Читать книгу Les confidences de Gribouille - Charles de Ribelle - Страница 5
II
ОглавлениеConfidences de Gribouille. — Comme quoi sa femme Margot l’a fait mettre au four pour le guérir d’un refroidissement, et comme quoi il en est sorti avec un rhume de cerveau et pas mal rissolé. — Comme quoi M. de La Palisse était son aïeul. —Histoire en chanson de ce personnage. — Comme quoi on veut vendre quatre lapins à Gribouille pour six francs, et comme quoi il préfère en choisir trois sur les quatre et les payer deux francs pièce.
IL y avait plusieurs jours que je n’avais vu le père Jean Gribouille, lorsqu’un matin je le rencontrai, la tête couverte d’un gros bonnet de laine, la figure toute changée, le nez rouge et enflé, les yeux larmoyants. — Ah! qu’est-ce que vous avez donc, père Gribouille? dis-je au fermier en l’abordant; est-ce que par hasard vous seriez malade?
— Malade! oui, ça doit être quelque chose comme ça, me dit le père Jean; ils disent que c’est le résultat de mon bain, comme si les bains étaient nuisibles. Ah! mais! ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit! Et le père Jean se mit à éternuer une vingtaine de fois sans pouvoir se retenir.
— Ah! petit! ah! dit-il, dès qu’il put s’exprimer, faut-il qu’un homme soit malheureux d’être forcé d’éternuer comme cela sans rime ni raison! Le médecin a beau dire; non, ce n’est pas parce qu’on se met à l’eau qu’on devient comme un saule pleureur. Ma grand mère avait raison de dire: «Qu’à la fièvre, à la goutte, les médecins n’y voyaient goutte. — Si tu as peur du mal, tu auras le mal de la peur.» Ils m’ont fait avaler toute sorte de drogues plus mauvaises les unes que les autres, en me disant que ce qui était amer à la bouche était doux au cœur; mais je commence à être de l’avis de mon grand-père, qui disait aussi «qu’on ne saurait faire boire un âne, s’il n’a soif.» Tous leurs remèdes ont tourné en eau de boudin, et je crois que dame Margot a plus raison encore que tous les autres; en me voyant morfondu, elle a dit: «Jean a froid.» Comme il vaut mieux suer que trembler, elle m’a fait mettre dans un sac à farine; on a chauffé le four, et j’ai été enfourné ni plus ni moins qu’une miche de pain. Ah! la la! m’en a-t-il poussé une sueur, quand je me suis senti rissoler à côté d’un petit cochon de lait, qui mijotait dans son jus; j’ai cru un moment qu’il allait sortir une fontaine de mon corps; pourtant, quand je me suis senti par trop bouillant, ma foi, je me suis mis à crier comme un aveugle qui a perdu son bâton. Margot avait beau dire: «Reste, mon homme, reste encore cinq minutes, la cure va être finie, faut que ça sorte,» j’en avais assez.
— Foin! ai-je dit, vous voulez ma perte, qu’on me défourne tout de suite, le remède est pire que le mal; faut pas non plus forcer les expériences. L’homme n’est pas une salamandre pour traverser une fournaise sans dommage. Vite, qu’on m’ôte de mon sac, car je sens que la petite mort me galope dans le dos.
— Encore une minute, me dit dame Margot, l’impatience est mauvaise conseillère. Faut savoir souffrir un brin pour se guérir de son mal. La maladie vient au galop, mais elle ne s’en retourne qu’au petit trot, et encore faut-il l’aider à faire sa retraite.
— Ah! jour de Dieu! Margot, ai-je dit, je voudrais te voir à ma place; tu veux ma mort. Mais, jamais ça ne s’est vu de mettre un chrétien au four pour le rendre en santé. Margot, vite, vite, dépêche; je sens la cuisson qui commence, encore une minute et je suis fricassé. Ah! la la!
— Ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit! Et le père Jean éternua plusieurs fois, et reprit:
— Pourtant Margot me fit retirer du four en disant toutefois: «C’est-il entêté les hommes, ça va se mettre à l’eau tout seul pendant des heures, et ça ne peut pas rester cinq minutes au feu.»
Il était temps! j’avais sué comme un morceau de bois vert. Et, ma foi, c’était fait de moi, si j’étais resté une seconde de plus; je trépassais, bien sûr. Et comme dit le proverbe: — Un chien en vie vaut mieux qu’un lion mort. — Ma foi, j’ai été très-heureux d’en être quitte pour avoir la peau du dos entamée; mais c’est un fameux remède tout de même.
— Avez-vous été guéri encore?
— Guéri! ma foi non, — et le père Jean se remit à éternuer, ah! xcit! ah! xcit;— mais pourtant ça commence à se calmer, je n’éternue plus que deux mille fois par jour. Margot dit que c’est un remède qui opère. Ah xcit! ah! xcit!
