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1. 2. 2. L’Etat-major général et son Bureau

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La loi sur l’organisation militaire du 13 novembre 1874 a apporté d’importants changements en ce qui concerne l’Etat-major général.7 L’article 68 créait un corps spécial d’état-major comprenant 3 colonels, 16 lieutenants-colonels ou majors et 35 capitaines. A ces officiers, dont les missions relevaient spécifiquement du service d’état-major général, s’ajoutaient ceux de la section spéciale des chemins de fer formée, selon l’article 70, avec le personnel d’administration et d’exploitation des chemins de fer. Ces derniers avaient pour tâche de préparer l’organisation du service d’exploitation des chemins de fer en temps de guerre, ainsi que la destruction et le rétablissement des lignes. Cette section occupait une place à part au sein de l’Etat-major général, dans le sens où, en cas de guerre, les officiers qui la composaient devaient être adjoints au chef supérieur du service d’exploitation.

La direction de l’Etat-major général n’était pas clairement définie par la loi. A sa tête se trouvait, en temps de paix, le chef du Bureau d’état-major (articles 72 et 252). Cette disposition ne préjugeait cependant rien quant à la direction en temps de guerre. Aucune modalité de désignation du chef d’Etat-major général pour ce cas n’était en effet prévue. Le Département militaire restait particulièrement lapidaire à ce sujet, argumentant que le fait qu’il n’existait pas de général de temps de paix excluait également la désignation d’un chef d’Etat-major permanent.8

La loi énonçait de manière succincte les missions du Bureau et de son chef, laissant le soin à des ordonnances ultérieures de les définir plus précisément. L’article 72 stipulait laconiquement que celui-ci était chargé «de tout ce qui concerne l’organisation et le service des différentes sections de l’état-major, ainsi que le personnel et l’instruction». Un peu plus précis, l’article 73 attribuait pour tâche au Bureau d’état-major la direction et la surveillance de «tous les travaux préparatoires pour la mise sur pied et la mobilisation de l’armée en ayant égard aux circonstances diverses de cette mobilisation». Pour remplir ses missions, le Bureau devait «réuni[r] et utilise[r] les collections et les travaux scientifiques sur l’armée nationale et les armées étrangères». Ainsi était également définie, de manière indirecte et sommaire, une mission de service de renseignements. Le Bureau avait, enfin, pour dernière tâche «la direction et […] la surveillance de la topographie et du bureau topographique».

Cette organisation reprenait celle du projet Welti, présentée en 1868 par le Département militaire fédéral.9 D’ailleurs, le message du Conseil fédéral du 13 juin 1874 renvoie aux motifs et argumentations présentés à l’époque, en soulignant que ces derniers restaient valables et qu’ils n’avaient jamais été critiqués. La nouvelle loi avait pour but de mettre un terme à la confusion qui existait avec le système en vigueur de par la loi sur l’organisation militaire du 8 mai 1850. L’Etat-major fédéral comprenait, dans sa section des combattants, trois subdivisions: l’Etat-major général, l’Etat-major du génie et l’Etat-major de l’artillerie. C’était, comme nous l’avons vu, parmi les officiers de l’Etat-major fédéral qu’étaient choisis les commandants de corps de troupes, de brigade et de division, ainsi que les adjudants, c’est-à-dire les adjoints des commandants chargés du service de l’Etat-major général, lors des mises sur pied de l’armée. Ces choix se faisaient sans distinction parmi les trois subdivisions de l’état-major fédéral. Il en découlait que les membres de l’état-major fédéral ou de l’une de ses subdivisions pouvaient être appelés à remplir des fonctions très variées, de commandement ou d’état-major, et ce à des niveaux hiérarchiques divers, allant du bataillon à la division. Une telle solution n’était pas rationnelle et ne permettait pas de donner une formation appropriée aux officiers de l’Etat-major fédéral. Le projet Welti avait pour but de revenir au système antérieur à 1850 qui distinguait entre fonction de commandement et d’état-major. Il voulait séparer les deux filières et mettre en place un système de sélection et de formation adapté à chacune d’entre elles.

Si l’on ne peut parler d’opposition à l’organisation de l’Etat-major général prévue en 1874, il y eut, au moins, interrogations, voire critiques de la part de certains militaires. Le colonel Rudolf Paravicini, ancien chef d’Etat-major général du général Herzog au cours de la mobilisation de 1870–1871, craignant la constitution d’une caste, ne voyait pas la nécessité de créer un corps spécial d’état-major. Il préférait que l’on gardât l’ancien système de recrutement consistant à sélectionner les officiers d’état-major parmi les officiers de troupes et à choisir les plus aptes et les plus disposés, en fonction de leurs capacités, à remplir telle ou telle fonction.10 Il s’interrogeait également sur la manière de nommer le chef de l’Etat-major général, sur ses relations avec le général et, surtout, sur la sphère de compétences du chef du Bureau d’état-major en matière de travaux préparatoires concernant la mise sur pied de l’armée. L’article 250 de la loi militaire, reprenant les anciennes prérogatives du chef d’arme de l’infanterie, stipulait en effet que ce dernier était tenu, entre autres, de surveiller les différents préparatifs de mobilisation.

Le colonel Emil Rothpletz, chef des opérations au cours de la guerre de 1870–1871 et commandant de la 5e Division, partageait certaines des critiques de Paravicini, notamment en ce qui concernait la répartition des compétences entre le chef du Bureau d’état-major et le chef d’arme de l’infanterie.11 Il s’interrogeait aussi sur le bien-fondé de la subordination du Bureau de topographie au chef du Bureau d’état-major. Rothpletz soulignait que le projet du Département militaire fédéral ne se justifiait qu’en raison de la formation et de l’expérience particulières en matière de topographie et de cartographie du chef du Bureau d’état-major de l’époque, le colonel Siegfried.

