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A FRANCIS CHEVASSU

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Mon cher ami,

Je te dédie ce petit ouvrage, comme un signe de véritable amitié.

En outre, tu es l'auteur de Visages, livre admirable, livre charmant et profond, plein de sagesse et de plaisanterie et qui, ainsi, prend la vérité par les deux biais où elle nous est accessible.

Je t'ai emprunté le titre de mon essai; et je te le rends après en avoir fait, mon Dieu, ce que j'ai pu. J'avais songé à Silhouettes, au lieu de Visages. Seulement, c'est un mot qui n'a pas encore deux siècles d'âge; et nous n'aimons pas les néologismes, toi et moi. Puis l'étymologie du mot ne me plaît pas beaucoup; elle nous reporte à ce financier parcimonieux, Étienne de Silhouette, qui était contrôleur général au temps de Louis XV et qui avait la manie de tracer, sur les murailles, le contour des figures, d'après l'ombre que la chandelle en projetait. D'ailleurs, il avait traduit Pope; et la marquise de Pompadour l'estimait. Préférons, toutefois, un vocabulaire de meilleure et plus longue ascendance. Il m'a paru digne et convenable de m'adresser à toi plutôt qu'à cet homme d'argent.

Au douzième siècle, Vincent de Beauvais composa une étude savante et qu'il intitula, mais en latin, le Grand Miroir. Imprimé ensuite, le volume est de fortes dimensions. Ce dominicain diligent y avait enfermé la somme des idées qui alors occupaient les âmes.

Un tel projet, de nos jours, serait irréalisable, à cause de la quantité des sciences qui se disputent notre vif intérêt, et à cause du grand désordre qu'il y a dans les esprits. Quand florit Vincent de Beauvais, les idées et, voire, les faits se distribuaient, se rangeaient en catégories bien distinctes, lesquelles étaient ordonnées à peu près comme, sur les parois des cathédrales, les tableaux de pierre sculptée ou de verre peint.

Ce fut commode, et beau.

Mais, aujourd'hui, l'on a bouleversé tout cela; l'idéologie eut ses vandales, comme les cathédrales ont eu les penseurs de la Révolution, gens armés de marteaux pour casser les statues saintes.

J'aurais voulu t'offrir une esquisse ou une miniature de la pensée contemporaine. L'on trouverait une satisfaction de bon aloi, il me semble, et une sorte de sécurité à voir réunies et groupées logiquement les doctrines qui sont en vogue. Si elles s'accordaient ensemble, nous saurions que l'absurdité nous est épargnée; et ce serait, pour nous, un repos.

Il faut y renoncer. Je t'assure que la pensée contemporaine n'est point analogue à une cathédrale, ni même à nul monument, vulgaire et solide. Elle ressemblerait davantage à des décombres, ou bien à un tas de matériaux, les uns qui proviennent de vieilles ruines, les autres tout neufs et qu'on n'a point encore éprouvés; quant à dire si jamais on pourra, de cette abondance, rien bâtir, je crois que personne ne l'oserait.

C'est pour cela que le présent volume est formé de petits chapitres que j'ai placés les uns à côté des autres, sans aucunement prétendre à les lier par le fil d'une dialectique; et c'est la marque de mon désespoir: j'ai renoncé à composer l'image de mon temps.

Je ne t'offre pas un miroir, mais seulement quelques morceaux d'un miroir brisé.

Tu remarqueras aussi qu'au lieu de désigner mes divers chapitres par des indications d'idées, je leur ai donné des noms de personnes.

Comment faire? Il n'est pas une idée, maintenant, qui échappe à mille objections; il n'en est pas une qu'on ait laissée un peu tranquille, dans son attitude de vierge souveraine. Si j'avais dû défendre chacune de celles que je présentais et réfuter ses ennemis, je risquais de succomber à la tâche. Puis je ne les aime pas toutes également. Enfin, j'allais à me contredire: c'est un amusement qu'on doit abandonner à son prochain.

