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CHAPITRE UN

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9 décembre

23:45, heure du Liban (16:45, heure normale de l’Est)

Sud-Liban


– Rends grâces à Allah, s’exhorta le jeune homme. Rends-Lui grâces. Rends-lui grâces.

Il tira une longue bouffée de sa cigarette, sa main tremblait quand il la porta à ses lèvres. Il n’avait rien mangé depuis douze heures. Quatre heures auparavant, le monde autour de lui avait plongé dans la nuit. C’était un routier apte à conduire les plus gros semi-remorques. Avec celui-ci, il avait traversé la frontière de la Syrie puis parcouru la campagne vallonnée du Liban, roulant doucement, tous feux éteints, sur des routes sinueuses.

C’était un parcours dangereux. Le ciel était rempli de drones, d’hélicoptères, d’avions-espions et de bombardiers russes, américains et israéliens. N’importe lequel d’entre eux pouvait s’intéresser à ce poids-lourd. N’importe lequel pouvait décider de le détruire et le faire sans peine. Il avait conduit tout du long en s’attendant à ce moment – un missile le frappant sans prévenir, le transformant en squelette enflammé dans une épave d’acier en feu.

Il venait à présent de garer son camion sous un auvent, au bout d’un long chemin étroit. Érigé sur des montants en bois, l’auvent était conçu pour se fondre, vu du ciel, dans le couvert forestier : son toit était recouvert d’épaisses broussailles. Il était situé pile à l’endroit qu’ils lui avaient indiqué.

Il coupa le moteur, qui péta, rota et cracha une fumée noire par le pot d’échappement vertical, du côté conducteur, avant de s’éteindre. Il ouvrit la portière de la cabine et descendit. Aussitôt, une escouade d’hommes lourdement armés émergea tels des fantômes des bois environnants.

– As salam aleikoum, lança le jeune chauffeur à leur approche.

– Wa aleikoum salam, répondit le chef des miliciens.

Il était grand et baraqué, avec des yeux sombres et une barbe noire touffue. Ses traits étaient durs – aucune compassion en eux. Il désigna le camion.

– C’est ça ?

Le routier tira une autre bouffée tremblotante de sa cigarette. Non, faillit-il répondre. C’est un autre camion. Celui-ci n’est que du vent.

– Oui, dit-il à la place.

– Tu es en retard, constata le chef des miliciens.

Le jeune haussa les épaules.

– En ce cas, c’est toi qui aurais dû conduire.

Le chef observa le camion. Il avait l’air d’un semi-remorque banal, du genre à transporter du bois, des meubles ou des denrées alimentaires. Mais ce n’était pas le cas. Les miliciens s’approchèrent de la remorque ; deux d’entre eux grimpèrent par l’échelle sur son toit, deux autres s’agenouillèrent à ses pieds. Chacun était équipé d’une visseuse électrique.

Travaillant rapidement, ils ôtèrent une à une les vis qui maintenaient la fausse remorque. Au bout de quelques instants, ils retirèrent du flanc une large plaque d’aluminium. Un peu plus tard, une plaque plus étroite de l’arrière. Puis ils firent de même de l’autre côté, où le routier ne pouvait plus les voir.

Il se retourna pour contempler la forêt et les collines obscures. Il distinguait les lumières d’un village qui scintillaient dans les ténèbres, à plusieurs kilomètres de là. Un beau pays. Il était très content d’être ici. Son boulot était terminé. Il n’était pas milicien, il était chauffeur routier. Ils l’avaient payé pour qu’il passe la frontière et amène ce camion.

Il n’était pas non plus de cette région, il vivait loin dans le nord. Il ignorait comment ces hommes s’étaient arrangés pour le renvoyer chez lui, mais il s’en fichait. Débarrassé de la machine infernale qu’il avait pilotée, il serait heureux de partir d’ici.

Des phares arrivaient sur l’étroite route défoncée – tout un convoi. Quelques secondes plus tard apparurent trois SUV noirs Mercedes. Les portières s’ouvrirent toutes ensemble et des hommes jaillirent des voitures, armé chacun d’un lourd fusil ou d’une mitraillette. La portière arrière de la voiture du milieu s’ouvrit en dernier.

En sortit un homme corpulent, portant des lunettes et une barbe poivre-et-sel. Il s’appuyait sur une canne en bois noueux et boitait bas – résultat d’un attentat à la voiture piégée contre lui deux ans auparavant.

Le jeune chauffeur le reconnut aussitôt : c’était sans nul doute l’homme le plus célèbre au Liban, et bien connu du monde entier. Il s’appelait Abba Qassem et c’était le leader absolu du Hezbollah. Son autorité en matière d’opérations militaires, de programmes sociaux, de relations avec les gouvernements étrangers, de crime et de punition, de vie et de mort, était incontestable.

