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IV

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Table des matières

Hélène, en possession du grand attrait de la nouveauté fut, pendant que dura pour elle le caprice de son mari, l’objet de ses soins empressés. Prenant les désirs de celui-ci pour de l’amour, elle s’abandonna entièrement à son bonheur et prodigua, en retour de quelques paroles affectueuses, tous les trésors de sa tendresse, sans s’apercevoir qu’elle donnait beaucoup plus qu’elle ne recevait.

Dans ses heures de solitude, elle se plaisait à parer son mari de toutes les qualités, et elle finit même par le croire réellement doué de toutes les vertus qu’elle désirait lui voir. Absorbée dans la contemplation de son idéal, aveuglée par ses propres sentiments, elle ne vit pas l’indifférence amenée par la satiété, s’asseoir un jour à son foyer. Elle continua ainsi à savourer pendant quelque temps les douceurs du présent et à sourire aux promesses de l’avenir. Hélas! le réveil fut plus terrible encore que le rêve n’avait été beau; il la prit à l’apogée de ce bonheur qu’elle croyait immuable, pour la plonger tout d’un coup dans la plus sombre réalité. Voici ce qui arriva:

Environ dix mois après son mariage, Gontran reçut une lettre de son ami, le comte Hardouin de Grandval, dans laquelle il lui annonçait son départ d’Oran à la suite de son régiment, qui allait tenir garnison à S., ville située à environ quarante kilomètres de M..… Il se félicitait d’un rapprochement qui lui permettrait d’aller souvent serrer la main de son meilleur ami, et d’offrir ses respectueux hommages à sa jeune femme. Il ajoutait, qu’ayant obtenu pour cause de santé un congé de deux mois, il se proposait d’aller demander l’hospitalité à son ami pour quelques jours.

Gontran dissimula tant bien que mal la désagréable impression que lui causait cette missive, et se disposa à recevoir convenablement le jeune officier dont il fit un pompeux éloge à sa femme. Celle-ci déclara qu’elle ferait bon accueil à l’ami que son mari tenait en si haute estime et affection.

Le comte Hardouin arriva quinze jours plus tard. En dépit de ses airs de gentilhomme, de sa tenue irréprochable, de son langage de bonne compagnie, il plut médiocrement à Hélène, qui se reprocha ce premier mouvement défavorable, en songeant aux grandes qualités que son mari lui avait énumérées avec tant d’enthousiasme. N’ayant d’ailleurs aucun motif à faire valoir pour justifier sa réserve à l’égard du comte, qui se montrait auprès d’elle rempli d’attentions délicates, de tact et surtout de déférence, elle parvint à triompher de sa première impression. Bien plus, voyant le jeune homme souffrant, elle lui témoigna une certaine bienveillance; et le jour où il parla de son départ, elle l’engagea, dans le but d’être agréable à son mari, à finir auprès d’eux le reste de son congé.

M. de Rocheville, malgré sa répugnance, se trouva, pour ainsi dire, forcé de joindre ses instances à celles de sa femme. Enfin, après quelques hésitations, qui avaient plutôt l’apparence d’une discrétion polie, M. de Grandval consentit à accepter l’offre gracieuse qui lui était faite.

Gontran qui, tout en ayant d’excellentes raisons pour ménager son ami, en avait de non moins bonnes pour redouter sa présence, ne tarda pas à faire naître divers prétextes pour l’obliger à abréger son séjour. Il semblait avoir pressenti ce qui devait arriver. Les gredins ont, en effet, le privilège d’être plus clairvoyants que les honnêtes gens; ils flairent le mal avec une merveilleuse finesse.

Mais toutes les tentatives de M. de Rocheville pour éloigner le comte, échouèrent devant une obstination qui prenait sa source dans les beaux yeux d’Hélène. Les regards caressants qu’elle abaissait parfois sur son mari, ce je ne sais quoi de chaste et de voluptueux à la fois qui s’exhalait de toute sa personne, avaient allumé dans les sens du jeune officier d’ardents désirs. S’il s’était aperçu à temps de ce danger, il l’aurait fui certainement, car il lui serait alors resté assez de sang-froid pour en peser toutes les conséquences. Il était malheureusement trop tard, le mal était fait, et le comte n’était pas homme à reculer devant les exigences d’une passion.

Il se fit, in petto, ce petit raisonnement: Mme de Rocheville doit être encore trop éprise de son mari pour songer à prendre un amant. D’un autre côté, Gontran néglige sa femme; pour un œil exercé, la chose ne fait pas l’ombre d’un doute. S’il la néglige, c’est qu’il a quelque part une nouvelle liaison, et d’ailleurs je sais pertinemment que mon ami ne brille pas par la constance. Donc, il a une maîtresse. Je la cherche..… La connaissant, je m’arrange de façon à ce qu’Hélène en soit instruite, mais sans qu’elle puisse se douter de mon intervention, et alors, le dépit, la vengeance, à défaut de tout autre sentiment, peu m’importe, la font tout naturellement tomber dans mes bras.

