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IV

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Table des matières

CE QUE LES ARBRES ENTENDIRENT


VERS l’heure où Micheline s’entretenait avec Hervé, dans des circonstances tellement décisives pour leur amour, un autre tête-à-tête, d’une nature bien différente, avait lieu non loin du leur.

M. de Plesguen—l’oncle Marc, ainsi que l’appelait Mlle de Valcor,—avait accueilli avec une certaine surprise la prière que lui adressa Françoise d’écouter très sérieusement ce que José Escaldas aurait à lui dire.

—«Je n’aime pas beaucoup, fillette, les confidences d’Escaldas. Mais, s’il désire me parler, pourquoi ne pas me le demander lui-même, sans te prendre comme intermédiaire?

—Mais, père, j’imagine qu’il vous croit son ennemi.

—Ce serait lui faire beaucoup d’honneur,» repartit le vieux gentilhomme.

Ce Marc de Plesguen, grand, sec, au visage maigre, avec des traits accentués et une moustache grise, l’air de l’officier qu’il avait été, en effet, jusqu’à ce que la mort de sa femme et le désir de se consacrer à sa fille, avec un certain dégoût de la vie militaire moderne, lui eussent fait donner sa démission, offrait le type classique de l’aristocrate, sans morgue, mais d’une hauteur aisée, et, quand il voulait, de la plus impertinente politesse.

—«Papa,» insista Françoise, «je vous prie d’aller retrouver José Escaldas, que je viens de rencontrer, et qui m’a prévenue qu’il vous attendrait au Chêne-Blanc. Écoutez-le. Ne le traitez pas avec votre désinvolture ordinaire. Je ne sais pourquoi, mais je me figure que c’est un individu très fort. Il y aurait peut-être profit à connaître ses idées.

—Profit!...» répéta le père avec une souriante réprobation. «Quel vilain mot dans ta jolie bouche!

—Mais quelle chose opportune, par le temps qui court!

—Tu m’en veux de ne pas avoir su t’enrichir, Françoise?

—Je vous en voudrais si vous en manquiez l’occasion.»

Elle riait. Mais Françoise de Plesguen riait toujours. Frimousse pétillante, avec une longue taille sur des jambes un peu courtes, on la rêvait en paniers, avec un œil de poudre sur ses cheveux blonds, et quelques mouches au bord de ses fossettes.

Son père soupira tout bas, car il savait que le rire de sa Françoise manquait parfois d’insouciance. Mais il ne discernait pas toujours à quel moment.

—«Et si c’est un secret pour l’exploitation du caoutchouc, que ton Bolivien veut me vendre au détriment de notre cousin,» plaisanta-t-il, «m’approuverais-tu de faire concurrence au roi de la Valcorie, et de partir, comme planteur, pour le Haut-Amazone?»

Elle secoua sa fine tête.

—«Oh! non ... Toutes les Valcories du monde ne m’empêcheraient pas de jalouser Valcor tout court, ce domaine héréditaire où nous sommes, un des plus beaux de France. Comment s’occuper d’autre chose quand on le possède? A la place de notre cousin, je trouverais que c’est l’amoindrir, y ajouter les millions d’une industrie exotique.»

Comme elle tenait de son père, au fond! La fierté de race, l’orgueil de la terre qui donne le titre: voilà ce qu’elle enviait, cette petite bergère de Watteau.

—«Ce n’est pas monsieur José Escaldas qui t’empêchera d’être la fille d’un cadet, ma jolie ambitieuse,» dit Marc avec un peu d’amertume.

—«Qui sait?

—Enfin, je vais le retrouver. L’heure est chaude pour marcher jusqu’au Chêne-Blanc.»

M. de Plesguen sonna pour se faire donner son plus large chapeau de paille et sa vaste ombrelle grise doublée de vert. Il quitta le château, traversa les jardins à la française, puis par une avenue baignée d’ombre, sous les arceaux des ramures épaisses, il se dirigea vers le Chêne-Blanc.

Le carrefour prenait son nom d’un arbre splendide. Plus droit qu’un hêtre, avec le même ton lisse et vaguement argenté, le chêne jaillissait au centre, colonne dont on oubliait l’énorme diamètre, tant elle était haute, et couronnée d’une coupole gigantesque de verdure.

De côté, sur un banc de pierre, Escaldas était assis, tellement absorbé dans ses réflexions qu’il avait laissé éteindre sa cigarette. Avec sa canne, il traçait des hiéroglyphes sur le sol moussu.