Sa présence rendit le routier nerveux. Ce fut soudain, comme une douleur à l’estomac. Rencontrer une célébrité pouvait rendre nerveux, c’était certain. Mais c’était plus que ça. La présence de Qassem ici signifiait que ce camion était important, quoi qu’il puisse transporter. Bien plus important que son conducteur ne le croyait.

Entouré de ses gardes du corps, Qassem boitilla jusqu’au chauffeur et lui fit une maladroite accolade.

– Mon frère, dit-il. Tu es le chauffeur ?

– Oui.

– Allah te récompensera.

– Merci, sayyid, répondit le routier.

Il lui donnait un titre honorifique laissant entendre que Qassem était un descendant direct de Mahomet lui-même. Il n’était pas un Musulman très pieux, mais les gens comme Qassem semblaient apprécier ce genre d’égards.

Tous deux se retournèrent. Les miliciens avaient terminé d’enlever les plaques de métal qui enveloppaient la remorque. L’aspect réel du poids-lourd se révélait à présent. L’avant demeurait ce qu’il avait l’air : la cabine d’un semi-remorque, peinte en vert foncé. Sa longue remorque était une plateforme de lancement de missiles à double cylindre. Dans chaque cylindre reposait un gros missile argenté, brillant d’un éclat métallique.

Les deux parties du camion étaient séparées et indépendantes, reliées par un système hydraulique au centre et deux chaînes d’acier de chaque côté. Cela expliquait pourquoi le poids-lourd avait été difficile à maîtriser : la remorque n’était pas attachée au tracteur aussi solidement que le conducteur l’aurait souhaité.

– On appelle ça un tracteur-érecteur-lanceur, expliqua Qassem. Un parmi tant d’autres que le Parfait a jugé bon de nous amener.

– Ah oui ? fit le chauffeur.

– Oh oui, opina Qassem.

– Et les missiles ?

Qassem sourit – un sourire calme et béat, un sourire de saint.

– Un armement très perfectionné. Longue portée. Aussi précis que n’importe quel autre en ce monde. Plus puissant que tout ce qu’on a connu jusqu’ici. Si Allah le veut, nous utiliserons ces armes pour mettre nos ennemis à genoux.

– Israël ? suggéra le jeune.

Il s’étrangla presque à ce mot. L’envie lui vint de tracer vers le nord, tout de suite.

Qassem posa une main sur son épaule.

– Allah est grand, mon frère. Allah est grand. Très bientôt, tout le monde saura à quel point.

Il s’éloigna en boitant vers le lance-missile. Le routier le regarda partir. Il tira une dernière bouffée de sa cigarette, qu’il avait fumée jusqu’au filtre. Il se sentait un peu mieux, plus calme. Son job était fini. Ces maniaques pouvaient bien déclencher une nouvelle guerre s’ils le voulaient, elle n’atteindrait probablement pas le nord.

Qassem se tourna de nouveau vers lui.

– Mon frère, l’appela-t-il.

– Oui ?

– Ces missiles sont secrets, tu sais. Personne ne doit en entendre parler.

– Bien sûr, opina le chauffeur.

– Tu as des amis, de la famille ?

– En effet, sourit-il. Une femme, trois enfants en bas âge. Et j’ai toujours ma mère. Je suis bien connu dans mon village et ses alentours. Je joue du violon depuis mon enfance, et tout le monde me demande de lui jouer un morceau. (Il marqua une pause.) C’est une vie bien remplie.

Le sayyid hocha la tête, l’air un peu triste.

– Allah te récompensera.

Le routier n’aima pas le ton employé. C’était la deuxième fois que Qassem parlait d’une récompense.

– Oui. Merci.

Près de Qassem, deux mastards saisirent les fusils à leur épaule. Une seconde plus tard, ils visaient le chauffeur.

Celui-ci bougea à peine. Ce n’était pas vrai. C’était arrivé si vite. Son cœur cognait dans ses oreilles. Il ne sentait plus ses jambes ni ses bras. Même ses lèvres étaient paralysées. Une seconde, il essaya de se rappeler ce qu’il avait bien pu faire pour les offenser. Rien, il n’avait rien fait. Tout ce qu’il avait fait, c’était d’amener ce camion ici.

Ce camion… était un secret.

– Attendez, articula-t-il. Attendez ! Je ne le dirai à personne.

Qassem secoua la tête.

– L’Omniscient a vu quel bon travail tu as accompli. Il t’ouvrira les portes du Paradis ce soir même. C’est une promesse que je te fais. C’est ma prière.

Bien trop tard, le routier se retourna pour fuir.

L’instant d’après, il entendit le grand CRAC du premier fusil qui tirait.

Et il réalisa, tandis que le sol se ruait à sa rencontre, qu’il avait vécu toute sa vie en vain.

Notre Honneur Sacré

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