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CHAPITRE CINQ
Оглавление18:15, heure normale de l’Est
Salle de crise
Maison-Blanche, Washington DC
– Amy, affiche-nous le Liban et Israël, s’il te plaît, dit Kurt. Zoome sur la Ligne Bleue.
Une carte apparut sur l’écran géant derrière lui. Une seconde plus tard, elle s’afficha également dans les écrans plus petits encastrés dans les murs. Elle montrait deux territoires séparés par une épaisse ligne bleue ondulante. Sur la gauche des terres s’étendait une zone bleu pâle : la mer Méditerranée.
Susan connaissait la région suffisamment pour se passer de cette leçon de géographie. De plus, elle était agacée – elle était de retour à la Maison-Blanche depuis une heure déjà. Il avait fallu tout ce temps pour organiser cette réunion.
– Je vais couper court aux préliminaires, si ça ne dérange personne, reprit Kurt. J’imagine que tout le monde, dans cette pièce, est assez au courant des événements actuels pour savoir qu’il y a eu un accrochage à la frontière entre Israël et le Liban il y a deux heures à peine.
« La Ligne Bleue que vous voyez ici est une frontière négociée, derrière laquelle Israël a accepté de retirer ses troupes après la guerre et l’occupation de 1982. Un nombre inconnu de commandos du Hezbollah l’a franchie pour attaquer une patrouille israélienne sur la route qui suit la Ligne Bleue sur presque toute sa longueur. La patrouille comprenait huit soldats de Tsahal, et tous ont été tués – sauf une.
Une photo d’une jeune femme aux cheveux noirs, bien habillée, apparut dans les écrans. On aurait dit une photo provenant d’un annuaire d’université, ou prise avant une quelconque remise de prix. La fille souriait largement, voire plus – elle rayonnait littéralement.
– Daria Shalit, informa Kurt. Dix-neuf ans, commençant tout juste la deuxième année de son service de deux ans obligatoire dans Tsahal.
– Mignonne, émit quelqu’un dans la salle.
Kurt ne répondit pas. Il laissa échapper un long soupir.
– Croyez-moi, il y a beaucoup de poings sur la table et d’examens de conscience dans les cercles décisionnels israéliens. Les femmes participent aux patrouilles frontalières israéliennes depuis plusieurs mois. Il paraît clair à présent que c’était un enlèvement planifié à l’avance et que Shalit, ou toute autre jeune femme de la patrouille, était la cible visée. Une force d’assaut a poursuivi les ravisseurs de l’autre côté de la frontière, mais a rencontré une farouche résistance au bout de deux kilomètres. Quatre autres Israéliens ont été tués, ainsi qu’une vingtaine de militants du Hezbollah.
– Hélène de Troie, avança un homme en tenue militaire kaki.
– Exactement, opina Kurt. L’effet sur la société israélienne a été viscéral. Ça a été un coup de poing dans l’estomac, ce qui était probablement l’effet recherché. Nos renseignements suggèrent que le Hezbollah a délibérément tenté de rallumer un conflit similaire à celui qui s’est déroulé en 2006. Malheureusement, on soupçonne qu’il tend un piège à Israël.
– Le Hezbollah est coriace, remarqua le militaire. Ils sont difficiles à éradiquer.
– Amy, demanda Kurt, montre-moi le Hezbollah, s’il te plaît.
Dans l’écran apparut un groupe d’hommes qui marchaient en portant des bannières, le poing en l’air. Kurt désigna les hommes à l’aide d’un pointeur laser.
– Hezbollah – le parti de Dieu, ou l’armée de dieu, selon la traduction que vous préférez – est sans doute l’organisation terroriste la plus vaste au monde, et la plus puissante militairement. Ils ont été créés et sont formés, financés et déployés sous l’égide du gouvernement iranien, et leurs opérations couvrent l’Europe, l’Afrique, l’Asie et les Amériques.
« Le Hezbollah est une organisation terroriste extrêmement redoutable. Il jouit d’une légitimité mondiale parmi les musulmans chiites, d’une sophistication des opérations et d’une capacité d’organisation que Daech ne peut que rêver d’avoir parmi les sunnites. Dans les régions du Liban où le Hezbollah est basé, ils agissent souvent en tant que gouvernement local de facto, avec la pleine coopération de la population. Ils gèrent des écoles, des programmes alimentaires, de loisirs et d’emploi, et ils envoient une poignée de représentants élus au parlement libanais. Leur branche militaire est bien plus efficace et puissante que l’armée libanaise. À cause des différences religieuses entre les Musulmans chiites et sunnites, le Hezbollah et Daech sont ennemis et ont juré de se détruire l’un l’autre.
– Qu’y a-t-il de mal à ça ? intervint Susan, plaisantant à moitié. Les ennemis de mes ennemis sont mes amis, n’est-ce pas ?
Kurt esquissa un sourire.
– Prudence. La politique du Hezbollah envers notre proche allié Israël est celle d’une guerre sainte sans fin. Selon le Hezbollah, Israël constitue une menace existentielle, opprime la société libanaise, opprime les Palestiniens, et doit être détruit à tout prix.
– Est-ce qu’il a la moindre chance d’y parvenir ? demanda Susan.
Kurt haussa les épaules.
