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MADAME HÉLÈNE

Table des matières

I

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En1856, dans un de ces moments de mélancolie et de découragement où l’on n’aperçoit, dans la société qui nous entoure, que la sottise des uns, la lâcheté des autres et l’impuissance des meilleurs, j’abandonnai la carrière politique que j’avais embrassée avec ardeur dans ma jeunesse, alors que l’âme est ouverte à tous les enthousiasmes, à tous les sentiments généreux.

Les infamies de toutes sortes dont je fus témoin depuis l’acte monstrueux du Deux-Décembre, m’enlevèrent le reste des croyances et des illusions que j’avais pu conserver jusque-là.

Je me retirai à M……, dans la paisible demeure où s’écoula mon enfance, espérant trouver dans cette morne ville le calme auquel j’aspirais depuis longtemps.

J’étais résolu à fuir la société de mes semblables, avec autant d’empressement que j’en avais mis autrefois à la rechercher. Cela m’étai facile; les vents de la destinée ayant dispersé mes anciennes connaissances, je me trouvais presque étranger dans ma ville natale. La mort, elle-même, sembla vouloir me seconder dans mon dessein, en enlevant, quelques jours avant mon arrivée, la seule personne que je n’eusse pu éviter.

Arrêtons-nous donc sur ce personnage, qui surgit le premier dans le cadre de ce récit, et dont l’inertie et la faiblesse pesèrent si malheureusement sur la destinée de celle dont je viens raconter l’histoire.

Ambroise Glorion était le fils unique d’un horloger des environs de M…… Ses parents, à force de travail et d’économie, étaient parvenus à se constituer une certaine aisance, qui leur permit d’élever leur fils au-dessus de la modeste sphère où ils avaient eux-mêmes vécu.

La grande ambition de ces braves gens était d’en faire un notaire. En conséquence, ses études terminées, ils le placèrent chez le tabellion de leur commune, où il végéta pendant quelques années. Puis, son père étant mort, il vint à Paris, et entra comme clerc chez un avoué. C’est là que se renoua notre liaison commencée sur les bancs du collège.

Quand je me reporte par la pensée à cette époque lointaine, Ambroise m’apparaît comme le type du bon camarade: nature douce et facile, humeur toujours égale, excellent cœur, recherchant toutes les occasions de se rendre utile ou agréable à ses amis.

Par malheur pour lui et les siens, toutes ces heureuses qualités étaient accompagnées du plus faible, du plus indécis, du plus apathique de tous les caractères; véritable fléau, quand celui qui le possède a la responsabilité d’une famille. Quelles que soient les bonnes intentions d’un individu, quelles que soient sa franchise et sa loyauté, quand il pèche ainsi par la base, il y a toujours lieu de se défier.

Pour nous autres jeunes gens, qui trouvions dans Ambroise un joyeux compagnon, nous n’en demandions pas davantage. Ses goûts étaient les nôtres; quant à ses idées, qui étaient celles de toute la jeunesse de l’époque, il les avait puisées, en partie, au foyer paternel. Son père, chaud partisan de la Révolution qui l’avait tiré de la misère, en lui donnant la possibilité de se créer une position, lui avait appris de bonne heure la signification de ces deux grands mots: Liberté, Égalité, qui retentirent si agréablement aux oreilles d’un peuple, opprimé pendant des siècles.

Ambroise aimait particulièrement à parler de cette glorieuse époque de notre histoire, et il ne manquait jamais de rappeler, à cette occasion, les paroles que lui adressa son père à son lit de mort: «N’oublie pas, mon fils, que c’est à la Révolution que tu dois ton bien-être, et que sans elle tu serais ce qu’ont été mon père et mon aïeul, ce que j’ai été moi-même dans ma jeunesse, un .misérable ouvrier gagnant ’péniblement de quoi ne pas mouri de faim.»

Dans les années qui préparèrent le bouleversement politique de1830, toutes les têtes étaient plus ou moins échauffées. Nous saisissions toutes les occasions de chercher noise à l’autorité civile et religieuse, alors si impopulaire; Ambroise se distinguait entre tous par l’ardeur de ses convictions républicaines et antireligieuses. Combien de fois n’avons-nous. pas dû le calmer, quand ses démonstrations, un peu bruyantes, menaçaient de nous faire tous arrêter, sans profit pour personne.

