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IV

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—Monsieur Felze,—avait proposé le commandant Herbert Fergan, au moment où le peintre, sa première séance achevée, prenait congé des Yorisaka,—vous rentrez sans doute à bord du yacht américain? Je vais de ce côté. S'il vous plaît que nous fassions route de conserve...

Et ils étaient sortis ensemble. Maintenant, ils s'en allaient à pied, côte à côte.

La route serpentait à flanc de coteau. Devant eux, au bas de la pente, les maisons campagnardes du faubourg groupaient leurs toits couleur de feuilles mortes. A main gauche, les jardins d'O-Souwa cachaient le grand temple sous la verdure profonde de leurs sapins et de leurs cèdres, sous la neige mauve et rose de leurs pêchers et de leurs cerisiers en robes de printemps, tandis qu'à main droite, au delà du fiord bleu moiré par la brise, au delà des montagnes touffues de l'autre rivage, le soleil couchant, rouge comme il rayonne sur les étendards de l'Empire, descendait à pas lents vers l'horizon occidental.

—Il nous faut marcher un peu,—avait dit Fergan,—car nous ne trouverons point de kouroumas avant d'être arrivés aux rues qui mènent vers l'escalier du temple.


Jean-François Felze accepta la pipe que lui présentait un des jeunes garçons agenouillés.

—Tant mieux!—avait répliqué Felze.—Il fait bon marcher par ce beau soir d'avril...

Une odeur de géranium flottait sur le chemin.

—Eh bien?—questionna tout à coup l'officier anglais.—Vous avez vu le ménage d'un marquis japonais et de sa femme... Spectacle assez rare pour les yeux d'un baka tôdjin, d'une brute d'étranger, comme tous deux nous sommes!... Assez rare, oui, et assez curieux aussi! Quelle est votre impression, monsieur Felze?

Felze sourit:

—Mon impression est excellente!... Le marquis japonais est un homme des plus courtois, même à l'égard des baka tôdjin, si j'en juge par ses propos d'aujourd'hui; et sa femme est une jolie femme...

Une satisfaction brilla dans les yeux de l'Anglais:

—Oui, n'est-ce pas?... Elle est tout à fait une jolie femme ... tellement mieux, en vérité, que les trois quarts de ses compatriotes!... Et si jeune, si fraîche! On ne se rend pas compte, à cause de cette peinture rose et blanche qui est exigée par la mode: il faut avoir la couleur des femmes d'Europe!... Et c'est dommage, parce que, dessous, la peau n'est pas plus jaune qu'un ivoire neuf, et vous n'imaginez pas de satin aussi doux. Elle a vingt-quatre ans à peine, la marquise Yorisaka!

—Vous la connaissez à merveille,—observa Felze, un peu railleur.

—Oui!... C'est-à-dire ... je connais assez intimement le marquis...

La face rasée avait rougi.

—... Assez intimement... Nous avons fait campagne ensemble. Car vous savez, sans doute? ma mission dans ce pays m'oblige à suivre la guerre, et je suis embarqué en spectateur sur le même cuirassé que le marquis Yorisaka...

—Ah bah!—fit Jean-François Felze, étonné.—Sur un cuirassé japonais? Le gouvernement du Mikado autorise?...

—Oh! à titre réellement exceptionnel. Je suis envoyé par notre roi, en mission spéciale et officieuse ... car ce n'est même pas officiel... L'Angleterre et le Japon sont alliés, et l'alliance autorise beaucoup de choses... Je suis enchanté, d'ailleurs: vous concevez qu'il n'y a rien de plus intéressant que cette guerre. J'étais devant Port-Arthur, le 10 août, et j'ai assisté à toute la bataille, précisément dans la tourelle du marquis. C'est pourquoi, comme je vous disais, nous sommes à présent intimes ... compagnons d'armes, frères ... les deux doigts de la main!... vous comprenez?

Il riait maintenant sur un ton malicieux et cordial. Il continua, sur un ton de confidence:

—Même, ce fin renard d'Yorisaka ... car il est juste le contraire d'un imbécile, Yorisaka Sadao! Oui, ce fin renard d'Yorisaka voulait me faire bavarder. Les Japonais, sur mer, valent sûrement mieux que les Russes. Mais ce n'est pas encore la perfection. Et ils auraient à apprendre en fréquentant une marine telle que la nôtre. Notre excellent ami voulait donc apprendre, en fréquentant votre serviteur... Il n'a pas appris. Du moins pas grand'chose. Vous vous rappelez votre proverbe français? A Normand Normand et demi. Eh bien! un Japonais vaut un Normand. Mais j'ai joué le Normand et demi. Il le fallait: correctement, je ne puis que rester neutre; nous sommes en paix avec la Russie... Ah! voici des kouroumas!

Deux coureurs arrivaient traînant au pas leurs voiturettes vides. A la vue des Européens, ils se précipitèrent.

—Au quai de la Douane, n'est-ce pas, monsieur Felze?—demandait le commandant Fergan.

—Non!—dit le peintre.—Non!... je ne rentre pas à bord de l'Yseult, c'est-à-dire pas tout de suite. J'ai dessein de dîner seul, ce soir, à la japonaise, dans une auberge...

L'Anglais leva un doigt:

—Oh! oh! monsieur Felze! une auberge et un dîner à la japonaise! On peut trouver tout cela du côté du Yoshivara, vous savez!

Jean-François Felze sourit, et montra ses cheveux gris:

—Vous n'avez donc regardé cette neige-là, cher monsieur?

—Quelle neige? Vous êtes un jeune homme, monsieur Felze! Pour vous donner vos quarante ans, il faut se rappeler votre gloire!

—Mes quarante ans! Ils sont cinquante, hélas! Et je n'avoue pas le surplus...

—Ne l'avouez pas, je vous ferais l'injure de n'en rien croire! Mais décidément, vous n'allez pas au port. Je vous quitte donc. Auparavant, puis-je vous être utile? Voulez-vous que je traduise vos ordres au kouroumaya?

—Bien volontiers! Vous êtes mille fois aimable. Je voudrais donc dîner comme je vous ai dit, d'abord, et ensuite...

—Ensuite?

—Ensuite, être conduit dans un quartier qui s'appelle Diou Djen Dji.

—All right!...

Quelques phrases japonaises suivirent, ponctuées par les «Hé!» approbatifs du coureur.

—Voilà qui est fait. Votre homme ne se trompera pas, soyez tranquille. Vous dînerez dans une tchaya de la rue Manzaï machi... Et de là vous serez conduit à votre quartier de Diou Djen Dji, qui perche à mi-hauteur de la colline des grands cimetières... Et que vous disais-je? Il faut traverser un bout de Yoshivara pour parvenir là-haut. En pays japonais, on n'y échappe pas, monsieur Felze. Au revoir, et que les jolies oïran, derrière leur grillage de bambou, vous soient plaisantes!...

La Bataille

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