C’est par le moyen de cette sorte de manœuvre stratégique qu’il espérait parvenir à son but. Son projet une fois conçu, il se prit à observer. Le hasard, il faut bien le dire, le servit à souhait.

La femme d’un juge au tribunal de la ville, Mme Bellefroy, vint quelques jours après rendre visite au jeune ménage. C’était une belle et élégante personne, gracieuse, aimable, une parisienne, en un mot, et en outre, une de ces femmes qui savent allier aux pratiques d’une dévotion exaltée, les savantes combinaisons de la coquetterie la plus raffinée. Elle revenait d’une station thermale, et, désireuse de rentrer chez elle après une longue absence, elle avait laissé son mari faire seul un petit voyage supplémentaire chez quelques amis. C’est du moins ce qu’elle répondit quand on demanda des nouvelles de ce dernier; seulement elle fut assez imprudente pour jeter un rapide coup d’œil sur le maître de la maison, qui, ne se tenant pas mieux sur ses gardes qu’elle-même, lui répondit par un imperceptible sourire. C’était là, certes, un bien faible indice, mais il suffisait pour le comte. Se croyant dès lors sur la voie d’une intrigue, il porta toute son attention de ce côté.

Les deux amis s’étaient donné l’un à l’autre une très grande liberté d’action, ce qui est, comme chacun sait, le premier devoir de toute hospitalité; Gontran, qui passait en général ses soirées hors de chez lui, un peu de côté et d’autre, sortit seul le soir même.

Il se dirigea vers la maison de Mme Bellefroy, située dans un quartier assez éloigné du centre de la ville. Une petite porte, pratiquée dans le mur du jardin, s’ouvrit mystérieusement devant lui. Il était alors huit heures.

Deux heures après, la même porte lui livrait de nouveau passage, mais avant d’en franchir le seuil, il se retourna: «A demain,» dit-il. Et la porte se referma avec non moins de précaution et de mystère.

Le comte, caché dans un taillis voisin, n’avait rien perdu de cette scène; il avait eu la constance de suivre le mari d’Hélène, depuis sa sortie de chez lui jusqu’au lieu du rendez-vous. Mais la découverte qu’il venait de faire le dédommagea amplement des ennuis de l’attente. Il ne lui restait plus qu’à trouver le moyen d’en tirer parti. Il n’eut pas, d’ailleurs, à le chercher bien longtemps.

Mme de Rocheville avait à son service une femme de chambre assez jolie et fort coquette, dont notre officier, très expert en matière de galanterie, avait fait promptement la conquête. Il résolut d’exploiter les bonnes dispositions de cette fille à son égard; le lendemain même, il lui fit en quelques mots le récit de l’aventure de la veille et lui exposa ce qu’il attendait d’elle.

En conséquence, il lui donna des instructions qu’elle promit, avec la meilleure grâce, d’exécuter de point en point. Il lui recommanda, en outre, le silence le plus absolu sur sa participation dans cette affaire, sous peine de voir divulguer par lui certains secrets, que la trop aimable soubrette avait intérêt à cacher. Elle jura ses grands dieux qu’elle resterait muette. Un baiser scella le pacte, et M. de Grandval se retira satisfait; avec sa légèreté habituelle, il ne semblait pas se rendre un compte bien exact de ce qu’il y avait d’abominable dans son action.

Julie, la femme de chambre, sortit ce même soir, sous le prétexte d’aller chez sa sœur. Rentrée une heure plus tard, elle se présenta haletante devant sa maîtresse. Tout en mettant de l’ordre dans sa chambre, elle lui raconta comment elle avait été fort effrayée en revenant par le chemin des Vallinières, qu’elle avait pris comme étant moins désert que la route du moulin.

–Et de quoi avez-vous eu peur? dit Hélène d’un air distrait.

–Oh! madame sait combien je suis poltrone! D’ailleurs, depuis l’assassinat de la mère Mauvrais, je ne rêve plus que meurtre et brigands. J’avais toutes ces idées-là dans la tête, quand, en arrivant près du gros chêne, j’aperçus une sorte de géant enveloppé dans un grand manteau, avec un chapeau rabattu sur les yeux; il me semblait voir quelque chose briller à sa ceinture; puis j’entendais comme un bruit de sabres s’entrechoquant–ce que c’est que l’imagination tout de même.– Transie de peur, je me cachai derrière l’arbre, toute prête à m’évanouir, mais un coup de vent enleva le chapeau de mon bandit, et je reconnus, grâce au clair de lune..… Oh! madame ne devinerait jamais qui? poursuivit-elle en éclatant de rire: Eh bien! c’était tout simplement monsieur qui allait chez M. Bellefroy.