— Tiens petit, il fait beau, me dit le brave homme pendant un moment de répit; si tu veux, comme je ne peux pas travailler à quoi que ce soit avec mon infirmité, nous irons nous asseoir là-bas près du petit bois et nous causerons.
— Je le veux bien, dis-je, justement c’est aujourd’hui jeudi et j’ai toute ma journée à moi.
— Eh bien! tant mieux, dame Margot est au marché, la besogne ne presse pas, nous allons aller flâner un peu, ça nous reposera le sang; et puis, j’ai confiance en toi, garçon, et je ne serais pas fâché de jaser un peu, ça délie la langue, ça change le cours des idées, ça chasse la tristesse. Ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit!
Et le père Jean se remit à éternuer. Ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit!
— Est-ce que par hasard vous auriez du chagrin?
— Dame, petit, chacun a bien ses petites misères, et puis il ne faut pas croire qu’on a vécu jusqu’à soixante ans sans avoir reçu une foule de coups de pied dans les jambes et de désillusions dans le cœur; et puis, Margot n’est pas toujours douce comme une peau de taupe. Ah! la vie! la vie! ah! xcit! ah! xcit!
Et le père Jean se remit à éternuer de plus belle. Ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit!
— Ça opère, dit-il, dès qu’il put parler; peut-être bien que Margot a raison; pas moins vrai que l’épiderme me cuit joliment tout de même, c’est pis qu’un coup de soleil.
— Dites donc, père Jean, dis-je au brave homme, vous devez savoir bien des choses que les jeunes gens ignorent, vous?
— Ah, oui! ah! si jeunesse savait! et si vieillesse pouvait! Ah! xcit! ah! xcit! Franchement, ça opère, le remède de Margot, la peau du dos me dévore; enfin, Margot dit que ça se passera, faut bien le croire; et puis, si je ne la croyais pas, ça serait encore tout de même, quand je serais triste comme un bonnet de nuit, cela ne ferait rien à la chose; — un fond de chagrin n’a jamais servi à payer un sou de dette. Faut savoir prendre son parti en brave; faut pas se laisser abattre pour un peu de contrariété. La mère Michel m’a toujours recommandé de veiller sur ma santé. Elle n’avait que moi, la bonne femme; c’est-à-dire qu’elle avait aussi son chat, mais son chat elle le soignait elle-même, pendant que moi elle me recommandait de bien me soigner.....
Nous étions arrivés au penchant d’un coteau sur la lisière d’un petit bois ombreux d’où s’échappaient les senteurs les plus embaumées.
— Tiens, petit, me dit le père Jean, arrêtons-nous là, le lieu me paraît propice à une halte.
Comme tous les enfants, j’étais un peu curieux, indiscret même quelquefois, et je dis au père Jean: Dites donc, père Jean, pourquoi les paysans d’alentour disent-ils que vous êtes un malin de la Bouille?
— Ah, dame! petit, c’est que, vois-tu, l’on n’a pas vécu soixante ans sans avoir été forcé de se garer des voitures et des mauvais coucheurs; l’on a fait de son mieux pour échapper aux mailles du filet que beaucoup de méchants tendent sans cesse autour de ceux qui sont bons; j’ai agi du mieux de mon possible pour préserver le fils de ma mère: c’est pourquoi les jaloux, les envieux, en me voyant échapper à leurs embûches, m’ont toujours jalousé un brin, et chaque fois qu’un individu échappe à la méchanceté, ils disent: il est malin comme Gribouille.
— Ah! oui, dis-je, c’est vrai, et depuis quelques jours ils ajoutent: qui se jette à l’eau de peur de la pluie.
— Ah! ils savent déjà ça? Ils ne la connaissaient pas encore celle-là ; en voilà une méthode, hein! petit; qu’en dis-tu? Ah! xcit! ah! xcit!
— Dame j’aimerais autant supporter l’averse que de me jeter dans la rivière, et puis j’aimerais encore mieux me mettre à l’abri quand il pleut.
— A l’abri! beau mérite, ma foi; où serait l’invention si je n’avais jamais raisonné que comme toi? Ah! vraiment, est-ce qu’aujourd’hui j’aurais une réputation aussi colossale? Est-ce que j’aurais un jalon de planté dans le chemin de la postérité ? Est-ce que tout un chacun et toi tout le premier dirait du père Jean: — Malin de la Bouille, fin comme Gribouille. — Va, petit, — il faut apprendre à hurler avec les loups. Si Saint-Pierre-aux-Bœufs était la paroisse des grosses bêtes, faut pas croire pour ça que les petites étaient abandonnées du bon Dieu. Moi, j’ai de la patience, parce que je suis convaincu que — tout vient à point à qui sait attendre; — enfin, petit, je vois que tu voudrais connaître mon histoire. Eh bien, mon garçon, c’est facile ça. Aussi bien, il y a longtemps que je n’ai causé à cœur ouvert; la langue, comme toute chose, a besoin de fonctionner pour rester saine; c’est pourquoi, puisque l’occasion se présente, je m’en vais te faire mes confidences; tu n’abuseras pas, j’en suis sûr, des petits secrets que je vais te confier. Ah! xcit! ah! xcit!