—«Vous avez donc, monsieur, des choses bien mystérieuses à me communiquer, pour m’avoir fait venir si loin?» demanda Marc en le saluant à peine.

—«Très mystérieuses, monsieur de Plesguen.»

Le mot ne fit que refroidir davantage celui qui arrivait. Sa droite et simple nature répugnait à tout ce qui ne pouvait se dire tout haut ni se faire au grand jour.

—«Allez, monsieur, je vous écoute,» fit-il en prenant une place aussi éloignée de José que la longueur du banc le permettait.

Le métis glissa tout près de lui, escamotant la distance d’un mouvement cauteleux et félin, sans tenir compte d’un haut-le-corps chez son interlocuteur.

—«Monsieur de Plesguen, ne vous écartez pas. Nous n’aurons point à nous repentir, croyez-moi, de parler à voix basse.» En effet, sa voix n’était qu’un susurrement.—«Quel serait votre état d’âme si je vous fournissais la preuve que c’est vous, et non votre cousin Renaud, qui êtes le chef de la famille de Valcor, le véritable titulaire du marquisat, le propriétaire légal du merveilleux domaine où nous sommes?»

L’état d’âme de M. de Plesguen, dont Escaldas se montrait si curieux, ne parut pas sensiblement modifié par une telle supposition. L’invraisemblable et l’absurde, dans la bouche d’un individu pour qui l’on manque déjà de confiance, ne peuvent que mettre davantage en garde contre lui. Marc leva seulement les sourcils et haussa les épaules.

—«Ce que je vous dis est absolument sérieux, monsieur de Plesguen.

—Il y a quelque chose de sérieux là-dedans, monsieur Escaldas: la course que vous m’avez fait faire en pleine chaleur, et que je regrette fort. Mais quant à vos sornettes!...

—Si ce n’est pour vous, écoutez-moi pour votre fille,» cria le Bolivien en le voyant se dresser.

—«Ma fille!...» murmura Plesguen. Il revoyait le rire de sa Françoise, avec le pétillement de ses yeux vifs. Il entendait encore le «Qui sait?...» plein de chimère.—«Vous n’avez pas débité ces folies à ma fille, je l’espère bien, monsieur?

—Non. Mais mademoiselle Françoise est vouée au malheur si vous ne vous faites pas restituer le patrimoine qui doit lui revenir. Elle aime le prince de Villingen, qui épouserait l’héritière de Valcor. Tandis que ...»

Le vieux gentilhomme ne le laissa pas achever.

—«Taisez-vous!... Quelle audace!... Présumer des sentiments de mademoiselle de Plesguen!»

Le maigre visage, à moustache militaire, se plaquait de rouge. La colère et l’émotion luisaient dans les yeux, ordinairement assez ternes.

Mais le trouble qui agitait Marc n’était pas fait seulement d’indignation. Une anxiété l’étreignait. Comment deviner un cœur de jeune fille?... Serait-il possible que la sienne se préparât le chagrin d’une amourette insensée?...

Escaldas vit fléchir légèrement la raideur du buste, et une nuance implorante atténuer l’irritation de la physionomie. M. de Plesguen ne faisait plus mine de vouloir s’en aller.

—«C’est au père que je m’adresse,» reprit humblement le Bolivien. «J’ai vu votre Françoise tout enfant. Je lui suis dévoué. Je tiens son bonheur dans mes mains. J’en suis sûr. Et vous voulez que je ne vous en parle pas!...»

M. de Plesguen se taisait. A peine percevait-il le sens de ces paroles. Des billevesées, écloses dans la cervelle sans pondération de ce natif des pays chauds! Mais sa colère tombait, noyée de tristesse. Françoise, sa jolie ambitieuse, comme il l’appelait ... Ah! cela ressemblait à cette folle tête, de rêver un mariage impossible. Que deviendrait-il, lui, si elle allait souffrir pour de bon!

—«Monsieur de Plesguen, qu’est-ce que cela peut vous faire, même si je déraisonne, de m’écouter cinq minutes?»

Une réflexion venait de frapper Marc. Il l’énonça brusquement:

—«Vous prétendez me parler dans l’intérêt de ma fille. Vous invoquez votre dévouement pour elle. Vous rappelez son enfance. Mais sa cousine aussi, vous l’avez connue au berceau. Le père de Micheline a fait votre situation. Vous avez toutes les raisons du monde d’être plus attaché aux Valcor qu’à nous.

—Attaché aux Valcor!...» ricana le métis.