–Comment..… que dites-vous?..… mon mari qui allait chez M. Bellefroy..… par le chemin des Vallinières..… La frayeur vous a fait perdre la tête, ma pauvre Julie.

–Oh non, madame, j’ai très bien reconnu monsieur, et je l’ai même vu peu après entrer chez M. Bellefroy, par la petite porte du jardin qui donne sur le chemin des Vallinières. C’est égal, monsieur rirait bien s’il savait que je l’ai pris pour un assassin! Et l’adroite fille se mit à parler d’autre chose. Mais déjà Hélène ne l’écoutait plus, elle venait d’être mordue au cœur par un horrible soupçon.

–Quelle heure est-il? demanda-t-elle à Julie qui se disposait à sortir.

–Neuf heures moins dix, madame.

–Bien, donnez-moi mon châle et mon chapeau.

–Madame sort?

–Oui, je vais chez ma mère.

–Alors, je vais prévenir Firmin pour qu’il accompagne madame.

–C’est inutile, le temps est clair et la route n’est pas longue,» répliqua-t-elle d’un ton qu’elle s’efforçait de rendre calme. Elle sortit, et ainsi qu’elle l’avait annoncé, elle se rendit d’un pas rapide chez sa mère; son agitation était extrême. «Mais je suis folle, se dit-elle tout à coup, de prêter tant d’attention à un bavardage de servante et d’ailleurs c’est impossible.….» Puis, faisant un effort pour surmonter son anxiété, elle hâta le pas. Mais presque aussitôt un souvenir lui traversa l’esprit et renouvela ses appréhensions. «Cependant, si c’était vrai..… si c’était lui, répétait-elle encore. M. Bellefroy n’est pas de retour; et si par hasard il était revenu, comment expliquer cette visite de Gontran, à huit heures du soir, chez un homme avec lequel il n’a que des relations cérémonieuses. Dans tous les cas, quel motif pourrait-il alléguer pour justifier son entrée par une porte dérobée.

«Allons, ajouta-t-elle résolument en revenant sur ses pas, ma première pensée n’était pas si absurde. Ce doute m’est insupportable, quoi que je fasse désormais, il s’interposerait sans cesse et quand même entre mon mari et moi. S’il est innocent, mes soupçons n’auront servi qu’à me le faire aimer davantage. Mais s’il est coupable.…» Un flot de sang afflua à son visage à cette idée, et elle demeura longtemps pensive.

Tout en faisant ces tristes réflexions, elle arriva près de la petite porte du jardin Bellefroy, et se dissimula dans le fourré qui avait été témoin des précédentes observations du comte. Après quelques instants d’une fiévreuse attente, Mme de Rocheville entendit la porte glisser lentement sur ses gonds; une forme humaine apparut jetant un regard furtif à droite et à gauche, et une voix qu’Hélène reconnut bien murmura doucement:

–Mon cher Gontran, quand vous reverrai-je maintenant?

–La présence de votre mari ne nous a pas beaucoup gênés jusqu’à ce jour, répondit M. de Rocheville, pourquoi craignez-vous qu’il en soit autrement désormais? Comme autrefois, nous saurons déjouer sa surveillance. Allons, adieu! croyez toujours à mon amour et ne vous désolez pas.»

Le bruit d’un baiser donné et reçu se fit entendre, et, légère comme une ombre, Mme Bellefroy se rejeta en arrière et disparut.

Bien que les voix fussent étouffées, elles étaient cependant parvenues distinctement aux oreilles d’Hélène, qui eut un moment la tentation de s’élancer sur les deux amants pour les confondre. La raison la retint; mais elle fut impuissante à atténuer la violence du coup que la pauvre jeune femme venait de recevoir en plein cœur; le doute même sur la trahison de son mari ne lui était plus permis!.

Hélène éprouva une souffrance si terrible et si subite, qu’elle en resta d’abord comme étourdie. La stupeur que cause toujours un malheur inattendu, engourdit momentanément la sensibilité. Mme de Rocheville, tout accablée qu’elle fût, pressentit vaguement qu’un gouffre s’était entr’ouvert sous ses pas, sans qu’elle pût en sonder la profondeur. Ce fut en proie à une sorte de vertige qu’elle regagna sa demeure. Rentrée dans sa chambre, elle se dirigea machinalement vers la cheminée et se tint là, debout, immobile, le pied posé sur un chenet, l’œil atone et fixe, avec l’apparence de ce calme stupide, qui est le suprême degré de la douleur.