Enfin, après six années passées dans la capitale, il fut rappelé dans son pays par la mort de sa mère. Quelques mois plus tard, il achetait une des meilleures études de M……

Ce n’est pas sans appréhension que je le vis s’établir dans cette ville dévote, où personne, dans ce qu’on est convenu d’appeler la bonne société, n’eût osé manifester la moindre idée libérale. Pour y vivre en libre penseur et en .démocrate, il fallait une fermeté de caractère que mon ami était loin de posséder. Si parfois il s’était montré à Paris quelque peu audacieux, c’est qu’il avait senti derrière lui tous ses amis, prêts à le soutenir et à le défendre au besoin.

Pendant la première année, il fut fidèle à ses principes, se montrant même frondeur à l’occasion; semblable, en cela, à ces poltrons qui s’étourdissent pour se donner du courage. Mais bientôt, s’apercevant qu’il était peu considéré par tous ceux qui, à M……, tenaient le haut du pavé, et que de plus il avait perdu quelques riches clients, il se prit à réfléchir; ce qui l’amena à user d’une plus grande circonspection dans ses paroles comme dans ses actions. On ne le vit plus pérorer en public, au milieu de tous les mécréants de l’endroit. Il chercha à se ranger. Une fois entré dans cette voie, Ambroise pouvait aller loin; il ne s’agissait que de le pousser, et il ne man-6MADAME HÉLÈNE qua pas de complaisants pour lui rendre ce service.

Alors, comme aujourd’hui, florissait à M une maison professe de Jésuites, dont le P. Onésime était le supérieur. Ce révérend, quoique jeune encore, réunissait en lui seul toutes les qualités de son ordre. Il n’avait pas vu sans terreur ce jeune échappé du centre de toutes les corruptions, répandre dans sa pieuse cité des doctrines maudites.

Le péril était d’autant plus grand que l’individu était mieux posé. Le bon père ne comprenait pas, d’ailleurs, que dans une semblable situation on osât conserver des idées qu’un honnête homme ne pouvait décemment avouer. Il était donc nécessaire de faire cesser le scandale et de conjurer le danger.

Il y eut à ce sujet, dans la communauté, force conférences, auxquelles prirent part tous les notables ayant quelques accointances avec la Maison. On décida qu’avant d’user des grands moyens, on essayerait de ramener à la saine raison cet esprit dévoyé. En conséquence, il fut convenu que chacun ferait des avances au jeune notaire, qui était loin de se douter de cette trame machiavélique, et qui, dépourvu de perspicacité, ne chercha qu’à profiter du changement survenu en sa faveur. D’ailleurs, on se le rappelle, il n’était pas taillé pour la lutte. Le P. Onésime manœuvra de façon à se mettre en communication directe avec lui; et le rusé compère ne tarda guère à être fixé sur le caractère de notre homme. Il flaira là, pour la cause qu’il servait, le plus brillant succès. C’est alors que pour l’assurer et le hâter, il résolut de marier Ambroise avec une jeune fille appartenant à l’une des premières familles du pays.

Certes, l’entreprise était difficile; mais tout bon jésuite a toujours en réserve un tel arsenal d’arguments à opposer à toutes les résistances, qu’elles ne peuvent tenir bien longtemps. Il vainquit donc les répugnances de M. du Money, ancien préfet sans fortune, mais qui touchait d’assez près à la noblesse, pour justifier l’opposition qu’il fit d’abord, à un mariage qu’il regardait comme une mésalliance.

Sa fille fut plus facile à décider: elle avait trente ans, et le célibat, qui n’entrait nullement dans ses vues, commençait à lui peser. Puis le P. Onésime, connaissant le côté saillant du caractère de sa pénitente, lui affirma qu’elle serait maîtresse absolue dans sa maison; il lui laissa de plus entrevoir la perspective de ramener une âme au Seigneur, ce qui ne pouvait manquer de lui assurer une des meilleures places au Paradis.

Toutes ces considérations réunies la décidèrent à accepter un nom obscur, qu’accompagnait une trop modeste fortune. Le jeune homme était de basse extraction, sans doute, mais il n’avait plus que des parents éloignés, avec lesquels elle était bien résolue à n’entretenir aucune relation.

