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AVERTISSEMENT
DE L'AUTEUR.

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LES Leçons d'Histoire que je présente au public sont les mêmes qui, l'an 3, obtinrent son suffrage à l'École Normale[1]: j'aurais désiré de les en rendre plus dignes par plus de corrections et de développements, mais j'ai éprouvé qu'un nouveau travail gâtait le mérite original de l'ancien, celui d'une composition du premier jet, en quelque sorte improvisée[2]. D'ailleurs, dans nos circonstances, il s'agit moins de gloire littéraire, que d'utilité sociale; et dans le sujet présent, cette utilité est plus grande, qu'elle ne le semble au premier coup d'œil: depuis que j'y ai attaché mes idées, plus j'ai analysé l'influence journalière qu'exerce l'Histoire sur les actions et les opinions des hommes, plus je me suis convaincu qu'elle était l'une des sources les plus fécondes de leurs préjugés et de leurs erreurs. C'est de l'Histoire que dérive la presque totalité des opinions religieuses, et en accordant à l'orgueil de chaque secte d'excepter les siennes, il n'en est pas moins évident que, là où la religion est fausse, l'immense quantité d'actions et de jugements dont elle est la base, porte aussi à faux et croule avec elle. C'est encore de l'Histoire que dérivent la plupart des maximes et des principes politiques qui dirigent les gouvernements, les renversent ou les consolident; et l'on sent quelle sphère d'actes civils et d'opinions embrasse dans une nation ce second mobile. Enfin ce sont les récits que nous entendons chaque jour, et qui sont une branche réelle de l'Histoire, qui deviennent la cause plus ou moins médiate d'une foule d'idées et de démarches erronées; de manière que, si l'on soumettait au calcul les erreurs des hommes, j'oserais assurer que sur mille articles, neuf cent quatre-vingts appartiennent à l'Histoire; et je poserais volontiers en principe que ce que chaque homme possède de préjugés et d'idées fausses, vient d'autrui, par la crédule confiance accordée aux récits; tandis que ce qu'il possède de vérités et d'idées exactes, vient de lui-même et de son expérience personnelle.

Je croirais donc avoir rendu un service éminent, si mon livre pouvait ébranler le respect pour l'Histoire, passé en dogme dans le système d'éducation de l'Europe; si, devenant l'avis préliminaire, la préface universelle de toutes les histoires, il prémunissait chaque lecteur contre l'empirisme des écrivains, et contre ses propres illusions; s'il engageait tout homme pensant à soumettre tout homme raconteur à un interrogatoire sévère sur ses moyens d'information, et sur la source première des ouï-dire; s'il habituait chacun à se rendre compte de ses motifs de croyance, à se demander:

1º Si, lorsque nous avons tant d'insouciance habituelle à vérifier les faits; si, lorsque l'entreprenant, nous y trouvons tant de difficultés, il est raisonnable d'exiger d'autrui plus de diligence et de succès que de nous-mêmes;

2º Si, lorsque nous avons des notions si imparfaites ou si fausses de ce qui se passe sous nos yeux, nous pouvons espérer d'être mieux instruits de ce qui se passe ou s'est passé à de grandes distances de lieux ou de temps;

3º Si, lorsque nous avons plus d'un exemple présent de faits équivoques ou faux, envoyés à la postérité avec tous les passe-ports de la vérité, nous pouvons espérer que les hommes des siècles antérieurs aient eu moins d'audace ou plus de conscience;

4º Si, lorsqu'au milieu des factions, chaque parti menace l'historien qui écrirait ce qui le blesse, la postérité ou l'âge présent ont le droit d'exiger un dévouement qui n'attirerait pour leur salaire que l'accusation d'imprudence ou l'honneur stérile d'une pompe funèbre;

5º Si, lorsqu'il serait imprudent et presque impossible à tout général d'écrire ses campagnes, à tout diplomate ses négociations, à tout homme public ses mémoires en face des acteurs et des témoins qui pourraient le démentir ou le perdre, la postérité peut se flatter, quand les témoins et les acteurs morts ne pourront plus réclamer, que l'amour-propre, l'animosité, la honte, l'éloignement du temps et le défaut de mémoire lui transmettront plus fidèlement l'exacte vérité;

6º Si la prétendue information et l'impartialité attribuées à la postérité ne sont pas la consolation trompeuse de l'innocence, où la flatterie de la séduction ou de la peur;

7º S'il n'est pas vrai que souvent la postérité reçoit et consacre les dépositions du fort survivant, qui étouffe les réclamations du faible écrasé;

8º Et si en morale il n'est pas aussi ridicule de prétendre que les faits s'éclaircissent en vieillissant, qu'en physique de soutenir que les objets, à force de s'éloigner, deviennent plus distincts.

Je serais satisfait si les imperfections même de mon travail en provoquaient un meilleur, et déterminaient quelque esprit philosophique à traiter à fond toutes les questions que je n'ai fait qu'indiquer, particulièrement celles de l'autorité des témoignages, et des conditions requises pour la certitude, sur lesquelles nous n'avons rien de péremptoire, et qui cependant sont le pivot de la plupart de nos connaissances, ou, selon le mot d'Helvétius, de notre ignorance acquise. Pour moi, que la comparaison des préjugés et des habitudes d'hommes et de peuples divers a convaincu et presque dépouillé de ceux de mon éducation et de ma propre nation; qui, voyageant d'un pays à l'autre, ai suivi les nuances et les altérations de rumeurs et de faits que je vis naître; qui, par exemple, ai trouvé accréditées aux États-Unis des notions très-fausses d'événements de la révolution française dont je fus témoin, de même que j'ai reconnu l'erreur de celles que nous avons en France sur beaucoup de détails de la révolution américaine, déja dissimulés par l'égoïsme national ou l'esprit de parti, je ne puis m'empêcher, d'avouer que chaque jour je suis plus porté à refuser ma confiance aux historiens et à l'Histoire; que chaque jour je ne sais de quoi m'étonner le plus, ou de la légèreté avec laquelles les hommes, même réfléchis, croient sur les plus frivoles motifs, ou de leur tenace véhémence à agir d'après ce premier mobile adopté; qu'enfin chaque jour je suis plus convaincu que la disposition d'esprit la plus favorable à l'instruction, à la découverte de la vérité, à la paix et au bonheur des individus et des nations, c'est de croire difficilement: aussi, en me prévalant du titre d'instituteur dont m'honora le gouvernement, si j'ose recommander un précepte aux instituteurs de tout ordre, aux parents, instituteurs-nés de leurs enfants, c'est de ne pas subjuguer leur croyance par une autorité magistrale; c'est de ne pas les habituer à croire sur parole, à croire ce qu'ils ne conçoivent pas; c'est, au contraire, de les prémunir contre ce double penchant à la crédulité et à la certitude, d'autant plus puissant, qu'il dérive de l'ignorance, de la paresse et de l'orgueil, naturels à l'homme; c'est enfin d'asseoir le système de l'instruction et de l'éducation, non sur les faits du monde idéal, toujours susceptibles d'aspects divers et de controverses, mais sur les faits du monde physique, dont la connaissance, toujours réductible à la démonstration et à l'évidence, offre une base fixe au jugement ou à l'opinion, et mérite seule le nom de philosophie et de science.

Leçons d'histoire, prononcées à l'École normale

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