La jeune femme resta longtemps dans cet état d’anéantissement qui paralysait toutes ses facultés. Elle ne fut tirée de cette torpeur que par un léger bruit qui se produisit dans la maison. C’était Gontran qui rentrait, après avoir fait une station à son cercle; comme il croyait sa femme couchée depuis longtemps, il s’abstint d’entrer chez elle et passa devant sa porte en fredonnant un air d’opéra.

Hélène tressaillit comme sous le coup d’un brusque réveil; elle sentit un affreux déchirement, comprit toute l’horreur de sa position et s’abandonna alors au plus profond désespoir, s’interrogeant, se demandant sans cesse ce qu’avait de plus qu’elle cette femme qu’on lui préférait. Elle ignorait, la trop naïve enfant, qu’il existe dans la création des êtres organisés de telle sorte, qu’ils ne tiennent aucun compte des dons de l’intelligence ni de ceux du cœur. Ceux-là recherchent uniquement des sensations nouvelles; peu leur importe la tendresse et le dévouement d’une femme, quand ils ont épuisé tout ce qu’un brutal désir pouvait réclamer d’elle.

Lorsqu’à la violente surexcitation qui accompagne toujours un grand chagrin, succéda la période de calme, Hélène, comme toute âme brisée qui a besoin d’espérer encore, songea à Dieu. Tombant à genoux, elle voulut faire un acte de résignation; mais, la malheureuse femme ne trouva au fond de son cœur que ces paroles amères: «Pourquoi donc, ô mon Dieu! permettez-vous qu’il y ait ici-bas des créatures assez perfides pour se jouer de ce qu’il y a de plus saint sur la terre: un serment fait librement devant vous? Pourquoi suis-je fatalement liée à l’une d’elles, moi qui ne vous ai jamais demandé qu’un cœur aimant et sincère, capable de me donner ces témoignages d’affection, qui m’ont tant fait défaut durant la première partie de mon existence? Mais maintenant, que vous m’avez enlevé la joie du présent et l’espoir dans l’avenir, pourquoi, mon Dieu, me laissez-vous vivre encore, vous qui êtes bon? Pourquoi la douleur de l’âme, portée à ses dernières limites, n’enlève-t-elle pas la vie, semblable en celà à la souffrance du corps, lorsqu’elle atteint ce même degré? 0mon pauvre bonheur! ne t’avais-je donc pas acheté assez cher par vingt années de tristesse et d’ennui, et devais-je, en un moment, te voir fuir pour jamais» Un torrent de larmes s’échappa alors de ses yeux demeurés secs jusque-là.

Mais Hélène n’était pas femme à s’abandonner longtemps à une douleur stérile. Après avoir payé son tribut à la faiblesse humaine, elle se montra ce qu’elle fut toujours par la suite: forte, vaillante et sensée. Ayant repris complète possession d’elle-même, elle envisagea courageusement sa situation, et elle réfléchit au meilleur parti à prendre en cette occurence. Le jour la surprit dans la même attitude; mais lorsqu’à ce moment le sommeil vint à son tour réclamer ses droits, sa résolution était prise. Condamnée à vivre aux côtés mêmes de celui qui de par la loi était son mari, Mme de Rocheville était décidée à employer toute son énergie à lui cacher son chagrin, et surtout à lui en dérober les causes, jugeant qu’en les lui faisant connaître elle n’aurait rien à gagner, et qu’elle s’exposerait, au contraire, à perdre tout le bénéfice de la contrainte qu’il ne manquerait pas de s’imposer dans leurs rapports quotidiens, laquelle lui procurerait du moins, à défaut du bonheur, un intérieur calme et tranquille.

Il lui fallait également s’observer devant ses domestiques, et conserver vis-à-vis d’eux l’air confiant et heureux des beaux jours, de façon à ne pas leur permettre de supposer que rien fût changé dans sa vie. La tâche eût peut-être été au-dessus de ses forces, si elle fût restée constamment en tête-à-tête avec l’homme dont l’astucieuse conduite mettait en révolte toutes les fibres de sa loyale nature. Mais sa mère, souffrante depuis quelques semaines, vit s’aggraver son état assez sérieusement pour nécessiter à son chevet la présence de sa fille. Mme de Rocheville s’établit donc auprès de la malade, qu’elle quitta le moins possible. Cet arrêt momentané de la vie commune pour les deux époux, donna au temps la facilité de commencer son œuvre d’apaisement dans le cœur de la jeune femme.

Madame Hélène: à propos du divorce

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