—«Pourquoi voudriez-vous leur ruine? et à notre profit?...

—Ceux que vous appelez «les Valcor», reprit Escaldas, «ne seront jamais ruinés. Les caoutchoucs d’Amérique valent des mines de diamant. Ce que Renaud a conquis par son énergie restera à sa fille. Mais ce qu’il a conquis par un crime doit revenir à la vôtre.

—Par un crime!» s’exclama M. de Plesguen.

—«Croyez-vous qu’il n’en ait qu’un sur la conscience?»

—«Haïriez-vous mon cousin?» questionna Marc, étonné.

—«De toute mon âme!» répondit l’autre, avec une intonation qui ne laissait subsister aucun doute.

Le calme, la hauteur, une grande dignité reparurent sur les traits de son interlocuteur.

—«Cela suffit,» dit-il, «pour que je cesse de vous entendre.»

M. de Plesguen était debout, déjà dans le mouvement de s’éloigner.

—«Vous le haïrez bien plus que moi,» dit Escaldas, «vous si respectueux de votre sang, si fier de votre race, quand vous saurez quel crime il a commis contre votre race et contre votre sang.

—Voilà deux fois que vous prononcez ce mot de «crime», riposta, en s’arrêtant, mais sans reprendre sa place, le père de Françoise. «Eh bien! soit, admettons que votre calomnie repose sur un fait réel. Ce crime, que vous imputeriez au marquis de Valcor, vous ne prétendez pas qu’il l’ait commis en Europe. Vos allusions se rapportent sans doute à cette période de sa jeunesse, où vous avez fait sa connaissance, au cours de ses explorations dans des pays sauvages. Là-bas, l’énergie prend parfois, et forcément peut-être, des formes sanguinaires. Ce fameux crime, quel qu’il fût, n’en serait sans doute pas un pour nos lois françaises, ou, après vingt années, leur échapperait par la prescription.

—La prescription n’existe pas pour ce que je soupçonne.

—Vous soupçonnez!» répéta vivement de Plesguen. «Vous n’avez que des soupçons!... Et vous osez!... Mais, tout à l’heure, vous me parliez de preuves.

—Je suis moralement sûr,» dit tranquillement Escaldas. «Quant aux preuves, nous aviserions ensemble au moyen de les établir.

—Dans quel but?...

—Faire de vous le maître de ...

—Il ne s’agit pas de cette rengaine,» interrompit Marc avec impatience. «Je demande: dans quel but, pour vous?

—Un intérêt de vengeance et un intérêt d’argent.

—Le second seul doit compter, je pense,» fit Plesguen dédaigneusement.

—«Il prime l’autre, certes,» dit Escaldas, imperturbable. «Vous voyez, je suis net. Parce que je veux vous convaincre.

—Vous me convainquez si peu que je vous défie de répondre à cet argument: mon cousin vous paierait sans doute plus pour vous taire, si vous êtes en mesure de le perdre,—que d’autres pour parler. Renaud ne possède pas seulement son patrimoine familial, mais les immenses revenus de ses caoutchouteries. Il peut mettre le prix à votre silence. Si vous ne lui offrez pas ce silence, c’est qu’il n’a rien à craindre de vous.

—Il aurait trop à craindre, s’il savait ce que je sais. Aucun contrat ne lui offrirait une sécurité suffisante. Vous ne le connaissez pas. Il me ferait disparaître.»

Marc frissonna. Le métis avait trouvé on ne sait quel accent de vérité sinistre.

—«Enfin,» murmura Plesguen après quelques minutes de réflexion, et en se rapprochant, la voix étouffée, dans un geste involontaire d’entente, «de quoi donc pouvez-vous accuser le marquis de Valcor?»

Un éclair passa dans les petits yeux de jais du Bolivien.

—«Serez-vous un allié, si je parle?» demanda Escaldas.

—«Un allié!... Quelle expression, monsieur! Je ne crois pas que rien au monde me décide à faire alliance avec vous, surtout pour des menées ténébreuses.

—Cependant, monsieur de Plesguen, je vous répète qu’avec un homme comme Valcor, c’est ma vie que je risque. Au moins me ferez-vous le serment de ne pas le mettre en garde contre moi, quoi que je puisse vous dire?»

L’ancien officier ne répondit pas tout de suite.

Au bout d’un instant, il hocha sa tête grise sous son chapeau de paille à larges bords.

—«Décidément, monsieur, ce sont là des histoires qui ne me reviennent point. Gardez vos secrets. Je ne puis vous promettre que ma conscience ne m’oblige pas à défendre coûte que coûte le chef de notre maison, si je juge qu’il est vilainement et injustement attaqué.

