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II

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À cinq heures du matin, la supérieure attendait le père Aimery dans la sacristie. C'était une pièce très-basse d'étage, plus longue que large, toujours humide, même dans le fort de l'été, parce qu'elle était au-dessous du sol. Une croisée haute mais étroite y jetait, par des vitraux de couleur orange, une lumière bizarre et fausse. En face de la croisée, un Christ en os jauni par le temps étendait ses bras décharnés sur un fond de drap noir encadré de buis, deux énormes bahuts en vieux bois rongé des vers occupaient les parois latérales; l'un renfermait les nappes d'autel, les candélabres, les vases, les ornements de toute sorte; l'autre était le vestiaire des prêtres. Un confessionnal découvert, formé d'une planche en sapin percée d'un grillage, servait à confesser les étrangers qu'attirait la réputation du père Aimery. Le prie-Dieu du révérend père, un fauteuil et quelques chaises en tapisserie achevaient de meubler cette pièce d'aspect lugubre. La religieuse, après l'avoir plusieurs fois arpentée en tous sens, s'était enfin assise sur le fauteuil. Elle paraissait excessivement agitée; de temps à autre elle jetait les yeux sur la porte extérieure qui ne s'ouvrait pas. Toute la nuit elle avait songé à Nélida; elle se repentait de l'avoir dissuadée d'entrer en religion. Cette vocation que la jeune fille croyait sentir, et dont elle lui avait démontré la folie avec tant de véhémence, lui apparaissait maintenant sous un tout autre jour. Les pensées égoïstes ne se présentent pas de face aux nobles âmes; elles prennent de longs détours, elles se parent de mille faux semblants pour les abuser. Ainsi mère Sainte-Élisabeth, qui, dans son premier mouvement, avait combattu de tout son pouvoir l'exaltation de Nélida, avait, à force d'y réfléchir, senti naître dans son coeur un désir ardent de garder auprès d'elle cet enfant bien-aimé. L'espoir d'associer à son existence aride un être sensible et charmant, l'espoir de se confier enfin, de communiquer ses pensées, lui causait un frémissement intérieur qu'elle ne pouvait maîtriser. Elle était si lasse de son autorité dérisoire! si lasse de commander à un troupeau imbécile de femmes dont la plupart avaient quitté la broderie pour le chapelet, la romance pour le psaume, sans même s'apercevoir d'une différence, et dont les autres n'avaient d'activité d'esprit que tout juste ce qu'il en fallait pour semer dans la communauté les mesquines jalousies, les disputes et les intrigues stériles! Elle étouffait sous le silence forcé qui gardait les issues de sa pensée énergique. Mère Sainte-Élisabeth était une de ces femmes à qui le gouvernement d'un royaume n'eût pas semblé une charge trop pesante. Son intelligence était faite pour le mouvement des affaires, son caractère pour le commandement. Loin de là, l'infortunée se voyait réduite à discuter le jour des voeux d'une professe, à fixer l'ordonnance d'une procession dans le jardin d'un cloître, à réprimander des novices pour avoir parlé à la chapelle. Aussi elle se jetait avec impétuosité au-devant de cette lueur d'espérance qui s'élevait tout à coup à son horizon; et pour justifier à ses propres yeux ce qu'elle venait faire (car les âmes altières, qui ne consentent jamais à se justifier aux yeux d'autrui, ont toujours besoin d'apaiser le juge rigide qui est en elles), elle se disait qu'après tout on avait vu des exemples de vocations véritables; que Nélida semblait de nature à devoir souffrir beaucoup dans le monde; qu'elle n'aurait pas la force nécessaire pour affronter les fatigues et les émotions de la vie active, et que la monotonie du cloître serait moins contraire aux penchants de son esprit contemplatif que la diversité des folles joies du siècle.

Comme elle raisonnait de la sorte, s'affermissant de plus en plus, ainsi qu'il arrive, dans l'égoïsme de sa pensée secrète, la porte s'ouvrit sans bruit, et le père Aimery se glissa plutôt qu'il n'entra dans la sacristie.

—Vous venez tard, mon père, lui dit la supérieure en se levant à peine de son fauteuil.

