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LA DÉBAUCHE A PARIS
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DIX-HUITIÈME SIÈCLE: D'ARGENSON ET LA FEMME BAUDOUIN (12 NOVEMBRE 1703). – MESURES PRISES POUR L'ARRESTATION DES FILLES. – PRISONS D'ÉTAT. – STATISTIQUE FAITE DES RELIGIEUX SURPRIS CHEZ DES FILLES.

Le 12 novembre 1703, d'Argenson demande au ministre (qui la lui refuse) l'autorisation de faire enfermer au Refuge une jeune femme, âgée de seize ans, dont le mari se nomme Baudouin; elle publie hautement qu'elle n'aimera jamais son mari, qu'il n'y a pas de loy qui l'ordonne, et que chacun est libre de disposer de son cœur et de son corps, comme il luy plait, mais que c'est une espèce de crime de donner l'un sans l'autre.

Suivant ces principes, elle va coucher chez sa mère, où elle trouve, dit-on, un ami, tantôt chez un autre amant.

Quoique depuis plusieurs années habitué aux discours impudents et ridicules, je n'ai pu m'empêcher d'être surpris des raisonnements dont cette femme appuie son système, regardant le mariage, comme un essai, ajoutant qu'il n'y a rien de fait, quand l'inclination ne s'accorde pas avec le contrat. (George Sand, Indiana, – Alexandre Dumas, Antony, – A. Dumas fils, la Question du Divorce; le R. P. Didon.)

Sur la plainte de madame veuve de Fresquesne, dont le mari était mort président à mortier, au Parlement de Rouen, d'Argenson propose de renfermer à l'Hôpital général la fille Bressaux, qui avait fait dépenser au fils de Fresquesne, lequel voulait l'épouser, plus de vingt mille livres. (Bibl. nat., Fr. 8125.)

En vertu de commission du Roi, de lettres de cachet ou de mandats du lieutenant de police, l'inspecteur délégué opérait, de nuit, l'enlèvement des contrevenantes, dont l'arrestation était opérée par des exempts, accompagnés de fiacres escortés par des soldats de la maréchaussée. Je possède un précieux tableau du temps, attribué au peintre Jaurat, représentant l'audience du lieutenant de police, devant lequel étaient traduites les filles, déposées d'abord à la prison50 Saint-Martin, puis au Châtelet.

A cette audience publique sur le vu du procès-verbal, le procureur du Roi ouï, le lieutenant de police condamnait, depuis un jusqu'à six mois d'hôpital ou bien renvoyait les inculpés.

Ces femmes étaient amenées dans une voiture fermée, au bas de l'escalier du Châtelet, et de là menées dans le prétoire, encombré de seigneurs, placés derrière la cour, de public mêlé et d'étrangers.

Pendant le trajet de Saint-Martin au Châtelet, et, dès leur entrée dans la salle d'audience, malgré la majesté du lieu et la présence des gardes armés et des sergents à verge, ces filles criaient, menaçaient, provoquaient les spectateurs, les témoins.

Quelques-unes riaient, pleuraient tour à tour, se déchiraient les robes; d'autres se découvraient avec indécence, bravant, par leur attitude, leurs propos, les magistrats qui allaient prononcer la sentence, devant d'autres filles perdues, des badauds et des libertins d'elles connus.

Outre les filles ainsi enlevées, il en était d'autres que l'on ne pouvait arrêter qu'en vertu d'ordre du Roi, parce qu'elles étaient domiciliées et dans leurs meubles.

Celles-là n'étaient pas menées à l'audience, mais directement conduites dans les prisons d'État, désignées sur la lettre de cachet.

Ces prisons étaient: le château de Saumur, Pierre-Encise, le mont Saint-Michel, le château Trompette, Ham, les îles Sainte-Marguerite, Angers, Nancy, Rouen, Toul, Amboise, Armentières, le fort Brehon, Bicêtre, Saint-Lazare, la Bastille, Lille, Romans, Cadillac, Pontorson, Poitiers, Château-Thierry.

Les femmes avaient pour prison, et souvent pour tombeau: le Refuge, à Dijon; les Annonciades, à Clermont; la Madeleine, à la Flèche; Notre-Dame de Guingamp, les Ursulines de Chinon, les Hospitalières de Gomont, Sainte-Pélagie à Paris et le château de Valdonne.