— Ah! père Jean, dis-je, tout ce que vous me direz, c’est comme si ça tombait dans un puits.
— Alors, c’est dit, je m’en vais te faire mes confidences. Ah! xcit! ah! xcit! Diable de rhume de cerveau; c’est-il entêté ! quand ça vous tient, ça ne veux pas vous quitter. Ah! xcit! ah! xcit! ah! xcit!
Le temps était superbe, la journée s’annonçait devoir être magnifique, le soleil laissait ruisseler ses rayons dorés sur la belle nature. Les champs, couverts de tous côtés de riches récoltes, offraient le coup d’œil le plus gracieux qu’il soit possible d’imaginer; l’alouette chantait dans le ciel bleu pendant que la caille répétait son cri d’appel au milieu des luzernes roses; derrière nous, les bois étaient verts et remplis de senteurs. Aussi tout portait-il au plaisir d’admirer la luxuriante campagne qui se déroulait devant nous.
— Asseyons-nous, petit, me dit Jean Gribouille, qui, pour me donner l’exemple, s’en fut chercher une pierre sur laquelle il s’assit, ayant soin de se poser sur la partie la plus étroite et la plus pointue.
— Comment? dis-je, vous allez vous asseoir sur cette pierre, tandis que nous avons un si beau gazon de mousse pour nous mettre à notre aise.
— Tu ne comprends rien à l’économie, petit, me dit Jean Gribouille. Si je m’asseyais sur le gazon, comme tu le dis, toute la partie postérieure de mon vêtement poserait sur la terre et pourrait se salir.
— Je comprends, dis-je; mais, en attendant, vous allez être au supplice.
— Au contraire, petit, l’idée que je ménage l’étoffe de mon habillement me réjouira. Ah! xcit! ah! xcit!
Je n’eus rien à répliquer, je m’étendis sur le gazon et Jean Gribouille s’assit sur sa pierre.
Le père Jean eut un nouvel accès de ses ah! xcit! ah! xcit! mais dès qu’il put respirer il me dit: Tiens, petit, veux-tu que je te dise? eh bien, franchement, je ne serais pas fâché que tu fusses sourd et muet, parce qu’alors je ne verrais aucun inconvénient à te faire mes confidences.
— Pourtant, dis-je, si j’étais sourd, je ne vous entendrais pas, et si j’étais muet je ne pourrais pas vous répondre.
— Ce que tu dis là paraît assez judicieux au premier abord; mais, si je cherchais bien, je crois que je finirais par trouver que j’ai raison. Pourtant, comme j’ai la plus grande confiance en toi, je vais te faire mes confidences comme si tu étais une truite ou un goujon: donc je commence, malgré que j’aie toujours eu pour principe de me taire, certain que souvent—un coup de langue est pire qu’un coup de lance; mais aussi — qu’un bon avis en vaut deux. Tu es bien petit, il est vrai, mais dans les petites boîtes les bons onguents. On ne dit pas: malin comme Gribouille pour rien, — bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. — J’ai encore bon pied, bon œil, et s’il en était besoin, on montrerait que l’on a encore plus d’un tour dans son sac; et puis, — bon chien chasse de race. — Tout à l’heure, je te dirai l’histoire de mes parents; tu verras; de tout temps, les Gribouille, de père en fils, ont eu une forte tête, et elle est nombreuse, la famille des Gribouille, tu verras: rappelle-toi bien que si—un clou chasse l’autre, une bonne idée n’est jamais seule. — Les petits ruisseaux font les grandes rivières; — qui langue a, à Rome va, — sans compter que — tout chien qui aboie ne mord point; enfin, petit, en deux mots comme en cent: — Il vaut mieux tuer le diable que le diable ne nous tue, et encore, — on ne peigne point un diable qui n’a point de cheveux, — et, dans tous les cas, — il vaut mieux changer un œuf contre un bœuf que de se laisser chercher des insectes par la paille.
Mais, pour te commencer mes confidences par le commencement, sache, mon cher, que M. de La Palisse était mon grand-père; tu sais, le fameux M. de La Palisse qui a laissé de si brillants souvenirs, dont on a fait la fameuse chanson: