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III

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Ces quelques lettres, mettant suffisamment en relief la personnalité de notre héroïne, nous croyons inutile de prolonger des citations qui n’offrent plus rien de saillant. Reprenons donc notre narration interrompue au moment où nous annoncions le mariage d’Hélène. Ce grave événement exige des explications que nous allons nous empresser de donner au lecteur.

Un jeune médecin était venu, à la suite de brillants examens, s’établir à M.…. pour y exercer sa profession. Fils d’un des plus ardents champions de la cause démocratique, dans notre département, il avait puisé auprès de son père les mêmes principes que fortifièrent par la suite l’étude et l’observation.

Ses débuts à M.…. furent difficiles. Les opinions politiques et religieuses qu’il eut plus d’une fois l’occasion d’affirmer, lui valurent, de la part du clergé et de ses adeptes, une persécution sourde et ténébreuse, à laquelle il n’eût pu résister, malgré l’honorabilité de sa vie, si son talent médical ne fût venu s’imposer, même à ses détracteurs.

Quelque dévot qu’on soit, on n’en tient pas moins à rester le plus longtemps possible éloigné des félicités suprêmes réservées aux élus. Il vient un moment où le soin de sa propre conservation l’emporte même sur la rigidité des principes. Ce moment survint pour bon nombre de pieux malades, qui s’empressèrent d’appeler à leur chevet celui qu’ils avaient commencé par vouloir proscrire.

M. Glorion, lui aussi, le fit appeler au début de la maladie qui devait l’emporter quelques mois plus tard. Sa femme n’osa pas s’opposer à ce désir, seulement elle laissa à sa fille le soin de recevoir elle-même le docteur. Celui-ci, la voyant auprès de son malade toujours attentive, vigilante et affectueuse, fut si charmé par sa bonne grâce, sa simplicité et la franchise de ses manières, non moins que par sa remarquable intelligence, qu’il crut dès lors avoir rencontré la femme qu’il avait souvent rêvée. Poursuivi par cette idée, que venait sans cesse raviver la charmante vision d’Hélène, il fit un jour, auprès de M. Glorion, une première démarche en vue d’obtenir la main de sa fille.

Cette tentative n’avait d’ailleurs rien de téméraire: le jeune praticien appartenait à une famille très honorable et bien posée; il avait en perspective une assez belle fortune et un brillant avenir, et possédait, en outre, avec un extérieur agréable, des qualités de premier ordre. Il n’ignorait pas que la différence qui existait entre ses opinions et celles de la famille Glorion, était assez tranchée pour créer un obstacle; mais ayant conscience de sa propre valeur, il pensait que cette seule considération ne pourrait faire oublier ses autres mérites.

M. Glorion accueillit sa demande avec une satisfaction évidente; il s’engagea à consulter sa fille, mais non toutefois sans avoir pris au préalable l’avis de sa femme. Quand il fit part à cette dernière de la démarche du docteur, elle se redressa de toute la hauteur de sa grande taille; puis, regardant son mari bien en face, avec cet air dédaigneux qu’elle savait si bien prendre au besoin:

«Il faut que vous ayez perdu la raison, lui dit-elle, pour avoir consenti à vous faire l’interprète d’une semblable proposition, au lieu de la repousser énergiquement, comme je le fais moi-même en ce moment. certes, j’ai trop souci de l’âme de ma fille pour accepter une telle alliance. Dites à votre protégé que quand on se fait le propagateur de doctrines scandaleuses et perverses, on ne doit pas rechercher la main d’une honnête fille. Et maintenant j’espère que vous aurez le tact, la discrétion, de ne pas entretenir Hélène de cette affaire qui ne servirait qu’à lui troubler inutilement l’esprit.»

Le malheureux père eut la faiblesse, j’allais dire la lâcheté, d’obéir et de se taire. Par une étrange anomalie, il aimait assez sa fille pour lui sacrifier sa vie au besoin, mais il n’avait pas le courage de la défendre contre le despotisme de sa mère. A force de céder, il avait totalement perdu la faculté de vouloir. Dans cet état, les idées lui étant devenues inutiles, il ne s’était plus donné la peine d’en avoir, et son intelligence avait diminué d’autant.

Malgré toutes les garanties de sécurité que ce caractère pusillanime pouvait donner à Mme Glorion, elle n’était cependant pas sans inquiétude. Elle craignait qu’un hasard quelconque ne fit connaitre à sa fille la demande du jeune homme qu’elle avait éconduit, et elle redoutait alors, à bon droit, son imagination ardente, son esprit quelque peu insoumis, qui raisonnait avant d’obéir et savait prendre de lui-même une décision. Elle eut recours, en cette occurrence, pour se délivrer de ses appréhensions, aux lumières du P. Onésime, son fidèle conseiller.

–Je ne vois qu’un moyen d’écarter ces craintes bien légitimes, répondit le jésuite à la pieuse femme, après l’avoir écoutée, c’est de marier Hélène au plus tôt.

Il disait Hélène tout court, ce dont Mme Glorion se montrait fort touchée, le révérend n’usant de cette familiarité qu’envers ses protégés.