—Le chef de votre maison!...» ricana le métis.

—«Oui, monsieur, ma mère était une Valcor.

—Et s’il n’en est pas un, lui!» s’écria le Bolivien. «S’il est un étranger à votre race ... pis que cela, un usurpateur. S’il porte votre titre, à vous, s’il détient votre héritage, à vous, grâce à la plus audacieuse machination, à la plus atroce perfidie! Vous considérerez-vous toujours comme tenu d’honneur à respecter en lui tout ce qu’il bafoue: votre lignée, votre sang, votre nom ... Dépouillerez-vous votre fille pour l’effroyable triomphe d’un bandit?»

Le Bolivien s’oubliait. Où était sa circonspection de tout à l’heure? Mais il y gagna de capter enfin l’attention émue de celui qu’il voulait convaincre. Nul ne fût resté sans trouble en écoutant son étrange hypothèse, énoncée avec une indéniable conviction.

Pourtant, après une courte stupeur, Marc se ressaisit.

—«Vous oubliez, Escaldas,» dit-il, «que j’ai vu naître Renaud, étant plus âgé que lui, que je fus son compagnon de toujours ...

—Même en Amérique?» interrompit brusquement l’autre, «dans les forêts vierges du Haut-Amazone, pendant les cinq ou six années où l’on perdit sa trace, tandis qu’il parcourait de sauvages et fiévreuses solitudes?

—On n’a jamais perdu tout à fait sa trace.

—Croyez-vous?

—Tout s’est expliqué à son retour.

—Croyez-vous?...» répéta Escaldas.

Ses yeux perçants pesaient sur les yeux indécis du gentilhomme, qui ne détournait plus son regard.

—«Et, à son retour,» reprit le métis en appuyant sur chaque syllabe, «tout vous a-t-il paru si simple? Lui-même, ne l’avez-vous pas trouvé changé plus que de raison?

—Il était parti presque un adolescent encore,» répondit Marc avec lenteur, interrogeant ses souvenirs. «Il revenait un homme. Plus qu’un homme, une espèce de héros. Il avait souffert toutes les privations, connu tous les dangers, puis éprouvé les rudes ivresses du civilisateur, du conquérant. Il s’était battu, il avait mal guéri de terribles blessures. Les fièvres l’avaient consumé. Et peut-être—on ne me l’ôtera pas de l’esprit—nul adversaire ne lui avait donné plus de mal à vaincre que son propre cœur. Comment n’aurait-il pas paru changé?»

José Escaldas se leva du banc, s’approcha de Marc, toujours debout, se haussa pour mettre son visage tout près du vieux visage loyal, qui pâlissait à cette approche expressive, puis, d’une voix basse, mais qui sembla, pour son interlocuteur, éclatante à faire vibrer tous les échos de l’antique domaine.

—«Et s’il n’était jamais revenu?... Si Renaud de Valcor dormait depuis vingt ans sous la terre sauvage des solitudes?... Si celui qui est ici n’était pas Renaud, et si vous, Marc de Plesguen, aviez, seul au monde, le droit de vous appeler le marquis de Valcor?...

—Taisez-vous!... Taisez-vous!...» murmura le père de Françoise, en jetant autour de lui un regard d’épouvante.

Il y eut un silence.

Les doux bruits de l’été frémissaient dans la profondeur des feuillages. Le chêne gigantesque se dressait dans sa séculaire majesté au-dessus des deux hommes. En prêtant l’oreille, on eût entendu vibrer, puis mourir incessamment, un rythme égal, qui était la respiration de l’Océan au repos.

—«O ma fille!» soupira enfin Marc, «c’est à cause de toi que je ne rejette pas tout de suite une pareille infamie.»

Il eut un recul, comme de dégoût.

—«Je ne veux pas entrer là dedans. Je ne veux pas!

—Vous seul,» déclara Escaldas, «êtes qualifié pour intenter l’action civile.

—Contre qui? contre mon cousin?... Non, non, assez!... Au nom de quoi?... Pourquoi?... Sur quelles bases?

—Je suis peut-être à même de vous fournir tous les éléments du procès. C’est parce que j’ai cru les découvrir là-bas, que je suis revenu si précipitamment d’Amérique, renonçant au poste fructueux que m’avait confié Renaud.