– Il pourrait causer quelques dommages, d’une étendue que nous ignorons. Les dernières évaluations laissent entendre que le Hezbollah comprend entre 25 000 et 35 000 combattants. Dix à quinze mille de ces combattants ont une certaine expérience du combat, acquise soit durant la guerre de 2006, soit plus récemment, quand ils ont combattu directement Daech au cours de la guerre civile syrienne. Nous pensons qu’environ 20 000 soldats ont été entraînés par les Gardiens de la Révolution iraniens – 5 000 ou davantage sont allés en Iran recevoir une formation poussée.
« Le Hezbollah possède un réseau de tunnels profonds et de fortifications dans la région vallonnée juste au nord de la Ligne Bleue, qui s’est avéré, durant la guerre de 2006 contre Israël, impossible à éliminer depuis les airs. L’espionnage israélien suppose que ces fortins sont juste devenus plus profonds, plus résistants et plus sophistiqués depuis 2006. Nos propres renseignements estiment que le Hezbollah dispose de plus de 65 000 roquettes et missiles, plus des millions de munitions pour armes plus légères. Leur arsenal est probablement cinq fois plus vaste qu’il ne l’était en 2006. Tout au long de l’histoire du Hezbollah, l’Iran a été réticent à lui fournir autre chose que des roquettes et missiles lents à courte portée, et nous supposons que c’est toujours le cas.
– Et que fait Israël ? s’enquit l’homme en uniforme kaki.
Kurt hocha la tête. Derrière lui, la Ligne Bleue réapparut à l’écran. Tout le long de son côté sud surgirent de petites icônes de soldats.
– Nous voilà maintenant dans le vif du sujet. Les Israéliens ont amassé d’importantes forces d’incursion à la frontière, que d’autres unités rejoignent sans cesse. Le secrétaire d’État a parlé au téléphone avec Yonatan Stern, le Premier ministre israélien. Yonatan est un jusqu’au-boutiste, populaire au sein de l’aile droite de la société israélienne. Pour conserver sa popularité auprès de sa base, il va devoir se montrer à la hauteur. Il lui faut une victoire décisive, le retour de la soldate disparue – quelque chose. On pense qu’il prévoit d’envoyer la force d’incursion israélienne de l’autre côté de la frontière dans les prochaines heures, pour envahir le Liban principalement.
– En un sens, on pourrait dire qu’Israël est déjà envahi par le Liban, remarqua le militaire.
– On pourrait dire ça, acquiesça Kurt. Stern prévoit de combiner cette invasion avec une campagne de bombardement. Nous avons demandé que cette campagne soit limitée à douze heures, soit préparée de façon à éviter des victimes civiles, et ne cible que des installations militaires connues du Hezbollah.
– Et qu’a répondu Yonatan à ça ? demanda Susan.
Yonatan Stern ne faisait pas partie de ses favoris. On pouvait même dire qu’ils ne s’entendaient guère.
– Il a dit qu’il en prenait bonne note.
Susan secoua la tête.
– Yonatan est comme vous, messieurs. Il n’a jamais affronté une guerre ou un système d’armes qu’il n’aimait pas.
Elle marqua une pause. Cela semblait être un de ces accrochages de faible intensité entre Israël et le Hezbollah, tout comme les autres escarmouches entre Israël et le Hamas ou l’OLP. Moche, sanglant, brutal, et peu concluant au final. Juste un round d’entraînement en vue du prochain round d’entraînement.
– Alors quel est notre rôle au final là-dedans, Kurt ? Quels sont les dangers, et que proposes-tu de faire ?
Kurt soupira. Son crâne parfaitement chauve reflétait les lumières encastrées dans le plafond.
– Comme toujours, le danger est que cette bataille s’étende hors de contrôle et se lie à – ou provoque – d’autres conflits régionaux. Le Hezbollah et les Palestiniens sont alliés. Souvent, le Hamas utilise ces guerres contre le Hezbollah comme couverture pour lancer ses propres attaques de guérilla à l’intérieur d’Israël. En Syrie, c’est le chaos, avec de nombreux groupes petits mais lourdement armés qui cherchent à exploiter l’instabilité.
« D’un autre côté, une vaste majorité en Jordanie, Égypte, Turquie et Arabie Saoudite se définit comme anti-Israël. Et il y a toujours l’Iran, le plus gros et le plus méchant de la bande, qui rôde en arrière-plan les bras croisés, avec le gros ours russe dans son ombre. Toutes les parties impliquées sont armées jusqu’aux dents.
– Et nos prochains pas ?
Kurt haussa ses larges épaules.
– Nos prochains pas se feront sur des œufs. Toute la région est un champ de mines, et on doit faire attention où l’on met les pieds. Israël est l’un de nos alliés les plus proches et un partenaire stratégique important. Ils sont vraiment la seule démocratie qui fonctionne dans toute la région. En même temps, le Liban a longtemps été un de nos alliés et partenaires. La Jordanie et la Turquie sont nos alliés. Nous achetons la majeure partie de notre énergie d’origine étrangère à l’Arabie Saoudite. Nous avons aussi l’engagement de négocier la paix entre Israël et la Palestine, et d’orchestrer la mise en place d’un État souverain en Palestine. (Il hocha la tête à ses propres réflexions.) Je dirais que ton job est de ne pas aviver les tensions davantage, et d’espérer que cette petite poussée de fièvre ne dure que quelques jours – ou mieux, quelques heures.
– En d’autres mots, sourit Susan, on reste les bras croisés.
Kurt sourit à son tour.
– Je dirais qu’on devrait rester les bras croisés. Mais actuellement, on a les mains liées dans le dos.