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II

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16 août.

Mon anniversaire! j'ai quarante-six ans aujourd'hui.

Tout à l'heure, j'ai passé ma revue de détail, face à face avec mon plus large miroir. Il me semblait que ça devait terriblement se voir, cette année de plus qui vient de sonner à mon cadran. Eh bien! non, ça ne se voit pas trop.

Mes cheveux grisonnent, c'est vrai,—et encore, pas tant que d'autres. Mais surtout, ils bouclent assez abondamment pour faire envie à bien des capitaines, voire à des sous-lieutenants. Par ailleurs, sans corset, j'ai soixante-quatre de tour de taille, et, quoique je sois petit, j'ai l'air d'être grand, à force de me tenir comme un piquet. Et puis, parmi pas mal de coquetteries, j'ai celle de raser toute barbe et toute moustache, et de m'en aller, à travers mon siècle, glabre comme un portrait du temps de ma tante grand.—On s'appelle Sévigné, que diable! on ne peut pas ressembler au premier Ramollot venu!—Bref, ces joues rasées sont encore assez fraîches, et, parole d'honneur, on me prendrait plutôt pour un blondin que pour un menton bleu.

Quarante-six ans, tout de même! Un blondin de quarante-six ans. Voilà de quoi rire. Hélas, je me cramponne à ma jeunesse qui s'en va, et cela ne laisse pas d'être convenablement ridicule. Ceux qui liront un jour ces mémoires que j'entasse, cahier sur cahier, dans le propre secrétaire qui hébergea les lettres de feu madame de Grignan, auront de quoi se moquer du vieux beau que je suis. Pourtant, ma tristesse de vieillir est un peu plus noble, ce me semble, que les banales désolations des bourgeois qui regrettent Margot, et ses jupes faciles à trousser. Je regrette, moi, d'avoir usé en vain, sans grandeur ni beauté, la bête de race que j'étais, que je suis encore pour deux ou trois printemps à peine! et d'user pareillement, sans que l'histoire en garde vestige, l'esprit passablement net et fier qui habite en cette bête-là....

C'est la faute du XXe siècle. J'étais fait pour des temps plus accidentés. Bien la peine, quand j'étais gosse, de me farcir la cervelle de belles fadaises héroïques, comme mes parents n'ont eu garde d'y manquer! A douze ans, j'avais pour camarades de récréations les héros de Plutarque et le Bussy d'Amboise de Dumas père. Depuis, quoi? j'ai été hussard et je suis colonel. Mais je n'ai pas seulement vu le feu, et mes vingt-cinq ans de harnais se sont partagés entre les quartiers de garnisons et les salons d'ambassades. En guise de champs de bataille, ma mauvaise étoile m'a offert des carrousels; en guise de charges à commander, des cotillons à conduire. Trocs déplorables. Et quand je m'aperçois, comme aujourd'hui, que mes cheveux ont blanchi à force de carrousels et de cotillons, au lieu de blanchir à force de charges et de batailles, pouah! le cœur m'en monte à la bouche.


L'homme qui assassina: Roman

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