Читать книгу Les 73 journées de la Commune (du 18 mars au 29 mai 1871) - Catulle Mendes - Страница 10

VIII

Оглавление

Table des matières

Ce soir, 21 mars, Paris a je ne sais quel air de contentement; il espère, il espère dans les députés et les maires, il espère même dans l’Assemblée nationale. On parle de la manifestation des amis de l’ordre, on l’approuve. Un étranger, un Russe, M. A. J., habitant Paris depuis dix ans et par conséquent Parisien, m’offre les renseignements suivants dont je prends note à la hâte:

«Aujourd’hui, à une heure et demie, un groupe dont je faisais partie s’est formé place du Nouvel-Opéra. Nous étions vingt personnes à peine, nous avions un drapeau sur lequel était écrit: «Réunion des amis de l’ordre.» Ce drapeau était porté par un soldat de la ligne, employé, disait-on, de la maison Siraudin. Nous avons monté les boulevards jusqu’à la rue Richelieu; sur notre passage les fenêtres s’ouvraient; on criait: «Vive l’ordre! vive l’Assemblée nationale! à bas la Commune!» Très-peu nombreux au départ, nous fûmes bientôt trois cents puis cinq cents, puis mille. Notre troupe suivit la rue Richelieu, grossissant toujours. Place de la Bourse, un capitaine de la garde nationale, à la tête de sa compagnie, voulut nous arrêter. Nous passâmes outre; la compagnie présenta les armes à nôtre drapeau, et les tambours battirent aux champs. Après avoir parcouru, de plus en plus nombreux, les rues qui avoisinent la Bourse, nous revînmes sur les boulevards, où éclata autour de nous le plus vif enthousiasme. Devant la rue Drouot on fit halte; la mairie du IXe arrondissement était occupée par un bataillon affilié au Comité, par le 229e bataillon, je crois. Bien qu’une collision fût possible, nous nous engageâmes dans la rue, résolus à faire notre devoir, qui était de protester contre le renversement de l’ordre et le mépris des lois établies, mais il ne nous fut fait aucune résistance. Les gardes nationaux accourus devant la porte de la mairie nous présentèrent les armes, et nous allions continuer notre chemin, lorsque quelqu’un fit remarquer que notre drapeau, où, comme je l’ai dit, on lisait: «Réunion des amis de Tordre,» pouvait nous exposer à être pris pour des «réactionnaires,» et qu’il fallait y ajouter ces mots: «Vive la République!» Les personnes qui marchaient en tête de la manifestation firent halte; quelques-unes d’entre elles entrèrent dans un café, et là, écrivirent à la craie, sur le drapeau: «Vive la République!» Puis, nous nous remîmes en marche, suivant les voies les plus larges, de plus en plus nombreux et acclamés de toutes parts. Un quart d’heure plus tard, nous arrivâmes rue de la Paix, nous dirigeant vers la place Vendôme, où étaient réunis, en foule, des bataillons du Comité, et où siège, comme on sait, l’état-major de la garde nationale. Là, comme devant la mairie Drouot, les tambours battirent aux champs et on nous présenta les armes; bien plus, un officier vint prévenir les chefs de la manifestation qu’un délégué du Comité central les priait de se rendre à l’état-major. C’était moi, en ce moment, qui portais le drapeau. Nous nous avançâmes en silence. Quand nous fûmes arrivés sous le balcon, entourés par les gardes nationaux, dont l’attitude, en général, était pacifique, nous vîmes paraître sur ce balcon un homme assez jeune, sans uniforme, mais ceint d’une écharpe rouge et entouré de plusieurs officiers supérieurs; il prit la parole et dit: «Citoyens, au nom du Comité central...» Dès lors il fut interrompu par des sifflets innombrables et par ces cris: «Vive l’ordre! vive l’Assemblée nationale! vive la République! » Malgré ces interruptions hardies, nous ne fûmes l’objet d’aucune violence, ni même d’aucune menace, et, sans plus nous inquiéter du délégué, nous fîmes le tour de la colonne, et, après avoir regagné le boulevard, nous allâmes vers la place de la Concorde. Là, quelqu’un émit l’avis de se rendre chez l’amiral Saisset, qui habitait rue Pauquet, quartier des Champs-Élysées. Un homme à la figure grave, à cheveux gris, fit observer que l’amiral Saisset était à Versailles.

«— Mais, ajouta-t-il, il y a parmi vous plusieurs amiraux.

«Il se nomma. C’était l’amiral De Chaillé. A partir de ce-moment, il se tint à la tête de la manifestation, qui traversa le pont de la Concorde et gagna le faubourg Saint-Germain.

«Toujours acclamée, toujours plus considérable, elle parcourut successivement les rues principales de ce quartier. Chaque fois qu’elle passait devant un poste, les gardes présentaient les armes.

«Place Saint-Sulpice, un bataillon se rangea pour nous laisser passer.

«Nous descendîmes ensuite le boulevard Saint-Miche et le boulevard de Strasbourg. Pendant ce trajet, un groupe assez nombreux se joignit à nous; il était précédé d’un drapeau tricolore sur lequel on lisait: «Vivf l’Assemblée nationale!» Désormais, les deux drapeaux flottèrent près l’un de l’autre en avant de la manifestation renforcée.

«Comme nous allions déboucher sur le boulevard Bonne-Nouvelle, un homme, vêtu d’une redingotte et coiffé d’un chapeau de feutre gris, se précipita sur moi qui portais l’étendard des «Amis de l’ordre.» Un nègre, vêtu de l’uniforme de la garde nationale et qui marchait à mon côté, me rendit le service de le repousser. Alors, l’homme au chapeau de feutre se retourna contre la personne qui portait l’autre étendard, saisit le drapeau, et, avec une force assez extraordinaire, il en cassa sur son genou la lance qui paraissait fort solide pourtant.

«De ceci, il résulta quelque tumulte. L’homme fut empoigné, emporté, enlevé. Je crains qu’il n’ait été maltraité trop gravement. Nous remontâmes les boulevards.

«A notre aspect, l’enthousiasme des promeneurs était vraiment excessif, et l’on peut dire sans exagération que nous étions environ trois ou quatre mille personnes quand nous fûmes de retour sur la place du Nouvel-Opéra où nous devions nous séparer.

«Un zouave grimpa à un arbre devant le Grand-Hôtel, et attacha notre drapeau à la branche la plus élevée.

«Il fut convenu qu’on se réunirait le lendemain, en uniforme, mais sans armes, à la même place.»

Ce récit diffère un peu de ceux qui ont été publiés dans les journaux; mais j’ai d’excellentes raisons pour le considérer comme absolument véridique.

Que produira cette manifestation? Les gens qui désirent: «l’ordre par la liberté et dans la liberté,» réussiront-ils à se réunir en assez grand nombre pour réduire à la raison, sans avoir recours à la force, les nombreux et puissants partisans de la future Commune? Quoi qu’il arrive, cette manifestation prouve que Paris n’entend pas qu’on dispose de lui sans son consentemnnt. Jointe à la tentative, auprès de l’Assemblée nationale, de nos députés, elle n’aura pas été inutile à la pacification prochaine. Il circule ce soir, dans les groupes moins amers, je ne sais quelles espérances heureuses de concorde et de calme.

Les 73 journées de la Commune (du 18 mars au 29 mai 1871)

Подняться наверх