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V.

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Paris ne fait rien. Il regarde les événements comme on regarde couler l’eau. D’où vient cette indifférence? La surprise, la disparition des chefs pouvait, hier, excuser son inaction. Mais une nuit s’est passée. Chaque homme a eu le temps d’interroger sa conscience et d’en recevoir une réponse. On a eu le temps de se reconnaître, de se concerter, on aurait eu le temps d’agir. Pourquoi n’a-t-on rien fait? pourquoi ne fait-on rien? Les généraux Clément Thomas et Lecomte ont été assassinés, cela est aussi incontestable qu’odieux. Paris tout entier veut-il partager avec les criminels la responsabilité du crime? Le gouvernement régulier a été chassé ; Paris consent-il à cette expulsion? Des hommes sans mandat, ou du moins munis d’un mandat insuffisant, ont usurpé le pouvoir. Paris s’abandonne-t-il lui-même au point de ne pas résister à cette usurpation? Non, certes; il exècre le crime, il n’approuve pas l’expulsion du gouvernement de la République, et il ne reconnaît pas aux membres du Comité central le droit de lui imposer leurs volontés. Pourquoi donc reste-t-il immobile et patient? Ne craint-il pas qu’on lui applique le proverbe: Qui ne dit mot consent? D’où vient que moi-même, au lieu d’écrire sur ces feuilles volantes mes impressions passagères, je ne prends pas un fusil pour punir les criminels, et résister au despotisme? Ah! c’est que la situation, nous le sentons tous, est singulièrement complexe. Le gouvernement qui s’est retiré à Versailles a commis de telles fautes, qu’il est difficile de se ranger de son parti sans arrière-pensée. La faiblesse, la maladresse qu’ont montrées pendant le siège la plupart de ceux qui le composent, leur opiniâtreté à demeurer sourds aux vœux légitimes de la capitale, nous ont mal disposés à défendre un état de choses qu’il nous était impossible d’approuver sans réserve. En somme, ces révolutionnaires inconnus, coupables à coup sûr, mais sincères peut-être, revendiquent pour Paris des droits que Paris presque tout entier est porté à réclamer. Il nous est impossible de ne pas reconnaître que les franchises municipales sont désirées et désormais nécessaires. Voilà pourquoi, bien qu’épouvantés par les excès qu’ont déjà commis et que commettront encore les dictateurs du 18 mars, bien que révoltés à la seule idée du sang qui a coulé et qui coulera encore, — voilà pourquoi nous demeurons sans prendre parti. Les torts anciens du gouvernement légitime de Versailles refroidissent notre zèle pour lui, et quelques idées justes formulées par le gouvernement illégitime de l’Hôtel de Ville diminuent notre horreur de ses crimes et notre appréhension de ses forfaits.

Puis — pourquoi ne pas oser le dire? — Paris, impressionnable, nerveux, romanesque, admire toutes les audaces, et n’a qu’une sympathie modérée pour les prudences. On peut sourire, comme je le faisais tout-à-l’heure, des proclamations emphatiques du Comité central, mais cela n’empêche pas de reconnaître que sa puissance est réelle, et que la façon farouche dont il l’a tout-à-coup révélée, ne manque pas d’un certain caractère de grandeur. On a pu remarquer avec malignité que plus d’un patriote, hier soir, sur les boulevards extétérieurs et aux environs de l’Hôtel de Ville, avait bu un peu plus que de raison en l’honneur de la République et de la Commune; mais cela n’a pas empêché d’éprouver une surprise voisine de l’admiration à la vue de ces bataillons accourus de plusieurs quartiers à un signal invisible, et, en définitive, prêts à se faire tuer pour défendre... quoi? des canons, mais des canons qui, à leurs yeux, étaient le symbole palpable de leurs droits et de leurs libertés. Pendant ce temps, l’Assemblée nationale légiférait à Versailles et le Gouvernement allait la rejoindre. Paris ne suit pas ceux qui fuient.

Les 73 journées de la Commune (du 18 mars au 29 mai 1871)

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