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XXI.

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«Citoyens, dit le Journal officiel de Paris, votre Commune est constituée.» Et, immédiatement, décrets sur décrets. Aimez-vous les affiches blanches? on en a mis partout. Car, que faire à l’Hôtel de Ville, à moins que l’on ne décrète?

La conscription est abolie. On ne verra plus, leurs numéros à leurs casquettes, s’en revenir par la ville ces pauvres jeunes gens ivres du patriotisme qu’ils avaient bu dans les débits de liqueurs. Plus de soldats! En revanche, nous serons tous gardes nationaux. Voilà un glorieux décret! comme dit Edgar Poë.

Autre décret: «La vente des objets engagés au Mont-de-Piété est suspendue.» Fort bien. «Mais moi, me dit un pauvre diable, moi qui espérais toucher un boni?» Que voulez-vous? On ne saurait contenter tout le monde.

Voyez plutôt les propriétaires: leur ivresse n’est que médiocre. Les locataires eux-mêmes paraissent moins satisfaits qu’ils ne devraient l’être. Ne pas payer son loyer! Chance admirable! Mais ils n’osent pas croire à leur bonheur. Tel, quand Orphée, essayant d’arracher Eurydice «au ténébreux empire,» interrompit par ses «accents harmonieux» les supplices des damnés, Prométhée ne montra pas autant de joie qu’il aurait dû en avoir en sentant que le bec du vautour ne lui déchiquetait plus la rate ni le foie; il se disait: «Ça ne durera pas.» Orphée, c’est la Commune; Eurydice, c’est la liberté ; le «ténébreux empire» c’est le gouvernement du 4 septembre; les «accents harmonieux,» ce sont les décrets de la Commune; Prométhée, c’est le locataire; et le vautour, c’est M. Vautour.

Sans ironie cependant, — car hélas! on essaye, ça et là, de sourire; — le décret qui fait remise aux locataires des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871, ne me paraît pas complètement absurde; et, de bonne foi, je ne vois guère ce que l’on pourrait objecter aux quelques lignes qui le précèdent: «Considérant que le travail, l’industrie et le commerce ont supporté toutes les charges de la guerre, qu’il est juste que la propriété fasse au pays sa part de sacrifices.....» Raisonnons un peu, monsieur et cher propriétaire. Vous avez une maison, une maison où j’habite. Il est vrai que les cheminées fument et que vous vous êtes énergiquement refusé à les faire ramoner. Mais enfin, cette maison dont les cheminées fument, vous la possédez et vous avez quelque droit à en tirer profit. Remarquez bien que je ne conteste pas votre droit. Moi, je ne possède pas le moindre immeuble, mais j’ai un outil, — plume, aiguille ou marteau — qui, en temps ordinaire, me fait vivre et me permet de payer, avec une régularité relative, mes termes. Si je n’avais pas eu cet outil, vous vous seriez bien gardé de me céder tout ou partie de votre maison, car vous m’auriez très-justement jugé dépourvu de toute possibilité de payer mon loyer. Or, pendant la guerre, à quoi m’a servi mon outil? à peu de chose, c’est incontestable. Il est resté parfaitement oisif dans l’encrier, ou dans la pelote, ou sur l’établi. Non-seulement je n’ai pas pu l’utiliser pour ma propre subsistance, mais j’ai perdu l’habitude de l’employer, et il me faudra plus d’une semaine pour me remettre au travail. Vous, pendant que je ne travaillais pas et que, par conséquent, je mangeais peu, que faisiez-vous? Oh! sans doute, vous n’étiez pas heureux comme vous l’avez été aux jours triomphants de l’Empire. Mais enfin, on n’a ramassé qu’un nombre assez peu considérable de propriétaires morts de faim au coin des bornes, et je ne crois pas que vous vous soyez fait remarquer par votre présence assidue dans les queues des cantines municipales. Je me suis même laissé raconter que plusieurs de vos confrères se sont tenus à l’écart de Paris assiégé par les Prussiens, et n’ont pas manqué de faire les souhaits les plus ardents pour le salut de la patrie, sous les ombrages de la Touraine, sur les jetées de la Normandie, ou dans les plaines de la Beauce, tandis que, moi, accompagné de vos vœux, je faisais les cent pas, par les nuits froides, dans la boue des fortifications. Mais je ne blâme pas les émigrés; chacun est libre d’agir à sa guise. Ce que je blâme, c’est que, maintenant, vous me disiez: «Pendant sept ou huit mois, vous n’avez pas travaillé, et vous avez été obligé d’engager vos matelas pour nourrir votre femme et vos enfants. Pauvre homme! je vous plains de tout mon cœur; faites-moi l’amitié de me payer trois termes.» Ah! non, mille fois non. Cette exigence est absurde, coupable, grotesque, et je déclare que s’il n’y avait pas de compromis possible entre la loi strictement exécutée et le décret de la Commune, je préférerais sans hésitation celui-ci à celle-là ; oui, je préférerais voir un peu de gêne, de misère si vous le voulez, remplacer momentanément la longue aisance d’un groupe, en somme peu nombreux, d’individus, que de voir vendre aux enchères, à vil prix, la dernière armoire et le dernier buffet vide de cinq cent mille meurt-de-faim.

Mais il doit y avoir un moyen de concilier les intérêts des locataires et des propriétaires. Accorder des délais aux premiers, forcer les seconds à attendre, cela suffira-t-il? Je ne crois pas. Me donneriez-vous trois ans pour acquitter trois termes, je ne demeurerais pas moins dans l’embarras. L’outil de l’artisan n’est pas comme le champ du paysan, qui rapporte davantage quand on l’a laissé quelque temps en jachère. Pendant les tristes mois qui viennent de s’écouler, pendant ces mois où je n’ai pas travaillé, j’ai dû, pour vivre, escompter mon travail futur, et c’est à un avenir déjà grevé par un long chômage, à un avenir pendant lequel je serai peut-être dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de chaque jour, que l’on rêverait de faire acquitter les dettes de mon passé ? Illusion pure. Vous vendrez mes meubles, si la loi vous y autorise, mais je ne payerai pas.

La seule solution possible, croyez-le, c’est la remise des termes échus. Mais cette remise ne doit pas avoir lieu d’une façon générale. Qu’on fasse des enquêtes; aux locataires placés par la guerre dans l’impossibilité de s’acquitter, donnez quittance sans condition. A ceux qui ont moins souffert des événements, accordez des remises proportionnées à leurs pertes. Mais ceux que l’invasion n’a ni ruinés ni gênés sérieusement, et ils sont nombreux: marchands de denrées, propriétaires de cafés, gens opulents... etc., etc..., ceux-là, faites-les payer sur-le-champ, sans miséricorde! Et en conséquence de cet arrangement, les propriétaires seraient moins lésés qu’on ne se l’imagine, car ce serait surtout des plus humbles locations qu’ils perdraient le profit. Le décret de la Commune repose sur un principe juste, et n’a que le tort d’être trop général.

Mais le nouveau gouvernement — car enfin c’est un gouvernement — ne se borne pas à décréter. Il s’installe, il se constitue. Il n’a pas organisé en quelques heures moins de dix commissions: commission exécutive, commission des finances, commission du travail, commission des relations extérieures, commission des services publics, commission de l’enseignement, commission des subsistances, commission militaire, commission de la justice, commission de sûreté générale. Ah! que de commissionnaires! Pourvu que les courses soient bien faites!

Les 73 journées de la Commune (du 18 mars au 29 mai 1871)

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