Читать книгу La Bataille - Claude Farrère - Страница 9

V

Оглавление

Table des matières

L'escalier, usé, moussu, branlant, grimpait tout droit au flanc de la colline, entre deux petits murs japonais, interrompus çà et là par des maisonnettes de bois, toutes obscures et silencieuses. Et le quartier endormi, avec ses jardinets déserts et ses chaumières muettes, semblait une avant-garde de l'immense ville des morts, du cimetière touffu et confus dont les tombes innombrables descendent en rangs serrés de tous les sommets d'alentour, et cernent, et pressent, et assiègent la ville, moins vaste, des vivants.

Jean-François Felze, au sommet de l'escalier, s'orienta.

Il avait laissé son kourouma au bas des marches: nulle voie carrossable n'accède à Diou Djen Dji. Et maintenant, seul parmi les sentiers de la montagne, il hésitait sur le bon chemin.

—Trois lanternes,—murmura-t-il,—trois lanternes violettes à la porte d'une maison basse...

Rien de semblable n'était visible. Mais un raidillon prolongeait l'escalier et zigzaguait l'ombre vers une sorte de plateau, d'où la vue devait plonger à l'aise dans toutes les venelles: Felze se résigna à gravir le raidillon.

La nuit était limpide mais obscure. Un croissant de lune rougeâtre venait de disparaître derrière les montagnes de l'ouest. Au loin, le gong d'un temple battait faiblement.

—Trois lanternes violettes,—répéta Jean-François Felze.

Il s'arrêta pour faire sonner sa montre. Le dîner n'avait pas été bien long, dans la tchaya de Manzaï machi. Mais Felze n'avait pas résisté ensuite au plaisir d'une longue flânerie dans Nagasaki illuminé, scintillant, bourdonnant, festoyant parmi la cohue des piétons baguenaudeurs, des mousmés babillardes, et des kouroumas galopant à la queue leu leu. Et maintenant, il était tard: la montre tinta dix coups.

—Diable!—murmura Felze.—L'heure est avancée pour une visite de cérémonie...

Il regardait le faubourg éparpillé sous ses pieds, et, plus bas que le faubourg, la ville tassée au bord du golfe. Tout à coup, il s'exclama: les trois lanternes violettes étaient là, tout près, juste au pied de ce raidillon qu'il venait d'escalader, non sans peine. Elles émergeaient à l'instant même d'un bouquet d'arbres qui les avait d'abord cachées.

Felze redescendit le raidillon et contourna le bouquet d'arbres. La maison basse se profila sur le ciel étoilé. Elle était purement japonaise et de vulgaire bois brun, sans ornement. Mais, sous le porche, une poutre rapportée faisait fronton, et ce fronton, sculpté, creusé, découpé, fouillé à jour et doré comme un lambris de pagode, contrastait violemment avec la simplicité absolue des charpentes nipponnes où il s'encastrait. Les trois lanternes aussi, les trois lanternes violettes, juraient d'étrange manière, au milieu de la façade nette et nue qu'elles éclairaient: c'étaient trois monstrueux masques de papier huilé, trois masques dont le ricanement épouvantait comme la grimace d'un squelette et dont la couleur semblait d'une chair en décomposition.

Jean-François Felze considéra les trois lanternes cadavériques, et le fronton, pareil à un lingot ciselé. Puis il frappa, et la porte s'ouvrit.

La Bataille

Подняться наверх