, ou de dompter, très calme, sans un frison qui bouge, la sauvagerie d’un jeune cheval?

Les Grecs défendaient aux femmes, sous peine de mort! d’assister aux Jeux Olympiques; on a cru qu’émus de jalousie, ils ne voulaient point laisser voir à leurs compagnes la nudité des énormes athlètes ou celles des gracieux éphèbes; non, la jalousie, ni le désir d’épargner des rougeurs aux joues féminines, n’étaient pour rien dans cette interdiction; ils agissaient simplement en gens pleins de prudence, craignant que la vue des pugilats, des luttes et des courses n’inspirât aux femmes une émulation fâcheuse, ne se souciant pas de retrouver au logis, au lieu de l’épouse qui file la laine et jonche de violettes le lit conjugal, une souleveuse de poids ointe d’huile et suant sous l’effort, une lutteuse qui se piète, les poings en avant.

Vous êtes moins circonspect que ces Grecs; vous ne redoutez pas d’inviter les femmes aux divertissements virils, vous conviez leur grâce à rivaliser notre force; de sorte que, si, l’aǹ prochain, les plus délicates mondaines ont définitivement renoncé à manier les chiffons de soie et de dentelle, si, dédaignant les boudoirs, elles ne se trouvent plus à l’aise que dans les salles d’armes et dans les écuries, si, au moment où nous tombons à genoux, elles se bornent, elles, à tomber en garde, — ce sera de votre faute!

Et qui peut prévoir jusqu’où s’émancipera la virilisation de la femme? Quels remords ce serait pour vous, mon cher confrère, si, à force de faire des armes et de lutter avec des chevaux fous, à force de masculer leurs corps et leurs cœurs aussi, les parisiennes de 1885, ou de 1886, se rendaient pareilles à cette extraordinaire comédienne de Marseille, dont Théophile Gantier a immortalisé le nom, à cette enragée Maupin, toujours vêtue en homme, toujours le défi aux lèvres, — à moins qu’elle n’y eût le baiser, — toujours l’épée fors du fourreau, qui, dans la même soirée, pendant un bal, enleva deux belles demoiselles et tua en duel trois jaloux, entre les deux enlèvements? Je vous laisse à penser la piteuse mine que feraient les hommes auprès des rares amoureuses ayant gardé les mignardises de leur sexe, s’il leur fallait entrer en lutte avec d’étranges rivaux, non moins hommes, et plus jolis.

Je trouve un autre sujet d’inquiétude dans cette adaptation de la délicatesse féminine aux plus masculins exercices.

La femme, naguère, — frêle et se sentant si précieuse dans sa fragilité, — s’avouait à elle-même son besoin d’être défendue; pour n’être rudoyée ni par les êtres ni par les choses, elle venait, souriante et câline, se mettre à l’abri dans notre amour; et il y avait entre elle et nous cet adorable échange de toute la joie que nous accordait sa faiblesse contre la sécurité que lui donnait notre force.

Mais une sportswoman ne connaît pas la nécessité d’être protégée! Pour tirer vengeance d’une insulte, elle n’a que faire d’y être aidée. Et pourquoi se résoudrait-elle à un mari ou à un compagnon moins légitime, lorsqu’elle peut elle-même se rendre redoutable aux plus téméraires? Hélas! tristes hommes, inutiles désormais. L’habitude du duel fera perdre aux femmes l’habitude du duo.

Plaise aux dieux cléments que les choses n’en viennent point là ; et le remords d’avoir supprimé l’amour puisse-t-il vous être épargné, mon cher baron! Il est possible, après tout, que malgré la gymnastique, l’escrime, l’équitation et les autres sports, nos amies ne renoncent pas d’une façon définitive au baiser, ni au sourire. Vous savez ce qu’on raconte de la farouche Penthésilée, reine des Amazones? je vous en dirai l’histoire en vers, une langue où je suis un peu moins maladroit qu’en prose.


La reine au cœur viril a quitté les cieux froids

De la Scythie.

Avec ses sœurs vierges comme elle,

Elle gagne la plaine où la bataille mêle

Les courages sanglants et les blèmes effrois.

Qu’une autre en son logis file les lentes laines!

Elle, un désir la mord, indocile aux retards,

De vaincre le plus fort, le plus beau des Hellènes,

Achille! Et son cheval bondit les crins épars,

Et l’emporte vers la mêlée,

Et le cri de Penthésilée

S’ajoute au bruit montant des armes et des chars!

«Achille! Achille! Achille! ô héros! voici l’heure

Où ton sang coulera comme un ruisseau vermeil!

Tout plein d’un songe horrible, et fuyant le sommeil,

Ton père aux cheveux gris hurle dans sa demeure!

Tu fus comme un lion dans une bergerie;

Tu fus comme un vent noir dans un bois de roseaux;

Que de rois, ô guerrier! mangés par les oiseaux

Sur un sol qui n’est pas celui de la patrie!

Quand sur tes bras charmants, noirs d’un sang épaissi,

Roulaient les boucles d’or de ton casque échappées!

Les festins te plaisaient après les chocs d’épée;

Tu domptais, jeune dieu! les cœurs de vierge aussi,

Mais frémis à ton tour! Le glaive enfin se dresse

Qui percera ton sein comme un sein d’enfant nu;

Car l’amazone vient qui n’a jamais connu

La peur ni la tendresse!»

Telle, en sa course, hélas! qui n’eut point de retour,

Par-dessus les fracas criait la vierge fière.

Elle ne savait pas qu’avant la fin du jour,

Mourante, elle mordrait la sanglante poussière,

En jetant au vainqueur beau comme une guerrière

Un regard moins chargé de haine que d’amour!

Ainsi, même après le brutal triomphe, l’homme peut espérer que la femme lui sera douce, du regard et des lèvres! C’est la grâce que je vous souhaite, mon cher baron, dans vos assauts avec les belles sportswomen dont vous avez écrit l’histoire et qui ne sont pas, grâce au ciel, plus amazones qu’il ne convient.

Bien à vous.

CATULLE MENDÈS.

Paris, 26 septembre 1884.

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