En février 1714, dans une assemblée tenue chez M. le premier Président, il est arrêté que les femmes vagabondes, qui ne sont de Paris, seront assignées et contraintes à vider la ville. Celles de Paris51, sans domicile, en cas qu'elles désavouent et qu'elles soient réclamées, devront élire domicile dans le lieu de leur résidence actuelle, avec défense d'en changer sans avoir prévenu le commissaire de police du quartier.

Le 3 décembre 1729, sentence de M. Hérault, lieutenant général de police, condamnant52 Scipion Toussaint à être attaché au carcan, dans la place du Palais-Royal, vis-à-vis de l'Opéra, pendant trois jours de spectacles consécutifs, ayant écriteaux, devant et derrière, portant ces mots: Domestique violent envers les gardes de l'Opéra, et en neuf années de bannissement. (Bibl. Nat., département des manuscrits, collection Delamare. Fr. 21625.)

Sur une médaille en bronze, possédée par l'érudit baron O. de Wateville, on lit cette inscription aux armes de la ville de Rouen: Proxénète juré. Cette pièce devait se porter au col de son propriétaire.

Dans un tableau de la débauche, à Paris, relevé au dix-huitième siècle, les religieux des différents ordres sont inscrits, dans l'ordre suivant53: Cordeliers 12, Bernardins 5, Carmes 3, Dominicains 5, Capucins 3, Récollets 2, Picpus 1, Minimes 1, Feuillants 1, Augustins 7, Mathurins 2, Religieux de la Mercy 1, Prémontrés 3, Pénitents de Nazareth 1, Théatins 2, Bénédictins 2, Clunistes 1, Célestins 2, Religieux de la Charité 2, Oratoriens 4, Jésuites 1, Chanoines de Sainte-Geneviève 8 (Trésor judiciaire de la France. Curiosités des anciennes justices, p. 204, Plon, éditeur). Les rapports de police étaient, pour distraire les favorites, communiqués à la

Pompadour et à la Dubarry (Déclaration royale de juillet 1713; Ord. des 6 novembre 1778, 8 novembre 1780.)

En 1739, de grands criminels, condamnés pour meurtres et vols, prièrent la justice de ne pas les faire exécuter en même temps que d'autres, reconnus coupables de crimes contre nature, faveur qui leur fut accordée.

Dans cette même année, à Harlem, en Hollande, les noms des condamnés pour sodomie54, furent publiquement affichés et, sur le vu de l'arrêt, leurs femmes devinrent libres de se remarier, de reprendre leurs noms de famille, leurs armoiries et livrées personnelles.

Une déclaration du roy Louis XVI55, donnée à Marly, le 26 juillet 1713, règle les formalités, qui doivent être observées pour la correction des femmes et filles de mauvaise vie. Le 8 décembre 1713, le Parlement de Paris, sur la requête du

Procureur général du roy, ordonne que la Grand-Chambre connaîtra des appellations, interjetées par les filles et femmes, prévenues de débauche publique et de vie scandaleuse, tant en vertu de sentence du lieutenant général de police que par suite d'information, suivies de décrets, prescrivant, même par provision, que les inculpées seront conduites à l'Hôpital général, ce qui ne pourra être exécuté que si, par la cour, il a été ordonné.

Dès 1755, monseigneur56 l'archevêque de Paris voulant refréner le libertinage des ecclésiastiques, s'était adressé à M. le lieutenant au Châtelet de Paris. Il fut entendu qu'on serait averti, dès qu'un prêtre, moine ou individu portant l'habit, entrerait chez une fille, le procès-verbal, transmis en minute au magistrat, serait communiqué, en double copie, au roi et au prélat. Plusieurs de ces procès-verbaux furent publiés et conservés en 1789.

Pour étudier le prix de la débauche, ses trafics et marchés, au dix-huitième siècle, il faut lire les rapports de police sur les jeunes seigneurs, les riches étrangers, entretenant les actrices en renom, les filles à la mode ou même entretenus, par elles.

On les nommait alors greluchons, aujourd'hui on dit souteneurs. (Bibl. Nat., manuscrits Fr. 1357-1360).