—Monsieur,» s’écria de Plesguen, «je ne suis pas votre homme. Le marquis de Valcor est mon cousin. Jamais je n’en ai douté, jamais je n’en douterai. C’est le cri de mon cœur, de ma conscience, de ma conviction. Portez vos odieuses combinaisons à d’autres. Je ne vous écouterai pas un instant de plus.»

Il fit deux pas pour s’éloigner, puis se retourna:

—«Moi, jouer un rôle de délateur! Moi, revendiquer un héritage!... Faire un procès pour cela!... Traîner le nom de Valcor devant les tribunaux!... Mais eussé-je bien autre chose pour m’y décider que les soupçons intéressés d’un Escaldas, eussé-je des preuves, entendez-vous, d’irréfutables preuves, je m’y refuserais encore ...»

L’ancien officier se montait. Il revint vers le métis.

—«Faites attention,» prononça-t-il, presque d’un ton de menace. «Vous le disiez bien tout à l’heure: il n’y a que moi qui sois qualifié pour soutenir les calomnies que vous avez essayé de m’insinuer. Eh bien! quand il n’y aurait que moi pour jurer devant tous que le marquis de Valcor est bien mon cousin, l’être que j’aime comme un frère, avec qui j’ai grandi, celui que, moi seul de notre famille presque éteinte, je connais depuis son premier jour, et dont seul je puis attester l’identité, vous me trouverez toujours prêt à déjouer vos projets et à le défendre contre vous. Tenez-vous-en pour averti, monsieur José Escaldas, je vous en donne ma parole, aussi vrai que je suis un gentilhomme français et que vous avez dans les veines trop de sang indien pour que jamais il y ait rien de commun entre nous!»

Sans attendre l’effet de ses paroles, M. de Plesguen tourna le dos, partit à grands pas.

Il regagnait le château par la même avenue ombreuse, d’où le soleil baissant disparaissait. Une paix lourde et obscure tombait des feuillages, tellement serrés qu’à peine une ligne de ciel clair se dessinait au milieu. Et Marc de Plesguen craignait de regarder, avec des yeux nouveaux, ces beautés naturelles, qui, par leur magnifique arrangement, éveillaient des idées de richesse humaine et de noblesse séculaire. La peur de les convoiter bassement l’excitait à se faire le champion de celui qui les possédait.

L’homme qu’il laissait en arrière le suivait des yeux sans pouvoir se persuader que, vraiment, il s’éloignait, que ce n’était ni une comédie, ni une boutade, que tout était fini de ce côté, que le merveilleux mirage n’avait ni ébloui, ni tenté, ni corrompu cette âme.

Lui, José Escaldas, avec son sang trouble de métis, et sa moralité plus trouble encore, ne pouvait concevoir qu’il se trouvât un être capable de pivoter sur les talons et de partir en se bouchant les oreilles, quand on lui offrait une perspective de grandeur et de fortune.

Que l’entreprise fût difficile, impossible même, soit! Il ne l’avait pas combinée si patiemment, mûrie avec tant d’efforts et de soins, sans en mesurer les chances médiocres et les dangers considérables. Mais pouvoir en être le principal bénificiaire et ne pas même éprouver le désir d’en connaître les données! Rejeter l’espoir parce qu’il était l’espoir, sans même s’assurer qu’il fût irréalisable, voilà qui confondait Escaldas ... Et au point que sa stupéfaction l’empêcha d’abord de sentir son désappointement.

Mais, lorsqu’il vit la haute silhouette de Marc se rapetisser jusqu’à n’être plus distincte dans le long tunnel de verdure que formait l’avenue, Escaldas se mit à jurer avec fureur.

—«Vieil insensé!» grommela-t-il, après avoir épuisé l’abondante série de ses blasphèmes espagnols et français. «Dire que c’est vrai! Il est le protagoniste du drame. On ne peut rien sans lui. Et son entêtement stupide suffirait à tout faire manquer. Heureusement, il compte sans sa fille. Voilà une petite gaillarde qui ne se dérobera pas sur l’obstacle. Elle l’entraînera où il ne veut pas aller. Et puis ... j’aurai quelqu’un d’autre pour faire le jeu. Hop là! hop là!... C’est un faux départ. Mais le steeple n’est pas couru.»

Le Bolivien s’éloigna, comme rassuré par ces métaphores de turf. D’une vie aventureuse, il avait gardé la passion des chevaux et du jeu. Sur les champs de courses d’Europe, il retrouvait un peu des hasards et de la brutalité des campements dans les pampas. Il n’appréciait que cette distraction des sociétés civilisées.

Le marquis de Valcor

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