Ces remarques ne furent cependant ni nombreuses, ni virulentes, mais elles soulevaient des questions importantes, qui ne furent pas immédiatement résolues. Elles constituèrent le point de départ de critiques ultérieures plus violentes dirigées contre l’Etat-major général. Nous verrons dans le dernier chapitre de cette première partie que ces attaques contre l’institution se doublèrent de querelles de personnes et qu’elles conduisirent, en 1903, à une crise particulièrement grave qui se termina par la démission du chef du Bureau d’état-major, le colonel Keller.12

La nouvelle loi entraîna rapidement la réorganisation du Bureau d’état-major.13 Dès 1875, il fut subdivisé en deux sections principales, la Section de l’Etat-major général et la Section topographique. La Section de l’Etat-major général comprenait trois subdivisions, la Section tactique, la Section géographique ou technique et la Section des chemins de fer. A la tête de ces trois sections se trouvaient des officiers qui étaient en service permanent. Leurs subordonnés étaient, eux, des officiers du corps d’état-major effectuant, par roulement, des services d’une période de deux ou trois mois.

Cette organisation, sommaire et minimale, fut complétée et remaniée dans les années qui suivirent.14 Les premiers temps furent difficiles. Des problèmes de locaux, tant pour le Bureau d’état-major que pour les écoles de formation, retardèrent les travaux de mise en place. De plus, le fait que la plupart des officiers du corps d’état-major étaient également instructeurs eut pour conséquence qu’ils ne purent faire de service jusqu’à ce que soient mis en place les cours d’instruction des arrondissements de division, qui les déchargèrent d’une importante partie de leurs tâches. Par ailleurs, des raisons budgétaires faisaient planer des menaces sur la mise en place de l’institution. En 1876, le rapport de gestion du Département militaire fédéral souligne que les travaux d’organisation de la Section des chemins de fer, déjà bien avancés du fait des activités réalisées durant le cours spécial suivi par 18 officiers, risquaient de prendre du retard si les cours ultérieurs prévus étaient renvoyés pour des raisons d’économie.

La mort du colonel Siegfried, en décembre 1879, entraîna la séparation du Service topographique d’avec l’Etat-major général.15 Créé en 1838 par Dufour, le Bureau topographique était chargé de la direction des mensurations de la Suisse, mission que la Diète avait confiée en 1822 au quartier-maître fédéral. Siegfried avait été un élève et un collaborateur de Dufour et il fut son successeur à la tête du Service topographique. Cartographe renommé, il fut le directeur des travaux du célèbre atlas qui portera son nom, avec ses cartes au 1:50 000 et au 1:25 000, dont la réalisation s’effectua entre 1870 et 1926. Une fois Siegfried disparu, la direction de la Section topographique, qui avait été antérieurement subordonnée au génie, fut à nouveau confiée au chef de cette arme, le colonel Jules Dumur. En novembre 1880, les bureaux de la Section topographique furent transférés dans les locaux, situés à proximité de ceux du génie, de la Société des chemins de fer du Jura, avec laquelle un contrat de location fut signé.

De son côté, le Bureau d’état-major menait une importante réflexion sur l’organisation qu’il fallait donner à l’Etat-major général et analysait le projet de loi d’organisation du Conseil fédéral.16 Il pensait que le service du temps de guerre devait constituer la base de réflexion pour la définition des structures du temps de paix. Cette démarche était logique, car l’Etat-major de l’armée serait constitué, en cas de mobilisation, à partir de l’organisation existante. Dès lors, ce furent les organisations du Grand Quartier général et celles de l’Etat-major de l’armée qui furent étudiées et qui reçurent en premier la sanction d’une ordonnance du Conseil fédéral. Les travaux de rédaction du document furent cependant beaucoup plus longs que prévu.17 Mise en chantier dès 1875, l’ordonnance ne fut signée par le Conseil fédéral que le 7 mai 1880, les divergences qui opposèrent le chef de l’infanterie et le chef du Bureau d’état-major étant nombreuses et difficiles à réduire.18

L’organisation et les missions du Bureau d’état-major furent codifiées dans un règlement daté du 20 février 1875, dont il ne reste plus qu’un brouillon manuscrit, raturé et difficile à lire.19 Simple instruction à caractère provisoire, ce règlement constitua cependant le seul document officiel définissant l’organisation du Bureau d’état-major jusqu’en octobre 1890. On en connaît un peu plus sur la structure et le fonctionnement de l’Etat-major général de la fin des années 1870 par l’article sur le service d’état-major que rédigea Keller dans l’ouvrage de Joachim Feiss, Das Wehrwesen, publié en 1880.20 L’Etat-major général était toujours dirigé, en période de paix, par le chef du Bureau d’état-major. Ayant perdu le service topographique à la fin de l’année 1879, il comprenait désormais le service d’état-major général et le service des chemins de fer. Le Bureau d’état-major se composait de quatre subdivisions, le Bureau du commandant, la Section géographique, la Section tactique et la Section des chemins de fer. Ses activités consistaient avant tout à préparer les plans de mobilisation et de concentration de l’armée, à élaborer des études générales sur la défense de la Suisse et à rassembler la documentation et les cartes nécessaires à ces travaux, qu’ils concernent la Suisse ou les pays voisins.

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