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PRÉFACE

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Ami lecteur — laissez-moi vous appeler ainsi. Un livre n’est-il pas une lettre écrite à tous les amis inconnus qu’on a sur la terre? — puisse cette appellation vous entraîner à un peu d’indulgence pour votre nouvel ami.

Vous me trouvez osé d’entreprendre cet ouvrage. Jamais autant que je le trouve moi-même. Que mon juge, quelque sévère qu’il soit, daigne m’entendre avant de me condamner.

J’avais un frère qui ne rêvait que porcelaine. Il passa sa vie à fouiller partout, à retourner tous les tessons pour y découvrir une marque nouvelle, à consulter tous ceux qui pouvaient lui fournir un renseignement sûr, si j’osais, je dirais, à chiner sans arrêt, ce terme de métier qui dépeint si bien son travail quotidien.

Il avait rassemblé un vrai trésor de documents plus précieux les uns que les autres, contrôlé aux sources autorisées, discuté enfin avec tous les oracles consacrés. L’implacable, la grande libératrice vint un jour nous l’enlever, avant même qu’il pût mettre son trésor en ordre. Son ami Chavagnac, qui voulut bien être aussi un peu le mien, s’était chargé de faire sortir du chaos ces notes attendues avec une impatience fébrile par tous les amateurs. Il allait y mettre la première main quand à son tour il dut nous quitter. Les deux grands maîtres de la porcelaine étaient disparus et leurs portes fermées à ceux qui jamais n’étaient venus y frapper en vain pour demander un renseignement ou éclaircir un doute. Si leurs arrêts ont été parfois discutés, je ne crois pas qu’ils aient jamais été sérieusement contestés par une des autorités reconnues en matière de céramique. Leur influence et leur science avaient été encore renforcées par les entretiens de chaque jour au fond des magasins ou par les discussions devant les vitrines des musées et des particuliers.

Dans ces conditions, avais-je le droit de laisser perdre ou même dormir ce trésor de notes, le résultat du travail de toute une vie, de priver le public des renseignements qu’il ne peut plus venir chercher?

Je me suis donc mis à l’œuvre en souvenir des absents, par devoir familial, dans l’intérêt de la science et pour répondre aux nombreuses demandes qui m’ont été faites. Tout en comprenant l’étendue et la difficulté de la tâche entreprise, m’inspirant de la devise de Guillaume d’Orange, confiant dans l’aide qui peut me venir d’en haut, je raidis mes vieilles épaules pour recevoir le poids un peu lourd qu’elles vont avoir à porter.

Jugez-moi maintenant si vous le voulez, condamnez-moi si vous l’osez.

Dans le volume de la Porcelaine française mes chers maîtres avaient adopté la formule nous, aussi juste que pratique dans ce duo si parfait. Aujourd’hui je ne puis dire je sans être honni, avec raison, par tous. Qu’il me soit donc permis de conserver la formule nous, qui pourrait paraître un peu prétentieuse de ma part, si je n’avouais humblement que je n’apporte au trio qu’un bien modeste appoint.

Moins heureux que mes prédécesseurs, je ne puis mettre comme eux la préface d’un académicien. Ce livre n’est qu’un ouvrage de recherches sans prétention de style et ne mérite certes pas un tel honneur. Ami lecteur, soyez donc indulgent pour ces quelques lignes qui n’ont que le mérite d’être courtes et sincères et pourraient s’intituler une confession en public, celle des premiers siècles, qui portait des fruits pour celui qui la faisait, comme pour ceux qui l’entendaient.

Loin de moi la prétention de charmer le lecteur. Je ne dois pas être lu, tout au plus consulté par l’amateur indécis dont il faut ménager le temps et la bourse avant tout.

CHARLES DE GROLLIER.

Manuel de l'amateur de porcelaines, manufactures européennes

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