Cependant, je ne voulais pas livrer toutes nues ces vierges de la mésintelligence contemporaine, les idées; et je les ai vêtues de leurs accoutrements les plus recommandables, ceux que leur ont fabriqués et nos écrivains et nos artistes et nos savants. Je leur ai donné pour défenseurs les tutélaires et notoires amis de leur beauté, leurs inventeurs ou, quelquefois, leurs amants nouveaux et tardifs.

Je crois qu'il était légitime et recommandable de procéder ainsi, dans le désordre que je signalais premièrement. Si nous examinons, avec une rare sincérité, nos prédilections et, autant dire, nos certitudes, nous apercevons que, pour la plupart, elles sont de qualité sentimentale. Et nous n'aimons pas une idée toute seule, mais nous aimons une idée qui, par les soins de tel ou tel, a pris un joli tour. Il y a là du caprice, de la rancune et de la faveur, je l'accorde; la pure logique nous recommanderait une autre méthode, plus rigoureuse et impérieuse.

Mais qu'est-ce que la logique est devenue? Et où donc est-elle? On l'a employée à de tels usages qu'elle n'avait plus un aspect fort honnête; puis elle a disparu, trait de pudeur.

Si nous n'avions la spontanéité de nos sympathies, pour nous guider dans notre choix, mon cher ami, nous n'éviterions pas l'extrémité du scepticisme.

Tu verras, dans cette galerie de portraits, des poètes qui répudient les nouveautés les plus récentes et, hier encore, les plus attrayantes; des mathématiciens qui ne croient plus à l'évidence mathématique; des philosophes qui annoncent la mort de la métaphysique. Tu verras des démolisseurs intrépides et des constructeurs inquiets. Principalement, tu verras que ces différents maîtres d'une théorie s'entendraient mal les uns avec les autres, s'ils n'étaient bien pourvus d'aménité, de douceur indulgente et s'ils ne possédaient une aimable faculté de sourire.

La plus terrible désorganisation de l'idéologie contemporaine s'est manifestée à l'époque où nous cessions d'être parfaitement jeunes et quand nous arrivions à l'âge où l'on serait content de savoir un peu ce qu'on pense, où il serait convenable de perdre l'irrésolution qui fait le charme ambigu de l'adolescence. Notre maturité aura subi de rudes tribulations. Et nous avons bien du mérite à n'être pas des libertins.

Après avoir longtemps épilogué, selon l'usage de nos compatriotes épars, nous nous réfugions dans l'asile de nos préférences lointaines. Il est, à cette fin, nécessaire que nous remontions au delà de nos écoles, comme on disait jadis, et jusqu'à nos enfances pour y trouver nos désirs profonds, nos clairs devoirs et nos volontés franches. La pire folie consiste à se figurer qu'on invente la vie ou qu'on l'inaugure. Parmi les joueurs de flûte et les bâtisseurs de systèmes, il y a le plaisir d'un instant; il n'y a que cela. Et les doctrines valent les doctrines. Nos plus délicates recherches spirituelles ne nous donnent que des motifs de savante incertitude. Alors, renonçant aux plus élégantes perversités de l'intelligence, nous rentrons chez nous comme après une équipée dangereuse. Ce voyage, ce retour, on le fait sans difficulté, avec un peu de mélancolie, avec une allégresse désabusée. Les chemins de la pénitence sont doux d'un bout à l'autre, d'abord avec de futiles souvenirs, ensuite avec de bonnes espérances; on abandonne et l'on n'est point abandonné.

Je t'offre donc ce petit recueil d'idées contemporaines, autorisées, les unes à merveille et les autres un peu moins bien, par leurs tenants; quelques-unes d'entre elles nous tentèrent naguère, et le prestige a disparu: d'autres, que nous négligions, nous tentent ou bien sont à la veille de le faire. Tu choisiras; tu as choisi. Et, comme nos préférences sont à peu près les mêmes, tu me loueras de laisser voir les miennes et d'avoir éconduit les séductions périlleuses de l'impartialité.

André BEAUNIER.

Visages d'hier et d'aujourd'hui

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