Mlle du Money apporta donc en dot à son mari une quarantaine de mille francs, un visage déplaisant, un orgueil indomptable, un caractère inflexible et une dévotion sur laquelle son directeur fondait les plus grandes espérances, pour le présent et pour l’avenir. Celles-ci ne furent pas déçues: au bout de six mois à peine, Mme Glorion avait entraîné son mari si loin de ses premières idées, qu’il aurait eu beaucoup plus de chemin à faire pour les recouvrer, qu’il ne lui en restait à parcourir pour arriver au niveau de sa femme. Et nous vîmes bientôt celui qui avait pris une part active au grand soulèvement de1830, renier publiquement son passé par les opinions qu’il manifesta, lors des tentatives insurrectionnelles que suscitèrent les mesures rétrogrades de la monarchie de juillet.

Enfin lorsqu’il mourut, Ambroise Glorion remplissait depuis quelque temps, à M, les fonctions de maire, avec sa femme et le P. Onésime pour adjoints. Ce dernier, qui avait gagné avec les années une plus grande expérience des hommes et des choses, était devenu très habile à en tirer parti. Il avait acquis, en outre, une certaine réputation comme directeur des âmes; aussi, le tiers des femmes de la ville et bon nombre d’hommes venaient-ils déposer à ses pieds le poids de leurs iniquités, jointes à celles de leurs connaissances. Parmi ses pénitentes, celle qu’il préférait, était, sans contredit, Mme Glorion; c’était la plus zélée: elle communiait tous les dimanches et fêtes, jeûnait deux fois la semaine, passait la moitié du jour en oraisons, et renseignait les bons Pères sur tout ce qui leur importait de savoir ad majorem Dei gloriam. Le visage soucieux de son mari autorisait à croire qu’il n’avait pas trouvé dans cette union le parfait bonheur. La paix relative qui régnait dans son intérieur, n’était due qu’à son complet effacement devant l’envahissante domination de sa compagne.

Sous le regard tranchant qui tombait de ses yeux gris, froids comme l’acier, en face de cette figure rigide, orgueilleuse et dure, encadrée de larges bandeaux noirs, aux lignes inflexibles, certes, le pauvre Ambroise n’eût jamais osé résister.

Une fille naquit de ce mariage, si harmonieusement conclu sous les auspices du P. Onésime. Ce que fut son existence auprès de sa mère, le lecteur peut facilement s’en rendre compte par ce qui précède. Aussi, la pauvre petite accueillit-elle avec joie la perspective d’aller terminer ses études dans un couvent. Dès qu’elle eut fait sa première communion, Mme Glorion l’envoya fort loin d’elle, dans un pensionnat religieux, alors très en vogue, lequel avait pour supérieure une de ses parentes.

Aussitôt qu’Hélène se trouva avec des enfants de son âge, loin des regards maternels, sa nature vive et aimante, si longtemps comprimée, fit tout à coup explosion. Elle s’abandonna sans contrainte à ces sentiments généreux de l’enfance, qui se traduisent par de si charmants élans. Quiconque l’aurait vue quelques semaines après son entrée au couvent, aurait eu peine à reconnaître dans cette fillette aux yeux brillants, à la bouche rieuse, l’enfant taciturne et sauvage de la maison Glorion.

Hélène passa au couvent six années, pendant lesquelles elle ne revint que deux fois à M. Sa mère avait trop bien réussi à se détacher de tout lien terrestre, pour que le désir de voir sa fille plus souvent lui tînt sérieusement au cœur.

Quand j’arrivai à M….., ainsi que je l’ai dit au commencement de ce récit, Hélène, qui venait d’atteindre sa dix-neuvième année, était sur le point de se marier. Sans être régulièrement belle, elle avait ce qui constitue l’harmonie de l’ensemble. On était surtout frappé en la voyant, de cet air de distinction native, qui ne s’acquiert pas. Si, au premier aspect, sa physionomie semblait un peu froide, il suffisait d’un examen plus attentif pour découvrir, sous cette légère couche de glace, le foyer ardent dont la flamme apparaissait tout au fond de ses grands yeux noirs.

Maintenant, pour achever de faire connaître au lecteur la jeune fille qui nous occupe et le milieu dans lequel elle a vécu, nous allons détacher quelques lettres de sa correspondance avec Berthe Clavière, son amie de cœur, la seule qu’elle ait jamais prise pour confidente. Dans ces lettres, écrites pendant les trois années qui viennent de s’écouler, Hélène se laisse aller à un épanchement qui nous livre tous les secrets de sa vie de jeune fille.

Madame Hélène: à propos du divorce

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