André de Clermet, chanoine de Beauvais, est trouvé, le 29 avril 1755, rue des Vieilles-Étuves-Saint-Honoré, dans la chambre de la Montpellier, femme du monde.

Jean Jolibert, prêtre de la cure de Bicêtre, quarante-deux ans, est surpris, chez la Donde, femme du monde, avec Marie Dupont, vingt-deux ans, native de Reims.

Chez Aubry, marchand de vins, rue Froidmanteau, le R. P. Gérard (Jean-Baptiste) de l'ordre de Saint-François, est surpris avec les filles de débauche Moulinard et Voitoux, âgées de seize ans.

Un inspecteur de police était à Paris, chargé du service général des prostituées, il disposait arbitrairement, à son gré, des personnes, de la liberté de ces femmes, placées hors la loi, et dont il étendait le cercle maudit à d'autres, qui ne l'avaient pas encore franchi. Sur toutes, il prélevait, à son profit, des impôts, des redevances variables dont elles se rachetaient par des présents en argent ou en nature, comme si l'ordonnance du 23 octobre 1425 n'eût pas déjà expressément défendu au prévôt de Paris d'appliquer à son profit les ceintures, joyaux, habits, vestemens ou paremens défendus aux fillettes et femmes amoureuses et dissolues. (Châtelet de Paris.)

Les religieux surpris en débauche, signent les procès-verbaux suivants: Honoré Regnard, cinquante-trois ans, chanoine de l'ordre de Saint-Augustin, procureur de la maison de Sainte-Catherine, reconnaît que, le 26 octobre 1755, il a été trouvé, par le sieur Morer, chez la Saint-Louis, rue des Figuiers, chez laquelle il est venu de son gré, pour s'amuser avec la Félix, qu'il a fait déshabiller, qu'il a touchée avec la main, enveloppée dans le bout de son manteau, en jouant avec la Julie et la Félix, sa compagne, lesquelles lui ont ôté ses vêtements religieux. Elles m'ont, ajoute-t-il, mis en femme, avec des mouches et du rouge, l'inspecteur a surpris les groupes, en cet état, le religieux avoue que, depuis plusieurs années, il avait telle fantaisie, qu'il n'avait pu satisfaire plus tôt. Le curé Champion, du diocèse de Soissons, logé au Palais-Royal, chez son oncle, M. Petit, médecin de monseigneur le duc d'Orléans, est trouvé57 le 10 avril 1755 à huit heures du soir chez la Mitronne, fille du monde, avec Marie-Louise Blage, âgée de dix-neuf ans.

50

Aujourd'hui, depuis le remplacement de M. A. Gigot, une commission composée du Préfet ou de son délégué, de M. le chef du bureau des mœurs et du commissaire délégué, statue sur ces détentions.

51

Pièce justificative XXIX.

52

Delamare, Bibliot. nation. Ve carton, Fr. 2165, manuscrits.

53

Tableau historique des ruses, subtilités des femmes où sont représentées leurs mœurs, humeurs, tyrannies, cruautés, le tout confirmé par histoires, arrivées en France de nostre temps, par L. S. R. (Rollet-Boutonné, 1623, in-8º. —La police de Paris, dévoilée par Manuel. —La police de Paris sous Louis XIV, par Pierre Clément (de l'Institut).

54

Ambroise Tardieu, Attentats aux mœurs. – Lecour, de la Prostitution. —Cahier et doléances d'un ami des mœurs, requête présentée à Bailly (Sylvain), maire de Paris, par Florentine de Launay, contre les marchandes de modes et autres grisettes, commerçant sur le pavé de Paris. 1790, in-8º.

55

Histoire de la médecine légale, d'après les arrêts criminels, page 123 et suiv. Charpentier éditeur, 1880. —Éclaircissements sur le roy des ribauds, par Longuemare. Paris, 1718, in-12.

56

Le Châtelet de Paris.

57

Cette mise en scène se reproduit de nos jours dans toutes les affaires suivies contre des pédérastes en chambre. Voir Lecour, De la prostitution à Paris et à Londres. – Tardieu, Attentats aux mœurs. – Du Camp, Paris et ses organes. – Docteur Martineau, médecin de l'Ourcine. Déformations observées chez les prostituées.

Le crime et la débauche à Paris

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