–C’est là mon plus vif désir, mon Père, mais où trouver un gendre selon mes vues? Vous le savez, je souhaite avant tout, pour ma fille, un fervent catholique, incapable de transiger avec ses devoirs de chrétien et qui sache, au besoin, maintenir sa femme dans la bonne voie.

–Je ne vous cacherai pas, chère dame, qu’Hélène m’intéresse d’une façon particulière, et que je songe depuis quelque temps à la marier. Après avoir beaucoup cherché et réfléchi, j’ai presque arrêté mon choix sur un jeune homme qui remplit exactement–je m’en porte garant–les conditions que vous venez d’énoncer: M. Gontran de Rocheville, notre nouveau substitut, est un de nos pratiquants les plus zélés. Il est si fortement attaché aux idées religieuses que rien, durant sa vie d’étudiant, n’a pu les faire fléchir. C’est lui que je vous propose, persuadé que cette union comblera tous vos vœux.

–Mais, fit observer Mme Glorion tout émue, on dit M. de Rocheville très fier de son blason; peut-être refusera-t-il de s’associer à votre projet?

–Allons donc! je me charge bien de le faire consentir. Hélène n’est-elle pas la petite-fille de Mme du Money de Lignerac, et peut-on douter, en la voyant, que ce soit ce même sang aristocratique qui coule dans ses veines? Ce mariage se fera, je vous l’affirme; seulement si le patrimoine de M. Gontran est assez réduit pour lui faire sacrifier ses prétentions nobiliaires, il désirera, j’imagine, qu’à défaut de parchemin, sa femme lui apporte, en échange de son nom, une dot qui puisse aider un peu à en relever l’éclat.

–Je suis très disposée à faire tous les sacrifices nécessaires pour assurer le bonheur de ma fille,» répondit l’excellente mère, qui avait peine à dissimuler la joie que lui causait la perspective de cette brillante alliance. Elle ne s’inquiéta ni de la conduite passée du jeune homme, ni de son caractère, ni de son état de santé. Il était noble et dévot, cela lui suffisait.

Les négociations du mariage furent menées si rapidement par le P. Onésime, qu’à peine deux mois après l’entretien que nous venons de rapporter, M. Gontran de Rocheville, substitut du procureur impérial de M….., devenait le mari d’Hélène Glorion.

Celle-ci avait bien essayé d’obtenir un sursis qui lui permît d’observer, d’étudier un peu le caractère de l’homme qui allait devenir le maître de sa destinée; mais, sa mère, alléguant les convenances, s’y opposa formellement. La mort de son mari, survenue dans l’intervalle, ne modifia même pas sa décision.

Le mariage eut lieu sans aucune pompe, mais il s’accomplit sans délai. La jeune fille se soumit d’autant plus facilement à la volonté de sa mère, que les manières douces et polies de son fiancé, jointes à l’éloge qu’en faisaient les personnes de son entourage, éloignaient d’elle toute appréhension pour l’avenir. Et ce fut avec toute la sécurité, que lui donnaient son âge et son ignorance de la vie, qu’elle s’enchaîna pour toujours avec un inconnu. Riche d’amour et d’illusions, elle s’appuya sereine et confiante sur le bras de celui qui s’était engagé à l’aimer fidèlement et à la protéger.

Comme nous n’avons pas les mêmes raisons que le P. Onésime pour user d’indulgence à l’égard de M. de Rocheville, nous allons prendre la liberté de le présenter au lecteur, débarrassé de tout le prestige que peuvent lui donner son nom, son titre de magistrat et sa renommée de bon catholique.

Gontran était alors un homme de trente-cinq ans. Sa taille bien prise et ses traits réguliers lui avaient valu une réputation de beauté non ratifiée par certaines personnes, plus amateurs de l’expression que de la forme. Elles critiquaient entre autres la contexture de ses lèvres minces, la mobilité de ses yeux peu habitués à regarder les gens en face, et son teint blême, indice d’une organisation délabrée. Mais une grande facilité d’élocution, une connaissance approfondie des usages de la bonne société et un léger vernis d’instruction, lui donnaient des avantages bien capables de séduire une jeune fille qui n’avait vécu, jusqu’alors, que dans la société des vieillards et des abbés. Au demeurant, Gontran n’était ni plus sot ni moins spirituel que la plupart de ses semblables. Voilà pour son physique. Quant au moral, il est moins facile à esquisser. La dissimulation qui formait l’essence même du caractère de M. de Rocheville fermait toute issue aux regards indiscrets. Jamais on ne put parvenir à soulever complètement le masque sous lequel se dérobait sa véritable nature; mais, si peu qu’on l’eût écarté, cela aurait suffi pour établir une opinion sur cette existence si soigneusement mise à l’abri de tout contrôle.

Gontran avait perdu sa mère en naissant. Son père, absorbé par le travail d’une charge publique, n’avait ni le temps, ni la volonté de s’occuper de son fils; catholique militant, aussi ardent que sincère dans la défense de ses opinions, il employait ses heures de loisir à élaborer diverses élucubrations mystiques, pour l’édification des fidèles et le triomphe de la bonne cause. Quant à l’enfant, confié aux soins d’une vieille gouvernante, il s’abandonnait entièrement à ses penchants vicieux. Comme il remarquait que, quelque fussent ses méfaits, il n’était bien sévèrement puni que lorsqu’il avait omis certaines pratiques de dévotion ou montré peu de ferveur dans leur accomplissement, il n’eut garde de négliger une découverte qui lui permettait de donner libre cours à ses instincts, en les recouvrant d’un voile hypocrite. Lorsqu’un peu plus tard il entra chez les Jésuites, ceux-ci durent être émerveillés des dispositions de leur élève. Ils mirent tant de zèle à les développer, que ce jeune Tartuffe, qui se trouvait dans son élément, égala bientôt ses maîtres dans la pratique de leurs maximes. Telle fut là sans doute la cause de cette sympathie que les fils de Loyola éprouvèrent pour l’enfant, et conservèrent fidèlement au jeune homme, dont le principal mérite était d’avoir reculé les bornes de la duplicité.

Vers l’âge de dix-huit ans, il quitta les «bons Pères» pour commencer ses études de droit. Ces premières années de liberté sont demeurées fort obscures, jusqu’au jour où il fit la connaissance d’un jeune sous-lieutenant, porteur d’un grand nom, mais précédé d’une détestable réputation, ce qui n’empêchait pas maints salons aristocratiques de lui être ouverts; moins peut-être en raison de sa parenté avec les personnages les plus titrés du noble faubourg, que pour la….. curiosité qu’excitait ce paladin débauché, parmi la population féminine de ces hautes sphères.

Quelle femme aurait pu, en effet, rester indifférente au récit de ces exploits romanesques, de ces sommes fabuleuses gagnées et perdues tour à tour avec une égale insouciance, par ce beau garçon de vingt-cinq ans qui s’appelait le comte Hardouin de Grandval.

Il avait comme auxiliaire dans ses aventureuses entreprises, un domestique d’une fidélité éprouvée, qui répondait au nom bizarre de Murph. Ce nom pouvait faire supposer une origine étrangère que son propriétaire était cependant loin de posséder. Murph était tout simplement un de ces nombreux enfants que la misère fait, en quelque sorte, pousser sur le pavé de Paris. Tout jeune, il se mit à la disposition du premier venu, pour ces mille petits services dont on peut avoir besoin à chaque pas dans le tourbillon de la grande ville.

Le comte eut un jour l’occasion de l’employer et fut si satisfait de son activité et de son intelligence, qu’il l’éleva sur-le-champ à la dignité de valet de chambre. Il lui conserva soigneusement le sobriquet original de. Murph, que ses camarades lui avaient donné à défaut d’un autre nom.

Le jeune garçon, dont le dévouement n’avait d’égal que la discrétion, s’attacha à son maître à la façon du chien; il lui obéissait les yeux fermés. Pour lui, aucune différence n’existait entre le bien et le mal; il aurait accompli une noble action avec autant d’ardeur qu’il eût commis un crime si son maître le lui avait ordonné.

Quant au début des relations du comte avec Gontran, nous l’ignorons. Il est probable qu’ils se rencontrèrent dans des conditions qui leur permirent de se juger réciproquement; chacun d’eux, trouvant son avantage dans cette liaison, elle s’établit promptement et finit par se cimenter de tout l’intérêt qu’ils eurent à se ménager mutuellement par la suite.

Peu à peu Gontran apaisa la nature fougueuse du jeune homme, et il l’obligea à mettre un frein à la violence de ses passions. Le comte se trouva d’abord assez gêné par cette contrainte, et ne renonça qu’avec peine à la célébrité qu’il avait acquise comme viveur. Mais il subit la domination de ce froid calculateur auprès duquel il trouvait, d’autre part. une si entière complaisance, une si grande facilité, pour continuer son genre de vie sous d’autres dehors et avec de nouvelles ressources.

M. de Grandval, après avoir dissipé son patrimoine, avait encore épuisé tout crédit dans son entourag; Gontran, arrivé à point avec ses deux cent mille francs provenant de l’avoir de sa mère, sut tirer parti de la situation pour conquérir, à l’aide de cet argent, une influence qu’il fit adroitement tourner à son profit.

Ces deux hommes s’étaient si bien compromis l’un vis-à-vis de l’autre, que rien ne semblait devoir les désunir. Nous n’entrerons pas dans le détail de leur vie intime; ce serait là une tentative assez difficile, vu leur manière de procéder, et d’ailleurs nous ne tarderons guère à être à peu près édifiés sous ce rapport.

Après un certain nombre d’années passées dans la plus grande intimité, les exigences de leur profession réciproque séparèrent les deux jeunes gens. Pendant que l’officier suivait son régiment en Afrique, Gontran, qui avait passé sa licence et fait ses débuts comme avocat, recevait sa nomination de substitut du procureur impérial de M..…

C’est là que nous le retrouvons marié et possesseur d’une considération qui allait toujours croissant, grâce à la propagande des Révérends Pères, à la tête desquels brillait plus que jamais le P. Onésime.

Madame Hélène: à propos du divorce

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