—Il est cinq heures et demie, ma soeur, et je ne dis la messe qu'à six heures, répondit-il en tirant sa montre.

Mère Sainte-Élisabeth se tut; son impatience lui avait fait trouver le temps long, mais le père Aimery était exact comme l'horloge.

—N'y a-t-il rien de nouveau à la communauté? continua-t-il en ôtant sa douillette de soie puce, qu'il posa soigneusement sur le dossier d'une chaise, et ouvrant le vestiaire pour y prendre son aube.

—Rien à la communauté; mais au pensionnat, nous avons une élève qui veut entrer en religion…

—Laquelle? interrompit le père Aimery en levant sur la religieuse son oeil gris et perçant.

—Mademoiselle de la Thieullaye,

—Nélida de la Thieullaye? Cela ne se peut.

—Cette vocation me paraît très-véritable, dit la religieuse en adoucissant sa voix qui prenait, lorsqu'elle le voulait, un accent insinuant auquel personne n'avait sans doute résisté jadis; Nélida est une enfant d'un jugement solide, très-supérieure à son âge, et d'une droiture d'intention que l'on ne peut suspecter.

—Je ne dis pas qu'elle n'a pas la vocation; je dis que nous ne devons pas la laisser faire, reprit le confesseur d'un ton plus sec.

—Mais, mon père, dit mère Sainte-Élisabeth en s'animant un peu, vous ne songez pas à la précieuse conquête que ce serait pour la foi, et pour notre ordre en particulier…

—Nous faisons trop de ces conquêtes, dit le père, qui avait passé son aube et qui marquait dans le missel la Préface et les Oremus du jour; vous savez bien que nos ennemis nous accusent de conversions par surprise; ils disent que nous attirons, que nous captons les jeunes héritières; je crois entendre encore les propos tenus lorsque vous avez pris l'habit. Non; mademoiselle de la Thieullaye a une grande fortune; on sait qu'elle a été traitée par vous avec des égards singuliers; c'en est assez pour autoriser la calomnie; tout cela ameute contre nous; nous sommes en des temps difficiles; il faut que mademoiselle de la Thieullaye reste dans le monde, elle nous y servira beaucoup plus efficacement qu'ici.

—Mais, mon père, dit en l'interrompant la religieuse, qui pâlissait de colère, tant la contradiction la trouvait peu préparée, si nous la repoussons, elle prendra le voile ailleurs; elle se fera augustine, carmélite, que sais-je?

—Cela n'est guère probable; et d'ailleurs, peu m'importe; il ne convient pas, je vous le répète, qu'elle prenne le voile ici.

—Mais, mon père, dit la religieuse en élevant la voix et ne se contenant plus, il ne s'agit pas de savoir si cela vous convient, mais si cela convient à Dieu, ce me semble.

Le père Aimery leva les yeux de dessus le missel, et fixa sur la supérieure un long regard où se peignait une sorte de compassion dédaigneuse.

—Le zèle de la maison du Seigneur vous dévore, madame, dit-il enfin, non sans une nuance d'ironie. Prenez garde, vous avez les passions vives; vous n'avez pas encore suffisamment appris la déférence aux opinions d'autrui.

—Je n'ai pas appris à reconnaître d'autorité supérieure à celle de

Dieu, dit la religieuse hors d'elle-même.

—Vous vous croyez toujours chez M. le duc votre père, continua le confesseur sans paraître avoir entendu l'interruption, entourée de vos nombreux esclaves…

—De grâce, s'écria la religieuse en se dressant comme une vipère sur qui l'on a marché, ne me raillez pas; ne prenez pas toujours plaisir à me pousser à bout, vous ne savez pas de quoi je suis capable!

Le père Aimery la regarda avec un sang-froid écrasant.

—Vous avez besoin de repos, ma soeur, reprit-il d'un ton fort doux; vous semblez avoir mal dormi. Envoyez-moi cette jeune fille après la messe et veuillez ordonner qu'on sonne; il va être six heures.

Mère Sainte-Élisabeth sortit en silence, après avoir jeté sur le prêtre un regard étincelant de haine.

Nélida; Hervé; Julien

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